KAJI-KITO

 

Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu

CHAPITRE CINQ

Comprendre Nichiren et sa vie

Contexte historique du Japon avant Nichiren

Contrairement à la période Heian (794-1185), celle de Kamakura (1185-1333) accentue la prise de conscience par les Japonais du débuts de mappo, Derniers jours du Dharma, la dernière des trois périodes après la mort du Bouddha, caractérisée par une corruption morale généralisée. Selon plusieurs textes bouddhistes, mappo a commencé 2000 ans après la mort de Shakyamuni, en 1051 et durera 10 000 ans (réf.).

On attribue souvent cette décadence au transfert du pouvoir politique de l'empereur vers les seigneurs féodaux à la fin de la période Heian. Alors que la Maison impériale détenait le pouvoir depuis toujours, au IXe siècle de nombreux membres du clan Fujiwara - grande famille aristocratique de l'époque -  s'étaient mariés avec des membres de la famille impériale et occupaient des postes élevés au sein du gouvernement. Le clan Fujiwara a accru son pouvoir tout au long du Xe siècle et quelques années après le règne de l'empereur Daigo (897-930), Fujiwara no Michinaga (966-1028) exerçait un contrôle total sur l'empereur et la cour. Le pouvoir du clan Fujiwara déclina en raison de problèmes essentiellement sociaux et économiques qui entraînèrent une concurrence accrue avec d'autres familles militaristes puissantes, dont le clan Taira et celui de Minamoto. Le clan Fujiwara finit par perdre son pouvoir en 1068, ce qui marqua le début du règne de l'empereur Go-Sanjo (1032-1073) (réf.). La famille Minamoto succéda dans bon nombre postes occupés anciennement par la famille Fujiwara tant à la cour impériale qu'au gouvernement. A partir de 1159 une série de rébellions parmi les puissantes familles aristocratiques a conduit à un bref règne du clan Taira. Leur défaite lors de la guerre de Genpei (1180-1185) marque le début de la période Kamakura et l'ascension du clan Minamoto. Finalement, cela aboutit à l'établissement du shogunat de Kamakura, une dictature militaire dirigée par les shoguns ou seigneurs féodaux nommés par l'empereur (réf.).

En 1192, Minamoto no Yoritomo (1147-1199) devint le premier shogun et instaura le bakufu ou le gouvernement des guerriers, à Kamakura. Puis, au XIIIe siècle, c’est le clan Hojo qui prit le contrôle du gouvernement, dirigé par Hojo Tokimasa au titre de shikken (régent), diminuant ainsi le pouvoir du shogun. Malgré la prospérité économique croissante sous le clan Hojo (réf.), la tension grandissante entre le parti impérial résidant à Kyoto et le clan Hojo a conduit, en 1221, à la guerre Jokyu, qui s'est soldée par la victoire du clan Hojo. Cette guerre assura l'ascension de leur proches et exaspéra le ressentiment parmi ceux qui croyaient que le souverain légitime du "pays des dieux" (réf.) était l'empereur, le descendant d'Amaterasu, la déesse du soleil du Japon.

Outre les conflits gouvernementaux, le pays lui-même avait connu plusieurs calamités naturelles, notamment des typhons et des tremblements de terre provoquant épidémies et famines. Les nombreuses guerres civiles combinées aux décès et aux calamités présentaient des similitudes avec la description bouddhiste de mappo et ont renforcé la croyance en cette prophétie bouddhiste (réf.). Outre l'ascension des seigneurs féodaux, cette période de l'histoire japonaise a également été caractérisée par l'apparition de plusieurs chefs bouddhistes dont les approches divergentes de mappo ont accru la conscience individuelle de la nécessité d'une religion tout au long de la vie et pour l'éternité. Si l'interprétation de nombreuses écoles bouddhistes nouvellement établies était en partie le produit de la peur, certains estiment que ce n’est pas le concept de mappo qui était responsable de la création des diverses écoles mais devrait plutôt être qualifié de "symptôme" et d’explication de l’amplification des calamités de l'époque (réf.). Une figure bouddhiste éminente de l'époque est Nichiren.

Nichiren (1222-1282), connu non seulement pour avoir mis l'accent sur le Sutra du Lotus en tant que moyen véritable et exclusif d'atteindre la délivrance, mais aussi pour sa personnalité fervente et son nationalisme.

Biographie de Nichiren

Nichiren est né le 16 février 1222 à Kominato, dans la province d'Awa. Son nom d’enfant était Zennichimaro. Il était fils de pêcheur. En 1233, il a été envoyé au temple Seicho-ji (Kiyomizu-dera) à Kyoto où il a commencé ses études bouddhistes. Cinq ans plus tard, à l'âge de 16 ans, il est officiellement ordonné et reçoit le nom bouddhiste de Zesho-bo Rencho. En 1243, il quitte Seicho-ji pour étudier dans plusieurs centres bouddhistes, dont le Mont Hiei. En 1253, il comprend que le Sutra du Lotus fournit ce qu'il considérait comme le véritable enseignement du Bouddha et qu'il était donc le sutra qui deviendrait la base de sa religion. Il a pour la première fois proclamé officiellement sa foi, au ciel, à la terre et à l'univers le matin du 28 avril 1253, au sommet d'une colline surplombant l'océan Pacifique, en psalmodiant Namu myoho renge kyo ("se consacrer au Dharma Merveilleux du Sutra du Lotus"), connu sous le nom de daimoku (grand titre). Il a alors également changé son nom en "Nichiren" 日蓮 (日 "nichi" signifie "soleil" et 連 "ren" signifie "lotus"). La même année, il commence à propager ses enseignements à Kamakura, capitale de facto du Japon gouverné par le shikken (régent) et le shogun (réf.).

En 1260, Nichiren s'est interrogé sur les causes de toutes les calamités naturelles qui se produisaient à l'époque au Japon et a présenté au clan Hojo l'un de ses plus célèbres écrits, Rissho Ankokuron. Pour lui, la cause principale des calamités résulte de la foi de beaucoup, y compris du clan Hojo, dans le bouddhisme Jodo, école fondée par Honen, qui pronait la foi dans le Bouddha Amida. Pour Nichiren, le moyen d'atteindre la paix et la prospérité au Japon était d'accepter la "vérité de la voie juste" et donc la foi dans le Sutra du Lotus. Il a également présenté une prophétie selon laquelle si le gouvernement n'acceptait pas la foi dans le Sutra du Lotus, le pays continuerait à subir ces calamités et serait de plus attaqué par une invasion étrangère, "un malheur que le Japon n'avait pas encore connu" (réf.). Les conflits entre Nichiren et le gouvernement résultaient également de sa croyance en la restauration du régime impérial, qu'il considérait comme seul légitime (réf.). Cela inquiéta le gouvernement Hojo qui l’a déclaré traître indésirable.

Pour Anesaki, il s'agit là du "point de vue nationaliste de l'éthique religieuse de Nichiren". De fait, cela rendait son enseignement attrayant pour la classe des samouraïs (guerriers), dont beaucoup étaient impérialistes ou mécontents du régime féodal. Ce n'est qu'une cinquantaine d'années après la mort de Nichiren que la période Kamakura s'achèvera avec le rétablissement du régime impérial sous l'empereur Go-Daigo marquant la fin du shogunat de Kamakura en 1333 (réf.).

Même si le gouvernement avait rejeté les revendications de Nichiren, les prêtres d'autres écoles ont violemment exprimé leur colère à l'égard de ce dernier allant jusqu'à l'incendier son ermitage à Kamakura. Nichiren dut quitter la ville et n’y revint qu’en 1261, date à laquelle il fut arrêté et exilé sur la péninsule d'Izu jusqu'en 1263. Il reprend ensuite ses voyages de propagation. Un an plus tard, il est pris et blessé dans une embuscade dans une forêt de pins à Komatsubara, dans la province d'Awa.

A la surprise générale, des émissaires mongols arrivent au Japon en 1268, ce qui correspond à l'avertissement que Nichiren avait donné au gouvernement environ huit ans auparavant dans son Rissho Ankokuron et dans des lettres au gouvernement et à ses disciples concernant les envoyés mongols afin “de réveiller le peuple” (réf.). Peu après, Nichiren part pour un voyage missionnaire d'environ deux ans avant son retour à Kamakura en 1271. Anesaki compare ce retour à la retraite du Christ en Galilée avant d'entrer pour la dernière fois à Jérusalem ; en effet, le retour de Nichiren à Kamakura entraînera son arrestation et sa condamnation à mort.

Le retour de Nichiren fut dans l'ensemble accueilli avec consternation par les chefs des autres écoles bouddhistes. Ce fut le cas lors d'un débat public avec Ryokan, un prêtre influent de la noblesse, qui était également considéré par beaucoup comme une incarnation du Bhaisajya-guru (Yakushi, Maître de médecine)  en raison de ses soins aux malades (réf.). Alors que de nombreux membres de la noblesse exprimaient également leur haine envers Nichiren, Hei no Saemon (Taira no Yoritsuna), une figure éminente du clan Hojo et un croyant du bouddhisme Amida, s'en offusqua fortement. Avec un groupe de soldats, il saisit Nichiren dans sa hutte de Matsubagayatsu à Kamakura et l'accusa de haute trahison devant la Cour suprême. Après cela, Nichiren a failli être décapité sur le terrain d'exécution de Tatsunokuchi, mais a échappé de justesse à la mort lorsque "quelque chose de brillant, comme une boule de feu, a volé du sud-est vers le nord-ouest, et le visage de chacun était clairement visible dans sa lumière. Le bourreau fut pris de vertige et tomba ; les soldats furent pris de panique, certains s'enfuyant, d'autres se prosternant même à cheval" (réf.). Cet événement miraculeux a conduit Nichiren à considérer sa vie après cette persécution de Tatsunokuchi, comme le début d'une seconde vie.

En remplacement  de l’exécution, Nichiren fut exilé sur l'île de Sado, dans la mer du Japon où il resta environ trois ans (1271-1274). C’est là qu’il a rédige ses textes importants tels que le Kaimoku Sho (Traité pour ouvrir les yeux) et le Kanjin Honzon Sho (Le véritable objet de vénération). Il y fit  également plusieurs adeptes. Quelques jours après la libération de Nichiren et son retour à Kamakura, Hei no Saemon l’a appelé au bureau du gouvernement pour lui demander son avis et ses prédictions sur une invasion mongole.

La même année, Nichiren se retire au Mont Minobu où il passe le reste de sa vie, rédigeant de nombreux écrits, dont certaines de ses œuvres majeures, telles que Hokke shuyo sho (L'essence du Sutra du Lotus) en 1274, Senji Sho (Traité sur la sélection du temps) en 1275 et Ho'on sho (Sur la dette de reconnaissance) en 1276. Nichiren et ses disciples ont également érigé le temple Kuon-ji où il a continué à former ses disciples et à inscrire plusieurs gohonzons (mandalas).

La vie de luttes et de persécutions de Nichiren l’a marqué physiquement et sa santé a commencé à décliner vers 1282. Il s’est laissé persuader de faire une cure aux sources chaudes et le 8 septembre quitta pour la dernière fois Minobu.  En chemin, il s’arrêta dans la résidence d'Ikegami Munenaka, un laïc adepte du bouddhisme nichirenien - actuellement l'emplacement du temple Ikegami Honmon-ji. (réf.).  C'est ici qu’il a écrit sa dernière lettre et prononcé son dernier sermon sur le Rissho Ankokuron. Cinq jours avant sa mort, Nichiren a nommé ses six disciples principaux (Nissho, Nichiro, Nikko, Niko, Nichiji et Nicho) spécifiant ses souhaits et leurs tâches pour la propagation du bouddhisme après sa mort.

Nichiren est décédé le 13 octobre 1282, entouré de ses disciples et de croyants laïcs, dans la résidence d'Ikegami. Les funérailles ont eu lieu le lendemain, suivies de sa crémation. Nikko recueillit les cendres de Nichiren et quitta la résidence d'Ikegami le 21 octobre à la demande de Nichiren sur son lit de mort pour être enterré au Mont Minobu au temple Kuon-ji (réf.).

La personnalité de Nichiren

Il est impossible de parler de Nichiren sans faire état de sa personnalité fervente et de ses enseignements ainsi que de l’impact des opinions extérieures à son égard. Comme l’écrit Anesaki, la personnalité de Nichiren et la confiance en ses enseignements qui en découle étaient "un produit de son époque, mais il vivait à la fois dans le passé et dans le futur, étant convaincu que son message était prédestiné, et aspirant à la réalisation future de ses idéaux" (réf.). De nombreuses analyses se concentrent sur les critiques de Nichiren à l'égard des autres écoles et oublient sa nature bienveillante envers le peuple et le pays du Japon. La détermination de Nichiren dans sa mission de diffusion du Sutra du Lotus pour sauver le peuple l'a amené à accepter son propre martyre. En conséquence, ses critiques peuvent être considérées comme sa façon d’éveiller les gens à la réalité, à savoir qu'ils étaient dans mappo.

La personnalité de Nichiren peut être caractérisée par sa forte foi  dans la Vérité du Bouddha et dans la nation japonaise, ce qui lui a permis de croire que son travail de propagation du Sutra du Lotus était nécessaire pour conduire le Japon vers un idéal. C’est en cela que nous voyons le nationalisme de Nichiren qui accompagnait son désir de diffuser le Sutra du Lotus à la fois auprès des gens du peuple et des membres du gouvernement.

Le bouddhisme de la période Kamakura diffère de celui de Heian, lequel était destiné aux riches glorifiant la religion pour son esthétisme plus que pour ses croyances. La religion était principalement destinée à la pratique personnelle et à l'étude du bouddhisme. Saicho estime qu'à l'époque Heian, on approche de "la fin de l'ère du Dharma Formel*, et que commence celle du début des Derniers jours du Dharma (mappo) ; le temps est venu de propager la Vérité unique exposée dans le Sutra du Lotus (réf.). Bien que cela montre la croyance croissante en mappo qui s'est développée aux XIe et XIIe siècles, les mots de Saicho pourraient également suggérer que le Sutra du Lotus ne pouvaient pas s'enraciner pleinement au Japon avant les débuts de mappo (réf.). La même idée est partagée par Nichiren, qui a interprété mappo comme dans le Daijikyo (Grand recueil de sutras ), qui dit que le Bouddha avait instauré des méthodes de pratique distinctes pour chacune des trois périodes (shobo, zobo et mappo) en raison du potentiel et du destin déterminés de chacune des trois périodes (réf.). Parmi les cinq concepts que Nichiren a assimilés de l'interprétation du Sutra du Lotus par le Tendai, on trouve le principe du "ri" (rikutsu), qui explique comment, pendant mappo, les gens corrompus auraient besoin pour leur salut d'une religion simplifiée. Par conséquent, le deuxième concept de "ji" (jikku) souligne que le bon moment pour comprendre le Sutra du Lotus est mappo et que, par conséquent, le Sutra ne peut être enseigné "sans tenir compte de la disposition des personnes à le comprendre et à l'accepter" (réf.). Par conséquent, n'étant pas encore entrés dans mappo, les gens de la cour de Heian* ne trouvaient pas urgent de chercher le salut. Toutefois, la notion de salut était répandue parmi les femmes de Heian*, qui, à cause de leur statut inférieur au sein de la société, cherchaient refuge dans le bouddhisme (réf.). Mais dans l'ensemble, beaucoup s'accordent à dire que les débuts de la période Kamakura ont été un moment charnière dans la pensée bouddhiste lorsque le Sutra du Lotus est devenu une méthode possible pour le salut des masses.

Nichiren pensait que le Sutra du Lotus était l'enseignement nécessaire pendant mappo, une époque où la religion doit être la base d'une analyse empirique et logique de la condition humaine. Pour Nichiren, la religion était un moyen de relier le passé et le présent par la conscience qu'avait l'individu de sa relation avec la "bouddhéité éternelle", représentée par le Bouddha Shakyamuni. Anesaki pense également que la religion et l'éthique requièrent toutes deux la relation métaphysique entre le "Maître et les disciples, entre le cosmos et l'individu" (réf.). La vision nichirénienne  du salut ne diffère pas des autres écoles de l'époque, la différence étant seulement dans la méthode pour atteindre le salut. Il s'agissait d'éveiller et de développer la conscience de "l'esprit de Bouddha" en chaque individu et aussi de percevoir "le monde concret actuel comme la demeure de Shakyamuni, remplie de bouddhas et de bodhisattvas" (réf.).

La découverte et la foi de Nichiren dans le Sutra du Lotus répondaient à sa principale question : "Quelle est la vraie forme et la Vérité ultime du bouddhisme ?" (réf.). L'utilisation du mot "Vérité" pour désigner le Sutra du Lotus est sa façon de rattacher la morale à la religion en promouvant et en vivant la Vérité par une foi soutenue dans le Bouddha en tant que "Souverain Maître et Parent" (réf.). La foi de Nichiren peut être interprétée comme une forme de confiance absolue dans l'idée que le Bouddha offre le salut même pendant mappo. Cette notion découle de son interprétation par Nichiren du chapitre XV du Sutra du Lotus (Surgis-de-Terre)  où la "parenté" (réf.) et "la médiation de la praxis humaine" (réf.) entre le Bouddha et ses disciples originels, les bodhisattvas, permettraient l’éclosion de la nature éternelle de la Vérité. Dans le bouddhisme Mahayana, les bodhisattvas reviennent dans le monde de souffrance pour aider ceux qui cherchent le salut. Cette idée est développée au chapitre XVI, (Durée de la vie) qui affirme que les enseignements du Bouddha sont la Vérité. Parce que la Vérité est continuellement propagée et étudiée, elle est considérée comme ayant une existence éternelle (réf.), ce qui revient à dire que la durée de vie du Bouddha est éternelle.

L'un des quatre bodhisattvas mentionnés au chapitre XV est le Bodhisattva Visistacaritra (Jogyo), auquel Nichiren s'identifie, comme il l'affirme dans son Kaimoku-sho. Bien que certains estiment que son œuvre relève d’un égoïsme dogmatique (réf.), sa conscience aiguë d’être le messager du Bouddha est évidente dans sa proclamation : " Je serai le pilier du Japon ; je serai les yeux du Japon ; je serai le grand vaisseau du Japon " (réf.). Nichiren a essayé d'unifier ce qu'il considérait comme "la réalité historique et le sol transcendant" (réf.) en devenant le médiateur entre les êtres humains et le Bouddha (réf.). L'"éternité et le temps historique se sont conjugués dans son corps par l'acte d'atteindre l'état de Bouddha", et ont fait de lui "l'incarnation du principe éternel" (réf.). D'autres encore pensent que Nichiren a cherché refuge auprès du Bouddha historique, contrairement à l’école bouddhiste de la Terre pure, en raison de cette supposée relation directe avec le Bouddha (réf.)

Cependant, commentant le chapitre II du Sutra du Lotus, (Moyens habiles), Nichiren affirme que l'atteinte de la bouddhéité n'est pas limitée à quelques élus. La bouddhéité est éternelle, sans début ni fin, de la même manière que la nature de bouddha est inhérente à chacun. Par conséquent, la vie ne se limite pas à la période entre la naissance et la mort (réf.). Des interprétations similaires sont observées dans la compréhension de Nichiren de 1) daimoku, la proclamation de la foi dans le Sutra du Lotus (réf.), 2) le honzon, l'objet de méditation et de la discipline éthique (réf.) et 3) le reflet de la relation de chacun avec le Bouddha (réf.). Une analyse plus approfondie de ce sujet sera abordée dans une section ultérieure.

Les ascendants de Nichiren et sa référence à lui-même en tant qu'enfant du peuple attestent que l'atteinte de l'état de bouddha dépend de la foi de chacun. Fils de pêcheur, il se considérait comme un sudra, la plus basse caste dans le brahmanisme indien (réf.). On peut dire que Nichiren s’est servi du chapitre II pour souligner comment les croyants du Sutra du Lotus dépassaient tous les détenteurs du pouvoir, y compris les seigneurs féodaux du gouvernement "corrompu" et les kamis indigènes (réf.). Pour Nichiren, Amaterasu et Hachiman, deux divinités shintoïstes, étaient les défenseurs du Japon parce que toutes les divinités protectrices du Japon protégeaient sa mission de propagation  du Sutra du Lotus pour sauver le Japon.

La foi de Nichiren dans le Bouddha et les kamis a joué un rôle important dans sa volonté de sacrifier sa vie pour le Sutra du Lotus. Avant de penser qu'il était la réincarnation du bodhisattva Jogyo, Nichiren se comparait au bodhisattva Fukyo (Sadapaributa, Toujours-Sans-Mépris) (réf.). Réfléchissant sur le chapitre XX du Sutra du Lotus (Bodhisattva Fukyo), Nichiren a conclu que les tentatives de propagation du bodhisattva reflétaient les siennes et s’attendait  donc aux difficultés inévitables. Il exprima sa gratitude aux divinités supérieures qui le jugeaient digne de subir des souffrances pour une telle cause (réf.).

Alors que Nichiren s’en prenait aux autres écoles afin de montrer aux Japonais les avantages et la nécessité d'accepter le Sutra du Lotus, sa véhémence l'a souvent fait dépeindre comme un personnage sans cœur. Il utilisait couramment des mots forts, notamment "démon", "monstre" et "menteur" (réf.). Mais il ne critiquait pas les autres par haine et se rendait bien compte de son exclusivisme. Mais il le jugeait nécessaire tant que le manque de compréhension de la Vérité conduisait les hommes à se convertir aux écoles "impropres". Il avait foi dans les gens du peuple qui, un jour, prendraient conscience de la nécessité d'accepter les enseignements du Sutra du Lotus. Il dit : "Je suis pleinement conscient que si je ne parle pas, je manquerai de compassion... Si je me tais, j'échapperai peut-être au mal dans cette vie, mais dans ma prochaine vie, je tomberai très certainement dans l'enfer des souffrances incessantes" (réf.). Nichiren avait un sens aigu de l'engagement et de sa mission pour sauver l'humanité. C'est pourquoi, après son exil à Izu, il se qualifie de "gyoja", c'est-à-dire d'adepte du Sutra du Lotus (réf.).

Plusieurs exemples de ses écrits montrent qu'en fait, Nichiren était un homme compatissant qui se souciait toujours du bien-être des autres. Il a toujours fait preuve de révérence et de gratitude envers ses parents, son maître et l'empereur, ainsi que de grande bienveillance envers ses disciples. Il était toujours prêt aider par des conseils et à trouver des moyens (hoben) pour que chacun puisse atteindre la Vérité. Il a répondu à une femme qui l'avait interrogé sur les règles spécifiques à suivre pendant la période de ses menstruations, considérée dans la coutume japonaise comme une forme de "souillure". Cette coutume provenant principalement du shintoïsme, interdisait aux femmes d'entrer alors dans les sanctuaires (réf.). L'expéditrice de la lettre s'inquiétait du fait qu'elle pratique et touche le Sutra du Lotus pendant ses règles. Nichiren lui répond qu'il n'est pas nécessaire de prendre quelque précaution que ce soit et qu'elle peut continuer sa pratique comme d'habitude. Cependant, il ne lui impose rien, suggérant que si elle était habituée à ne pas toucher quoi que ce soit de sacré pendant cette période, elle pouvait toujours le faire mais surtout continuer à réciter daimoku (réf.).

Comme l'indique cet exemple, l'une des caractéristiques importantes des enseignements de Nichiren est qu'il estime que les femmes peuvent atteindre l'Eveil, une idée qui n'était pas acceptée par beaucoup à cette époque. On fait souvent remarquer que Nichiren a été guidé par le chapitre Devadatta du Sutra du Lotus, qui relate deux cas de “personne défavorisées” qui ont néanmoins atteint l'Éveil : Devadatta, un “ennemi” du Bouddha qui commet les cinq fautes cardinales et la fille de huit ans d'un roi dragon qui atteint l'état de Bouddha (réf.). Ce chapitre avait déjà suscité l'intérêt des femmes de l'aristocratie pendant la période Heian. Ainsi, avant la période Kamakura, alors que certains estiment que les femmes n'ont pas été officiellement promises au salut, Hongo Masatsugu note l'importance du Sutra du Lotus pour les femmes de la cour de Nara qui, grâce à ce chapitre ont pu se considérer comme des manifestations de bodhisattvas (réf.). L'accent excessif mis sur de ce chapitre dans les œuvres littéraires de Heian prouve également le contraire (réf.). De nombreuses approches philosophiques sur la différences entre les sexes n'étaient pas prises au sérieux durant la période Nara. L'incapacité d'atteindre les cinq existences supérieures ( Brahma* , Indra*, Mara*, Cakravartin* , Bouddha) résultait des cinq actes sans rémission (go-gyaku) du Sutra du Lotus, que les Japonais interprétaient à tort comme "des transgressions, des passions, des méfaits ou un karma négatif inhérent aux femmes", incluant même la “souillure du sang” comme sixième obstruction (réf.). Cela a renforcé la sévérité de la ségrégation entre les sexes. Si le bouddhisme  a souvent pu être interprété comme une oppression de femmes (réf.), il a été la première religion à offrir aux femmes la perspective d'un salut, ce qui, d'ailleurs, a accru sa popularité. Cependant, outre la perspective religieuse, la dévotion de Nichiren envers sa mère peut également avoir influencé sa promotion les femmes dans la perspective de l'Eveil. J'y reviendrai.

Les persécutions subies par Nichiren ont encore adouci son personnage, le rendant plus sympathique (réf.). Lors de son exil à Izu, ses relations avec le pêcheur et sa femme lui ont donné l'occasion d'apprendre à connaître les gens du peuple sur un plan plus personnel (réf.).

Lors de la présentation du Rissho Ankokuron au gouvernement, Nichiren a parlé de la nécessité d'unifier le pays sous le Sutra du Lotus (réf.) afin de vaincre les Mongols qui, selon lui, allaient bientôt attaquer le Japon. Selon Kodera, Nichiren pensait que la défaite du Japon était nécessaire pour la conversion de la nation à la Vérité (réf.). Cependant, Anesaki affirme qu'il n'a pas "maudit ses compatriotes ni souhaité leur ruine, qu'il ne croyait pas que le Japon était voué à un tel destin" (réf.) et qu'il pensait que les Japonais feraient le bon choix pour leur salut.

Les persécutions de Nichiren, son sens de la protection et sa profonde bonté lui ont permis d’approfondir sa foi et comprendre son rôle de messager du Bouddha (réf.). Dans une lettre à ses disciples laïcs, il déclare : "...au cours des 2 200 ans qui se sont écoulés depuis la mort du Bouddha, divers maîtres sont apparus dans le monde et ont travaillé à perpétuer la Vérité (le Sutra du Lotus), en connaissant sa portée, mais en l'adaptant aux besoins de l'époque. Les grands maîtres, Zhiyi et Saicho, ont rendu explicite la portée de la vérité... et pourtant ils ne l'ont pas propagée" (réf.). Nichiren se distinguait des dirigeants bouddhistes de l'époque par ses tentatives de faire revivre des méthodes anciennes et originales de l’école Tendai portant sur le Sutra du Lotus (réf.). En présentant le Rissho Ankokuron, il ne cherchait pas à obtenir le soutien pour une nouvelle religion, mais s'identifiait plutôt au "vieux bouddhisme".

Nichiren dit lui-même : “Nichiren n'est le fondateur d'aucune école et n'est pas non plus une feuille à la pointe [c'est-à-dire de la branche d'une école existante] " (réf.). Selon Stone, ce sont justement ses critiques qui ont permis la création de l’école Nichiren à partir d'un "enseignement original", plutôt que d’être une simple compromission de l’école Tendai (réf.).

Nichiren est peut-être l'un des chefs religieux les plus incompris, tant pour sa personnalité que pour ses actions. Malgré les opinions controversées sur le résultat de la foi et de la propagation, ce qui demeure, c'est son désir constant de diffuser le Sutra du Lotus, résultant de sa confiance dans un Japon unifié sous le Sutra du Lotus et du retour aux origines du bouddhisme - l'Inde et la Chine (réf.). Paradoxalement, de nombreuses "nouvelles religions" du Japon ont incorporé les enseignements de Nichiren. Cela a contribué à créer une forte image de Nichiren en tant que nationaliste, et qui conduit beaucoup d'autres personnes à oublier la nature bienveillante de Nichiren. Il avait foi dans le "Japon idéal", un pays qui suivrait la vérité universelle du Sutra du Lotus sous la direction d'un souverain légitime (réf.) et dont les habitants mettraient l'accent sur la piété filiale et la loyauté (réf.). Nichiren doit être considéré non seulement comme "l'un des hommes les plus érudits de son temps, mais aussi le plus sérieux dans ses aspirations prophétiques ; c'était un homme fort, de tempérament combatif, un orateur éloquent, un écrivain puissant et un homme au cœur tendre" (réf.). Une telle analyse des ses  intentions et de sa personnalité permet de comprendre son acceptation générale du mikkyo et du kaji kito.

SUITE
Retour