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2 - Est-ce que le bouddhisme ça marche ?

Ryuei Michael McCormick


Ceci est extrait d'une causerie sur le  Dharma donnée au temple en mars 2000. Depuis j'ai entendu pas mal de récits sur les effets visibles et concrets liés à la récitation de daimoku, histoires très encourageantes et même profondément émouvantes. Je ne rabaisse donc pas "les avantages" de réciter daimoku, loin de là. "Miracles" ou pas, ce sont de merveilleux exemples du Dharma au travail dans nos vies. Cependant, il est aussi vrai que beaucoup de personnes récitent daimoku et restent dans le cercle vicieux de souffrances, avec des attentes et des buts superficiels. Mais même là, qui sait ce que serait leur situation sans daimoku ?

Du moins, la graine de la bodhéité a-t-elle été plantée. Ce n'est pas que pratiquer pour des avantages concrets soit en soi incorrect, mais je pense qu'on ne devrait pas perdre de vue que l'avantage le plus grand est l’aspiration à la bodhéité, le profond changement de mentalité et la mise à disposition de toute notre énergie au service des êtres sensitifs. Pour moi, ce sont là les trois effets principaux de la pratique de daimoku - l'aspiration, la réalisation et la dédicace.

Est-ce que le bouddhisme ça marche ?

Il y a environ deux semaines j’ai vécu quelque chose de curieux à Walgreens. Je faisais la queue pour acheter quelque chose pour ma fille Julie, quand j'ai entendu les gens devant moi parler d’un bracelet miraculeux. Je ne sais pas si vous avez remarqué que depuis quelques mois des gens portent le chapelet bouddhiste (juzu) comme une sorte d'accessoire de mode. Au début, j'ai demandé aux gens qui les portaient s'ils étaient des bouddhistes mais j'ai fini par comprendre que c'était une mode et pas l’expression de leur foi. Il semble que quelqu'un ait décidé de commercialiser ces juzus et prétendu, en outre, que ces bracelets miraculeux étaient dotés de propriétés de guérison, de bonne fortune, de protection, d'attraction sexuelle ou de richesse, selon le type de pierres utilisé pour leur fabrication. Les gens devant moi à Walgreens faisant des remarques à quel point tout ceci n’était qu'une escroquerie, je leur ai donc expliqué qu'en réalité ces prétendus "bracelets miraculeux" étaient juste des chapelets bouddhistes et qu’ils ne devraient pas être vendus comme des bijoux New Age.

C'est alors qu’un couple m'a pris à parti. L'homme en face de moi m’a demandé : "Mais est-ce que ça marche  ?" J'ai été vraiment déconcerté par cette question. Mes interlocuteurs ont sans doute pensé que puisque j'étais bouddhiste, je saurais si ce chapelet était en accord avec cette frénésie publicitaire ou non. Bien sûr, je n’utilise pas mon juzu comme un grigri magique et j'ai trouvé la question absurde. J'ai répondu : "Et bien, ce serait comme demander si un rosaire fonctionne." J'espérais qu’ils comprendraient au moins que le juzu était utilisé pour la prière et non pour la magie, supposant que tout le monde savait ce qu’est un rosaire car c'est une partie de culture occidentale.

J’ai eu tout faux de nouveau. L'homme a répondu, "Nous ne connaissons pas. Nous ne sommes pas catholiques." Alors, je n’ai eu qu’à hausser les épaules. Habituellement j'aime stopper net ce genre de discours et essayer de mettre les choses au point. Mais avec certaines personnes je sais aussi quand il faut renoncer.

Je ne peux oublier ce petit incident, car il m'a montré que pour l'Américain moyen, en fait pour toute personne lambda quelle que soit sa nationalité, la religion n'est pas la transformation de soi ou l’éveil à la réalité. C’est plutôt de la magie, du surnaturel, de la manipulation de "forces" comme dans la Guerre des Étoiles, ou peut-être la possibilité de s’attirer les bonnes grâces d'une divinité toute-puissante qui les protégera et leur garantira le bonheur éternel après la mort.

En tout cas, la religion et les cérémonies religieuses sont pour eux une façon de mettre à leur profit des forces surnaturelles, de les attirer pour apaiser leurs soucis et accomplir leurs désirs. Il n'est pas question d'avoir une quelconque introspection sérieuse ou un travail sur soi. Ce que les gens veulent, c’est la satisfaction durable garantie à un prix avantageux. C'est triste, mais parfaitement compréhensible.

Les contemporains de Nichiren n'étaient pas différents. A son époque, les gens étaient très impressionnés par les pratiques, les cérémonies et les proclamations du bouddhisme tantrique ou magique représenté principalement par l'école Shingon (Paroles Véritables). Nichiren a écrit à ce propos :

« Les écoles Shingon, en particulier, mettent en avant les bienfaits que l'on peut obtenir dans cette vie-ci. Prenant des animaux pour objets de culte, ils prient non seulement pour l'assouvissement des passions entre hommes et femmes, mais pour l'obtention de domaines et autres bien matériels. Et avec d'aussi médiocres résultats, ils prétendent avoir des pouvoirs extraordinaires. Toutefois, si c'est en s'appuyant sur des phénomènes de ce genre que les adeptes du Shingon prétendent fonder la supériorité de leur enseignement, ils ne sont même pas au niveau des brahmanes de l'Inde. » (Réponse à Hoshina Goro Taro. 1267)

Selon Nichiren, si nous réduisons le bouddhisme à un outil pour des avantages temporels, comme ces juzus devenus bracelets de pouvoir, alors nous ne pouvons pas nous prétendre bouddhistes ; nous passons à côté de l'objectif même du bouddhisme. Nichiren s'est rendu compte qu'il était important de ne pas être abusé par des miracles temporels ou les promesses d'avantages temporels. En réponse à ceux qui ont été impressionnés au Japon par les miracles supposés des fondateurs du Shingon il écrit :

« Au départ, je pensais comme vous. Mais, après avoir progressé dans la compréhension des enseignements du Bouddha et commencé à distinguer ce qui est en accord avec ses principes et ce qui ne l'est pas, j'ai compris que la capacité d'accomplir des miracles ne constitue pas nécessairement un critère solide pour déterminer la véracité ou la fausseté des enseignements bouddhiques. C'est pourquoi le Bouddha a énoncé le principe de "se fier au Dharma et non aux personnes" que j'ai mentionné plus haut. » (Conversation entre un sage et un ignorant – 1265)

D’un autre côté, certains d'entre nous peuvent penser : «Bon, moi, je ne pratique pas le bouddhisme pour gagner des pouvoirs mystiques ou simplement pour des avantages temporels ; j’ai réussi une bonne relation amoureuse, j’ai un bel endroit pour vivre et un bon travail. Je n'ai pas besoin du bouddhisme pour cela. Si le Bouddha et les protecteurs du Dharma m'aident c’est bien, mais je pratique le bouddhisme principalement pour la paix intérieure et pour devenir une personne plus perspicace et plus soucieuse des autres. » Mais c’est là que le bat blesse. Car finalement là aussi nous nous attendons à ce que le bouddhisme "marche". Certains d'entre nous veulent que cela marche sur un plan matériel, d’autres veulent que cela marche sur un plan psychologique ou spirituel. Nous donnerions-nous la peine de pratiquer le bouddhisme s'il ne nous apportait pas d’avantages ? Après tout, peut-être que, vue sous cet angle, l’interrogation des clients de Walgreens était la bonne question.

Qu’en pensait Nichiren ? Dans une de ses lettres il écrit:

« L'ascète Agastya se versa toute l'eau du Gange dans l'oreille et l'y conserva pendant douze ans ; l'ascète Jinu but jusqu'à la dernière goutte de l'océan en un seul jour ; Zhang Jie exhala du brouillard et Luan Ba exhala des nuages. Mais cela ne signifie pas qu'ils savaient ce qui est correct et ce qui ne l'est pas dans les enseignements bouddhiques, ou qu'ils comprenaient le principe de cause et d'effet. » (Conversation entre un sage et un ignorant – 1265)

Cette réponse est pour moi une clef. Peu importe quels miracles ou avantages nous pouvons gagner, même ceux impliquant une amélioration de notre caractère - Nichiren n’en parle pas ici - si nous ne nous éveillons pas à la loi de causalité, nous continuerons à vivre dans le brouillard. La loi de causalité est le principe le plus important, c’est  une autre façon de présenter les mécanismes du Dharma Merveilleux. Jusqu'à ce que nous nous y éveillions nous passons à travers la vie toujours endormis, incapables de comprendre le merveilleux, de vivre  la non-substantialité qui s’exprime par les interconnexions de la réalité de la vie juste telle qu’elle est. C’est cela le Dharma Merveilleux fleurissant à chaque instant de la vie. La bodhéité c’est l’Éveil à cela. C'est quelque chose qu'aucun pouvoir, aucune cérémonie ésotérique ne peut apporter. Seule une révolution intérieure peut provoquer cet Éveil, le passage de l’intérêt autocentré à l’adhésion au Dharma Merveilleux.

Le bouddhisme est vaste et complexe. Il peut nous apparaître comme une culture à lui tout seul. Il englobe tout depuis la philosophie et la psychologie jusqu’aux pratiques magiques populaires et la simple piété. Mais finalement que propose le bouddhisme ? Dans quel sens entendons-nous qu’il marche ou ne marche pas, si toutefois cette question est pertinente.  Pour répondre à cela, finissons cette causerie par un  passage de Nichiren :

« En bouddhisme, il faut considérer comme suprême le sutra qui permet à tous les êtres humains, qu'ils soient bons ou mauvais, d'atteindre la bodhéité. Un critère aussi raisonnable peut certainement être compris par tous. » (Réponse à Hoshina Goro Taro. 1267)

Alors, est-ce que le bouddhisme ça marche ? Je crois que cela a bien marché pour Shakyamuni, Nagarjuna, Vasubandhu, ZhiyiZhanlan, Saicho et, bien sûr, Nichiren.

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