Dossier Sandaihiho


Sandaihiho-sho de Nichiren Daishonin
Écrit sur les trois grands Dharmas implicites

Commentaire de Pier P. Del Campana

Le titre complet est Sandaihiho hon-joji
(Sur la transmission des Trois grands Dharmas cachés)


Nous proposons ici une synthèse de l'introduction de Del Campana, traducteur du gosho en 1971.
Nous renvoyons à l'original en anglais pour les lecteurs intéressés.


Le Sandaihiho-sho est un ouvrage attribué à Nichiren (1222-1282). D’après la date qui figure à la fin de son court texte, il a été écrit par Nichiren environ un an et demi avant sa mort.

Cet exposé prend la forme d’un dialogue ; six questions et réponses sont précédées par une déclaration d’ouverture et suivies par une exhortation de clôture. Bien qu’aucune division ne soit indiquée dans le texte, le contenu peut être partagé aisément en trois parties : une introduction, un exposé doctrinal et une conclusion.

La structure de l’ouvrage
L’introduction contient la désignation de la personne à laquelle la doctrine et sa prédication ont été confiées : le bodhisattva Jogyo, et l’époque à laquelle cette doctrine doit être prêchée : l’Epoque des Derniers Jours du Dharma. L’exposé doctrinal concerne les Trois grands Dharmas cachés. La conclusion affirme l’importance de cette doctrine et son rôle unique pour sauver les hommes ; celle-ci doit être enseignée, mais avec prudence et discernement.

Les Trois grands Dharmas cachés, qui sont l’objet de cet ouvrage, sont celles qu’on désigne sous le nom de : Honzon, Daimoku et Kaidan. Le Honzon est l’Objet de Dévotion Originel (Véritable), c’est-à-dire l’objet de la foi religieuse et de la vénération. Nichiren le découvre dans le Bouddha du Sutra du Lotus ; c’est le Bouddha éternel, historiquement manifesté en Shakyamuni. L’union du temps présent et de l’éternité peut être qualifiée comme le point central de la doctrine de Nichiren, le point qui fournit la clé d’explication de son système religieux.

La vie religieuse que Nichiren résume sous la forme de la récitation du daimoku, c’est-à-dire du "Titre Sacré" (Myohorengekyo), reflète aussi ce double aspect. En insistant sur la différence entre la récitation du daimoku pratiqué par ses prédécesseurs et celui qu’il préconise, Nichiren montre que la simple contemplation de la vérité que ce Titre exprime ne permet pas d’inclure les éléments sociaux et historiques qui, dans son esprit, sont nécessaires pour obtenir l'Éveil à l’époque des Derniers jours du Dharma. Son intention en la matière est claire : "On la [la récitation du mantra] faisait seulement comme une pratique personnelle, et elle n’était pas enseignée dans l’intérêt des autres. Mais maintenant, comme nous vivons à l’Epoque des Derniers jours du Dharma, le Titre Sacré que moi, Nichiren, je récite est fondamentalement différent de celui des époques précédentes : c’est le Namu Myoho Renge Kyo qui comprend à la fois la pratique personnelle et la tâche de mener les autres à l'Éveil (jigyo keta)."

Nichiren croit, en effet, que l’adéquation à la vérité fondamentale – dont la prise de conscience est l’essence même de l'Éveil – doit être atteinte dans le temps, dans la société. Elle ne peut pas être conçue séparément de l’existence historique de l’homme. Une vie purement contemplative semble exclure, aux yeux de Nichiren, sa dimension sociale et historique. Une telle vie serait limitée, de son point de vue, à un niveau théorique et abstrait et ne pourrait pas produire de fruits véritables. La vérité fondamentale exprimée dans le principe ichinen sanzen (une pensée englobe trois mille conditions possibles de vie) ne devrait pas être saisie de façon simplement conceptuelle, ou dans la solitude de sa propre contemplation : elle doit être saisie dans la vie concrète de l’humanité. L’éternité du Bouddha doit être vécue dans l’histoire.
De ce point de vue, le Dharma caché du Kaidan - c’est-à-dire l'Estrade d’Ordination - là où les moines prononçaient leurs vœux – représente l’engagement officiel de la société envers le bouddhisme véritable et représente une conséquence logique de ces prémisses doctrinaux. Dès le début de son enseignement, Nichiren a demandé que la société japonaise s’engage à suivre le bouddhisme véritable, en abandonnant, et même en supprimant, toutes les autres formes de faux bouddhisme. L’idéal qu’il envisageait pour le Japon était celui d’un pays où l’institution politique serait au service de la doctrine véritable du Bouddha. Il voyait le modèle de cette relation dans l’exemple du Roi Utoku et du moine Kakutoku, un exemple que - dès 1260 - il avait présenté au gouvernement militaire de Kamakura dans son Rissho Ankoku Ron. Selon cet exemple, le moine Kakutoku, un disciple du bouddhisme véritable, fut attaqué par des mauvais moines qui étaient jaloux de sa sainteté. Le bon roi Utoku vint à l’aide du saint moine et combattit les mauvais moines. Kakutoku fut sauvé mais le pieux roi fut blessé si gravement qu’il mourut. Cependant, sa récompense fut grande. Pour son zèle dans la défense du bouddhisme véritable, il devint un Bouddha dans une vie ultérieure.

Bien que le Sandaihiho-sho ne soit pas, à proprement parler, dans la forme d’une lettre, il se termine par la mention "Réponse au seigneur Ota Kingo". Ota Kingo était un samouraï de Kamakura qui s’était converti à la doctrine de Nichiren et resta jusqu’au bout son fidèle dévoué et son bienfaiteur.

La question de l’authenticité de l’ouvrage
Il serait trop long, et même ennuyeux, d’entrer dans tous les détails sur la question de l’authenticité du Sandaihiho-sho. Les principaux points de la discussion à ce sujet peuvent être réduits à trois : le fait qu’aucun manuscrit original du Sandaihiho-sho n’existe – le style de l’ouvrage – la doctrine contenue dans l’ouvrage.

Tout d’abord, il n’existe aujourd’hui que des copies du Sandaihiho-sho et aucun original. La copie la plus ancienne est celle faite par Nisshin (1407-1488), qui l’envoya à son disciple Nikkyo. La copie fut faite en 1442, soit 180 ans après la mort de Nichiren, et elle est conservée aujourd’hui dans les archives du Hompo-ji à Kyoto. Bien que Nisshin ne mentionne pas l’original d’après lequel il a copié le texte, il ne fait pas de doute qu’il considérait l’ouvrage authentique. Même avant l’époque de Nisshin, on trouve des références au Sandaihiho-sho. La plus ancienne est faite par Nichijun (1295-1354), dans son livre Hon’in kuketsu, dans lequel il mentionne le Sandaihiho-sho et la doctrine qu’il contient. La date de la parution de ce livre de Nichijun est inconnue, mais il fut certainement écrit pas plus tard que 72 ans après la mort de Nichiren. Les rapports ultérieurs en faveur de l’authenticité de l’ouvrage sont nombreux, mais les rapports en sens inverse sont précisément aussi nombreux. De ce point de vue, la controverse a mené à une impasse. Le fait qu’il n’y ait pas de manuscrit conservé ne signifie pas que le Sandaihiho-sho soit un faux, mais, d’un autre côté, les témoignages sur son authenticité ne sont pas assez concluants pour éliminer tous les doutes en la matière.

Quant au style, la discussion est encore moins concluante. Ce traité est un mélange de kambun (style chinois) et de japonais, un style que l’on trouve couramment dans les autres écrits de Nichiren et dans ceux des autres auteurs bouddhistes de son temps. Ceux qui sont opposés à l’authenticité de l’ouvrage maintiennent que, à en juger par le style, cet ouvrage ne pouvait pas avoir été écrit par Nichiren. Cependant, les raisons données par les deux parties sont vraiment trop subjectives pour être satisfaisantes.

Le problème du contenu et de la doctrine du Sandaihiho-sho est plus significatif. Il tourne autour de deux points : l’affirmation explicite de Nichiren d’après laquelle il était la manifestation du bodhisattva Jogyo, et la déclaration selon laquelle l'Estrade d’Ordination devrait être établie par les dirigeants politiques du Japon. Ceux qui contestent l’authenticité de cet écrit soutiennent que ces deux doctrines, non seulement ne peuvent être trouvées ailleurs dans les écrits de Nichiren, mais, en outre, qu’elles contredisent finalement la doctrine contenue dans les autres écrits.

En ce qui concerne la première doctrine, tous doivent admettre que le passage du Sandaihiho-sho est le seul endroit où Nichiren se déclare explicitement comme la réincarnation du bodhisattva Jogyo. D’un autre côté, il est également indéniable que Nichiren se considérait lui-même comme le Pratiquant du Sutra du Lotus à l’Epoque des Derniers jours du Dharma. Cette conviction, jointe à sa foi dans la prophétie faite par le Bouddha (selon laquelle la véritable doctrine du Sutra du Lotus serait enseignée, à l’Epoque des Derniers jours du Dharma, par le bodhisattva Jogyo, ne pouvait que rendre Nichiren conscient d’être celui à qui cette mission avait été confiée. Par là, il est vrai que, même si l’affirmation explicite de cette doctrine ne peut être trouvée que dans le Sandaihiho-sho, sa substance est contenue dans plusieurs autres écrits de Nichiren (voir, par exemple, le Soya nyudo dono gari gosho, Heiraku-ji, I, p.1104-25).

Quant au second point, c’est-à-dire l’établissement de l'Estrade d’Ordination par les dirigeants politiques du Japon, la discussion comporte deux aspects qui doivent être discutés séparément.
La controverse, telle qu’elle fut comprise et conduite avant l’époque moderne ne portait pas tant sur le fait que Nichiren semblait préconiser une Estrade d’Ordination protégée et suscitée par le gouvernement (soit, selon la terminologie moderne, une union entre l’Eglise et l’Etat), mais plutôt sur le choix de l’emplacement où cette Estrade d’Ordination devait être établie. Aussitôt après la mort de Nichiren, des dissensions éclatèrent parmi ses disciples et des écoles commencèrent à se séparer. L'estrade d'ordination, et spécialement son emplacement, était considérée comme le signe de la succession authentique du Fondateur. L’école Fuji (Fuji-ha), qui se déclarait issue de Nikko (1246-1333), un des six disciples ainés, prétendit, en particulier, à un lignage orthodoxe exclusif. En utilisant deux lettres qui étaient présentées comme ayant été écrites par Nichiren à Nikko, dans lesquelles le Maître remettait à Nikko la succession exclusive, ils affirmèrent que leur école était la seule héritière légitime de l’héritage spirituel de Nichiren. En outre, l’école Fuji considérait que, dans le Sandaihiho-sho, Nichiren pensait au Mont Fuji comme "le lieu élevé, similaire au Pic des Vautours", où l'Estrade d’Ordination devait être construite. Et c’est précisément au pied du Mont Fuji que l’école Fuji avait son temple principal (l’actuel Taiseki-ji). A cela, les autres écoles Nichiren répondaient que les deux lettres étaient des faux, et elles niaient également l’authenticité du Sandaihiho-sho.
A une époque plus récente, et plus particulièrement après la guerre, le point central de la discussion s’est déplacé. Ce n’est plus seulement la question de savoir à quel endroit devait être édifié l'Estrade d’Ordination, ou si une école particulière devait avoir des prérogatives exclusives sur cette Estrade, mais c’est le concept même d’une Estrade d’Ordination établie par les autorités politiques de la nation qui est désormais en discussion. En d’autres termes, est-ce que Nichiren avait réellement préconisé l’union de l’Etat et de la religion ? Ce changement est assez compréhensible si l’on considère la manière dont toute idée d’union entre la religion et l’autorité politique est opposée à notre mentalité moderne. L’apparition et le succès de la Soka Gakkai après la guerre, qui déclare que ses activités sont basées sur les principes de la Nichiren Shoshu (l'ancienne école Fuji), ont considérablement aiguisé et échauffé la controverse. En regardant la controverse d’un point de vue extérieur, je ne peux m’empêcher de penser qu’une bonne partie de l’opposition à l’authenticité du Sandaihiho-sho semble provenir du désir de nombre de disciples et de sympathisants de Nichiren de mettre cette doctrine en accord avec l’idée moderne de la séparation entre Eglise et Etat.

Cependant, le problème subsiste. Est-ce que la doctrine de Nichiren sur ce point serait essentiellement différente si le Sandaihiho-sho était éliminé de la liste de ses écrits ? Selon l'avis de Del Campana ce ne serait pas le cas. Dans ce sens, il a tendance à être d’accord avec Suzuki Ichijo (Nichiren Shonin go-ibun kogi, Commentaire sur les œuvres de Nichiren), Tokyo, 1958, VII, p. 355) qui, après avoir déclaré, dans son commentaire du Sandaihiho-sho que la question de l’authenticité de cet ouvrage ne pouvait pas être tranchée sur la base des informations disponibles, conclut que l'Estrade d’Ordination faisait partie de l’idéal nourri par Nichiren.

Lire le gosho

La traduction française du gosho est faite de l'anglais lui-même basé principalement sur le texte qui figure dans le second volume des Oeuvres Complètes de Nichiren (Nichiren Shonin ibun zenshu), publié en 1962 par Heiraku-ji Publishing Co., Kyoto.

La traduction anglaise est de Pier P. Del Campana

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