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Le bouddhisme dans la période de Kamakura

par Issei Takehara


Western University Canada

Chapitre I - Introduction

Nichiren (1222-1282) est connu pour sa rupture radicale avec la religion soutenue par l’État, s'imposant ainsi comme l'un des fondateurs du ''Nouveau bouddhisme'' de Kamakura. (note) Bien que sa foi profonde dans le Sutra du Lotus se soit construite dans l’école Tiantai (une école bouddhiste Mahayana en provenance de Chine et introduite au Japon en 552 (note)), Nichiren, ainsi que d’autres moines, s’opposèrent fortement au bouddhisme tel qu’il était traditionnellement pratiqué au Japon. En raison de la monopolisation par les empereurs du droit d’ordination des moines bouddhistes, ces derniers n’étaient pas libres d’enseigner comme ils le souhaitaient. Leur seule tâche en tant que moines officiels était de prier pour le bien-être de la nation et du peuple en général, et il leur était interdit de procéder aux funérailles ou d’enseigner auprès des femmes et des malades (en particulier les lépreux) en raison de leur impureté qu’il fallait à tout prix éviter. (réf.) Les moines qui croyaient à l'enseignement bouddhiste tiantai (basé sur le Sutra du Lotus) en étaient alors réduits à être de simples exécutants de rites bureaucratiques et de prières. C’est pourquoi certains fervents croyants ont rompu leur lien avec les moines officiels devenant des moines indépendants aussi appelés ''moines reclus'' (note). Ainsi libérés des restrictions imposées par l'État, ils ont pu enseigner et pratiquer le bouddhisme conformément à leur locus classicus, le Sutra du Lotus, ce qui a donné lieu à des interprétations philosophiques et des débats concernant les textes spécifiques de la tradition Mahayana.

Dans cet article, je me concentrerai sur l'un de ces moines reclus du nom de Nichiren, qui créa sa propre école, en s'en tenant fidèlement à l'autorité de Shakyamuni (Gotama ou Bouddha). J'étudierai en particulier deux de ses principaux traités : Traité pour la pacification du pays (Rissho Ankoku ron, 1259) et Le choix en fonction du temps (1275), dans lesquels il expose ses vues philosophiques et les raisons de la nécessité de sa doctrine basée sur Myo-Ho-Renge-Kyo.

Pour ce faire, j’évoquerai son point de vue concernant l’ère de Mappo (les Derniers jours du Dharma) ainsi que sa vision cosmique du bouddhisme, c’est-à-dire la doctrine des trois mille mondes en un instant-pensée (ichinen sanzen) et je les mettrai en relation avec la philosophie de Honen, à laquelle Nichiren répondait, ce qui nous permettra d’avoir un meilleur aperçu de certains de ses principaux arguments.

Chapitre I - Histoire et philosophie du bouddhisme de Nichiren

La philosophie de Nichiren est entièrement dépendante de l’histoire. Cela découle du fait que sa croyance fondamentalement basée sur la suprématie du Sutra du Lotus est le reflet de l’époque dans laquelle il vivait. Lui-même explique que son besoin d’écrire son  Traité pour la pacification du pays (Rissho Ankoku ron) est venu lorsqu’il comprit la vraie raison des catastrophes naturelles et des épidémies qui ravageaient alors le pays, et ce malgré le fait que le bouddhisme y était fortement répandu. (note) C'est donc à travers ses propres expériences sur la Voie de l’Éveil et dans son désaccord profond avec les autres enseignements de l'époque, qu’il qualifiait d’hérétiques, que sa philosophie s'est développée. Il est donc essentiel que nous commencions par prendre connaissance du cœur des enseignements dominants de l'époque, que Nichiren rejetait si fortement.

On dit que Honen (1133-1212) aurait eu ce dialogue avec une prostituée souffrant de culpabilité :

« La prostituée dit à Honen : à cause de mes mauvaises actions dans la vie précédente, me voilà obligée à exercer ce travail infâme dans cette vie-ci. S'il vous plaît, dites-moi comment je peux me racheter, afin d'accéder au nirvana dès ma prochaine vie.
Et Honen lui répondit : Restez la personne que vous êtes et priez ardemment le Bouddha Amida pour votre salut. Amida est justement connu pour offrir le salut aux personnes comme vous. Continuez simplement à prier et cessez de vous inquiéter.» (réf.)

Ce que Honen enseignait marquait un véritable bouleversement dans la philosophie de l'époque. Jusqu'alors, au Japon, l'enseignement bouddhiste était très impersonnel. Les croyants devaient suivre des rituels programmés à heure fixe et prier pour le bien-être de l'État. Il n'était jamais question de salut personnel. (réf.) De plus, les cycles de naissance-mort (samsara) étaient déterminés en fonction des actes accomplis dans la vie précédente, sans aucun moyen d'en changer dans la vie présente. Contrairement à cela, Honen enseignait la possibilité d'un salut individuel et offrait même la possibilité de changer le cours du samsara en priant avec ferveur le Bouddha Amida. Dans son œuvre principale, le Senchaku Hongan Nenbutsu Shu*, Honen enseigna que toute personne, y compris les malfaiteurs, peuvent atteindre l'état de Bouddha et renaître dans le Terre Pure à deux conditions : avoir une foi absolue dans le Bouddha Amida et réciter Namu-Amida-Butsu* (nembutsu) jusqu'à la mort. (réf.) Il est parvenu à cette conclusion en combinant deux pratiques distinctes (note), se concentrant ainsi exclusivement sur la pratique aisée de la récitation du nembustu. Ce faisant, il a supprimé l'importance accordée aux rites traditionnels, au respect strict des classements scripturaires ainsi qu'au parrainage financier des temples, les définissant alors comme non essentiels au salut. (réf.) En outre, la philosophie simple du nembutsu, affirmant qu'il suffit de réciter Namu-Amida-Butsu* , a attiré les hommes du peuple qui ne savaient pas lire ou ne comprenaient pas les textes bouddhistes mahayana. Honen a conclu que les enseignements parfois intimidants du Mahayana et du Hinayana sont trop difficiles à mettre en pratique, au contraire de son enseignement de la Terre Pure qui lui, se pratique aisément. Puisqu'il n'est pas possible de mener une vie séculière tout en respectant les prescriptions, il estima préférable de ne pas tenter l'impossible et de se rabattre sur une pratique aisée. De cette façon, Honen a réduit "la doctrine à son essence même; la confiance en un acte de foi" et à rien d'autre que "la récitation d'une formule". (réf.)

La popularité qui découla de ce nouveau mouvement du Nembustu à l'époque de Kamakura, affirmant que l'enseignement de la Terre Pure était la voie de la libération, faisait forcément de l'ombre aux enseignements sacrés du Mahayana. (note) Surtout que dans son oeuvre principale Senchaku Hongan Nenbutsu Shu*, Honen nie la suprématie du Sutra du Lotus et met l'accent sur le Bouddha Amida de la Terre Pure, négligeant ainsi tous les autres bouddhas.(note) En tant que fervent bouddhiste  tiantai, Nichiren considérait que ce mouvement contredisait "les enseignements sacrés du Bouddha et apportait la confusion aux gens dans les dix directions". De plus, comme pour lui le Sutra du Lotus était l'incarnation même du Bouddha Shakyamuni, le seul moyen de protéger le pays et de sauver le peuple était de propager les enseignements de ce Sutra. (réf.) Par conséquent, Nichiren considérait la pratique du nembutsu comme destructrice pour la nation et comme le symbole de l'âge de la Fin du Dharma, tel que décrit dans le Sutra du Lotus. (note) Nichiren était d'accord avec Honen sur le fait que leur époque correspond à la cinquième période de cinq cents ans décrite dans le Sutra du Grand Recueil (Daijikkyo), lorsque "le Dharma pur sera obscurci et perdu" (réf.) , mais il n'était, par contre, pas d'accord avec la méthode passive de Honen selon laquelle, puisque nous vivons dans les Derniers jours du Dharma et que la confusion y règne, il n'y aurait rien d'autre que nous puissions faire que prier le Bouddha Amida afin d'obtenir son salut. Contrairement à la vision de Honen qui s'en remettait pour la délivrance au pouvoir de l'autre (tariki), en l'occurrence le Bouddha Amida, Nichiren préconise d'utiliser la force intérieure (jiriki) et la force de l'autre (tariki) conjointement pour atteindre l'état de Bouddha. Il nous invite à nous concentrer sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie (ichinen sanzen), ce qui nécessite la concentration et la compréhension de Myo-Ho-Renge-Kyo. Il semble évident que Nichiren base son rejet du nembutsu, qui crée une dépendance à la force de l'autre, sur les nombreux textes bouddhistes qui parlent de l'absence d'un soi indépendant. (note)

Selon la théorie du non-soi (anatman), il n'y a rien de permanent dans le self empirique, puisque tout est un flux de devenir qui dépend de tout le reste. (réf.) Puisqu'il n'existe pas de "soi" distinct et que le soi n'est qu'une illusion issue de nos perceptions erronées du monde, il serait insensé de s'en remettre à la force de l'autre, qui n'existe pas à proprement parler. Cette vision originelle du bouddhisme est également manifeste dans la pensée de l'Eveil originel (Hongaku) inhérente à l'école Tiantai, qui affirme que tout ce qui existe dans le monde possède potentiellement la bouddhéité et que la différence entre le Buddhasattva (L’Absolu ou Shakyamuni) et nous, les êtres conditionnés, est simplement que "le premier est atemporellement libre de ce qui est perçu par une fausse discrimination" (réf.), alors que les seconds n'ont pas intégré le concept de la possession mutuelle des dix mondes-états* . (note) Il n'est donc pas surprenant de retrouver chez Nichiren une conception presque similaire d'ichinen sanzen lorsqu'il se dit "Pratiquant du Sutra du Lotus " (gyoja).

Chapitre III : L'approche de Nichiren

Après avoir évoqué succinctement les idées de Nichiren dans le contexte du Nouveau bouddhisme de Kamakura, je vais maintenant aborder de manière plus détaillée son principe d'ichinen sanzen (trois mille mondes dans un seul instant-pensée) (note) ainsi que les raisons qui le poussèrent à lutter pour l'imposer. La première question qui me vient à l'esprit est la différence entre l'idée traditionnelle du Hongaku (Éveil Atemporel) et son principe des trois mille mondes en un seul instant-pensée. Pourquoi eut-il besoin de créer une nouvelle doctrine si semblable à la doctrine traditionnelle? Deuxièmement, en quoi l'approche du bouddhisme de Nichiren différait-elle des autres, celle de Honen par exemple, et en quoi était-elle similaire ? Après avoir traité ces questions, je discuterai des arguments qu'il avançait pour exposer d'une manière si agressive son enseignement comme la seule et unique voie de salut. La doctrine hongaku (Éveil Atemporel) a développé deux conclusions philosophiques importantes à partir de la non-dualité (funi) des textes mahayana. En poussant la théorie jusqu'à sa limite, elle affirme que « tous les phénomènes, étant vides de toute nature indépendante, ils sont considérés comme s'interpénétrant et s'identifiant mutuellement ». Comme l'atteste le Mahayana, cela inclut non seulement les êtres humains mais aussi les fourmis, les grillons, les montagnes et les rivières, les herbes et les arbres ; ils ont tous un potentiel d' Éveil. (réf.)

La doctrine hongaku a développé l'Éveil originel non duel du Mahayana en une affirmation absolue du monde phénoménal, et s'est ensuite imposée comme l'apogée du bouddhisme en tant que philosophie. Cet ajout "nie nécessairement toute différence ontologique entre la personne ordinaire et le Bouddha, le monde terrestre et la Terre Pure, le moi et l'autre, et ainsi de suite", faisant ainsi de toutes les distinctions conventionnelles du monde phénoménal un royaume indifférencié et homogène. Tel était donc le concept habituel de la doctrine hongaku qui prévalait à l'époque de Nichiren. Cependant, lorsque Honen est entré en scène il a brouillé cette caractéristique en introduisant son "senju nembutsu" (note), s'appuyant uniquement sur le pouvoir externe du Bouddha Amida, allant ainsi à l'encontre de la pensée mahayana et hongaku. Au vu de la popularité de l'enseignement de Honen, il va sans dire que Nichiren l'a condamné pour sa contradiction avec les textes canoniques. La raison de cette popularité montante du nembutsu en dépit de sa fausse doctrine était, pensait-il, que la doctrine hongaku était trop difficile à saisir pour les gens ordinaires et qu'elle ne rendait l'atteinte de la bouddhéité possible qu'en théorie. En effet, cette doctrine est longtemps restée une simple déclaration théorique et abstraite qui enseigne que "les êtres sont éveillés par nature (honrai jikaku)" et n'avait aucun but pratique (réf.).

Pour Nichiren, 'il manquait quelque chose d'essentiel à la doctrine hongaku du Mahayana, et après s'être plongé dans les textes sacrés, il trouva finalement le joyau caché dans le Sutra du Lotus : le principe des trois mille mondes en un seul instant-pensée, qui se manifeste sous la forme de Myo-Ho-Renge-Kyo (réf). Nichiren estimait que la doctrine hongaku était trop théorique, manquant de pratique concrète, alors que Honen enseignait la récitation d'un nembutsu creux et une vision erronée (note). Bien que Nichiren soit fondamentalement en désaccord avec Honen, principalement sur le choix du texte hiérarchiquement primaire au sein des sutras du Mahayana, il pensait, lui aussi, que la doctrine hongaku était non seulement difficile à saisir mais aussi dénuée de sens pratique, car il nous serait impossible de savoir si nous avons atteint l'état de bouddha avant notre mort, et ce, même en comprenant les enseignements et en les suivants assidûment. Alors que, le Sutra du Lotus promet que nous pouvons atteindre la bouddhéité dans cette vie sans changer d'apparence. (note) . Par conséquent, Nichiren a cherché dans les textes mahayana ce qui manquait à la pensée hongaku, et c'est ce qui l'a conduit à élaborer le concept de honrai jikaku. Conformément à la doctrine hongaku, il était convaincu que tous les êtres possèdent intrinsèquement l'état de bouddha, mais pour lui, ce n'était qu'une partie de l'histoire. Il a donc distingué deux types d’Éveil Atemporel, dans ce qu'il appelait ichinen sanzen (le principe des trois mille mondes en un seul instant-pensée). Le premier est le principe même des trois mille mondes (ri no ichinen sanzen), qui est la compréhension théorique de la bouddhéité inhérente des êtres. Toutefois, il ne s’agit là que d’une éventualité d’atteinte de la bouddhéité, un potentiel pour la prochaine vie. Mais Nichiren considérait déjà l'atteinte de la bouddhéité dans une prochaine vie comme hypothétique et, qui plus est, pas assez convaincante pour que les gens y croient. Un deuxième principe est donc nécessaire pour concrétiser sa doctrine de manière aussi ferme et réaliste que possible. C'est le principe des trois mille mondes dans la réalité (ji no ichinen sanzen), c'est-à-dire " l'acte même de la récitation du titre à cinq caractères du Sutra du Lotus (Daimoku ou Myo-Ho-Renge-Kyo, 妙法蓮華経) (note). De plus, comme pour Honen, pour lui la simple récitation du mantra est suffisante pour le salut (réf.). Toutefois, ce qui rend ce mantra différent du nembutsu de Honen, c’est que les cinq caractères du Daimoku contiennent déjà en eux-mêmes tous les enseignements du Sutra du Lotus. Ainsi, en récitant simplement ces ultimes caractères, le mantra de Nichiren contient déjà l’Éveil. C’est-à-dire qu’il contient la graine pour la floraison ainsi que la fleur (l’état de bouddha inhérent), et tout ce dont nous avons besoin c'est le soleil, la récitation de Myo-Ho-Renge-Kyo (réf.), alors que le nembutsu de Honen confond  l'actualité concrète de la dévotion" avec "le concept de la possession mutuelle des dix mondes". (note), nécessaire pour atteindre la bouddhéité. Bien sûr, il prie également le Bouddha Amida, qui n'est pas attesté dans le Sutra, ce qui pose un problème puisqu'il prierait un Bouddha dont le pouvoir n'est de toute façon pas assez fort pour le sauver (note) Comme on peut le constater, la théorie et la pratique des trois mille mondes sont si étroitement imbriquées qu'elles sont simultanées, tout comme "les fleurs de lotus, qui tournent avec le soleil, bien que le lotus n'ait pas d'esprit pour le diriger, ou comme le plantain qui pousse avec le grondement du tonnerre, bien que cette plante n'ait pas d'oreilles pour l'entendre" (note) La comparaison de ce principe avec plantes est intentionnelle, laissant croire curieusement que l'on peut atteindre la bouddhéité même sans comprendre ce que signifie Myo-Ho-Renge-Kyo, du moment que l'on récite ce mantra (note). C'est précisément parce que la pratique du mantra n'est pas considérée fondamentalement comme un moyen menant à une fin, mais plutôt comme l'expression, la confirmation et la libération, le salut qui, dans un certain sens, sont déjà là (réf.) ». Par conséquent, cette simultanéité "automatique" dans la pratique et la réalisation ne doit pas être considérée comme un déni de la nécessité d'une pratique continue, mais plutôt comme une re-découverte de celle-ci (réf.), une nécessité pour que la pratique soit efficace.

Après avoir mis en avant la suprématie de Myo-Ho-Renge-Kyo et son lien étroit avec le principe d'ichinen sanzen, Nichiren s'attarde longuement sur la possibilité dans le Sutra du Lotus du salut pour les femmes. Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, Nichiren a mis l'accent sur la vision unique et universelle de l'humanité en affirmant qu'une femme, qui jusqu’au Sutra du Lotus n'était pas capable d'atteindre l'état de bouddha, pourrait effectivement parvenir à l'Eveil en restant telle qu'elle est. Aucun autre sutra exposé par quelque bouddha que ce soit ne proposait cela (réf.). Nichiren ajoute que c'est une perte de temps pour les femmes de suivre d'autres sutras, car même si « elles psalmodient le nom du bouddha Amida soixante mille ou cent mille fois par jour ! Amida est bien le nom d'un bouddha et l'invoquer peut sembler une pratique louable. Mais, parce que les femmes qui le font s'appuient sur des sutras qui dénient aux femmes la possibilité d'atteindre la bodhéité, c'est en fait comme si elles se bornaient à compter les richesses des autres » (réf.). C'est de cette façon que Nichiren dissuade les femmes de suivre le nembutsu.

Chapitre IV : Pour conclure 
Quelles  preuves avance Nichiren pour la suprématie du Sutra du Lotus ?

Comme il le dit dans son gosho Le choix en fonction du temps, Nichiren était fermement convaincu être venu au monde  pour accomplir la mission que le Bouddha avait prévue plus de deux millénaires auparavant. Il  dit en effet :

Le Sutra parle de "la personne qui a la force de pratiquer ce Sutra […] N'est-ce pas celui-là que le Sutra désigne comme "le Pratiquant du Sutra du Lotus" ? S'il faut en croire ces passages du Sutra, en plus de sept cents ans, depuis l'introduction du bouddhisme au Japon, à l'exception du Grand-maître Saicho et de moi Nichiren, il n'y a pas eu un seul Pratiquant du Sutra du Lotus (réf.)

Ce n’était nullement de l'arrogance et on peut se demander ce que lui donnait une telle assurance. Nichiren a une bonne raison de croire ce qu’il avançait, à savoir qu’il s’appuie sur des preuves scripturaires. Ces références abondent dans tous ses écrits, mais je me concentrerai ici sur deux de ses écrits majeurs : le Rissho Ankoku Ron, dans lequel il expose les grandes lignes de son interprétation générale du Sutra du Lotus, et Le choix en fonction du temps, où il développe plus en détail son interprétation du Sutra du Lotus et pourquoi il pensait être celui qui rétablirait l'enseignement correct.

Au moment où  Nichiren achevait son Rissho Ankoku Ron en 1260, le Japon était constamment frappé par la famine, les épidémies et les catastrophes naturelles (note). Il décrit ainsi ces événements insupportables :

« Depuis quelques années, il se produit des perturbations inhabituelles dans les cieux et d'étranges événements sur terre, la famine et les épidémies sévissent à travers tout le pays et se répandent partout. Boeufs et chevaux gisent morts au bord des chemins, les squelettes humains s'entassent sur les routes. Plus de la moitié de la population a déjà été emportée par la mort, et pas une seule famille n'est épargnée par le malheur. (Rissho Ankoku Ron)

Sa carrière de moine engagé commençait ainsi par le constat de ce qui se passait autour de lui. Après avoir étudié les sutras du Mahayana qu'il considérait comme l'enseignement correct, il s'est rendu compte qu'il vivait dans les Derniers jours du Dharma. Le Sutra du Lotus parle de "moines de ces époques mauvaises." On y lit : «Il y aura des moines retirés dans la forêt." Et encore : «Des démons prendront possession des autres »

Nichiren résume la situation décrite dans le Sutra comme suit :

« Dans la cinquième période de cinq cents ans, des moines éminents, possédés par les démons, seront partout dans le pays. A cette époque, un sage apparaîtra. Les moines éminents possédés par les démons persuaderont les rois, leurs ministres et le peuple tout entier d'insulter et de calomnier cet homme, de l'attaquer à coups de canne et de bâton, de tuiles et de pierres, et de le condamner à l'exil ou à la mort. » [Cela ne plaira pas à Bonten et Taishaku (Brahma et Shakra)] «Cela entraînera l'apparition de phénomènes étranges et de présages dans le ciel et sur la terre Si les souverains de divers pays ne tiennent pas compte de ces avertissements, les bouddhas et les grands bodhisattvas demanderont aux pays voisins de punir les mauvais rois et les mauvais moines de ces pays, si bien que des conflits d'une ampleur sans précédent éclateront dans le monde entier.». (Choix en fonction du temps)

Arguant de ces phénomènes inhabituels, Nichiren fait une prédiction en disant que :

« ces désastres sont des présages indiquant que notre pays sera attaqué par une nation étrangère ».(Rissho Ankoku Ron)

Les dirigeants ne l'ont pas écouté, et Nichiren a été exilé à plusieurs reprises. Mais en 1274 et 1281, lorsque les Mongols ont envahi le Japon au milieu des typhons, les prédications de Nichiren ont commencé à attirer l'attention. Nichiren l'avait prédit selon le Sutra du Lotus, que les dirigeants

« commenceront à faire confiance à ce simple moine qu'ils avaient d'abord méprisé […] et inclinant le front vers la terre et joignant les mains, réciteront ensemble Namu Myoho Renge Kyo». (Choix en fonction du temps)

Même soumis à un exil et à des répressions sévères et continues, sans aucune protection de la part des dieux, ou peut-être à cause de cela, sa conviction s'est renforcée. Il se réfère au Sutra (chapitre XIII)

« Il y aura des ignorants
pour nous calomnier, nous insulter,
nous agresser par le sabre et le bâton. »

et

"Encore et encore nous serons bannis"

Ainsi, Nichiren avait effectivement une base scripturaire pour affirmer qu'il était un messager du Sutra du Lotus puisque

« Si je n'avais pas été exilé à Sado mais resté à Kamakura, j'aurais sûrement été tué dans les combats [pendant l'insurrection de 1272]. Cela aussi [...] était sûrement dû au dessein du Bouddha Shakyamuni, (réf.)  et le Sutra aurait été un mensonge.»

Dans la même logique il fait remarquer que lorsque le Sutra dit « nous serons bannis encore et encore », s'il n'avait pas été banni plusieurs fois, le Sutra n'aurait eu aucun sens. (Kaimoku Sho).

En liens étroits avec le Sutra du Lotus, l'expérience de vie de Nichiren prouvait la validité du Sutra et vice versa.

Bibliographie

Sources principales
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- Nichiren. The Daimoku of the Lotus Sutra [Daimoku] (1265; The Writings of Nichiren Daishonin). http://www.sgilibrary.org/view.php?page=141
- Nichiren. The Rationale for Writing “On Establishing the Correct Teaching for the Peace of the Land” (April 5, 1268; The Writings of Nichiren
Daishonin).http://www.sgilibrary.org/view.php?page=161
- Nichiren. The Opening of the Eyes [Kaimoku sho] (February, 1272; The Writings of Nichiren Daishonin). http://www.sgilibrary.org/view.php?page=220
-Nichiren. The Object of Devotion for Observing the Mind Established in the Fifth Five-Hundred-Year Period after the Thus Come One’s Passing (April 25, 1273; The Writings of Nichiren Daishonin). http://www.sgilibrary.org/view.php?page=354
- Nichiren. The Selection of the Time (June 10, 1275; The Writings of Nichiren Daishonin). http://www.sgilibrary.org/view.php?page=538

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