Chapitre VIII - Se défier des mauvaises influences

En sanscrit le titre de ce chapitre est « Mara », qui correspond à Satan ou le Démon, mais en Chinois le mot employé signifie « Celui qui tue », parce que son oeuvre est de voler notre trésor de mérites et de tuer une vie de sagesse. Autrefois le mal était personnifié par Mara le Roi de ce qui est mauvais, accompagné par une foule de démons, mais aujourd'hui on le désigne en termes impersonnels, attribuant plutôt le mal à des influences mauvaises. (Dwight Goddard.) (note)

Notre Seigneur Bouddha se sert de tous ses mérites accumulés et de toute sa sagesse en libérant tous les êtres sensibles dans le nirvana, pendant que de mauvaises influences sont toujours en train de détruire les bonnes qualités chez les êtres sensibles et de les maintenir dans la ronde de la vie et la mort. Si on a la patience do suivre le Noble Sentier du Bouddha on se rendra compte de l'influence et du danger des choses mauvaises. Ces influences peuvent être classées en quatre groupes : 1)  l'irritation  ; 2) la sensualité ; 3) la cruauté ; 4) les illusions personnelles. Les trois premiers sont si habituels dans la vie journalière, correspondant de si près aux pensées de chacun qu'il n'y a pas besoin d'en parler plus longuement. On doit les chasser et les tenir éloignés par la pensée pure ou juste. Mais les influences mauvaises d'origine externe, que certains prennent pour les manifestations des démons ou diables, doivent être considérées.

Il y a trois sortes de démons personnels

Les premiers sont les mauvaises influences externes qui éveillent la peur, elles sont douze et elles semblent se manifester pendant des heures variables du jour ou de la nuit. Elles passent par toutes sortes de transformations, les choses simples et innocentes auront une apparence terrifiante ; des femmes inoffensives ou des jeunes filles auront l'apparence de sorcières ;

- de bonne heure le matin, entre trois et quatre heures, on semblera voir des tigres,
- de cinq à sept des lapins inoffensifs, mais qui, malgré cela, font peur.
- de sept à neuf heures on semblera apercevoir des dragons horribles, ou des tortues,
- de neuf à onze on aura l'impression de voir des serpents,
- de onze heures à une heure on aura l'illusion de voir des chevaux, des mules et des chameaux,
- de une heure à trois les apparitions seront des moutons,
- de trois heures à cinq, des singes ;
- au crépuscule les illusions seront des vautours et des corbeaux ;
- dans les ténèbres de la nuit elles ressembleront à des chiens et à des loups ;
- de neuf à onze heures, elles auront l'apparence de porcs ou de choses répugnantes ;
- de onze heures et une heure, de rats fuyants et de souris,
- de une heure à trois heures on verra l'apparition de vaches menaçantes qui font peur.

Assailli par ces apparences diaboliques et terrifiantes il faut se rappeler l'heure du jour et les éloigner de la pensée. Aussitôt qu'on les voit telles qu'elles sont et qu'on les appellent par leur nom véritable elles s'évanouiront (note).

La deuxième sorte d'influences mauvaises est composée de ce qui éveille la colère. Elles se servent aussi des transformations pour atteindre leur but. On peut avoir l'impression que des vers, ou des insectes, grimpent sur la figure, ou le dos, ou qu'ils piquent, ou nous chatouillent, ou tout à coup qu'ils nous saisissent ou émettent des bruits qui nous dérangent, ou qu'ils nous sautent dessus. A de tels moments il faut garder le contrôle de l'esprit et refuser d'être agacé ; il faut se dire « Je connais qui tu es, tu n'es qu'une des petites afflictions de la vie. Tu n'es qu'une des différences d'opinion agaçantes qui mettent la patience à l'épreuve et qui nous irritent.» Les disciples du Bouddha qui observent les Préceptes ne se laisseront pas mettre en colère et ne seront pas troublés par ces manifestations. Parfois il sera nécessaire pour ceux qui sont des moines de répéter un sutra, et pour les laïcs de répéter les Préceptes mais ces mauvaises influences n'ont aucun pouvoir qui soit réel et n'auront d'influence que si l'on s'y prête. Ceci sera clairement compris en lisant les écritures sacrées.

La troisième sorte d'influences est composée par toutes les illusions qui soutiennent l'orgueil égoïste et l'indulgence pour soi. Ces influences se manifestent par le moyen des cinq objets des sens cherchant aussi à déranger et à interrompre les pensées bonnes et justes. Elles se divisent en trois groupes :

Premièrement, celles qui transforment les choses répugnantes pour les faire apparaître comme désirables.
Deuxièmement, il y a la transformation des choses agréables, de façon qu'elles semblent indésirables.
Troisièmement, les choses indifférentes en soi sont déformées de façon qu'elles semblent différentes de ce qu'elles sont en réalité, ce qui produit la confusion de l'esprit.

Toutes ces transformations qui servent à confondre et à égarer et à tromper l'esprit ressemblent à l'oeuvre de ''démons'' et de ''diables'' pour ainsi dire, car leurs flèches sont dirigées contre les pensées et les sentiments les plus hauts. Ils n'attaquent pas franchement mais en arrière et en dessous, par leur transformation des choses agréables telles que les formes des parents, des frères et des amis ; la vie simple et paisible, les belles pensées du Bouddha ne sont plus vues comme elles sont en réalité. Ils nous attirent vers des conditions sans bases substantielles qui mènent à la souffrance. Par leur transformation, les choses inoffensives prennent l'apparence de bêtes terrifiantes pour nous tromper et pour nous faire peur, ou bien les conditions ordinaires sont transformées pour empêcher, ou pour déranger la pratique de Dhyana. Par eux des visions plaisantes et des visions répugnantes sont toutes les deux transformées et les sons désagréables ainsi que les sons agréables, les odeurs agréables et les odeurs horribles, les goûts délicieux et les goûts désagréables, les pensées bonnes et les pensées mauvaises, les conditions de la vie ordinaire, tout est transformé par eux et par cela on est induit en erreur et empêché de suivre le Noble Sentier. Ces transformations sont trop nombreuses pour être détaillées. On peut les classer en cinq groupes.

a) Tout ce qui sert à transformer les cinq objets des sens et les pensées est l'oeuvre de l'armée de Mara. Le but de ces activités est d'agacer, de tromper, de détruire les bonnes qualités, de perturber la sérénité, de créer des empêchements à la pratique de Dhyana : « Comprends que les désirs sensuels sont la première armée de ton ennemi. Le découragement et la tristesse sont la deuxième armée, la faim et la soif sont la troisième armée, les attachements sont la quatrième armée, la paresse et la somnolence sont la cinquième armée, la peur et la terreur sont la sixième armée, le doute et le remords sont la septième armée, la haine est la huitième armée, l'amour égoïste du confort et des louanges est la neuvième armée, l'orgueil égoïste et la satisfaction de soi sont la dixième armée.

Toutes ces armées du mal investissent le disciple du Bouddha. Mais tu diras : « Je vaincrai toutes ces armées par le pouvoir de ma pratique de Dhyana, et quand j'aurai obtenu l'Eveil, je libérerai toute l'humanité. » (note) Quand les disciples du Bouddha sont avertis de ces mauvaises influences, ils doivent leur résister avec détermination. Il y a deux moyens de leur résister.

Le premier est par la pratique d'Arrêt* (samatha, shi). Aussitôt que l'on est conscient d'être assailli par une de ces mauvaises influences, il faut se rappeler que chacune n'est que mensonge et illusion. Si l'on fait cela il n'y aura ni crainte, ni tristesse, ni aversion, ni attraction, ni discrimination, ni raisonnement. Si on pratique l'arrêt des pensées, l'esprit deviendra tranquille et les armées de Mara s'évanouiront.

Le deuxième moyen de résister aux mauvaises influences est de pratiquer l'Examen * (vipassana, kan), se disant que l'esprit qui perçoit et qui fait des discriminations n'a aucune existance objective, par conséquent il n'y a rien que ces mauvaises influences puissent contrarier et décevoir.

Si les mauvaises pensées s'attardent, en pratiquant l'Examen * (vipassana, kan) et l'attention juste (smriti) on ne sera au moins ni irrité, ni effrayé d'elles. Il faut être résolu de garder l'esprit tranquille, stable, même au sacrifice de sa vie. Dans la pratique de l'attention juste, on se rend compte que la conception de Mara, comme la personnification du Mal et la conception du Bouddha comme la personnification du Bien, n'est en réalité qu'une seule conception : celle de manifestation. Dans la réalité, comme elles s'équilibrent l'une l'autre il ne reste que la conception du Dharmakaya, l'Ultime Essence qui demeure dans le Vide et le Silence. Dans ce sens il n'y a pas de Mara à qui résister et pas de Bouddha comme refuge. Mais puisque Mara n'est que la transformation des apparences irréelles et, que le Bouddha est la manifestation de la véritable nature du Dharmakaya, les transformations de Mara disparaissent et les manifestations du Bouddha-Dharma sont réalisées en même temps. De plus, il ne faut pas se troubler si les transformations de Mara ne s'évanouissent pas, ni être content si elles disparaissent. Pourquoi ? Parce que ces mauvaises influences (qui viennent pour troubler la pratique de Dhyana) ayant l'apparence de loups, de tigres, etc... ne sont pas réelles et que Mara non plus n'est pas une réalité. L'ignorance, la stupidité et les illusions par lesquelles on est effrayé et les choses invisibles qui attirent ne sont dues qu'à l'état d'esprit trompé, diffus, sans concentration, affolé. Las troubles que l'on attribue aux mauvaises influences ne sont que des mauvais états de son propre esprit. La lenteur du progrès vers l'Eveil n'est pas due aux activités de Mara, mais à son propre relâchement dans la pratique de Dhyana. Si ces conditions troublantes persistent pendant plusieurs mois, même pendant plusieurs années, il faut, avec patience, continuer à chercher à contrôler les états de son propre esprit ; il faut faire ceci avec la résolution qui ignore la peur et la douleur. Le mensonge doit, tôt ou tard, céder à la vérité, les transformations de ces mauvaises influences doivent aussi céder devant l'effort inébranlable de l'intention zélée.

Mais il ne faut pas considérer ces influences avec légèreté, car plus elles sont profondes et plus l'effort de les déraciner est grand, plus grand aussi sera le danger venant d'elles. Il faut apprendre à les reconnaître séparément, sans cela elles peuvent mener à la folie (note). Ces états morbides de bonheur, alternant avec un découragement sombre, sont les causes de maladies et même de la mort. Tout disciple du Bouddha doit avoir un maître compétent, ou un ami sage et de coeur noble car tôt ou tard il rencontrera ces influences mauvaises.

Si ces influences importunes et ces transformations de conditions ne sont pas vaincues, il peut arriver pire que maladies et mort, un disciple du Bouddha peut être changé en hérétique, ou en ennemi du Bouddha. Parfois il semble que Mara entraîne un disciple du Bouddha pour faire de lui son propre serviteur, le menant vers les concentrations fausses, les états d'intelligence faux, les fausses intuitions, les pouvoirs surnaturels faux, pour qu'il puisse prêcher le Dharma avec force et convertir une foule de gens. Et plus tard Mara semble se délecter à exposer sa fausseté pour ruiner ses pseudo-convertis. Les artifices de Mara et de ses armées sont innombrables et inexplicables. Nous n'avons attiré l'attention que sur quelques-uns pour mettre le disciple de Bouddha constamment sur ses gardes et surtout contre ce danger d'hérésie. L'hérésie fondamentale, la croyance à la réalité de tous les phénomènes (note), n'est pas l'oeuvre de Mara, elle est à la base de tout, mais tout le reste appartient à Mara. Dans le Sutra il est dit :

« Dès que tu fais des spéculations (note) discursives, tu es déj à pris dans le filet de Mara. Le disciple du Bouddha ne doit pas céder aux mauvaises influences, ni à la tentation des discussions discursives. Ceci est la véritable Mudra qui le protègera de tout mal. »

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