Lire le Sutra du Lotus
Ryusho Jeffus


6 - La Passation

Chapitres XXI et XXII

Les pouvoirs surnaturels des Ainsi-Venus et la transmission de l’enseignement

La transmission trouve son apogée dans les chapitres XXI et XXII mais on peut dire qu’en réalité elle a commencé bien avant. Comme nous l’apprend le Sutra du Lotus, la passation s’enracine dans un passé incommensurablement lointain et on peut dire que, dans un sens, le Sutra du Lotus est la transmission du début jusqu’à la fin.

Dans le premier chapitre, Manjushri se souvient de la dernière fois où il a assisté à des phénomènes semblables : le Bouddha émettant un rayon lumineux et tremblement de terre. C’étaient les présages que Shakyamuni allait exposer le Sutra du Lotus. Par cela Manjushri témoigne de la transmission du Sutra du Lotus antérieure au prêche sur le Pic du Vautour. Les prédictions de la future bodhéité décrivent tous comment ces futurs bouddhas vont enseigner et mener les hommes à l’Éveil. Maint-Trésors apparait dans son stupa pour réaliser son vœu d’apparaitre partout où le Sutra du Lotus sera enseigné. Si lui-même ne peut pas transmettre le Sutra du Lotus, du moins peut-il témoigner de sa vérité.

Le vœu de Maints-Trésors me rappelle une histoire que l’on m’a racontée à propos d’un nouvel adepte du bouddhisme du temps de Shakyamuni. Pendant la saison des pluies, ce dernier suivait tous les ans la coutume indienne de retrait dans un monastère avec sa communauté toujours grandissante, et en profitait pour dispenser son enseignement. Mais en dehors de ces mois de retraite, Shakyamuni ne préconisait pas la vie dans un lieu fixe, encourageant de voyager à travers tout le pays pour transmettre le Dharma à la population. Ainsi s’était établie une constante alternance entre l’apprentissage et la diffusion de ce qui venait d’être appris ; un modèle dont on gagnerait à s’inspirer.

Durant une de ces saisons de pluie, un jeune homme entendit prêcher Shakyamuni et se convertit aussitôt au bouddhisme. Malheureusement, c’était déjà la fin de la retraite et il n’a pas pu bénéficier d’une formation poussée. Il partit donc comme le reste du Sangha et avec sa nouvelle foi et son enthousiasme dû à son début récent d’Éveil il était déterminé à parler aux hommes des enseignements du Bouddha. L’histoire raconte comment, chemin faisant, il rencontra un homme à qui il demanda s’il connaissait le bouddhisme. Le compagnon de route n’en avait jamais entendu parler mais demanda au jeune homme de lui en parler. Mais le tout nouveau converti expliqua qu’il venait seulement de s’engager dans le bouddhisme et qu’il était incapable d’en expliquer la doctrine. On dit que le compagnon de route fut tellement impressionné par la sincérité et la joie qu’exprimait le néophyte qu’il se convertit à son tour.

Parmi nous beaucoup sont incapables de répondre aux questions que posent les non-bouddhistes, tout particulièrement quand nous abordons la pratique du Sutra du Lotus. Tout ce que nous savons c’est qu’il y là quelque chose qui nous apporte la joie. Je me souviens de ma première nuit après avoir reçu le Gohonzon en 1969 et de la joie que j’ai éprouvée avec une telle intensité que même aujourd’hui je peux la faire revivre. C’était justement cette joie qui donne envie de la partager avec le premier venu. Je suis revenu dans ma caserne – à l’époque j’étais dans le Corps des Marines – et je me suis mis à raconter ce que j’avais vécu aux gars qui étaient autour de moi. Alors, bien évidemment, on m’a demandé d’en expliquer plus sur le bouddhisme et je suis resté le bec dans l’eau. Je ne savais pas quoi répondre aux questions (et il m’arrive encore de ne pas le savoir). Je pourrais d’ailleurs donner une réponse mais le temps restreint fait qu’elle serait incompréhensible. C’est dur de reconnaitre que l’on n’a pas de réponse. Avec le temps j’ai appris à rester serein en face de mon ignorance ou plutôt avec mon incapacité à trouver les mots qu’il faut. J’ai compris qu’il ne fallait pas insister mais ma carence n’a jamais freiné la joie née de ma foi.

Quand on commence à se dire qu’on devrait être un bon orateur on oublie qu’il est plus important de se fier à son cœur plutôt qu’à son ego. Parler du bouddhisme à quelqu’un ne consiste pas en lavage de cerveau ou être de parti-pris. Ce serait manquer de respect envers votre interlocuteur. Si vous cherchez à prendre le dessus dans une discussion cela crée une atmosphère d’affrontement et non pas de réciprocité. Le Sutra du Lotus ignore toute dynamique de supériorité du maitre qui connait toutes les réponses mais n’en fait pas état. Le Bouddha nous met dans la réciprocité quand il nous dit que nous avons tout ce qu’il faut pour atteindre l’Éveil égal à celui de tous les bouddhas. Notre meilleure stratégie est celle qui pourrait apporter le maximum de bienfaits et de joie à notre interlocuteur. J’y reviendrai plus loin. Pour l’instant, bornons-nous à considérer notre relation à l’autre avec le plus grand respect possible.

Quand nous parlons à une personne en voulant partager l’enseignement bouddhique, il faut le faire comme si on allait lui faire un cadeau qui lui fera plaisir. Mais si nous pensons que nous avons quelque chose que nous allons forcer l’autre à accepter, alors on change totalement la donne. On passe d’une relation de respect à l’arrogance et la domination ; il n’y a plus d’égalité. Souvenez-vous que même une personne qui ne pratique pas le bouddhisme possède la nature de bouddha tout autant que vous. Je pense que si nous pouvons respecter quelqu’un comme étant l’égal du Bouddha – même un non-éveillé – alors nous pouvons nous sentir détendu et ressentir la joie d’être en contact avec cette personne, même si elle ne pratique pas, alors nous pouvons lui apporter la joie. Cela arrive quand notre bouddha intérieur communique avec le bouddha intérieur de l’autre. Nous ne sommes pas en train de convertir l’autre, nous lui permettons d’entamer son processus d’Éveil, peu importe le temps que cela prendra.

Même avant le Sutra du Lotus Shakyamuni encouragea ses disciples à s’engager activement dans la transmission du Dharma. La différence avec le Sutra du Lotus c’est que cette fois il s’agit de l’enseignement complet. Le Bouddha a aboli toutes les frontières et a accepté de révéler la Vérité ultime de tous les bouddhas. C’est pourquoi Maints-Trésors peut apparaitre conformément à son vœu. Lorsque nous transmettons le Dharma aux autres nous appelons Maints-Trésors à nos côtés pour qu’il témoigne de la vérité de cet enseignement. On peut dire que dès que nous enseignons le Sutra du Lotus cela attire Maints-Trésors comme un aimant.

Vous vous demandez, peut-être, pourquoi j’ai raconté cette histoire du néophyte et quel est le rapport avec Maints-Trésors. Il nous arrive de ne pas avoir de réponse et alors nous remplissons la fonction de Maints-Trésors en témoignant de la joie que nous apporte notre adhésion au Lotus. Parfois, rien que notre façon de vivre devient un témoignage muet de la validité de ce Sutra. Tout comme Maints-Trésors dit : « C'est bien, c'est fort bien » nos actions muettes déclarent « C'est bien, c'est fort bien ». Et, bien sûr, si nos actions ne sont pas en accord avec le Sutra, alors, même si nous affirmons la valeur et la supériorité du Sutra du Lotus, nous n’avons pas grand-chose de la fonction de Maints-Trésors.

Observez bien ce qui se passe dans votre vie. Vos paroles sont peut-être correctes mais si vos actions ne manifestent pas le « C'est bien, c'est fort bien », c’est que votre vie n’est pas en harmonie et les deux bouddhas ne sont pas assis côte à côte en vous. Maints-Trésors n’apparait pas là où le Sutra du Lotus n’est pas propagé. Il serait bon de se demander quel enseignement sous-tend nos actions.

Après l’apparition de Maints-Trésors, Shakyamuni rappelle à lui toutes ses émanations qui dispensent son enseignement aux êtres innombrables dans de lointaines contrées de l’univers. C’est, une fois de plus, la preuve que le Dharma est constamment propagé à travers l’espace-temps.  Enseigner le bouddhisme, guider les hommes vers le Dharma fait partie intégrante de la pratique bouddhique. Lors de la pratique quotidienne, c’est le premier des quatre vœux du bodhisattva

Si, toutefois, il subsistait des doutes quant au désir du Bouddha de voir enseigner le Dharma et non pas le garder pour soi, il demande explicitement au chapitre XI qui va propager le Sutra du Lotus après sa disparition du monde Saha. C’est dans ce chapitre que Shakyamuni commence à parler de la pérennité de la transmission du Sutra du Lotus lorsqu’il ne sera plus là pour le faire. Il n’est pas question de la propagation du bouddhisme dans différents mondes de l’univers où ses émanations sont déjà à l’œuvre et que viendront rejoindre un jour ses disciples contemporains. Tout est déjà entre de bonnes mains, mais pas notre monde à nous. Il incombe à Shakyamuni de s’assurer que la Vérité fondamentale du Sutra du Lotus sera préservée pour les générations futures.

Il n’aurait pas suffi que le Bouddha nous donne, juste comme ça, quelques leçons que l’on aurait appelées Sutra du Lotus, si les concepts qu’il nous transmettait ne devaient pas atteindre les innombrables êtres de notre monde. Même pour nous, il ne suffit pas d’avoir la foi en ce Dharma et de ne pratiquer que pour notre seul Éveil. Ce n’est même pas suffisant de l’enseigner aux autres. Encore faut-il s’assurer que les autres seront toujours encouragés et aidés dans leur pratique et que le cycle sera perpétué dans le futur. Le bouddhisme ne consiste pas en un retrait bien au chaud dans nos maisons avec juste la pratique biquotidienne. Comment pourrions-nous espérer partager effectivement le bouddhisme et que nos efforts portent des fruits si nous-mêmes ne sommes pas branchés sur les Trois Trésors, sans en exclure aucun ?

On aura beau faire, si on n’a pas entièrement intégré le Sutra du Lotus du Bouddha, du Dharma et du Sangha, il sera impossible d’enseigner efficacement et de partager avec les autres la vérité complète de ce sutra. Le Sutra du Lotus ne se réduit pas à notre petite vie. Shakyamuni en fait état lorsqu’il demande qui va enseigner ce Sutra dans l’avenir. Sinon il aurait arrêté son exposé avant la fin du chapitre XI.

Voyons donc les deux chapitres qui donnent des instructions spécifiques pour nous et pour tous les bouddhistes sur la transmission telle qu’elle correspond à l’esprit du Bouddha. Il faut attendre le chapitre XXI pour que les bodhisattvas Surgis-de-Terre se chargent réellement de la mission de propagation du Sutra du Lotus. Ils promettent de le faire non seulement dans notre monde mais également dans les univers où se trouveront des bouddhas.

En lisant ce qui avait poussé ces bodhisattvas à faire ce vœu j’ai trouvé intéressant qu’ils cherchent à obtenir le Dharma et d’en exécuter toutes les pratiques. En d’autres termes, ils font cela par plaisir de pouvoir le faire sans en attendre quelque chose de précis en retour.

Que nous manifestions notre fonction de bodhisattva Surgis-de-Terre dépend uniquement de notre pratique et non pas d’une proclamation creuse. Cela ne sert à rien de se dire bodhisattva Surgis-de-Terre si nous ne le mettons pas en action. Ces bodhisattvas disent qu’ils veulent obtenir le Dharma. Ils l’obtiendront par la compréhension à travers la foi-shinjin, par l’exercice des pratiques et en enseignant les autres. C’est un ensemble cohérent dont aucun élément ne peut être dissocié des autres. Nous ne pouvons pas étudier juste dans notre coin, ni pratiquer en restant seul, pas plus que nous ne pouvons nous lancer dans l’enseignement du bouddhisme sans le pratiquer.

Ainsi donc, quelles sont les pratiques du Sutra du Lotus ? C’est recevoir et garder, lire, réciter, exposer et copier le Sutra. Ce sont les cinq pratiques merveilleuses (go jumyogyo). Recevoir et garder signifie adhérer au Sutra et le garder dans son cœur pour le manifester ensuite dans nos actions. Recevoir et garder ce n’est pas être bien instruit et agir contrairement au cœur du Sutra qui est l’égalité de la nature de bouddha en toutes choses.

Lire le Sutra, c’est l’étudier avec persévérance pour approfondir notre foi et notre capacité de le garder. Le réciter, c’est le lire à haute voix en le psalmodiant lors de nos gongyos biquotidiens. J’ajouterai ici que la récitation par cœur n’est pas recommandée car il est facile d’en relâcher l’articulation ou de s’habituer aux erreurs. Exposer le Sutra, c’est l’enseigner aux autres, ce qui sera d’autant plus efficace si on le fait par la parole et par l’action. Enfin, copier le Sutra, c’est le mettre à la disposition des autres pour qu’ils puissent bénéficier de son merveilleux enseignement. De nos jours, acheter un exemplaire pour en faire don aux autres est aussi une façon de copier le Sutra. Cela peut paraitre un peu cher si l’on ne pense pas à ce que cela coûterait de le recopier à la main. Le don de ce Sutra peut être particulièrement apprécié dans les bibliothèques ou les prisons. 

Deux mots encore sur la récitation du Sutra. Dans la tradition de la Nichiren Shu, lors du gongyo on récite le Sutra en shindoku, un sino-japonais qui n’a plus cours aujourd’hui, même s’il y a des ressemblances. Autrefois, le shindoku était compris par les classes éduquées mais actuellement il est difficile même pour les lettrés. Alors, me demanderez-vous, pourquoi le continuer ? Je pense qu’une des raisons est qu’ainsi la pratique devient internationale permettant aux personnes de différents pays de faire gongyo ensemble et aussi parce que cela permet de vivre une expérience transcendante lors de notre pratique biquotidienne. Cette expérience est une façon de vivre le Sutra dans notre cœur-esprit et non pas dans une approche rationnelle.

Il est tout à fait permis de réciter le Sutra dans sa langue d’origine et, en fait, dans mon temple nous récitons certains passages en anglais. C’est valable dans la mesure où ensuite nous nous rappelons la signification de ce que nous lisons en shindoku. Même au Japon plusieurs temples récitent différents extraits du Sutra en japonais, et il en est de même en Chine et en Corée. En Corée, la règle est même de ne pas réciter en une autre langue que le coréen. De toute façon, le bienfait que nous retirons du gongyo ne dépend pas de la langue mais de l’attitude intérieure.

Pour Nichiren, la récitation des sept caractères Na Mu Myo Ho Ren Ge Kyo est une façon de lire, réciter et garder le Sutra du Lotus. Cette simple phrase est facile à retenir et à psalmodier par n’importe qui. Nichiren n’a pas inventé cette phrase-mantra qui existait avant lui, principalement lors de l’assistance des mourants. Mais seul Nichiren en a fait une pratique universelle, la pratique du Sutra du Lotus sous sa forme abrégée, accessible à tous, en tout lieu et tout temps. Bien sûr que pour lui, la récitation de daimoku ne devait abolir ni l’étude ni la lecture du Sutra mais seulement la récitation rituelle des vingt-huit chapitres. Il dit textuellement dans une lettre à un ami que l’on peut remplacer la lecture d’un chapitre par jour par la récitation de daimoku. Mais il faut noter qu’il ne dit nulle part qu’il ne fallait pas lire et réciter les vingt-huit chapitres. Dans les temples de la Nichiren Shu, le Sutra du Lotus en entier est récité en différents cycles de vingt-huit jours, ou moins.

Pour ce qui est de la question épineuse de la prononciation de Nam ou de Namu avant Myohorengekyo on peut commencer pars’intéresser à la signification de Namu qui provient du Namaste sanskrit. Namu s’écrit en deux caractères chinois 南無. Ce n’est pas juste un préfixe de Myohorengekyo, le titre complet du Sutra. Pas plus qu’il n’est un petit ajout du mot Namaste. C’est la marque d’une relation qui nous lie nous et notre invocation du titre, au contenu du Sutra du Lotus. Par conséquent, peu importe comment nous le prononçons si nous sommes conscients de son implication dans le daimoku que nous récitons. Namaste, et donc Namu dont il provient, a de nombreuses significations. Namaste peut exprimer la reconnaissance ou bien le respect, et dans le contexte du Sutra du Lotus il implique la dévotion. En tant que gratitude Namu/Namaste nous concerne tous, bien sûr. Lorsque nous ouvrons la bouche et l’esprit pour réciter Namu, lorsque nous faisons daimoku, nous remercions le Bouddha Atemporel. C’est notre vie que nous devons ouvrir en ouvrant la bouche pour saluer avec joie l’enseignement que nous vénérons. Namu est une « entrée en matière » tout comme « Bonjour » est une entrée en matière dans nos relations quotidiennes avec tout le monde.

Si on regarde Namu/Namaste en tant qu’expression du respect, c’est l’offrande de la plus haute déférence à l’égard de Myohorengekyo, l’enseignement du Bouddha Atemporel. Dans ce sens, nous devons nous vider le plus possible pour pouvoir absorber un maximum de la valeur de ce Sutra. Pensez à la façon dont vous marquez le respect devant les personnes qui peuvent beaucoup vous apprendre en commençant par faire abstraction de votre mentalité. Quand nous ne respectons pas une personne nous devenons sourds à ses paroles et nous nous fermons à elle. Quand nous prononçons Namu nous devons ouvrir notre vie aussi profondément que possible à Myohorengekyo.

Namaste/Namu implique également la dévotion. Nous avons exprimé notre gratitude et nous nous tenons prêts à accueillir la doctrine avec respect. Voyons maintenant ce que nous recevons et gardons. La dévotion ce n’est pas juste croire en théorie mais réellement avec tout notre être. Sinon nous provoquons dans notre vie une grande dysharmonie.

Pour résumer, nous nous ouvrons avec reconnaissance et faisons avec respect place nette pour nous remplir de dévotion. Je ne sais pas si vous partagez exactement mon point de vue. Il me semble que c’est assez important de préciser ce qu’est Namu.

Revenons donc à la discussion s’il faut dire Nam ou Namu. Comme nous venons de le voir Namu correspond à deux caractères. D’un point de vue purement formel il n’y a aucun caractère qui correspond à nam. On peut seulement avoir na ou namu. Sans me lancer dans des considérations linguistiques sur la langue japonaise il me suffira de dire que pour mu la voyelle finale devient souvent muette (non voisée). Mais pour les Japonais il est évident que la voyelle existe. Que nous ne l’entendions pas ne veut pas dire qu’elle a disparu. Ainsi, peu importe comment vous prononcez Namu, la voyelle ne bouge pas. C’est cela que nous devons garder à l’esprit. Nous ne devons pas tronquer Namu, que nous prononcions la voyelle finale ou non. 

Je suis un ferme partisan de la psalmodie lente et articulée de tous les caractères Na Mu Myo Ho Ren Ge Kyo. Namu n’est pas une surcharge fortuite, c’est l’expression d’un vécu. En remerciant, me débarrassant et absorbant je veille en pleine conscience sur ma prononciation non seulement de Myo Ho Ren Ge Kyo mais aussi de Namu. Je ne crois pas que nous puissions dire que nous croyons, vénérons et respectons quelque chose que nous escamotons à moitié. Si je suis en présence que quelqu’un que je respecte et admire et dont je cherche à partager le savoir, il est évident que je ne vais pas courir après le temps, je ne regarderai pas ma montre en me morfondant. J’en apprécierai chaque moment souhaitant que cela dure encore et encore.

Je pense que la récitation de daimoku est une question de qualité et non de quantité. Ce n’est pas le temps mais notre vie que nous devons remplir de daimoku. Je ne veux pas dire par là qu’une récitation rapide est erronée, ce qui ne va pas c’est une récitation négligée, paresseuse ou distraite ; il vaut mieux l’éviter. Il est bon de perdre un peu la notion du temps, oublier le quotidien et les pensées adventices. La récitation de daimoku est une méditation et tout comme nous procédons lors d’une méditation silencieuse où nous revenons constamment sur le moment présent et notre respiration, nous devons revenir sur daimoku.  Mais si nous démarrons à toute allure avec des objectifs divers et variés, il sera plus difficile, sinon impossible de faire une pratique plus réfléchie et contemplative qui permet de se nourrir et s’imprégner du Sutra du Lotus.

Nichiren répétait encore et encore que chaque caractère du Sutra du Lotus était un Bouddha doré. Imaginez que vous êtes sur le point d’être en présence du Bouddha, seriez-vous désinvolte ?  Et pourtant il nous arrive d’être bien désinvoltes en récitant daimoku ou le Sutra ! Il serait bon, peut-être, d’y réfléchir. Les gens ont souvent de bonnes excuses et tout plein d’arguments pour agir comme ils le font et il est bien rare qu’ils se remettent sérieusement en question. On se dit « c’est comme ça que je fais depuis des années » ou « je le sens comme ça » ou « c’est plus facile comme ça » ou « ça marche aussi comme ça » ; toutes sortes de bonnes raisons pour ne pas bousculer ses barrières et ne pas s’améliorer.

Je ne dis pas qu’un bon examen de conscience aboutit à une pratique différente mais toutes ces esquives auto-justificatives ne sont pas autre chose que des mécanismes défensifs. Ces parades ne sont que du vent et viennent non pas d’une réflexion sérieuse mais de notre désinvolture.  À dire vrai, ce n’est pas très bouddhique. Comment pouvons-nous prétendre rechercher la pleine conscience (smriti*) et une pratique libératrice en restant dans la passivité ?

Dès que les bodhisattvas Surgis-de-Terre exprimèrent leur vœu de mettre en pratique le Sutra du Lotus dans le monde Saha après le parinirvana du Bouddha, celui-ci leur en donna la permission et loua leur décision. Il n’y a pas d’autre endroit dans le Sutra où Shakyamuni montre aussi clairement son plaisir. Il montre aussitôt à tous ceux qui assistent à la Cérémonie dans les Airs ses pouvoirs surnaturels qui s’étendent aux univers dans les dix directions. Il montre sa « longue et large langue » et un rai de lumière multicolore irradie des pores de sa peau. Ce n’est pas destiné uniquement aux autres mondes, ceux de notre monde le voient également comme ils voient aussi les autres mondes.

Cela entraine les autres bouddhas, toutes les émanations, à en faire de même « en claquant ensemble des doigts et en s’éclaircissant la gorge ». Par ces bruits le Bouddha veut attirer l’attention sur l’importance de l’enseignement. De même, tous les phénomènes surnaturels décrits dans ce chapitre sont des démonstrations de la grande valeur que le Bouddha accorde au vœu des bodhisattvas Surgis-de-Terre.

Les divinités célestes qui proclament l’excellence de l’enseignement lotusien soulignent que la Vérité du Dharma est la même partout dans l’univers. Ces divinités annoncent qu’il est un monde appelé Saha où le Bouddha Shakyamuni est en train d’expliquer le Sutra du Lotus. Alors les êtres des autres mondes joignent les paumes de leurs mains en direction de ce monde, s’inclinent et louent Shakyamuni.

Nous avons donc des êtres humains et non-humains, des divinités qui tous expriment leur gratitude au Bouddha. Mais notez bien que cela ne se produit que lorsque les bodhisattvas Surgis-de-Terre notifient leur intention et font le vœu de pratiquer et propager le Sutra du Lotus sans lequel le Dharma serait incomplet, n’ayant aucun avenir possible. Je pense que cela montre l’importance pour nous, pratiquants modernes, d’accomplir notre vœu de mettre en pratique et de propager le Sutra du Lotus pour parachever l’enseignement contenu dans ce Sutra. Si nous ignorons notre vœu et que le Sutra du Lotus s’éteint, cela voudrait dire que le Sutra du Lotus est erroné.

À ce moment, les êtres des autres mondes font pleuvoir des fleurs en direction de ce monde et ces fleurs le recouvrent partout.  C’est le signe que le monde dans lequel nous vivons est réellement la Terre Pure de Bouddha. La communication aisée entre les autres mondes et le nôtre confirme que tous ces mondes sont égaux et que l’univers entier est la Terre de Bouddha.

Après cela Shakyamuni s’adresse au bodhisattva Jogyo (Pratique Supérieure) mais, en fait, il s’adresse à tous les bodhisattvas Surgis-de-Terre. Nous pouvons actuellement lire ces paroles comme si elles nous étaient directement adressées à partir du moment où nous mettons en pratique le Sutra du Lotus avec ferveur et shinjin. En japonais cette section s’appelle Beppozoku, c’est la transmission spéciale du Bouddha à tous les bodhisattvas Surgis-de-Terre. Selon Zhiyi, cette section contient quatre grands mystères que Nichiren considère comme Namu Myoho Renge Kyo.

Ces quatre mystères du Sutra du Lotus sont :
1. Tous les enseignements du Bouddha sont là.
2. Tous les enseignements surnaturels du Bouddha sont là.
3. Le trésor caché du cœur du bouddhisme est là.
4. Toutes les réalisations du Bouddha sont là.

Par notre pratique de Namu Myoho Renge Kyo et nos efforts déterminés pour apprendre et vivre le Sutra du Lotus, nous parvenons aux quatre mystères de la transmission spéciale.

Finalement, c’est, une fois de plus, l’indication que le lieu où est pratiqué le Sutra du Lotus est le lieu de l’Éveil. En d’autres termes, il n’y a pas d’endroit supérieur pour mettre en pratique notre foi, c’est toujours l’endroit où nous sommes. Par cette pratique vous construisez dans votre vie une immense Tour-aux-Trésors qui contient les deux Bouddhas et vous purifiez votre environnement en révélant la Terre pure éternellement présente. Sans doute, ne sommes-nous pas capables de reconnaitre la réalité de la Terre pure de Bouddha dans notre environnement mais en poursuivant notre pratique nous serons à même de manifester notre propre nature de bouddha et alors avec les yeux de bouddha nous pourrons regarder le monde dans une perspective différente. Comme Shakyamuni le dit un peu plus loin, lorsque nous pratiquons exactement comme le Bouddha l’enseigne dans le Sutra du Lotus, nous arrivons à chasser de notre vie toute obscurité.

Nichiren utilise le passage sur le soleil et la lune

« Comme la clarté du soleil et de la lune
est capable d'éliminer les ténèbres,
une telle personne, parcourant le monde,
pourra dissiper l'obscurité des êtres. »

en combinant le caractère « soleil » (nichi) et le caractère désignant le lotus « ren » pour son nouveau nom NICHI REN. Dans l’un de ses écrits il dit que peu importe le temps qu’une grotte ou lieu ont été dans l’obscurité, à l’instant même où la lumière y pénètre l’obscurité cesse. Il en est de même dans nos vies. Dès que nous commençons à pratiquer notre vie commence à changer et les sombres nuages de la souffrance s’en vont. On voit la grotte dès qu’on allume une bougie et cela se passe de la même façon dans notre vie. À mesure que notre foi et notre pratique croissent c’est comme si de plus en plus de bougies étaient allumées jusqu’à éclairer le moindre recoin de souffrance de notre grotte.

Le chapitre XXII est intitulé Passation et commence par le geste du Bouddha qui « caresse de la main le sommet du crâne des innombrables bodhisattvas-mahasattva », tous ceux de la Grande-assemblée sans exception, et leur dit qu’il leur transmet maintenant le Dharma et leur demande de le propager de tout cœur absolument partout dans le vaste monde. Au moment de mourir, Nichiren en fit autant avec Nichizo, un de ses disciples ainés et lui demanda de se rendre à Kyoto et d’établir le Sutra du Lotus et daimoku dans la capitale impériale. Le passage qui suit le geste du Bouddha dévoile son cœur ; c’est un plaidoyer en même temps que l’expression de ses dernières volontés. Il ne garde rien par devers lui et transmet tout ce qu’il a acquis tout au long de ses vies de pratique. Tout ce qu’il désirait et désire encore est de donner ce grand enseignement à tous les êtres vivants. Il met toute sa confiance en ces bodhisattvas qui ont fait le vœu de propager ce Dharma.

Ces ultimes instructions portent sur la manière dont nous devons nous acquitter de la propagation du Dharma. Nos efforts pour transmettre la Vérité du Sutra du Lotus vont toucher ceux qui l’accepteront sans difficulté. Nous connaissons effectivement des personnes qui adhèrent tout de suite au Dharma. Mais d’autres refuseront de croire ce que nous leur enseignons. Nous ne devons pas nous en inquiéter et nous décourager et Shakyamuni nous dit que dans ce cas nous devons leur enseigner des principes contenus dans d’autres sutras pour qu’ils puissent développer les mérites qui leur permettront de rencontrer le Sutra du Lotus.

Ainsi nous pouvons leur enseigner la doctrine de causalité ou bien leur expliquer la production conditionnée et l’interdépendance de toutes choses. Nous pouvons leur transmettre le message des Quatre nobles vérités et même celui de l’octuple noble chemin. Ce sont des enseignements de bon sens auxquels beaucoup de gens croient intuitivement.  Guidant ainsi les êtres – parfois pendant plusieurs vies – nous les aidons à adhérer finalement au Sutra du Lotus.

Dans tous nos efforts de propagation, nous devons garder toujours à l’esprit que nous le faisons pour la joie et le bien-être de ceux qui nous écoutent, même si cela leur fait faire des pas de bébé. Ce n’est pas pour marquer des points sur la voie de la conversion. Ce n’est pas la peine de matraquer quelqu’un ou de le réprimander, pas plus que de le caresser dans le sens du poil. Ce n’est pas très approprié pour qu’il cherche la voie. L’important c’est de semer les graines de son Éveil futur.

SUITE

Retour
haut de la page