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Nichiren Daishonin - un regard sur l’être humain

hongaku

 par Asai Endo

Comme bon nombre de « fondateurs » de nouveaux mouvements bouddhistes de l’ère Kamakura, Nichiren ancre sa foi dans le concept des Derniers jours du Dharma (Mappo), un « âge » où les capacités spirituelles humaines ont fortement décliné et où la bodhéité est extrêmement difficile à réaliser. Pourtant, alors que Mappo implique une diminution des possibilités d’Éveil, Nichiren entrevoit la libération à partir de sa compréhension du concept tendai de «trois mille mondes-états dans un instant-pensée » (ichinen sanzen), qui énonce le potentiel de bodhéité dans les mondes-états ordinaires. Cet essai, d'abord publié en 1968 et traduit ici depuis sa réédition de 1997 (réf.), analyse comment ces deux concepts s'appliquent aux êtres humains - l'un en négatif, l'autre en positif – et sont maintenus dans une tension dynamique dans la pensée de Nichiren. Il présente également une comparaison intéressante avec les enseignements de Honen, un autre fondateur d’un nouveau bouddhisme qui vivait juste avant Nichiren et qui avait abordé des questions similaires.

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Nous avons suffisamment de matériaux pour analyser le point de vue de Nichiren sur l'être humain (ningenkan) en référence à sa pensée et à des circonstances concrètes. Pour les circonstances, nous avons surtout les nombreuses lettres qu'il a envoyées à ses disciples et laïcs en réponse à des situations et faits particuliers. Il serait extrêmement intéressant d’aborder le point de vue de Nichiren sur l’être humain à partir des solutions qu’il préconise en réponse à ces problèmes concrets. Pour l’instant, mettant de côté tout ce qui viendrait à l’esprit à propos de la vision que l’on peut avoir d’un être humain, je me contenterai de pointer les idées centrales de Nichiren.

A la base de toute pratique bouddhique de l’ère Kamakura se trouve le concept de Mappo, (les Derniers jours du Dharma) et l’enseignement de Nichiren n’y échappe nullement (note). Dans le même temps, il considérait comme principe ultime du Sutra du Lotus la théorie des trois mille mondes-états en un seul instant de pensée (ichinen sanzen) transmis par l'école Tendai (note) au point que, sur plus des quatre cents écrits que comptent ses œuvres, très peu n’y font pas référence. Ainsi, l’enseignement de Nichiren est tissé à partir de la trame de Mappo, selon le courant spirituel de l'époque, en même temps qu'à partir de la tradition d'ichinen sanzen. C'est la conjugaison de ces deux pensées qui façonne aux yeux de Nichiren la vision de l'être humain.

Il convient cependant de noter, qu’en général, le concept Mappo représente une vision négative de l'humanité (note), tandis que la théorie d'ichinen sanzen est un principe positif (note cf ). Il est intéressant de voir comment la pensée de Nichiren les unifie et les harmonise.

Comparaison avec Honen (1133-1212)

Pour analyser la conception que Nichiren avait des Derniers jours du Dharma, il peut être commode de la définir provisoirement comme dans la pensée de Honen l'antithèse de Mappo. Nichiren ne connaissait pas Dogen, et bien que Shinran ait vécu vingt ans à Inada, dans l'Est du Japon, jusqu' à environ 1235 - c'est-à-dire quand Nichiren avait douze ou treize ans - les Écrits de Nichiren ne font aucune référence ni à Shinran ni à ses enseignements. Nichiren s’en prend aux disciples de Honen autres que ceux de Shinran, ainsi qu'aux pratiquants du Nembutsu en général (note). Mais tout en désavouant les enseignements du nembutsu scandé, que ces personnes représentaient et qui s'était répandu à l'époque dans tout le Japon (note), Nichiren concentre sa critique uniquement sur Honen, celui-ci étant le fondateur du mouvement du Nembutsu exclusif (note).

Rappelons que les recherches menées à des fins de critique exercent, qu'on le veuille ou non, une influence sur le chercheur. En étudiant Honen afin de réfuter ses vues, Nichiren a forcément été dans une certaine mesure influencé. Néanmoins, en répudiant l’enseignement de Honen, la façon dont a évolué sa conception de Mappo n’a nullement suivi le même chemin que celle de Honen. De fait, la direction dans laquelle la religion de Nichiren s’est développée est totalement opposée à celle de Honen. A partir du concept de Mappo, Honen nie en effet la force personnelle (jiriki, force intérieure) et prône tariki, la force de l'autre. Celui-ci a «écarté, rejeté, ignoré et abandonné» les pratiques difficiles et a choisi exclusivement la pratique aisée, renonçant à la possibilité de réaliser la bodhéité dans ce monde et aspirant à la renaissance après la mort dans un autre monde ; il a placé sa confiance dans l'existence réelle d'un Bouddha absolu totalement distinct des êtres humains relatifs, alors que Nichiren, tout en admettant que ses propres capacités et celles des autres nés comme lui dans le monde ordinaire des Derniers jours du Dharma sont limitées, encourage à l'exercice de jiriki, la force intérieure. La récitation du Titre du Sutra du Lotus, pratique aisée quant à la forme, est pour Nichiren une «pratique difficile». Et tout en maintenant sa croyance en une Terre Pure du Pic du Vautour après la mort, il ne fait pour lui aucun doute qu’il est possible d'établir une Terre de Bouddha dans le monde actuel. En résumé, si nous considérons le point de vue de Honen sur Mappo comme un refus de la réalité actuelle, c’est-à-dire comme une négation, alors nous pouvons dire que pour Nichiren il s’agit d’une affirmation de cette réalité.

Certains voient la divergence entre ces deux Maitres comme provenant de la différence entre leurs époques et leur aire géographique respectives (note). Mais nous devons également  tenir en grande partie compte du rôle joué par les différences entre les sutras sur lesquels chacun d’eux s'appuyait.

 

Affirmation du monde Saha 

« Nous, êtres vivants, avons des facultés encore plus insignifiantes que celles de Shuddnipanthaka (Suri-Handoku) ; les nôtres sont comme les yeux des moutons, qui ne distinguent ni couleur ni forme. La cupidité, la colère et l’ignorance se déploient au plus profond de nous et nous commettons quotidiennement les dix mauvaises actions (ju-aku). Même si nous ne perpétrons pas les cinq fautes cardinales, nous en commettons chaque jour d'autres qui leur ressemblent. Et chaque personne se rend coupable de calomnier le Dharma, ce qui est pire que les dix mauvaises actions ou les cinq fautes cardinales (note). » (Nanjo Hyoe Shichiro-dono gosho (stn))

« Dans une époque telle que celle-ci, il est urgent de rechercher avec ferveur le vrai chemin. On peut haïr ce monde, mais il est impossible de le fuir. Il est certain que tous les Japonais seront en butte à de terribles malheurs dans un avenir proche. La révolte qui éclata le onzième jour du deuxième mois de la neuvième année de Bun'ei (1272) fut aussi effrayante que le saccage des fleurs par un orage ou que des pièces de soie brûlant dans un enfer de flammes. Comment ne pas haïr un monde tel que le nôtre ? Le dixième mois de la onzième année de Bun'ei (1274), les habitants des îles d'Iki et de Tsushima furent massacrés en une seule attaque. Comment pourrions-nous dire que cela ne nous concerne pas ?»  (Kyodai sho (stn))

On trouve d'autres passages similaires dans les Écrits de Nichiren. Pour lui, son époque est celle des conflits, ses concitoyens ont des facultés médiocres, sont profondément enclins au mal et aux cinq forfaits et dénigrent le Dharma. Mais si telle était la vision de Nichiren sur les capacités de l’homme, il ne considérait pas les conflits de ce monde avec résignation et ne prônait pas l'aspiration à renaitre dans une Terre Pure. Bien au contraire, il affirmait que, précisément parce que ce monde était celui de Saha et l'époque de la fin du Dharma, le comportement le plus approprié était de pratiquer conformément aux enseignements du Sutra du Lotus. Ceci est clairement exprimé par les mots suivants du Hoon sho (Sur la dette de reconnaissance) :

« Cent ans de pratique dans la Terre de la béatitude parfaite ne procurent pas un bienfait comparable à celui que permet d'obtenir un seul jour de pratique en ce monde impur. Deux mille ans de propagation du bouddhisme, aux deux époques du Dharma correct et du Dharma formel, ne valent pas une seule heure de propagation dans [cette période-ci], celle des Derniers jours du Dharma. » (stn) 

Nous pouvons déduire de ces affirmations les points suivants :

1) Nichiren écrit ces mots ayant à l'esprit que le Sutra du Lotus rejette la propagation de son enseignement dans d'autres mondes et désigne exclusivement le monde Saha. Ainsi, dans le chapitre de la Cité magique, l’histoire  des seize fils du Bouddha Maha-bhijna-jnana-bhibhu (Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse); les trois purifications des mondes du chapitre XI (sampen-doden);  les trois assemblées en deux lieux (nisho-sane); le déplacement vers d'autres lieux des hommes et des devas dans le chapitre de la Tour aux Trésors ; les mots dans le chapitre Durée de la vie : « Et toujours depuis j'ai été en ce monde Saha pour enseigner le Dharma et convertir les êtres vivants. » ;  l'image de tous les mondes « en communication sans obstacle, comme une seule Terre de Bouddha », décrits dans le chapitre Pouvoirs supranaturels des Ainsi-venus  – tout cela indique l'importance du monde Saha comme lieu où le Sutra du Lotus doit être diffusé. On peut même dire que le Sutra du Lotus désigne précisément le Dharma final comme le moment approprié lorsque son enseignement doit être largement proclamé et diffusé. Ceci est indiqué, par exemple, par les paroles prononcées par le Bouddha dans le chapitre Conduite originelle du bodhisattva Bhaishajyaraja (Yakuo) : « Dans les cinq cents dernières années après le parinirvana de l'Ainsi-Venu, il faudra le propager largement dans le continent Jambudvipa sans laisser son flux s’arrêter». (réf.)

2 ) Par ces paroles Nichiren exprime également son désaveu du nembutsu de Honen. Par ailleurs, il cite une pétition en provenance du Mont Hiei à la cour impériale, appelant à interdire l'enseignement de Honen, et qui stipule : «Ces derniers temps, nous avons entendu parler des doctrines perverses des adeptes du nembutsu exclusif, qui vont contre les enseignements pour gouverner le royaume et pacifier le peuple. Déjà leur nembutsu est devenu une lamentation, un son qui détruira la nation » (réf.). Cette déclaration estime le nembutsu exclusif comme destructeur du pays, un élément que l’on retrouve également dans la critique que fait Nichiren du nembutsu.

Ainsi donc Nichiren était reconnaissant d’être né à l'âge final du Dharma, et a exhorté les personnes ordinaires à pratiquer les enseignements du Sutra du Lotus. Il a demandé à ses disciples de faire le vœu de mener à bien la tâche d'établir la Terre de Bouddha dans ce monde Saha. Par exemple, dans la section finale du Rissho ankoku ron, il écrit :

« Voilà pourquoi vous devez vous hâter de réformer vos croyances et adhérer au Véhicule suprême, l'unique bonne doctrine [du Sutra du Lotus]. Si vous agissez ainsi, le monde des trois plans se changera tout entier en Terre de Bouddha, et comment une Terre de Bouddha pourrait-elle jamais connaître le déclin ? Toutes les régions des dix directions deviendront des Terres aux trésors, et comment une Terre aux trésors pourrait-elle jamais connaître la ruine ? Lorsque vous vivez dans un pays qui ne connaît ni déclin, ni ruine, votre corps trouve la paix et la sécurité et votre esprit est calme et paisible. Il faut croire ces paroles et les respecter profondément ! » (stn)

Utiliser tous ses efforts pour réaliser la terre de Bouddha dans le monde actuel était le vœu que Nichiren a maintenu tout au long de sa vie. (note) Néanmoins, c'est un fait que, depuis son exil à Sado (1271) jusqu'à sa mort environ dix ans plus tard, Nichiren parlait fréquemment de la renaissance après la mort sur la Terre Pure du Pic du Vautour (réf.). Mais pour lui ce n’était pas un au-delà post-mortem postulé sur la base du rejet du monde Saha ou de la vie présente. C’était la Terre de la Lumière Toujours Paisible, accessible aux pratiquants qui avaient maintenu tout au long de leur vie une pratique selon les enseignements du Sutra du Lotus ; c’était une Terre de la rétribution vraie vue comme une nécessaire récompense pour les faibles êtres humains qui ont déployé tous leurs efforts pour le Lotus dans le monde d’ici-bas sans en avoir été pour autant gratifiés. Nous ne pouvons pas l’ignorer mais il convient de noter que dans les Écrits de Nichiren la Terre Pure du Pic du Vautour apparait toujours en tant qu’encouragement pour ceux qui pratiquent selon l’enseignement du Sutra du Lotus.

Daimoku – une pratique difficile

« Avec une compassion profonde pour ceux qui ignorent le joyau d'ichinen sanzen, le Bouddha fondamental l'enveloppa dans la seule phrase Namu Myoho Renge Kyo, et en orna le cou de ceux qui vivent à l'époque des Derniers jours du Dharma. » (Véritable objet de vénération) (stn)

Mis en parallèle avec la pratique aisée dans n'importe laquelle des quatre positions (en marchant, debout, assis, allongé) (stn), ce passage pourrait indiquer que la récitation du daimoku est une forme simplifiée du shikan (arrêt et examen-introspection), adaptée aux «personnes ignorantes des Derniers jours du Dharma » (bompu). Avant de soumettre aux autorités le Rissho ankoku ron (1260), Nichiren a parfois qualifié daimoku de « pratique aisée» (note). Mais à partir de la rédaction de ce traité, il en a toujours parlé comme d’une «pratique difficile». (note)

Ses raisons étaient les suivantes :

1) Le qualificatif de ''difficile'' découle du texte même du Sutra du Lotus. Par exemple, le chapitre Moyens habiles dit : « difficile à comprendre, difficile à franchir est la porte de cette prajna» ; le chapitre du Maitre du Dharma dit : « Parmi les innombrables millions de myriades de sutras que j'ai prêchés, que je prêche maintenant et que je prêcherai, ce Sutra du Lotus du Dharma est le plus difficile à croire, le plus difficile à comprendre » ; et le chapitre Tour aux Trésors  parle d'"une entreprise bien difficile'' en évoquant les «six actes difficiles et neuf actes aisés » (rokunan kui) sous forme de comparaisons soulignant la difficulté de garder et enseigner le Sutra du Lotus à l'ère du déclin du Dharma après le parinirvana du Bouddha. De plus Saicho (767-822), le fondateur du Tendai japonais, commente ainsi le chapitre Tour aux Trésors dans son Hokke shuku (Principes exceptionnels du Sutra du Lotus) : « Shakyamuni  dit que le superficiel est aisé tandis que le profond est difficile. Abandonner le superficiel  et garder le profond nécessite un cœur solide » (réf.) — phrase que Nichiren cite souvent. Bref, au lieu de dire que l'on devrait choisir le daimoku parce que c'est une pratique facile, il dit au contraire qu’il faut le choisir car c'est difficile. Bien que cela puisse sembler un encouragement paradoxal, Nichiren suit la même logique que le chapitre Tour aux Trésors, dans lequel Shakyamuni exhorte son auditoire  à embrasser le Sutra du Lotus en exposant les six actes difficiles et les neuf actes aisés.

2) A voir ce qu’ont vécu Nichiren et ses disciples dans l'accomplissement de leur foi, réciter daimoku n'était en aucun cas une pratique facile.

3) Du point de vue de la doctrine, Nichiren s'oppose au raisonnement de Honen sur le choix exclusif du nembutsu exposé dans son Senchaku hongan nembutsu shu (Extraits choisis pour le choix exclusif du nembutsu dans le vœu originel). Honen y pose la question de savoir si un enseignement particulier convient aux capacités d'une population et conclut qu’il faut abandonner la pratique difficile de la voie des sages (shodomon) et la remplacer par la pratique facile de la Terre Pure (jodomon). Nichiren - il a alors trente-huit ans - réfute cette approche dans son Shugo kokka ron (Traité sur la protection de la nation) :

« Si on considère que les êtres des Derniers jours du Dharma se détournent de la Voie, que les hommes ordinaires replongent dans le cercle perpétuel de la transmigration, et qu’en prenant prétexte de leur peu de capacités on proclame le nembutsu comme supérieur à tous les autres enseignements, cela ne correspond pas à la distinction de supérieur et inférieur qui existe entre le provisoire et le définitif ou entre le superficiel et le profond.[...] Une telle personne n'a pas compris le sens de la classification des doctrines.» (stn)

Le Sho hokke daimoku sho (Réciter le daimoku du Lotus Sutra)  de Nichiren, écrit à l’âge de trente-neuf ans, dit : « Confondre l’authentique et le provisoire, en plus d'être une diffamation du Dharma détruira le pays » (stn). Son Kyokijikoku sho (Sur l'enseignement, la capacité, le temps et le pays (à quarante et un an), définit les critères pour les cinq guides et place l'enseignement au-dessus de celui du temps et de la capacité des hommes. Et dans le Daimoku mida myogo shoretsu ji  Sur la supériorité du daimoku sur le nom d'Amida écrit à quarante-trois ans), il emploie les métaphores suivantes à propos de la sélection que fait Honen des enseignements  bouddhistes :

« Quant à l'enseignement de la Terre Pure, c'est comme semer du sable dans les champs au printemps et s'attendre à récolter du riz en automne, comme ignorer la lune dans le ciel et la chercher dans son reflet dans l’eau. Pour ce qui est du grand art de se plier à la mentalité des gens et détruire le Sutra du Lotus, aucune doctrine ne peut se comparer à celle de cette école. » (stn)

Autrement dit, même si on peut se conformer à l'époque (pour le choix d'une pratique facile plutôt que difficile), sans un choix judicieux de la graine à semer (c.-à-d. une discrimination correcte de la profondeur de l’enseignement ), aucune récolte ne peut être obtenue (réf.). A partir de son analyse critique de Honen, Nichiren décide que  sélectionner un enseignement bouddhiste qui se fonde sur la facilité ou la difficulté d’une pratique devait être rejeté. Comme il avait compris cela dès le début de son enseignement, il n'a jamais mis en avant la facilité de la pratique pour encourager la récitation de daimoku.

Son propre pouvoir (jiriki) et le pouvoir de l’autre (tariki)

On ne trouve pratiquement pas dans les Écrits de Nichiren de définition de ce qu’il entend par jiriki (son propre pouvoir, force intérieure)  et tariki (le pouvoir de l’autre, force extérieure). Il s'en explique dans son Ichidai shogyo taii (L’essentiel sur l’enseignement sacré de la Durée de la vie du Bouddha) lorsqu’il a trente-sept ans.

« Le Sutra du Lotus parle du jiriki (son propre pouvoir, force intérieure) mais n'est pas lui-même jiriki (pouvoir en soi). Puisque le «soi» englobe tous les êtres des dix mondes-états, notre personne contient intrinsèquement le monde-état de bouddha, présent à la fois en soi et en tous les êtres vivants. On ne devient pas bouddha pour la première fois maintenant. Le Lotus dit également que le pouvoir de l'autre n'est pas un pouvoir extérieur, parce que le Bouddha, l'Autre, est contenu en nous hommes ordinaires. Et le Bouddha qui est l’Autre, est, comme nous, et il coexiste en lui-même naturellement. » (stn)

D'après ce passage, la distinction entre le pouvoir intérieur et le pouvoir de l’autre n’est pas pertinente en vertu du principe de l’inclusion mutuelle des dix-mondes-états (jikkai gogu). Nichiren n'a peut-être pas fait usage des catégories jiriki (force intérieure) / force de l’autre (tariki) parce que l'inclusion mutuelle était pour lui un thème récurrent. Cependant, dans son Urabon gosho il écrit :

« En pensant à tout cela, je me souviens que vous avez un petit-fils, Jibu-bo, qui est moine bouddhiste. Il n'observe pas les préceptes et il est dépourvu de sagesse. Il ne respecte aucun des deux cent cinquante préceptes, ni la moindre des trois mille règles de conduite. Son manque de sagesse pourrait le faire entrer dans la catégorie des bœufs ou des chevaux, et son inobservance des règles de conduite pourrait l'apparenter à un singe. Mais il vénère le Bouddha Shakyamuni et croit dans l'enseignement du Sutra du Lotus. Il est donc comparable à un serpent saisissant un joyau dans sa gueule, ou à un dragon portant sur sa tête des reliques sacrées. Les glycines, en s'enroulant autour d'un pin, peuvent s'élever jusqu'à mille pieds, et une grue, grâce à ses ailes, peut parcourir plus de dix mille lieues. Ce ne sont pas leurs seules forces qui leur permettent d'y parvenir. Il en va de même pour votre petit-fils, le moine Jibu-bo. Même s'il est lui-même semblable à la glycine, parce qu'il s'accroche au pin qu'est le Sutra du Lotus, il pourra gravir la montagne de l'Eveil parfait. Grâce aux ailes du Véhicule unique, il pourra prendre son essor dans le ciel de la lumière paisible. » (stn)

On pourrait croire que pour Nichiren le daimoku équivaut à la foi en le pouvoir de l’autre (tariki). Il n’en est rien, comme on l'a vu dans le passage d’Ichidai shogyo taii cité ci-dessus. De plus, il faut noter que réciter daimoku implique la dévotion non pas à un bouddha, mais au Dharma, l'Enseignement, comme l’indique clairement l’expression « s'accrocher au pin qu'est le Sutra du Lotus » (note). Généralement, dans le cas du pouvoir du Bouddha (butsuriki), son vœu originel de sauver tous les êtres est considéré comme la base du pouvoir de l'autre (tariki), si bien qu’il suffit de se fier à ce vœu. Alors que dans le cas du pouvoir de l'Enseignement-Dharma (horiki), celui-ci n'implique aucun pouvoir du vœu (ganriki), même s'il englobe toutes les vertus. Par conséquent, recevoir et garder le Dharma par ses propres efforts (jiriki, pouvoir intérieur) devient la condition d'accès au pouvoir du Dharma. Nichiren, qui comptait sur le pouvoir du Dharma plutôt que sur celui du Bouddha, a toujours réfuté que pour exprimer sa dévotion à l'Absolu, il fallait mettre en avant sa propre impuissance par une attitude autocentrée et nier l'efficacité de ses propres efforts (note). Il a souligné, bien au contraire, l'importance d'établir la preuve de sa foi de manière positive, en montrant avec quel sérieux on embrasse le Dharma Merveilleux. Par exemple :

« Quelle que soit l'importance de nos bonnes actions, même si nous lisons et copions mille ou dix mille fois l'intégralité du Sutra du Lotus, ou même si nous maîtrisons la méditation sur le principe d'ichinen sanzen (shikan), si nous nous abstenons de réfuter les ennemis du Sutra du Lotus, cela suffit pour nous rendre impossible l'atteinte de l'Éveil. Imaginons une personne, au service de la cour impériale. Elle s'est peut-être acquittée correctement de sa tâche pendant dix ou vingt ans. Mais si, connaissant l'existence d'un ennemi de l'empereur, elle ne prévient pas la cour et n'éprouve pas personnellement de haine à l'égard de cet ennemi, tous les mérites acquis en de longues années de service s'en trouveront effacés ; au contraire, on la tiendra pour responsable du crime. Il faut savoir que les gens de notre époque commettent des oppositions au Dharma. » (Nanjo Hyoe Shichiro-dono gosho, Encouragement à un malade) (note) (stn).

« Certains ont peut-être eu la chance de naître sous forme humaine, et même de renoncer à la vie profane pour se consacrer à la recherche de la vérité. Mais, s'ils n'étudient pas le Dharma bouddhique et ne réfutent pas ceux qui s'y opposent, perdant leur temps dans l'oisiveté et les bavardages, ils ne sont que des animaux déguisés en moines. Ils se donnent peut-être le nom de moine et parviennent ainsi à gagner leur vie mais ils ne méritent absolument pas ce nom. Ils ne sont que des voleurs ayant usurpé le nom de moine […] Il est dit dans l'enseignement théorique du Sutra du Lotus : "Nous ne sommes pas avares de notre vie, seule est précieuse pour nous la Voie suprême." Il est dit dans l'enseignement essentiel du Sutra du Lotus : "Ils ne donnent pas leur vie à contrecoeur." On lit dans le Sutra : "Le corps est de moins d'importance que le Dharma qui est suprême. Il faut propager le Dharma au risque de sa vie." […]  En tant que laïc, le plus important est de réciter Namu Myoho Renge Kyo de tout coeur et de faire des offrandes au Moine. Et, comme il est dit dans le Sutra, il faut propager le Dharma au mieux de ses capacités (zuiriki enzuzu). (Les quatorze oppositionshobo ou Réponse à Matsuno) » (stn).

En un mot, ce qui est communément appelé shakubuku,la réprimande pour l'attachement aux enseignements provisoires, est présenté ici comme le moyen d'établir la preuve de sa foi et le mode de comportement approprié pour celui qui embrasse le Sutra du Lotus. De plus, puisque shakubuku entraine inévitablement la persécution, la disposition à résister à la persécution jusqu'au bout devient également essentielle. Dans le dernier passage de son Nyosetsu shugyo sho (La pratique telle que le Bouddha l'enseigne) Nichiren écrit :

« La vie s'écoule en un instant. Si nombreux et féroces que soient les ennemis que nous rencontrerons, n'ayons aucune peur et ne pensons jamais à reculer. Même si l'on menaçait de nous couper la tête avec une scie, de nous empaler sur une lance, de nous mettre aux fers et de nous transpercer les pieds avec une vrille, aussi longtemps que nous serons en vie, nous devrons continuer à réciter Namu Myoho Renge Kyo, Namu Myoho Renge Kyo. Si nous récitons cette phrase jusqu'au moment ultime de notre mort, immédiatement, Shakyamuni, Taho, tous les autres bouddhas de l'univers viendront à notre rescousse, tenant ainsi fidèlement la promesse faite lors de la cérémonie du Pic du Vautour. […] Ils nous escorteront pour nous protéger jusqu'à la Terre de Bouddha.» (La pratique telle que le Bouddha l'enseigne) (stn).

Il a également écrit :   «Même si vous êtes chassé de votre clan et devez devenir mendiant, vous ne devez pas déshonorer le Sutra du Lotus. » (Shijo Kingo dono gohenji). (stn) Ce n’est donc en aucun cas réciter daimoku en comptant sur le pouvoir de l’autre (tariki) mais mobiliser son propre pouvoir (jiriki). On pourrait estimer que sans la protection d'un bouddha, « pratiquer comme le Sutra l’enseigne » ou «réprimander les ennemis du Sutra du Lotus» ou «réciter cette phrase jusqu'au moment ultime de notre mort» serait impossible pour les hommes ordinaires des Derniers jours du Dharma. C'est pourquoi Nichiren dit également :

« Il n'y a que le Sutra du Lotus qui représente l'enseignement merveilleux, des paroles d'or directement sorties de la bouche de Shakyamuni, Bouddha parfaitement doté des Trois Corps. Par conséquent, même les bodhisattvas Fugen et Manjushri furent à peine capables d'en exposer ne serait-ce qu'une phrase ou une stance. Combien plus difficile encore doit-il être pour nous, simples personnes ordinaires vivant à l'époque des Derniers jours du Dharma, de graver dans notre propre vie ne serait-ce qu'un mot ou deux de ce Sutra! […] Car, il faut le savoir, si l'esprit du Bouddha n'avait pas pénétré en nous, il nous serait impossible, en fait, de réciter daimoku. » (Lettre à Myomitsu Shonin) (Myomitsu Shonin goshosiku (stn))

« Même si votre domaine est confisqué et si vous en êtes expulsé, considérez cela comme une protection des dix Filles-démones. Renforcez votre croyance et faites entièrement confiance aux divinités bouddhiques. Si moi, Nichiren, au lieu d'être exilé [à Sado], j'étais resté à Kamakura, j'aurais très certainement été tué au cours de la bataille [pendant l'insurrection du deuxième mois de 1272]. C'est peut-être la bienveillance du Bouddha Shakyamuni qui vous a éloigné de votre seigneur, parce qu'il n'était pas bon pour vous de vous trouver là.» (Mise en garde contre l'attachement à son domaine, Shijo Kingo-dono gohenji) (stn)

De telles expressions sont récurrentes dans les Écrits de Nichiren. Pour pouvoir réciter daimoku les hommes des Derniers jours du Dharma ont besoin d'un appui extérieur. Mais cet appui extérieur (tariki) n'exclut en aucune façon jiriki et s'accompagne d'une reconnaissance et d'un sentiment ardent de gratitude pour l'enseignement qui nous permet de continuer la pratique jiriki. En fait ce tariki n’est en rien différent de l’esprit de recherche qui encourage le progrès religieux par le biais de l’effort personnel. C'est en cela que l'on peut considérer l’enseignement de Nichiren comme celui du jiriki.

Nous avons vu qu'en se basant sur le fort sentiment de la fin du  Dharma, Nichiren a encouragé l'exercice de jiriki et la persévérance dans un monde de conflits en étant «au service au Sutra du Lotus ». C'était la condition d'une vision juste. Pour lui, le concept de  mappo, qui mettait en évidence le peu de capacités des hommes et donc de jiriki, a pris un sens qu'il a fait fusionner avec le concept d’ichinen sanzen, un enseignement sur la notion même d'humanité.

Jikkai Gogu

Un autre concept de base sur lequel s’appuyait  Nichiren pour définir la condition humaine était la doctrine de jikkai gogu (la possession mutuelle des trois mille mondes en un instant) enseignement  du Tendai japonais hérité du Tiantai chinois pour qui l'esprit est par nature doté de tous les dharmas, éléments de l’Éveil originel (hongaku)  tels qu’ils  étaient expliqués  dans le Huayan (Kegon) ésotérique (mikkyo)  et le Chan (tradition Zen). Ainsi, le principe ichinen sanzen, qui ne fait pas nécessairement partie de la notion de l’Éveil originel a été élaboré en fonction de ce dernier. (note)

Il n'est donc guère nécessaire de dire que la doctrine Nichiren, plus tardive, a été établie sur la base de différentes approches de l’Éveil originel (hongaku). Il faut noter cependant qu'il avait sa propre interprétation de la théorie traditionnelle ichinen sanzen et distinguait le principe des trois mille mondes en un instant pensée (ri no ichinen sanzen) et son actualisation (ji no ichinen sanzen) (note). Que voulait dire Nichiren par «actualisation» (ji) ? Son enseignement de ce concept correspondant à de nombreux aspects de son expérience religieuse, il est difficile d'en donner une explication univoque (note). Mais l'approche la plus appropriée serait d’étudier son essence dans son traité, le Kanjin honzon sho  (L'objet de vénération pour observer l'esprit), Nichiren lui-même disant y aborder la question vitale qui le concerne, la raison de sa venue dans ce monde. (Honzon sho soejo (stn) Lettre d'accompagnement du Kanjin honzon sho).

Dans le passage du Kanjin honzon sho qui traite du daimoku en tant que mode de contemplation (stn) afin d’expliquer l'atteinte de la bodhéité par la récitation de daimoku selon le principe tendai d’ichinen sanzen (la bodhéité inhérente à tous les mondes-états), ce principe est résumé par le concept de jikkai gogu. Puis il analyse la façon dont le monde-état des hommes contient l’état de bouddha.  La plus grande partie du texte est consacrée à expliquer pourquoi il en est ainsi, citant des extraits des sutras du Lotus et du Nirvana et s’appuyant sur des arguments logiques et des descriptions concrètes. A la fin le texte dit :

« Une interprétation arbitraire de ces citations pourrait en déformer le sens, mais, essentiellement, elles signifient que les pratiques causales (ingyo) de Shakyamuni et les vertus (katoku) qu'il obtint grâce à elles, sont toutes contenues dans les cinq caractères Myoho Renge Kyo. Si nous croyons en cette phrase, nous obtiendrons naturellement l'Éveil et les mêmes bienfaits que lui. (Kanjin honzon sho (stn)

Ce passage qui expose l'atteinte de la bodhéité par le recevoir-garder (juji) les cinq caractères du daimoku est un texte fondateur de l'actualisation d'ichinen sanzen (ji no ichinen sanzen).

Trois points de ce texte méritent notre attention.

 

1) L’inhérence à l'être humain du monde-état de bouddha n’est pas dissociable du recevoir-garder  les cinq caractères  de daimoku que résume l'expression (juji jobutsu). Du point de vue de l’actualisation, cela équivaut à dépasser la notion tendai de l'inhérence de la bodhéité dans son principe, pour pratiquer le ri-soku-butsu comme l’indique le Mohe zhiguan : «S'il existe la moindre parcelle d'esprit, elle est dotée des trois mille mondes. » (réf.)

 

2) Si les mérites des causes-effets de Shakyamuni  sont transférés à celui qui reçoit-garde le daimoku, cela présuppose la présence constante du Bouddha qui fait ce transfert. Cette affirmation est corroborée par la position centrale que Nichiren accordait au Corps de la fructification (sambhogakaya) dans le trikaya (note).  Cela dit, du point de vue de la notion tiantai  selon laquelle tous les dharmas (phénomènes) sont par nature inhérents à l'esprit, il n'est pas nécessaire de postuler la présence constante du Bouddha.

 

3) Dans la pratique tiantai de l’arrêt et examen-introspection (shikan), les trois mille mondes-états sont supposés être inhérents à l'esprit humain. Mais Nichiren retire provisoirement d’ichinen sanzen  la graine de la bodhéité, et, l'ayant englobée dans les cinq caractères du Dharma Merveilleux (Myoho), la restitue aux êtres humains quand ils reçoivent-gardent le Dharma Merveilleux. D'où la déclaration «les pratiques causales (ingyo) de Shakyamuni et les vertus (katoku) qu'il obtint grâce à elles, sont toutes contenues dans les cinq caractères Myoho Renge Kyo.» Ce point devient plus clair en référence au passage de conclusion du Kanjin no Honzon sho, déjà cité :

« Avec une compassion profonde pour ceux qui ignorent le joyau d'ichinen sanzen, le Bouddha Originel le plaça dans la seule phrase Namu Myoho Renge Kyo, et en orna le cou de ceux qui vivent à l'époque des Derniers jours du Dharma. Les Quatre grands bodhisattvas protégeront quiconque pratique le Dharma Merveilleux. (L'objet de vénération pour observer l'esprit, Sado, 1273)

Cependant, dans le même Kanjin no Honzon sho, nous trouvons un passage qui semble contredire le deuxième point ci-dessus. A propos de l'atteinte de la bodhéité par daimoku il dit :

« Au coeur de notre vie se trouve le Vénéré Shakyamuni qui obtint les Trois Corps du Bouddha avant gohyaku jintengo, le Bouddha Originel depuis le temps sans commencement.» (stn).

Ici, Shakyamuni n'est pas un Bouddha transcendant, objet de la foi, mais le bouddha inhérent à notre propre esprit. Zhiyi, en commentant le chapitre Durée de la Vie du Sutra du Lotus, déclare : « Le présent Sutra expose parfaitement les Trois Corps du Tathagata qui n’est ni vertical (c'est-à-dire atteint par la pratique)  ni horizontal (inhérent dès l'origine) (réf.). Ainsi, on résout la contradiction apparente simplement en disant que le Bouddha de principe (ributsu et le Bouddha d'actualisation  (jibutsu) coexistent dans une relation de non-dualité. Cependant, si nous analysons le Kanjin no Honzon sho, nous devons tenir compte des passages suivants :

« Question 17 : Le Bouddha explique clairement que chacun des dix mondes-états contient lui-même les dix mondes-états en puissance. Néanmoins, il me paraît difficile de croire que nos coeurs impurs puissent contenir le monde de la bodhéité. Si je ne parviens pas à le croire, je deviendrai un icchantika. Que votre grande compassion m'aide à croire  ! Préservez-moi, je vous en prie, de la torture de l'enfer avici !» (stn)

« Question 18 : Le Vénéré Shakyamuni, fondateur de la doctrine, est le Bouddha qui a éliminé chacune des trois illusions. Il est le souverain de tous les êtres sensitifs dans l'univers entier - rois, bodhisattvas, personnes des deux véhicules, hommes et femmes ordinaires et divinités célestes. Dès qu'il fait un pas, Bonten l'accompagne à sa gauche et Taishaku se tient à sa droite. Les quatre congrégations ainsi que les êtres des huit groupes qui protègent le bouddhisme, suivent derrière, tandis que les divinités kongo marchent à l'avant-garde. Avec ses 80000 enseignements, il conduit tous les êtres à la bodhéité. Comment un aussi grand bouddha pourrait-il résider dans notre cœur à nous, personnes ordinaires ? » (stn).

Comme le texte sur la réalisation de la bodhéité par le recevoir-garder le daimoku est donné en tant que réponse définitive à ces questions, la raison pour laquelle le Bouddha Originel peut être présent à l'intérieur de nous est le fait-même de recevoir-garder les cinq caractères du daimoku, car ceux-ci contiennent tous les mérites des pratiques (ingyo) de Shakyamuni et les vertus qui en résultent. En d'autres termes, le passage expliquant que l'on réalise la bodhéité en récitant daimoku, et le passage déclarant que le Bouddha Shakyamuni est inhérent à notre propre esprit, ne sont pas contradictoires. C’est en recevant-gardant le daimoku et donc par le transfert des causes-effets de Shakyamuni qu’est remplie la condition de la présence du Bouddha Originel dans notre esprit. Ainsi, si on ne postule pas une idée de compassion par laquelle le Bouddha nous transférerait son mérite, il serait impossible que le Bouddha Originel puisse exister dans l’esprit imparfait du monde-état des hommes des Derniers jours du Dharma.

Par ailleurs, sans Shakyamuni dans notre propre esprit, il n'y aurait aucune base pour établir Shakyamuni comme objet de culte. De plus, sans la foi, cet objet de culte ne serait pas plus qu'une image inanimée. Tel est le sens de l'affirmation, répétée deux fois dans le Kanjin no Honzon sho (stn) :

« Si un morceau de bois ou de papier n'était pas doté à la fois d'une nature non-matérielle et d'une nature matérielle, ou s'il était privé de la "cause latente" [nyoze in] qui peut lui permettre de manifester une caractéristique spirituelle, il serait vain d'en faire un objet de vénération.»

«Toutefois, sans ichinen sanzen, graine de la bodhéité, les êtres sensitifs ne peuvent pas atteindre la bodhéité, et toute statue ou image prise comme objet de culte serait vénérable en théorie mais pas en réalité. » (stn)

C’est la raison pour laquelle, tout en exigeant une présence constante du Bouddha, l'enseignement de Nichiren refuse la théorie d'un Bouddha extérieur concret considéré comme un objet de foi et différent des hommes ordinaires, comme cela était caractéristique d'autres nouvelles écoles bouddhistes de la période Kamakura. L'établissement de Shakyamuni (le Bouddha) comme celui qui transfère ses mérites à l’homme ordinaire ; les cinq caractères Myo Ho Ren Ge Kyo (Dharma), qui englobent les mérites et vertus de toutes les pratiques causales (ingyo) de Shakyamuni ; le recevoir-garder le Dharma Merveilleux par le pratiquant (Sangha) sont la condition de la présence du monde-état de bouddha dans notre esprit. C'est par ces trois trésors que le point de vue de Nichiren diffère de la théorie traditionnelle d’ichinen sanzen. Mais qu'est-ce qui l'a mené à cette singularité ? Il me semble que c'était l'idée des Derniers jours du Dharma. Le concept de Mappo oblige à une confrontation rude avec la réalité quotidienne. Nichiren, en déplaçant le principe de jikkai gogu vers le Dharma Merveilleux (à condition de le recevoir-garder)  «en orna le cou de ceux qui vivent à l'époque des Derniers jours du Dharma

C'est bien là une fusion entre la pensée de Mappo et la théorie d’ichinen sanzen. Bien que basé sur la notion des Derniers jours du Dharma, l'enseignement de Nichiren fait confiance au pouvoir de l’homme ordinaire. Pour lui la condition humaine et le principe de Mappo se révèlent dans les profondeurs de l'idée de Mappo.  De plus, alors que l’enseignement des trois mille mondes en un instant de pensée est considéré comme le principe ultime du Sutra du Lotus, les hommes ordinaires entravés par l'illusion ne sont pas pour autant déclarés comme incapables d'embrasser le Dharma Merveilleux.

En fait le principe d’ichinen sanzen se trouve ici limité par la notion des Derniers jours du Dharma
This is because the principle of ichinen sanzen is limited by notions of the Final Dharma age.

N.d.T. Traduction littérale mais problématique car plus haut ichinen sanzen est défini comme un absolu sans limites : "principe ultime du Sutra du Lotus" !

Parce que le Dharma est suprême, la personne est digne de respect (réf.)

Quand les hommes ordinaires des Derniers  jours du Dharma reçoivent-gardent le Dharma Merveilleux, leur esprit est lui-même doté du Shakyamuni Originel. Si nous cherchons ce qui correspond à cette idée dans le Sutra du Lotus, nous trouvons la phrase :  «Parce que le Dharma est suprême, la personne est digne de respect » comme le dit  Zhiyi dans son Fahua wenju (Mots et phrases du Sutra du Lotus) à propos du chapitre Maitre du Dharma : «Parce que le Dharma est suprême, la personne est digne de respect ; parce que la personne est digne de respect, la terre est sacrée.». Nichiren cite souvent ces paroles dans ses Écrits. (réf.)

Le Rissho ankoku ron semble exprimer une opinion différente en déclarant :  « Le Dharma est respecté à cause de la personne.» (stn), puis :

« Un pays obtient la prospérité grâce au Dharma bouddhique, et la validité du Dharma est prouvée par ceux qui le pratiquent. Si le pays est détruit et ses habitants anéantis, qui continuera alors à révérer les bouddhas  ? Qui continuera à avoir foi dans le Dharma  ? C'est pourquoi il faut tout d'abord prier pour la sécurité du pays et œuvrer ensuite à établir le Dharma bouddhique. »

Cela met en évidence le fait qu'en pratique il est des êtres humains qui peuvent soit faire prospérer le bouddhisme, soit le détruire, mais n’exprime pas le principe fondamental selon lequel les personnes sont dignes de respect à cause du Dharma qu'elles reçoivent et gardent. (note)

REFERENCES

 

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