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Le Sutra du Lotus
et la pratique bouddhique de Nichiren

Ryuei Michael McCormick (juin 2010)

http://fraughtwithperil.com/ryuei/2010/06/18/chapter-1-the-lotus-sutra-and-the-practice-of-nichiren-buddhism/
 

« C’est alors que le Bouddha s’adressa aux éminents bodhisattvas conduits par Pratique-Supérieure :

« Les pouvoirs supranaturels que possède le Bouddha sont incommensurables, sans limites et difficiles à concevoir, comme précisé précédemment. Mais je ne pourrai de toute façon conter tous les mérites de ce sutra à ceux à qui il doit être transmis même si, pendant des centaines de milliers, de milliards asamkhya de kalpas, je continue à les leur exposer en utilisant mes pouvoirs supranaturels. Pour résumer, tous les enseignements du Tathagata, tous les trésors qui constituent l’essence secrète du Tathagata ainsi que tout ce qu’il a profondément réalisé, sont révélés et exposés de façon explicite dans ce sutra. C’est pourquoi  gardez, lisez, récitez, expliquez et copiez ce sutra, et agissez selon ses enseignements de tout votre cœur après ma mort ! Quel que soit le monde dans lequel quelqu’un garde, lit, récite, explique ou copie ce sutra et se conduit selon les principes que ses enseignements contiennent, quel que soit l’endroit où l’on place une copie de ce sutra - un jardin, une forêt, le pied d’un arbre, un monastère, la demeure d’une personne vêtue de blanc, un couloir, une montagne, une vallée ou une région sauvage -, l’on devrait élever un stupa en son honneur et lui faire une offrande car, sachez-le, cet endroit [là où le stupa est érigé] est un lieu d’éveil. C’est là que les bouddhas ont atteint l’Eveil suprême (anattara-samyak-sambodhi). C’est là que les Bouddhas ont tourné la Roue du Dharma. C’est là que les bouddhas sont parvenus au nirvana parfait (parinirvana) ». (Sutra du Lotus)

Nos vies semblent régies par un mouvement incessant qui nous fait passer de la joie à l’angoisse, du plaisir à la souffrance. Nos ancêtres se sont sans aucun doute interrogés sur le pourquoi de ce mouvement. Pourquoi ressentons-nous de la peine après avoir éprouvé du plaisir et pourquoi du plaisir après une peine, comme si tout cela suivait le même cercle vicieux ? Pourquoi les personnes bonnes souffrent-elles et prospèrent les mauvaises ? Quelle est la raison qui nous a fait venir en ce monde, ce monde qui nous semble si aléatoire et injuste à certains moments ? C’est dans l’intention de répondre à ces questions et l’espoir de trouver une raison réconfortante de vivre que les anciennes sociétés ont créé les religions, puis les philosophies.

A un certain moment au cours du premier millénaire avant notre ère (dans les pages suivantes l’abréviation ANE sera utilisée pour exprimer ce concept), un homme d’origine princière, héritier d’un petit royaume tribal, est né sur le sous-continent indien. Cet homme, dont nous suivrons la vie et explorerons les enseignements tout  au long de ce livre, percevait voire était éveillé à la causalité et à la nature de tous les aspects de la vie humaine, y compris la souffrance. C’est en raison de cette faculté qu’on lui donna le titre honorifique de « Bouddha » ou d’« Éveillé ». De par sa grande compassion, il s’était donné pour but de partager son éveil avec toute l’humanité afin que tous, nous puissions atteindre le même degré de conscience que lui et mettre fin à nos souffrances. Dans ce sens, le bouddhisme ressemble aux autres religions et philosophies, mais présente aussi des différences très importantes. Au lieu de chercher la cause de la souffrance dans l’œuvre impénétrable de quelque pouvoir supérieur, le bouddhisme dévoile quelle en est la raison grâce à une explication rationnelle et réaliste des conditions qui ont mené à cet état de fait - la loi de la cause et de l’effet [la causalité]. Contrairement aux promesses faites par certaines religions qui disent que la souffrance cessera dans un paradis mythique après la mort, le Bouddhisme enseigne la voie qui permet de mettre fin aux effets de la souffrance en ce monde. En définitive, plutôt que d’invoquer ou de rechercher un Etre suprême donné pour tel qui mettrait un terme à la souffrance, le Bouddha enseigna que chaque être humain a le potentiel d’accéder à cette voie lui-même et la responsabilité de mettre ce potentiel en œuvre pour le bien de tous.

Cet enseignement  valut bon nombre de disciples au Bouddha pendant qu’il était encore en vie. La promesse d’éradiquer tous les effets de la souffrance sans devoir pour autant faire appel à des êtres mythiques (qui ont aussi souvent tendance à avoir des sautes d’humeur) est une pensée très puissante. De par sa sagesse,  le Bouddha réalisa cependant qu’un seul et même enseignement ne saurait être efficace pour un grand nombre de personnes si différentes. Ainsi, pour aider chacun  à atteindre l’idéal bouddhique, transmit-il ses enseignements selon les besoins et les capacités de compréhension de chaque groupe de personnes qu’il côtoyait. C’est pour cela que les enseignements du Bouddha peuvent sembler parfois quelque peu contradictoires. Mais si nous considérons qu’il y a 2500 ans chacune de ses paroles faisait partie d’un seul et même enseignement, nous tiendrions compte du fait qu’il cherchait à aider toutes sortes de gens à atteindre le même degré de réalisation spirituelle, malgré leurs besoins distincts et leurs différents niveaux de compréhension.

Un autre aspect qui contribua peut-être à créer cette impression est le fait que les enseignements du Bouddha n'aient été transcrits que 300 ans, voire plus, après sa mort. Entre temps, ceux à qui ces enseignements, ou sutras, avaient été confiés, furent souvent enclins à renchérir sur les propos du discours qu’ils gardaient.

Ces deux facteurs finirent inévitablement par créer des différences doctrinales entre les disciples des divers sutras. C'est pourtant grâce à ses différents enseignements que le Bouddha permit à différentes gens d'accéder à un même degré de discernement. Et malgré cela, ces lignées bouddhiques propagèrent leurs propres enseignements sans tenir compte du fait que les destinataires en comprendraient différemment le sens initial. C'est ainsi que lesdites lignées commencèrent à prendre des directions divergentes et finirent par devenir des écoles bouddhiques distinctes.

Le Dharma Merveilleux (la Vérité) du Sutra du Lotus fut révélé à la même époque que celle au cours de laquelle ces divergences commencèrent à apparaître. Il est clairement dit dans l'introduction au Sutra du Lotus, le Sutra aux Sens Infinis, que le Bouddha transmit divers enseignements à diverses personnes dans l'intention de les amener toutes à une seule et même réalisation. Le Sutra du Lotus l’explique en détail, et par la suite révèle les raisons de cette diversité.

Le Sutra du Lotus fait cependant bien plus que d'énoncer les raisons d’une telle diversité. Puisqu’il existe des divergences entre les lignées du Bouddhisme, bon nombre d'écoles commencèrent à proclamer que certains avaient des capacités spirituelles que d'autres n'avaient pas. Selon leurs enseignements, certaines personnes avaient la capacité d’atteindre l'éveil tandis que d’autres devaient se contenter d'objectifs moins élevés. Une telle revendication va à l'encontre de l'intention du Bouddha qui voulait mener tous les êtres vivants à l’éveil, intention soutenue avec force dans le Sutra du Lotus qui enseigne que tout être a, de façon inhérente, la capacité de s’éveiller. Cette "nature inhérente de bouddha" équivaut en fait à notre capacité de prendre pleinement conscience de l'essence véritable de notre vie et de voir les choses telles qu'elles sont en réalité. Quand nous accédons à un tel état de conscience, nous sommes à même d'agir avec sagesse afin de nous libérer de la souffrance et d'aider les autres à en faire autant. C'est cela qui nous amène à être conscient de la loi de la cause et de l’effet  [la causalité] qui régit toutes choses (sujet discuté plus loin dans ce chapitre). C'est alors que nous pouvons vraiment prendre notre vie en main et assumer la pleine responsabilité de nos actes, relever n'importe quel défi de manière créative en optant, quelle que soit la situation, pour la meilleure marche à suivre plutôt que de devoir réagir à des situations qui nous semblent indépendantes de notre volonté. Plus loin dans ce chapitre, j'expliquerai la loi de la cause et de l’effet [la causalité] plus en détail.

Le Bouddha Shakyamuni

Le Sutra du Lotus enseigne que la vie d'un Bouddha transcende notre façon ordinaire de penser et se situe au-delà de la vie et de la mort. Le Bouddha Shakyamuni est en réalité lui-même le Bouddha Eternel [Atemporel] qui reste omniprésent dans notre vie et nous guide vers la prise de conscience de notre propre bodhéité. Cela signifie que le Bouddha Shakyamuni est lui-même parvenu à une parfaite perception de sa propre causalité et qu’il cessa alors d'identifier sa vie aux phénomènes passagers dont nous nous servons d'habitude pour évaluer la nôtre. Il n'était plus assujetti à sa seule condition physique ni entravé par des états d'esprit passagers car il savait que chaque vie, la sienne comprise, est en soi l'expression de ce qui a été et sera toujours. Bien qu'il ait été un être humain comme nous, il est parvenu à l'ultime conscience du processus dynamique de la causalité qui unit toute chose - vérité universelle transcendant tous les phénomènes. En prenant pour fondement les enseignements du Sutra du Lotus, nous pouvons dire que la nature éternelle et véritable du Bouddha Shakyamuni représente en réalité le mode actif de notre nature qui est, elle aussi, éternelle. Personnalité historique, le Bouddha Shakyamuni démontra, grâce à sa vie, grâce à ses actes, comment employer la sagesse et la compassion qui jaillissent de la nature de bouddha.  Aujourd’hui encore, la présence spirituelle du Bouddha incarnée dans le Sutra du Lotus continue de nous guider pour que nous réalisions notre propre potentiel.

Le Bouddha est né il y a 2500 ans ; d'origine princière, il était l’héritier d'un petit royaume tribal régi par le clan Shakya qui vivait dans une région que nous situons aujourd'hui dans le sud du Népal. Son nom de famille, Gautama, signifie "Vache supérieure" et dénote le statut noble de sa famille. Siddharta, son prénom, signifie "But atteint". Le jeune prince grandit dans le luxe ; il était pourtant douloureusement conscient des restrictions que procurent plaisirs et récompenses malgré tous les efforts que déployait son père, le roi Suddhodana, pour que son jeune fils soit épargné par les dures réalités de la vie.

L'histoire des quatre visions, ou rencontres, du jeune prince évoque comment il parvint à prendre conscience de l’inévitable destin de l'humanité. Il y est dit que Siddhârta désirait quitter l'enceinte du palais et faire le tour de son royaume dans un chariot. Dans le premier épisode, Siddhârta est profondément bouleversé par la vue d'un vieil homme dont le dos courbé et le visage ridé témoignaient des sévices du temps. Le prince demanda au cocher si cet homme était un cas unique ou si tous les gens étaient destinés à devenir vieux. Le cocher lui expliqua ce qu'est la vieillesse et dit : "Cela nous attend tous".  Le prince Siddhârta fit d'autres expéditions sur les terres entourant le palais et, à chaque fois, fut exposé à différents aspects de la souffrance. Dans le deuxième épisode, il rencontra un homme rongé par la maladie ; puis un défunt, entouré de ses amis et des membres de sa famille en deuil. Cette fois-ci encore, le cocher lui dit : " Cela nous attend tous". Sa dernière rencontre fut celle d'un mendiant itinérant. Le cocher lui expliqua que cet homme avait renoncé à la vie familiale afin de trouver la paix de l'âme et transcender les souffrances de la vie. Siddhârta sut tout de suite que cette voie lui était prédestinée. A quoi bon vivre dans un palais si son enceinte n'empêche pas la vieillesse, la maladie et la mort de passer ? Siddhârta décida qu'au lieu de conquérir des royaumes, il vaincrait la souffrance elle-même. Ce serait ainsi une victoire pour tous. Cette nuit-là, il résolut de quitter le palais et devenir moine. Il ne reviendrait que lorsqu’il aurait conquis les mystères de la vieillesse, de la maladie et de la mort.

Pendant six ans, Siddhârta vécut de manière austère, en retrait du monde. Il espérait qu'en menant une vie de renonciation et en se soumettant à une discipline extrême, il atteindrait la clarté d'esprit nécessaire pour trouver réponse à sa quête. Cependant, six ans d'un tel régime avaient affaibli son corps à tel point qu'il était plus proche de la mort qu'il ne l'était de son but. Siddhârta se rendait compte qu'une vie d'abnégation tout autant que d’indulgence pouvait être un obstacle majeur à l'état d'éveil. Heureusement, une jeune villageoise du nom de Sujata lui sauva la vie en lui offrant un bol de riz au moment opportun. C'est à cet instant qu'il découvrit la valeur de la Voie du Milieu ; tout comme il en va des cordes d'une guitare qui doivent, pour être accordées, n’être ni trop ni pas assez tendues, une pratique spirituelle n’est efficace que si elle n’est ni trop laxiste ni trop sévère. Le moment était donc finalement venu pour que Siddhârta réalise le but de sa venue en ce monde. Une fois rétabli, il alla s'assoir au pied d'un figuier pour méditer.

Après que Siddhârta eut écarté ce qui pouvait le distraire et déjoué ses doutes ainsi que ses inhibitions subconscientes, il acquit une compréhension de plus en plus profonde de la condition humaine, à commencer par sa propre vie. Il se souvint de tous les événements qui s’étaient passés dans ses vies antérieures et vit toutes les causes et les conditions qui lui avaient permis d'arriver au pied de l'arbre bodhi - l'arbre sous lequel il atteindra enfin l'éveil (bodhi signifiant "éveil"). Ensuite, son acuité spirituelle [sa conscience] se porta sur tous les êtres sensibles et il put voir comment leurs vies étaient elles aussi régies par les causes et les conditions qu'ils avaient eux-mêmes provoquées. Pour finir, il se concentra sur l'enchaînement de la causalité en tant que tel et parvint à la réalisation que toute chose qui vient à exister, y compris les êtres sensibles, forge sa propre destinée. Il vit que tous les êtres sensibles souffraient d'être enfermés dans le cycle de la vie et de la mort et se retrouvaient piégés par leurs aspirations erronées et leurs désirs égoïstes. Siddhârta comprit alors que toute souffrance était issue d'une conception erronée de la réalité. Et tandis que la nuit s’achevait et que pointait l'aurore, Siddhârta s'éveilla à la véritable nature de la vie. A partir de ce moment il fut connut comme  le Bouddha Shakyamuni. Le nom Shakyamuni signifie "le sage du clan Shakya" et celui de Bouddha, "l'Éveillé".

Le Bouddha décida de transmettre ce qu'il avait appris pour le bien de tous les êtres sensibles. Il mit 40 ans pour traverser l'Inde et durant tout ce temps, il transmit son savoir selon les capacités de compréhension de ses auditeurs. Petit à petit il parvint à cultiver chez ses adeptes la sagesse et la conscience nécessaire pour recevoir le plus élevé de ses enseignements, le Dharma Merveilleux du Sutra de la Fleur du Lotus. Il s'éteignit à l'âge de 80 ans dans un sous-bois d'arbres sala, entouré de ses nombreux disciples.

La Loi de la cause et de l'effet

A présent, observons de plus près la loi de la cause et de l'effet [la causalité] puisque c'est un concept central qui permet d'accéder à l'acuité spirituelle [la conscience] du Bouddha. Cette loi définie comme karma signifie en réalité "action" ou "acte" bien qu’on lui attribue souvent, à tort, le sens de "destin" ou "destinée". Ce concept se réfère à la manière dont nos actes forment nos vies. D'une façon générale cependant, la loi de la cause et de l'effet [la causalité] explique que toute manifestation phénoménale est le résultat d'actes antérieurs et de leurs conséquences. Autrement dit, tout ce qui existe, des êtres humains aux planètes, des particules subatomiques à nos états d'esprit, tout  cela est le résultat de causes antérieures qui deviendront à leur tour des causes dont les effets se répercuteront dans le futur. Quand nous devenons conscients de ce processus, nous comprenons alors que rien n'existe indépendamment de ses causes et conditions, et que rien ne peut exister de façon permanente. Tout ce qui existe, existe en fonction d'éléments temporaires qui se soutiennent mutuellement dans le processus dynamique de la cause et de l'effet [la causalité]. Cela signifie aussi que si nous tentons de passer outre ce processus en nous accrochant à quoi que ce soit d’autre, nous ne connaitrons pas le plein accomplissement de soi.

Prenons pour exemple une grappe de raisin. Il y a de cela quelques années, en passant dans des vignobles, je fus frappé par le fait que chaque grappe correspond à une alchimie entre le sol, l'eau de pluie, le soleil et les pépins qu’elle contient, et qu'aucun de ces éléments ne ressemblait, de loin, à une grappe. En termes de cause et d'effet, un pépin peut être considéré comme cause et une grappe comme effet qui porte en elle d'autres pépins, eux-mêmes causes de grappes futures. En termes de cause et de condition, un pépin est encore une fois la cause, cependant que le sol, l'eau de pluie et la lumière du soleil sont les conditions, ou les causes, contribuant à l'effet. De plus, toutes ces grappes étaient destinées à être broyées selon les méthodes viticoles, devenant ainsi la cause de ce qui allait bientôt faire partie d’un être humain. Mais la grappe peut aussi à l'occasion pourrir sur pied et contribuer alors à valoriser le sol, ou elle peut être séchée et ses raisins secs consommés. La grappe dans ce cas sert juste d’exemple ; la loi de la cause et de l'effet [la causalité] quant à elle est universelle et régit tous les phénomènes, ce processus faisant partie intégrante de toute chose, et chaque chose étant la manifestation momentanée de la transformation d'une cause en un effet.

Nous-mêmes ne sommes pas exempts de ce processus et en faisons partie au même prix que n'importe quoi d'autre. Mais contrairement aux objets inanimés et aux êtres vivants qui ne sont pas conscients d'eux-mêmes, nous créons nous-mêmes les causes qui déterminent si nos vies seront source de souffrance ou de joie. Le Bouddha dit que ce que nous sommes aujourd'hui est le résultat de ce que nous avons pensé et fait dans le passé, et que ce que nous deviendrons dépendra de ce que nous pensons et faisons aujourd’hui.

Malheureusement, nous nous prenons au piège des cycles vicieux de la souffrance car nous ne reconnaissons pas la nature causale et impermanente de ce qui est. Pas plus que nous ne nous rendons compte de la façon dont nous initions les causes qui détermineront la nature de nos vies. C'est en raison de cette ignorance et de tous nos efforts pour atteindre ce que l'on croit, à tort, nous garantir un épanouissement permanent que nous agissons de façon contraire à notre bien-être et à celui de notre entourage.  Nous connaissons tous très bien ce qu’est l’« effet boomerang » ; mais qui d’entre nous prend garde à ce que ses mots, ses actes et ses pensées ne soient pas les mots que lui-même n’aimerait pas entendre ou les actes dont il ne voudrait pas être l'objet, et les pensées qu'il n’aimerait pas voir se manifester dans ses relations ou dans sa vie quotidienne ? Le plus souvent nous agissons sans vraiment penser aux conséquences de nos actes. Il existe, par exemple, une multitude de personnes qui souffrent de solitude et n'aspirent qu'à la compagnie ; rares sont pourtant celles qui se remettent en cause et cherchent à développer les qualités qui les rendraient sincèrement attirantes. Au lieu de cela, ces personnes préfèrent souvent blâmer autrui de ne pas avoir de cœur ou se plaindre qu’il est difficile de trouver l'âme sœur dans un café... De telles personnes deviennent alors de plus en plus anxieuses, davantage frustrées et déprimées, ce qui les rend encore moins attirantes. Et quand bien même elles  parviennent à rencontrer quelqu'un, ce qu'elles en attendent est souvent si peu réaliste qu'elles finissent par quitter celui ou celle qu'elles estimaient encore quelque temps plus tôt être l'homme ou la femme de leurs rêves ! Ainsi, du fait que nos efforts soient mal fondés – ceux-là mêmes qui nous poussent à faire tout notre possible pour obtenir ce que nous voulons - et que l’objet de nos désirs soit chimérique, il n'y a donc pas lieu de s'étonner que nous ne cessions de créer des causes qui engendrent la souffrance.

Le Sutra du Lotus et les Trois Grands Dharmas secrets

Comment le Sutra du Lotus peut-il nous aider à mieux comprendre et à travailler avec la loi de la cause et de l’effet [la causalité] ? La réponse à cette question se trouve en réalité dans le titre même du Sutra. Du fait qu’il porte en lui fleur et fruit, le lotus symbolise l’unité de la cause et de l’effet. Puisque toute fin a eu un début et que fin et début sont donc inséparables, les causes que nous provoquons en pensée, parole et action déterminent dès ce moment-là la nature des effets qui en découlent. En créant la cause de suivre les enseignements du Sutra du Lotus (cause) et en aspirant à l’éveil (la bodhéité), nous confortons ainsi, simultanément, l’effet d’y parvenir.

Tout comme les lotus fleurissent dans une eau marécageuse, le lotus symbolise également la pureté de la bodhéité qui fleurit au sein de la vie de chacun d’entre nous, qui que nous soyons.  Disons donc qu’en général nous nous percevons comme une personne ordinaire ayant ses luttes, et ses soucis habituels ; et disons aussi que nous ne nous percevons le plus souvent pas comme une personne particulièrement pure… Pour cette raison sans doute trouvez-vous difficile de croire qu’il est  possible de développer la perspicacité et la compassion d’un bouddha. Pourtant, selon le Sutra du Lotus, nous pouvons manifester ces très grandes vertus par notre foi en notre propre capacité à être bouddha et, aspect plus important encore, par notre foi en la présence active du Bouddha dans notre vie qui aspire à l’éveil. Ainsi, une fois établies notre foi et notre confiance dans le Sutra du Lotus, nous verrons combien, au coeur même de nos activités quotidiennes, nous agirons avec plus d’entendement et de compassion.

Heureusement pour nous, Nichiren a fourni à tous une façon de comprendre et de mettre en pratique l’esprit authentique des enseignements du Bouddha Shakyamuni. Il a enseigné trois principes fondamentaux basés sur les vérités essentielles cachées dans les profondeurs du Sutra du Lotus, intitulées « Trois Grands Dharmas secrets ». Basé sur ces principes, il a développé une pratique simple, mais profonde, accessible à chacun.

Les Trois Grands Dharmas secrets sont respectivement :

1. L’Objet de Dévotion et de Vénération (Gohonzon) - la vie, qui embrasse parfaitement tout, du Bouddha Atemporel. Le Sutra du Lotus enseigne que l’Éveil du Bouddha Shakyamuni n’a pas commencé sous l’arbre bodhi ni ne s’est achevé sous les arbres shala. De même que la véritable nature de la réalité en est l’ultime expression, l’éveil du Bouddha ne commence ni ne s’arrête jamais. Ne connaissant ni naissance ni mort, celle-ci est donc « atemporelle ». Toute entière contenue en nous comme un état d’éveil possible présent de toute éternité, l’Eveil du Bouddha embrasse nos vies en tant qu’influence et action spirituelle du Bouddha qui agit constamment dans le but de provoquer notre propre éveil. Le Bouddha Atemporel se manifeste donc, d’une part, en tant que Bouddha historique Shakyamuni - Bouddha idéalisé vivant sur une Terre pure et apparaissant, dans le Sutra du Lotus, au Pic du Vautour – mais aussi en tant que nature universelle authentique de la réalité. Par le Sutra du Lotus qui est un texte concret, un enseignement profond, et par une pratique spontanée, directe, nous pouvons de façon certaine et immédiate entrer en relation avec le Bouddha Atemporel, ressentir sa présence et son influence spirituelle.

2. Le Grand Titre (Odaimoku) – le nom du Sutra du Lotus a été traduit en sino-japonais par  Myohorengekyo, cinq caractères qui sont eux-mêmes l’essence des enseignements que le Bouddha Shakyamuni a consignés dans le Sutra du Lotus. Puisque Odaimoku incarne l’essence du Sutra du Lotus, les cinq caractères « Myo Ho Ren Ge Kyo » nous permettent de concentrer notre cœur et notre esprit sur l’enseignement le plus élevé du Bouddha. Quand y est ajouté le mot « Namu » - « dévotion »,  le titre devient alors « Namu Myoho Renge Kyo » ou « Dévotion à la vérité merveilleuse de l’enseignement de la Fleur du Lotus ». Selon Nichiren, simplement en scandant  Namu Myoho Renge Kyo, nous exprimons notre foi dans le Bouddha Atemporel et ouvrons nos vies à l’ensemble des qualités et des mérites de la bodhéité.

Pour mieux comprendre ce que Namu Myoho Renge Kyo  signifie, observons d’un peu plus près chaque mot. « Namu » tire son origine du mot sanskrit Namas et signifie « Je me consacre, je m’adonne à » ou « Je prends refuge dans ». Autrement dit, suite à nos échecs successifs quant à toute  autre méthode utilisée pour être heureux, nous en venons à reconnaître que le bonheur véritable ne se trouve que dans le Dharma juste. « Myo Ho » signifie « Dharma juste » ou encore « Dharma Merveilleux ». Ceci fait référence au caractère dynamique et interdépendant de ce qu’est la nature de la vie : toute chose existe en relation avec une autre, dans un rapport de réciprocité, et  tout ce qui existe se transforme. « Nature de bouddha » est un autre nom pour évoquer le potentiel inhérent à la vie elle-même - savoir discerner ou révéler sa nature propre et véritable. « Ren Ge » signifie « Fleur du Lotus », terme  qui illustre l’œuvre du Dharma Merveilleux, symbole de l’unité entre la cause et l’effet- à savoir, dans ce cas-là, simultanéité entre l’aspiration et sa réalisation. Ceci symbolise également l’épanouissement de la bodhéité – source pure jaillissant des eaux boueuses de la vie quotidienne. « Kyo » veut dire « Sutra », terme utilisé pour désigner tout écrit bouddhique. Plus spécifiquement, « sutra » signifie le fil d’un discours. Dans ce contexte, cela équivaut à l’ensemble des enseignements du Bouddha, lesquels ont abouti au Sutra du Lotus. Dans un sens plus général, du fait que tous les phénomènes sont l’expression des enseignements du Bouddha, tous les phénomènes peuvent dnc être considérés comme les enseignements du Bouddha et les manifestations actualisées de la véracité du Sutra du Lotus. La récitation de  Namu Myoho Renge Kyo  est par conséquent l’expression verbale de notre sincère désir d’atteindre la bodhéité. Cette récitation est aussi la profession de foi que la bodhéité représente notre véritable nature - un état de vie que nous pouvons renouveler et réaliser à tout moment. En ce sens, lors de notre récitation, nous plantons la graine de l’éveil au cœur de notre vie ainsi que dans la vie de ceux auxquels nous pensons. Plus nous nourrirons cette graine en pratiquant, et plus notre vie incarnera nos idéaux.

Nous devons cependant ici très clairement préciser que psalmodier Namu Myoho Renge Kyo est loin d’être la version bouddhiste d’ « Abracadabra » voire, bien que nous puissions le réduire à cela, la répétition stérile de syllabes sino-japonaises. Namu Myoho Renge Kyo peut paraître insignifiant mais une clé minuscule ne peut-elle ouvrir la porte d’un formidable trésor ? Namu Myoho Renge Kyo est comme cette petite clé. Odaimoku, c’est tout à la fois la graine et le fruit de tous les enseignements du Bouddha. En prenant refuge dans le Dharma Merveilleux qui est source de toute grâce et circonstance propice, daimoku nous permet, dans un premier temps, de nous libérer de nos peurs. Puis, au fur et à mesure qu’en pratiquant s’approfondissent nos facultés de discernement et de bienveillance, il commence à exprimer notre désir de parvenir à l’Éveil de façon à en faire bénéficier tous les êtres. Daimoku finit ainsi par devenir l’expression verbale d’une profonde réorientation intérieure, d’un changement à l’intérieur de soi, moment où nous nous détournons de notre égocentrisme et nous tournons vers le Dharma. Enfin, l’œuvre d’Odaimoku culmine lorsque nous partageons notre foi, la reconnaissance et la joie que nous éprouvons, qui émanent toutes du Dharma Merveilleux menant tout un chacun à l’Éveil parfait, universel.

3. L’Estrade des Préceptes (Kaidan) – est ainsi défini le lieu où celui qui récite daimoku fonde sa vie sur l’esprit des enseignements du Bouddha Shakyamuni. Traditionnellement, le kaidan correspondait au lieu où une personne souhaitant devenir moine formait des vœux solennels pour s’engager à suivre les préceptes bouddhiques. Nichiren universalisa le concept de kaidan de façon à ce que chacun puisse, quelle que soit l’époque, observer les rites de l’enseignement essentiel et la pratique du Sutra du Lotus en psalmodiant Namu Myoho Renge Kyo. En fait le bouddhisme de Nichiren ne comporte pas de différence essentielle entre les moines et les laïcs. Quoique leurs fonctions soient différentes, tous sont égaux au regard de la foi. De plus, la pratique du bouddhisme de Nichiren n’oblige personne à vivre dans un monastère ou à participer à des retraites. Il s’agit d’une pratique qui peut être réalisée à tout moment et en tout lieu, que l’on vive en famille ou bien seul. Le plus important est simplement de pratiquer,  si bien que quel que soit l’endroit où l’on se trouve devient notre lieu de pratique. 

Pour mettre en pratique ces trois principes tels que définis par les Trois Grands Dharmas secrets, les bouddhistes nichireniens lisent régulièrement des extraits du Sutra du Lotus  et scandent daimoku, au début et en fin de journée, devant un Gohonzon (représenté habituellement sous la forme d’un mandala calligraphié). En procédant ainsi, nous nous rappelons que le Bouddha Atemporel Shakyamuni, qui est spirituellement présent en nous par Odaimoku, ne cesse de nous transférer le Dharma, si bien que nous aussi, à tout moment, sommes en mesure de nous éveiller à la vérité dont il a pris conscience. En suivant fidèlement cet enseignement et  cette pratique, les bouddhistes nichireniens peuvent créer la cause qui leur permet, quelles que soient les circonstances, de manifester la sagesse parfaite et la grande compassion du Bouddha. Cette manifestation leur permet de transformer non seulement leur propre vie mais aussi celle d’autrui. Ainsi ce monde peut-il cesser d’être un monde de souffrance et devenir une terre « pure », une terre de paix et de quiétude.

La loi de la cause et de l’effet [la causalité] est un concept fondamental pour toutes les écoles bouddhistes. La nature de bouddha, dont nous parlerons plus tard, est un concept de base dans le bouddhisme mahayana. Tous ces enseignements culminent dans les Trois Grands Dharmas secrets - l’essence du bouddhisme de la Nichiren Shu, concept sur lequel nous reviendrons plus d’une fois dans les pages suivantes. A la lumière des divers enseignements du Bouddha Shakyamuni, leur signification et leur importance seront ainsi à chaque fois mieux mises en valeur. Vers la fin du livre, nous reviendrons à nouveau sur ce concept des Trois Grands Dharmas secrets de façon à en donner une explication encore plus profonde.

NdT : Cette référence devra être précisée et se rattacher à la page d’une traduction française du Sutra.

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