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7. La cérémonie d’Urabon

Ryuei Michael McCormick


Nous sommes réunis aujourd’hui pour les cérémonies d’Urabon et Segaki, nous offrirons notre récitation du Sutra du Lotus et de Namu Myoho Renge Kyo à nos parents et ancêtres qui ont quitté ce monde, et aussi à tous ceux qui sont morts sans avoir pu bénéficier de l’enseignement du Bouddha.

Je vais vous rappeler brièvement l’histoire du Vénérable* Maudgalyayana et de sa mère. Le Vénérable* Maudgalyayana, connu pour ses pouvoirs paranormaux, était l’un des dix grands disciples de Shakyamuni.

L'un des effets secondaires des disciplines yogiques intenses pratiquées par les disciples du Bouddha fut le développement des compétences qu’aujourd'hui nous appelons P.E.S*  : clairvoyance, clair-audience, télépathie, capacité de traverser les murs, marcher sur l'eau ou même voler dans les airs. Dans les sutras, le Bouddha souligne que l’acquisition de ces pouvoirs n’est pas le but de la méditation et qu'ils ne doivent jamais être utilisés pour impressionner ou pour gagner des adeptes.

Il est dit dans les sutras que la mère de Maudgalyayana étant morte, il se demandait dans quel état elle se trouvait.  Cette femme fut, sans doute, une mère aimante et dévouée qui avait fait tout son possible pour assurer le bonheur de son fils. Aussi fit-il jouer ses pouvoirs supranaturels pour la revoir après sa mort. Il fut très affecté de découvrir qu’elle était devenue un preta, un esprit famélique. Ce sont des créatures malheureuses que leur désir dévorant a empêchées de renaître dans un monde-état relativement plus agréable, le monde des humains ou le monde céleste. Les pretas sont généralement décrits avec d’énormes bouches et de gros ventres, mais des gorges toutes fines où ne passerait pas un fil : tout ce qu’ils essaient de manger devient aussitôt répugnant et indigeste. C’est ce qui arriva à la mère de Maudgalyayana lorsqu’il essaya d’user de ses pouvoirs et de lui envoyer à boire et à manger pour la soulager de ses souffrances. Dès qu’elle tentait de les avaler, les aliments se transformaient en feu pour la consumer. Maudgalyayana en fut totalement bouleversé. Non seulement sa mère se trouvait dans le monde des esprits faméliques mais tous ses pouvoirs supranaturels étaient incapables de lui apporter le moindre soulagement.

Il ne lui restait plus qu’à chercher de l’aide auprès du Bouddha. Après l’avoir écouté Shakyamuni dit à Maudgalyayana que ses pouvoirs de perception supranaturelle ne lui ont pas permis de voir un point très important : sa mère était, à n’en point douter, très aimante et attentionnée mais seulement avec son fils ! Elle ne s’est jamais souciée des enfants des autres et à bien des égards son dévouement avait tourné à l’obsession de son unique bien-être. Ce n’est pas son amour pour Maudgalyayana qui a fait d’elle un esprit famélique mais l’étroitesse et l’exclusivité de cet amour. Lorsque Maudgalyayana avait essayé de lui venir en aide par ses pouvoirs supranaturels, elle fut si fière de lui et ressentit une telle gratitude que son amour pour lui devint encore plus exclusif. En essayant de l’aider, Maudgalyayana ne fit qu’empirer la situation.

Dans ce genre de récits, le Bouddha annonce toujours quelque intention : si Maudgalyayana voulait bien attendre la fin de la saison des pluies, pendant laquelle le Sangha était en retraite et s’entrainait par des pratiques diverses à développer leur état de bouddha, alors le Bouddha les réunirait tous pour une cérémonie de salut à l’intention de la mère de Maudgalyayana. C’est ainsi que le quinzième jour du septième mois, avant de se disperser à travers l’Inde pour prêcher le Dharma, tous les bhiksus se rassemblèrent autour du Bouddha et de Maudgalyayana pour une cérémonie et une offrande de nourriture à ceux qui souffraient et étaient dans le besoin.

Cela ouvrit finalement les yeux de la mère. Elle comprit qu’il fallait prendre soin des autres et pas seulement de sa famille, qu’elle devait développer un amour-empathie équanime pour tous les êtres, comme le firent le Bouddha et le Sangha. Elle put ainsi quitter le monde-état des pretas. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue après cela, mais selon le Urabon gosho de Nichiren, la foi de Maudgalyayana dans le Sutra du Lotus permit à celui-ci ainsi qu’à sa mère de parvenir à la bodhéité.

Ayant réfléchi à cette histoire pendant plusieurs années, je dégagerai deux points importants. Premièrement, il ne suffit pas d’aimer sa famille et ceux que l’on trouve aimables. Cette étroitesse d’esprit peut entraîner toutes sortes de souffrances pour soi et pour les autres. Dans le Mahayana, on prend soin de tous les êtres sensitifs comme s’ils étaient notre famille élargie. Mahayana signifie ‘‘Grand Véhicule’’ et comporte l’idée que nous somme tous dans le même bateau. Si nous ne nous ouvrons pas à l’idée d’une famille au sens large, alors ce bateau va connaître le sort du Titanic. Mais si nous comprenons cela, comme le fit la mère de Maudgalyayana en voyant la compassion de tout le Sangha, et pas seulement de celle de nos fils, père, mère, sœurs, frères, fils et filles, alors le bateau pourrait devenir l’Arche de Noé permettant de dépasser le flot des souffrances et d’atteindre la terre ferme, celle de la Lumière Toujours Paisible.

La seconde leçon est que Maudgalyayana avait beau posséder des pouvoirs bien supérieurs à ceux d’un mortel ordinaire ainsi qu’un amour-empathie universel envers tous les êtres - comme c’était le cas pour les grands disciples du Bouddha -, même lui ne pouvait pas aider sa mère tout seul. Tout comme notre gratitude et notre amour doit s’étendre à tous les êtres et ne pas être enchaîné à la famille et aux amis, notre désir d’aider doit être un désir d’y œuvrer avec  les autres. Nos vies ne seraient pas possibles sans nos parents, grands-parents, amis, professeurs, collègues et tous ceux grâce à qui nous avons à manger, à nous loger, à être dans une certaine sécurité. Nous devons aussi comprendre que pour accomplir quelque chose de durable, nous devons accepter l'aide des autres et travailler avec eux afin de réaliser la Terre pure, ici et maintenant. Chacun de nous doit développer ses talents comme le fit Maudgalyayana dont les pouvoirs dépassaient ceux de ses condisciples.

Ainsi, dans le Mahayana, nous recherchons l'autonomie et développons nos talents uniques afin de prendre soin les uns des autres, apportant ainsi notre pierre à la communauté.  Nous devons apprendre, comme Maudgalyayana, à travailler les uns avec les autres, et ne pas vivre seulement en fonction des autres ou d’essayer de tout faire par nous-mêmes.

Urabon est un geste de gratitude et d’offrande en  pensées, en paroles et en actions à tous ceux grâce à qui il nous est permis d’être en vie, afin d’œuvrer avec notre famille universelle dans ce monde et dans d’autres mondes, dans cette existence et dans d’autres existences, pour que tous parviennent à l’Éveil.

SUITE : Edifier sa Tour aux Trésors

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