Lettre à Horen

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 7, p. 117; SG* p. 508.
Gosho Zenshu p. 1040 - Horen sho

Minobu, le 4e mois de 1275 à Soya Kyoshin

 

Il est dit, dans le quatrième volume du Sutra du Lotus, au chapitre chapitre Hosshi* (X) : "Même si une personne mauvaise, à l'esprit dépourvu de toute bonté, apparaissait devant le Bouddha pendant la durée d'un kalpa, et le maudissait et l'injuriait sans cesse, sa faute serait encore légère. Tandis que la personne qui prononcerait ne serait-ce qu'un seul mot de médisance ou d'insulte à l'égard des laïcs, des moines ou des nonnes qui lisent et récitent le Sutra du Lotus, commettrait une faute très grave."

Le Grand-maître* Zhanlan* commente ce passage ainsi  : "Les bienfaits que procure le Sutra et les principes qu'il enseigne sont de tous les plus élevés. C'est la raison d'une telle déclaration. Rien de pareil n'est dit à propos d'aucun autre sutra."(réf.)

Pour éclairer le sens de ce passage de Sutra, voici la définition que l'on peut donner d'un kalpa. Supposons que la durée de la vie humaine soit de quatre-vingt mille ans et qu'elle diminue d'un an tous les cent ans, autrement dit, de dix ans tous les mille ans. Supposons encore que la longévité continue à diminuer au même rythme jusqu'à ce que la durée de la vie humaine ne soit plus que de dix ans. A ce point, les dix ans d'une personne équivaudraient aux quatre-vingts ans d'un vieillard d'aujourd'hui. Puis le processus s'inverserait : au bout de cent ans, la durée de la vie, augmentant d'un an, deviendrait de onze ans et, cent ans plus tard, de douze ans. Mille ans plus tard, la longévité serait de vingt ans, et elle continuerait ainsi à s'allonger de siècle en siècle jusqu'à atteindre de nouveau quatre-vingt mille ans. On appelle kalpa le temps requis pour achever ce double processus de décroissance et de croissance. Il y a diverses autres définitions d'un kalpa mais, pour le moment, j'utiliserai le mot dans le sens que je viens d'expliquer.

Pendant cette période d'un kalpa, certaines personnes, manifestant de la haine envers le Bouddha, créent ainsi un karma par leurs actions, leurs paroles et leurs pensées. Devadatta fut une personne de ce genre.

Le Bouddha était le fils héritier du roi Shuddhodana, et Devadatta, un fils du roi Dronodana. Ces deux rois étant frères, Devadatta était donc un cousin du Bouddha.

De nos jours comme par le passé, chez les sages aussi bien que chez les personnes ordinaires, on trouve souvent une femme à l'origine d'un conflit. À l'époque où le Bouddha Shakyamuni portait encore le nom de prince Siddhartha, et où Devadatta était prince héritier de son père, le roi Dronodana, un haut dignitaire du nom de Yasha avait pour fille Yashodhara. C'était la femme la plus belle des cinq régions de l'Inde, une véritable apparition céleste dont la réputation de beauté s'était répandue par-delà les quatre océans. Siddhartha et Devadatta étaient tous deux ses prétendants, ce qui suscita une rivalité entre eux.

Par la suite, Siddhartha abandonna la vie séculière pour rechercher l'Éveil, et Devadatta fit comme lui. Il quitta sa famille et entra dans la vie religieuse en prenant pour maître le moine Sudaya. Parce que le Bouddha observait les deux cent cinquante préceptes et se pliait aux trois mille règles de conduite (note), il était admiré des êtres humains aussi bien que célestes, et les quatre sortes de croyants l'honoraient et le révéraient. Mais personne n'accordait autant de respect à Devadatta. Il se demanda donc de quelle façon il pourrait obtenir une notoriété encore plus grande que celle du Bouddha. Devadatta trouva cinq points qui pourraient marquer sa supériorité sur le Bouddha et lui vaudraient le respect de la société. Ils sont énumérés dans le Shibunritsu*. Ce sont : 1) ne se vêtir que de guenilles 2) se nourrir exclusivement d'aumones 3) ne prendre qu'un repas par jour 4) rester constamment dehors en position assise 5) ne jamais manger ni sel ni aucun autre des cinq goûts. Le Bouddha acceptait les vêtements qui lui étaient offerts, mais Devadatta ne se vêtait que de vieux tissus déchirés. Le Bouddha acceptait un repas si on le lui servait, mais Devadatta vivait exclusivement de la nourriture déposée en aumône dans son bol. Le Bouddha mangeait une, deux ou trois fois par jour, mais Devadatta, une fois seulement. Le Bouddha s'abritait parfois dans des cimetières ou sous des arbres, mais Devadatta restait assis toute la journée en plein air. Le Bouddha consentait occasionnellement à prendre des aliments salés ou assaisonnés d'une des cinq fortes saveurs, mais Devadatta les refusait tous. Et parce que Devadatta observait ces règles, les gens en vinrent à le considérer comme bien supérieur au Bouddha, et à penser qu'il y avait autant d'écart entre eux qu'entre des nuages et de la boue.

En agissant ainsi, Devadatta espérait priver le Bouddha du soutien des autorités. Le Bouddha avait pour bienfaiteur et adepte le roi Bimbisara. Chaque jour sans exception, et depuis de nombreuses années, le roi faisait don du chargement de cinq cents chariots au Bouddha et à ses disciples. Devadatta, jaloux d'une telle dévotion et espérant la détourner à son profit, s'allia avec le prince héritier Ajatashatru (note) et le poussa à assassiner son père, le roi Bimbisara. Devadatta en personne voulut attenter à la vie du Bouddha, et lui infligea une blessure en précipitant un rocher sur lui  : tel fut le karma créé par ses actions. De plus, il dénigra et injuria le Bouddha, le traitant de menteur et de fourbe  : tel fut le karma créé par ses paroles. Enfin, dans son coeur, il considérait le Bouddha comme son ennemi depuis des vies antérieures  : tel fut le karma créé par sa pensée. Il n'y eut jamais plus mauvais karma que celui qui résulte d'une telle conjonction de mauvaises actions, mauvaises paroles et mauvaises pensées.

Si un homme aussi terriblement mauvais que Devadatta commettait ces trois types d'actions, physique, verbale et mentale, pendant toute la durée d'un kalpa moyen, s'il maudissait et injuriait le Bouddha Shakyamuni, le frappait à coups de bâtons et manifestait à son égard jalousie et envie, il commettrait sans doute une faute bien lourde.

Notre Terre est d'une épaisseur de 168.000 yojana. Cela lui permet de supporter l'eau des quatre grands océans, la terre et les rochers des neuf montagnes, une infinité de plantes et d'arbres, et toutes les créatures vivantes, sans jamais s'effondrer, basculer ou se briser. Et pourtant, il suffit que Devadatta, un être humain guère plus haut que cinq pieds, commette trois des cinq forfaits pour que la terre immense s'ouvre sous ses pieds et pour qu'il tombe en enfer. La crevasse dans laquelle il fut précipité est encore visible en Inde. Le Maître du tripitaka Xuanzang affirme dans le Saiiki ki (Voyage dans les pays de l'ouest), que lorsqu'il se rendit de Chine en Inde pour approfondir sa connaissance du bouddhisme, il vit ce gouffre de ses propres yeux.

Or, il est dit aussi que, même si l'on ne ressent pas, intérieurement, la moindre animosité envers le Pratiquant du Sutra du Lotus à l'époque des Derniers jours du Dharma, même si l'on ne manifeste pas la moindre jalousie à son égard, seulement en se moquant de lui ou en le traitant à la légère, on encourra des rétributions encore plus graves que celles que dut subir Devadatta pour avoir commis les trois actions mauvaises ou que l'on subirait pour avoir maudit et insulté le Bouddha pendant toute la durée d'un kalpa moyen. Combien plus grave encore est la rétribution à laquelle s'exposeraient des gens de notre époque en agissant en pensée, en paroles et en action comme Devadatta, en conservant un coeur haineux pendant de nombreuses années - en maudissant et dénigrant le Pratiquant du Sutra du Lotus, en le diffamant et l'insultant, en l'enviant et en le jalousant, le rudoyant et le frappant, en le faisant condamner à mort sur la base d'accusations mensongères, et en l'assassinant !

Question. Ceux qui éprouvent de la haine à l'égard du Pratiquant du Sutra du Lotus à l'époque des Derniers jours du Dharma, dans quelle sorte d'enfer tomberont-ils ?

Réponse. Il est dit, dans le deuxième volume du Sutra du Lotus : "Si une personne [calomniait un sutra tel que celui-ci ou] en voyant certains lire, réciter, copier et pratiquer ce sutra, les méprisait, les détestait, les enviait ou éprouvait de la rancune à leur égard, [la sanction encourue par cette personne écoutez, je vais maintenant vous la dire : ] Quand sa vie parviendra à son terme, elle entrera dans l'enfer avici, en restera prisonnière pendant toute la durée d'un kalpa, et à la fin de ce kalpa, mourra de nouveau au même endroit. Elle continuera à répéter ce cycle pendant d'innombrables kalpas."(réf.)

Le palais du roi Yama (Emma) se trouve à cinq cents yojanas sous terre. Et mille cinq cents yojana plus bas, sous le palais du roi Yama, se trouvent huit grands enfers et d'autres sortes d'enfers au nombre de 136. Dans 128 de ces 136 enfers résident les personnes qui ont commis des fautes légères ; les huit grands enfers sont destinés à ceux qui ont commis des offenses graves. Parmi les huit grands enfers, sept sont destinés à ceux qui ont commis l'un ou plusieurs des dix fautes capitales. Le huitième enfer - celui des souffrances incessantes - renferme trois sortes de personnes : celles qui ont commis un ou plusieurs des cinq forfaits, celles qui ont manqué à la piété filiale, et celles qui se sont opposées au Dharma. Le passage que je viens de citer précise que les personnes qui maudissent, insultent ou calomnient le Pratiquant du Sutra du Lotus à l'époque des Derniers jours du Dharma, même s'ils le font sous forme de plaisanterie, tomberont dans cet enfer.

Il est dit encore, au chapitre chapitre Hosshi* (X), dans le quatrième volume du Sutra du Lotus:

"Si une personne recherche la voie du Bouddha / et pendant toute la durée d'un kalpa / [joint les mains en (sa) présence et récite d'innombrables vers élogieux / ces éloges du Bouddha lui vaudront d'incommensurables bienfaits.] Et ceux qui font l'éloge et défendent les pratiquants de ce Sutra obtiendront une bonne fortune encore plus grande."

Le Grand-maître* Zhanlan* commente cela ainsi  : "Ceux qui infligent des vexations ou des troubles [aux pratiquants du Sutra du Lotus] auront la tête brisée en sept morceaux" (réf.). Mais ceux qui leur font des dons goûteront une bonne fortune supérieure à celle de bouddha dotés des dix titres honorables."(réf.)

De tous les êtres humains, les plus respectables sont les Rois-faisant-tourner-la-roue. Quand un roi-faisant-tourner-la-roue est sur le point d'apparaître, son apparition est précédée d'un présage, l'émergence, au beau milieu de l'océan, d'un arbre énorme, l'udumbara, portant fleurs et fruits. Les montagnes des quatre continents s'aplanissent au niveau des océans ; la terre devient aussi ouatée que du coton ; l'eau des mers devient aussi douce que de l'ambroisie, les montagnes se changent en or, et les plantes et les arbres se transforment en sept sortes de joyaux.

Un roi-faisant-tourner-la-roue a le pouvoir d'aller en un instant d'un bout à l'autre des quatre continents ; il est donc servi et protégé par les êtres célestes aussi bien que par les esprits invisibles, et les rois-dragons font tomber la pluie à sa demande. Même une personne ordinaire de faibles capacités, lorsqu'elle est au service d'un tel souverain, peut, elle aussi, se rendre instantanément en n'importe quel lieu des quatre continents. Toutes ces rétributions ont pour seule raison la rigoureuse observance des dix préceptes de bien par les rois-faisant-tourner-la-roue.

À un niveau supérieur à celui des rois-faisant-tourner-la-roue se trouvent Bishamon et ceux que l'on appelle avec lui les quatre Rois du Ciel, grands rois qui règnent librement sur les quatre continents.

Taishaku est le souverain du Ciel Tushita, et, au sommet du monde du désir, réside le Roi-Démon du sixième Ciel qui gouverne le monde des trois plans. Ces êtres ont obtenu leurs pouvoirs en respectant les plus élevés des dix Préceptes de bien et en accomplissant l'acte le plus vertueux, celui qui consiste à faire des dons en toute impartialité à tous les êtres humains.

Daibonten est le plus respecté des Rois-célestes du monde des trois plans. Il réside au sommet du monde de la forme. Le Démon du sixième Ciel et Taishaku sont à son service, et un système majeur de mondes tient dans la paume de sa main. Après avoir pratiqué des méditations encore entachées d'illusions, Daibonten a cultivé les quatre vertus infinies - l'amour-empathie [qui incite à faire du bien aux autres], la compassion [qui pousse à les soulager de leurs souffrances], la joie partagée [ressentie en les voyant devenir heureux] et l' équanimité [l'indifférence à l'amour ou à la haine, qui permet d'agir en toute impartialité].

Au degré supérieur se trouvent les auditeurs-shravakas. Les auditeurs-shravakas sont ceux qui, comme Shariputra ou Mahakashyapa, non contents d'observer les deux cent cinquante préceptes et de pratiquer la méditation libre de toute illusion, ont profondément médité sur la souffrance, la non-substantialité, la non-permanence et le non-soi. Ils ont éliminé toutes les illusions de la pensée et du désir liées au monde des trois plans, et peuvent se déplacer tout à fait librement dans l'eau ou le feu. C'est pourquoi Bonten et Taishaku les assistent.

Ceux qui sont parvenus à l'état de pratyekabuddha sont incomparablement supérieurs aux auditeurs. Ce sont des personnes dont la venue en ce monde rivalise en importance avec celle d'un bouddha. Il y a bien longtemps, en pleine période de famine, vivait un chasseur. Malgré la disette, il offrit un bol de millet à un pratyekabuddha nommé Rida. Cela lui valut de renaître riche et dans les mondes-états des hommes et du Ciel pendant une durée de quatre-vingt-onze kalpas. Il renaquit en ce monde sous la forme d'Aniruddha, un disciple du Bouddha, doté de clairvoyance divine, aux capacités de discernement sans égales.

Le Grand-maître* Zhanlan* commente cela ainsi  : "Un plat de millet est un don minime. Mais parce que celui qui l'offrait donnait tout ce qu'il possédait, et que celui qui le recevait était particulièrement digne de respect, l'auteur de ce don en a été récompensé par de merveilleux bienfaits."(réf.)

Ce commentaire explique que, si infime que soit en apparence le don d'un peu de millet, parce qu'il fut offert à un pratyekabuddha, personne de grande valeur, cette offrande valut à son auteur de renaître vie après vie dans des conditions merveilleuses.

Ensuite, on désigne du nom de bodhisattva des personnes comme Manjushri et Maitreya. Ces grands bodhisattvas sont encore infiniment plus remarquables que les pratyekabuddhas. Un bouddha est un être totalement libéré des quarante-deux étapes de l'obscurité fondamentale, parvenu au niveau de l'Éveil parfait (myogaku) ; il est comparable à la pleine lune dans la nuit du quinzième jour du huitième mois. Les bodhisattvas ont dissipé quarante et une sortes d'illusions liées à l'obscurité fondamentale, parvenant ainsi au sommet de tokaku, l'Éveil presque parfait, l'avant-dernière étape ; ils sont comparables à la lune qui brille dans la nuit du quatorzième jour du huitième mois. Ce grand être que l'on appelle un bouddha est cent, mille, dix mille, cent mille fois supérieur à ceux que j'ai cités plus haut. Un bouddha se distingue invariablement par trente-deux traits caractéristiques. Au nombre de ces attributs se trouvent la voix pure et portant loin, le sommet du crâne que nul ne peut apercevoir, une protubérance de chair en haut du front, semblable au noeud d'un turban, une touffe de poils blancs entre les sourcils (note), et les marques de la roue aux mille rayons. Chacun de ces trente-deux traits est le fruit de cent pratiques méritoires.

Qu'appelle-t-on cent pratiques méritoires  ? Supposons, par exemple, que tous les habitants du Japon, de Chine, des seize grands royaumes, des cinq cents états moyens et des dix mille petites provinces constituant les cinq régions de l'Inde soient atteints de cécité - et même que soient pareillement aveugles tous les êtres vivants du continent de Jambudvipa, des quatre continents, des six Ciels du monde du désir et de la totalité d'un système majeur de mondes. Si un grand médecin était capable de rendre simultanément la vue à tous ces êtres, cet acte constituerait une seule pratique méritoire. Il faut accumuler cent actions vertueuses de ce genre pour obtenir l'un des trente-deux traits traits caractéristiques d'un bouddha.

Par conséquent les actes vertueux que présuppose un seul de ces traits distinctifs sont plus nombreux que toutes les plantes et tous les arbres d'un système majeur de mondes, ou que toutes les gouttes de pluie tombant sur les quatre continents.

Lorsque l'on entre dans un kalpa de déclin, un vent violent se lève, appelé samghata, capable de déraciner le Mont Sumeru et de le soulever jusqu'au sommet du monde de la forme (note) avant de le réduire en poussière. Mais ce vent n'a même pas le pouvoir de faire bouger un seul poil du corps d'un bouddha.

Une grande flamme brûle dans le coeur du bouddha. C'est la flamme de la sagesse équanime*, le feu brillant de la grande connaissance (note) et l'abîme enflammé de la méditation. Lorsque le Bouddha accède au nirvana, ce grand feu jaillit de sa poitrine et consume son corps. Quand bien même les divinités célestes, les dragons et tous les êtres des six Ciels du monde du désir et des quatre océans, par crainte de perdre le Bouddha, s'uniraient afin de faire tomber des pluies assez torrentielles pour inonder les terres de tout un système majeur de mondes et pour emporter le Mont Sumeru, ils n'auraient toujours pas le pouvoir d'éteindre cette flamme gigantesque.

Le Bouddha est donc une personne de grande vertu. Pourtant, le roi Ajatashatru, rassemblant des personnes mauvaises des seize grands royaumes de l'Inde, complotant avec des non bouddhistes venus de partout, et prenant Devadatta pour maître, lança sur les disciples du Bouddha des hordes de malfaiteurs qui les calomnièrent, les attaquèrent et les assassinèrent. Pire encore, il se retourna contre son propre père, un roi sage qui n'avait pas commis la moindre faute, et le fit empaler en sept endroits du corps sur des piquets longs d'un pied. Il alla aussi trouver la reine - cette mère qui lui avait donné la vie - arracha ses peignes précieux et brandit un sabre au-dessus de sa tête. En rétribution de ces crimes affreux, des cloques purulentes apparurent sur sept parties de son corps.

Trois semaines plus tard, le 7e jour du 3e mois, la terre aurait dû s'ouvrir sous ses pieds et le précipiter dans l'enfer avici pour un kalpa entier. Or, parce qu'il se rendit auprès du Bouddha, non seulement ses plaies purulentes guérirent totalement, mais il échappa aux douleurs de l'enfer avici et prolongea sa vie de quarante ans.

Un haut dignitaire du nom de Jivaka, parce qu'il était l'Envoyé du Bouddha, pénétra dans les flammes et parvint à sauver le fils de l'homme riche de Champa (note). A la lumière de tout cela, il est clair que n'importe quel malfaiteur ou n'importe quelle femme, en faisant des dons ou en rendant hommage au Bouddha, ne serait-ce qu'une seule fois, peuvent sans aucun doute parvenir à la bodhéité et atteindre la Voie.

Devadatta possédait trente des Traits caractéristiques mais la touffe de poils blancs entre les sourcils et les marques de la roue à mille rayons sur la plante des pieds lui manquaient encore. Il craignit que ses disciples ne le considèrent comme inférieur parce qu'il possédait deux traits distinctifs de moins que le Bouddha. Aussi ramassa-t-il des lucioles qu'il se colla entre les sourcils pour imiter une touffe de cheveux blancs. Et pour les empreintes de la Roue du Dharma aux mille rayons, il fit fabriquer par un forgeron des chrysanthèmes, en fer rougi au feu, qu'il tenta de s'appliquer sur la plante des pieds, sans autre résultat que de se brûler les pieds. Les brûlures s'infectèrent au point de devenir mortelles, si bien qu'il avoua au Bouddha ce qu'il avait fait. Le Bouddha posa alors la main sur les brûlures et toute douleur disparut.

On aurait pu croire que, dans ces conditions, Devadatta se repentirait et réformerait sa conduite, mais, au contraire, il s'en alla dire partout que Gautama utilisait des procédés de guérisseur et s'adonnait à la magie.
Le Bouddha ne manifesta pas la moindre rancune, même envers de tels ennemis. Comment, alors, pourrait-il abandonner une personne ayant cru en son enseignement, ne serait-ce qu'une fois ?

Telle était la grandeur du Bouddha. On le représenta par des statues de bois ou des peintures, et son image alla partout, comme la statue sculptée en bois par le roi Udayana, ou servit à enseigner les divers sutras, comme la peinture faite par Matanga.

C'est dire à quel point ce personnage appelé Bouddha Shakyamuni, Maître de la doctrine, est respectable. Pourtant, les bienfaits obtenus en lui rendant hommage non pas une heure ou deux, non pas un jour ou deux, mais pendant toute la durée d'un kalpa, - en joignant les mains, en levant les yeux vers le visage du Bouddha, en inclinant la tête, en abandonnant toute autre préoccupation, avec autant de sérieux que si l'on voulait éteindre un feu allumé sur sa propre tête, trouver de l'eau quand on a soif, ou de la nourriture quand on a faim - les bienfaits obtenus en faisant des dons au Bouddha et en lui rendant de cette façon constamment hommage, sont encore bien moindres que ceux que procurent les dons au Pratiquant du Sutra du Lotus à l'époque des Derniers jours du Dharma et le fait d'avoir prononcé son éloge, même sous forme de plaisanterie, ou avec aussi peu de conviction qu'une belle-mère parlant de son gendre ou de sa belle-fille.

Il est dit que les bienfaits ainsi obtenus [en honorant le pratiquant du Sutra du Lotus] sont cent, mille, dix mille, cent mille fois supérieurs à ceux que procure une croyance manifestée par l'action, la parole et la pensée, et des dons au corps vivant du Bouddha pendant la totalité d'un kalpa. C'est ce que veut dire le Grand-maître* Zhanlan* lorsqu'il écrit : "On goûtera une bonne fortune plus grande que celle d'un bouddha doté des dix titres honorables."(réf.)

Les dix titres honorables sont dix épithètes honorifiques attribués au Bouddha. Zhanlan* dit que les bienfaits obtenus en faisant des offrandes au Pratiquant du Sutra du Lotus à l'époque des Derniers jours du Dharma sont plus grands que ceux qui découlent des offrandes à un bouddha doté des dix titres honorables. C'est l'un des vingt points (note) cités par le Grand-maître* Zhanlan* comme preuve de la supériorité du Sutra du Lotus sur tous les autres sutras.

Bien qu'exposés par le Bouddha lui-même, les deux principes (note) évoqués ci-dessus semblent difficiles à croire. Comment des dons faits à un simple mortel pourraient-ils procurer de plus grands bienfaits que des offrandes à un bouddha  ? Mais déclarer que ces principes sont mensongers équivaut à douter des paroles d'or du Bouddha Shakyamuni lui-même, à discréditer le bouddha Taho qui jura qu'elles étaient véridiques, à ne pas tenir compte de ce que signifièrent, en tendant leur langue, tous les bouddhas des dix directions. Ne pas le croire, c'est s'exposer à tomber tout vif dans l'enfer avici. C'est se sentir intérieurement aussi inquiet et mal à l'aise que si l'on tentait l'escalade d'une côte pierreuse en ayant pour monture un cheval sauvage.

À l'inverse, si l'on a foi en ces principes, on devient un bouddha de l'Éveil parfait [myokaku]. En quoi consiste donc la foi dans le Sutra du Lotus  ? Car tenter de pratiquer les enseignements du Sutra sans avoir la foi, c'est comme vouloir aller dans la montagne aux trésors sans avoir de mains, ou comme vouloir faire un voyage de mille lieues sans avoir de jambes pour marcher. Il suffit simplement de nous fonder sur la preuve qui est sous nos yeux pour croire en ce qui est trop lointain pour être visible.

Le 1er jour du 1er mois de sa 80e année, le Bouddha, ayant achevé d'enseigner le Sutra du Lotus, déclara : "Ananda, Maitreya, Mahakashyapa, je suis venu en ce monde pour enseigner le Sutra du Lotus. J'ai réalisé le but fondamental de ma venue en ce monde et je n'ai donc plus de raison d'y demeurer. Dans trois mois, le 15e jour du 2e mois, j'accéderai au nirvana (note)." Tous, disciples du Bouddha aussi bien que non bouddhistes, doutèrent de cette affirmation. Mais le Bouddha ne parle jamais à la légère, et lorsque arriva le 15e jour du 2e mois, il accéda effectivement au nirvana. Les gens reconnurent donc la véracité des paroles d'or du Bouddha et leur accordèrent un certain crédit.

Le Bouddha fit une autre prédiction, en disant : "Cent ans après ma disparition, un grand roi du nom d'Ashoka apparaîtra. Il règnera sur un tiers du continent Jambudvipa et fera ériger 84000 stupas pour honorer mes reliques." Cette affirmation suscita également des doutes mais elle se révéla exacte ; et dès lors, les gens se mirent à avoir foi.

Le Bouddha prédit encore : "Quatre cents ans après mon trépas, règnera un grand roi du nom de Kanishka. Il rassemblera cinq cents arhats qui compileront un ouvrage intitulé Daibibasha Ron*." Cette prédiction se réalisa elle aussi.

Ces preuves conduisirent les gens à avoir foi dans les prédictions du Bouddha. Par conséquent, si les deux principes que j'ai cités étaient mensongers, c'est le Sutra du Lotus dans son entier qui serait discrédité.

Dans le chapitre Juryo* (XVI), le Bouddha déclare qu'il est Bouddha depuis le lointain passé de gohyaku jintengo*. Mais nous ne sommes que des êtres humains ordinaires ; nous nous souvenons à peine de ce qui nous est arrivé depuis notre naissance en cette vie, comment pourrions-nous donc avoir souvenir de ce qui s'est produit au cours d'une ou deux vies antérieures  ? Et comment pourrions-nous croire en quelque événement qui se serait produit dans le passé de gohyaku jintengo* ?

De plus, le Bouddha fit cette prédiction à Shariputra : "À l'avenir, au terme d'un nombre infini de kalpa, tu deviendras un bouddha appelé Keko [Fleur de lumière ou Éclat-Fleuri]"(réf.) Et, à l'intention de Mahakashyapa, il prédit  : "Dans une existence future [...] Et dans son incarnation finale, il sera le bouddha Komyo [Lumière éclatante]."

Tous ces passages du Sutra, néanmoins, concernent un avenir lointain, et nous, simples mortels, avons bien du mal à les croire. Ignorants que nous sommes du passé comme de l'avenir, il nous est difficile d'avoir foi en ce Sutra. Quelle raison aurions-nous de le pratiquer dans ce cas ?

Mais si une personne expose le Sutra en donnant des preuves évidentes de sa véracité au présent, d'autres également auront foi en ce Sutra.

Dans votre déclaration, Horen Shonin, concernant la récitation du Sutra (note) vous dites  : "Pour marquer le treizième anniversaire du décès de mon cher et regretté père, j'ai récité cinq fois le Sutra du Véhicule unique, Myoho Renge Kyo."

On donne au Bouddha Shakyamuni, Maître de la doctrine, le titre de Grand Éveillé, Honoré du monde. Le même caractère chinois utilisé pour écrire "honoré" peut également signifier "élevé", et "élevé" doit être ici compris comme désignant la "piété filiale".

Si le titre d'Honoré du monde fut conféré au Bouddha Shakyamuni, c'est parce qu'il offrait l'exemple le plus achevé de piété filiale.

Le corps du Bouddha Shakyamuni, nimbé d'une couleur dorée, était doté des trente-deux traits. Parmi ces trente-deux traits, se trouvait cette caractéristique du haut de la tête que personne ne peut voir : le Bouddha mesurant seize pieds, le brahmane de l'école du Bâton de bambou fut incapable de mesurer sa taille (note), et le dieu Bonten lui-même n'aurait pu apercevoir le sommet du crâne du Bouddha. D'où les termes "sommet invisible du crâne". Et il obtint cette caractéristique parce que sa grandeur consistait en une piété filiale inégalable.

Il existe deux textes exhortant à la piété filiale. L'un est un ouvrage non bouddhique, c'est le Classique de la piété filiale, par le sage Confucius. Le second est un texte bouddhique, c'est celui que nous appelons maintenant le Sutra du Lotus. Malgré la différence entre les enseignements bouddhique et non bouddhique, ils se rejoignent sur ce point.

Pourquoi Shakyamuni s'entraîna-t-il dans la pratique religieuse pendant autant de kalpa qu'il y a [dans un monde] de grains de poussière, en s'efforçant d'atteindre la bodhéité  ? Dans l'unique désir de concrétiser l'idéal de la piété filiale. Car tous les êtres vivants des Six voies, venus à l'existence par les quatre formes de naissance, sont nos parents.

Par conséquent, tant que Shakyamuni ne parvint pas à leur manifester à tous sa piété filiale, il s'abstint de devenir bouddha.

Le Sutra du Lotus offre à tous les êtres vivants le moyen secret d'atteindre la bodhéité. Il mène jusqu'à l'état de bouddha, une personne dans le monde-état d'enfer, dans le monde-état d'avidité, ou dans chacun des neufs mondes-états de vie, ouvrant ainsi à tous les êtres vivants la voie de la bodhéité. C'est comparable aux noeuds d'une tige de bambou ; si l'on en brise un [la cassure suivant le sens des fibres] tous les autres se brisent aussi. Ou cela pourrait encore se comparer à un mouvement du jeu de go appelé shicho : un seul pion déclaré "mort" entraîne la "mort" de beaucoup d'autres pièces du jeu. Il en va de même pour le Sutra du Lotus.

Le métal a la vertu de découper le bois et les plantes, et l'eau a le pouvoir d'éteindre toutes sortes de feux. De même, le Sutra du Lotus est capable de conduire à l'état de bouddha tous les êtres vivants.

Parmi les simples mortels dans les Six voies et ceux qui ont emprunté les quatre formes de naissance, on compte aussi bien des hommes que des femmes. Et ces hommes et ces femmes furent tous, dans des vies antérieures, nos parents plus ou moins proches. Tant qu'un seul d'entre eux ne peut pas atteindre la bodhéité, nous-mêmes ne pouvons pas devenir bouddha.

C'est pourquoi il fut dit pendant longtemps des personnes des deux véhicules que, parce qu'elles ne savaient pas s'acquitter de leur dette de reconnaissance, elles ne pourraient jamais atteindre la bodhéité. Car elles n'étendent pas à tout l'univers leur sens de la piété filiale.

Le Bouddha s'éveilla au Sutra du Lotus, et comme résultat de la piété filiale qu'il manifesta envers tous ses pères et mères dans les Six voies et envers tous les êtres venus à l'existence par les quatre formes de naissance, sa personne fut comblée de bienfaitss.

Et le Bouddha a le pouvoir de transmettre les effets bienfaisants qu'il a obtenus aux personnes ayant foi dans le Sutra du Lotus. C'est comme la nourriture consommée par une mère aimante qui se change en lait pour nourrir son bébé. Car le Bouddha déclara  : "Maintenant, ce monde des trois plans est mon domaine, et les êtres vivants qui y résident sont tous mes enfants."(réf.)

Shakyamuni, Maître de la doctrine, a pris ces bienfaits pour en faire les mots qui composent le Sutra du Lotus, afin que tous les êtres vivants puissent les porter à la bouche et les goûter. Un bébé ne connaît pas la différence entre l'eau et le feu, ni entre un médicament et un poison. Mais quand il tète le lait maternel, il est nourri et sa vie se développe. Même sans avoir étudié les sutras Agama* comme le fit Shariputra, même sans comprendre le Sutra Kegon* comme l'avait compris le bodhisattva Gedatsugatsu, et même sans avoir appris par coeur, comme l'avait fait le bodhisattva Manjushri, tous les enseignements sacrés exposés par le Bouddha de son vivant, en entendant ne serait-ce qu'un seul caractère ou une seule phrase du Sutra du Lotus, on ne peut manquer d'atteindre la bodhéité.

Les cinq mille personnes outrecuidantes étaient dépourvues de foi et, bien qu'ayant entendu le Sutra du Lotus, ne purent pas le comprendre. Mais, comme elles ne s'y opposèrent pas, trois mois plus tard, elles parvinrent à la bodhéité. Ce sont ces personnes que le Sutra du Nirvana désigne en ces termes : "qu'ils croient ou non, tous renaîtront sur la Terre de Bouddha éternelle."

Lorsqu'il s'agit du Sutra du Lotus, tant qu'une personne, après l'avoir entendu, même sans croyance, ne s'y oppose pas, elle atteindra la bodhéité, aussi mystérieux que cela puisse paraître. C'est comparable à la morsure du serpent appelé "Sept-Pas". On pourra faire encore un pas, puis un autre jusqu'à sept pas, mais pendant ce temps-là le poison fera son effet, et, aussi mystérieux que cela puisse paraître, on tombera avant de pouvoir faire un huitième pas. Ou cela peut se comparer à un embryon de sept jours dans le ventre maternel. En sept jours, cet embryon changera nécessairement de forme. Il ne restera jamais de forme identique.

Vous-même, Horen Shonin, vous vous trouvez à présent dans une situation semblable. Les bienfaits de Shakyamuni, Maître de la doctrine, vous ont déjà été transmis. Et votre corps même est un prolongement du visage et de la forme de votre père décédé.

C'est comme une graine qui donne des pousses, ou une fleur qui produit des fruits. La fleur tombe, mais le fruit demeure ; la graine n'est plus visible, mais la pousse, elle, apparaît sous nos yeux.

Les bienfaits que vous goûtez vous-même sont en fait les trésors de votre père défunt. Quand le pin se développe, le chêne se réjouit ; quand l'herbe se dessèche, les orchidées se fanent. Si des êtres non dotés de conscience, comme les plantes et les arbres, se comportent ainsi, à plus forte raison le font des êtres sensitifs, et plus encore ceux qu'unissent les liens de père et fils.

Dans votre lettre, à propos de la récitation du Sutra, vous écrivez : "Du jour où mon père bienveillant a fermé les yeux jusqu'au treizième anniversaire de son décès, j'ai récité le Jigage devant le Bouddha Shakyamuni et prié pour que le mérite en revienne à l'esprit du défunt."

De nos jours, les habitants du Japon donnent l'impression de croire dans le Dharma du Bouddha. Mais autrefois, avant l'introduction du bouddhisme en ce pays, ils ignoraient tout du Bouddha ou de son Dharma. C'est seulement après la bataille entre Moriya et le prince Jogu que certains adoptèrent la foi bouddhique, et d'autres non.

Il en alla de même en Chine. Après avoir introduit le bouddhisme en Chine, Matanga débattit avec les taoïstes. Quand les taoïstes furent vaincus en débat, certains se convertirent au bouddhisme, mais beaucoup plus ne le firent pas.

Il y eut autrefois en Chine un calligraphe du nom de Wu-long. Son talent était exceptionnel et ses calligraphies, très prisées. Mais, quelle que fut l'insistance avec laquelle on le lui avait demandé, il avait toujours refusé catégoriquement de calligraphier le moindre passage d'un sutra bouddhique. Sur son lit de mort, il fit appeler son fils Yi-long et lui dit : "Tu es né dans notre famille et tu as hérité de ma maîtrise dans l'art de la calligraphie. Je suis ton père et j'exige que, par fidélité à mon égard, tu ne transcrives jamais de textes bouddhiques. Et surtout pas le Sutra du Lotus  ! Laozi que je révère comme mon maître, porte le titre d'Honoré du Ciel. Il ne peut y avoir deux soleils dans le même ciel ; pourtant, dans le Sutra du Lotus, le Bouddha déclare : "Moi seul ai ce pouvoir [d'aider et de protéger les autres]  ! (réf.) C'est une affirmation absurde  ! Si tu trahis ma dernière volonté et si tu copies un texte bouddhique quel qu'il soit, je me changerai instantanément en un esprit maléfique qui viendra t'ôter la vie."

Il n'eut pas plus tôt prononcé ces mots que sa langue se fendit en huit, sa tête se brisa en sept morceaux, le sang jaillit de ses cinq organes des sens et il mourut. Mais son fils, incapable de distinguer le bien du mal, ne comprit pas que si son père avait manifesté ces symptomes épouvantables, c'était parce qu'il était tombé dans l'enfer avici pour s'être opposé au Dharma bouddhique. Le fils respecta donc les dernières volontés de son père, et s' abstint de transcrire - et à plus forte raison de réciter - des sutras bouddhiques.

Un certain temps s'écoula ainsi. Le souverain de l'époque s'appelait Si-ma. Désirant faire exécuter des copies du Sutra pour une cérémonie bouddhique, il voulut connaître le nom du meilleur calligraphe du pays. On lui répondit que c'était Yi-long. Il convoqua donc ce dernier et lui exprima son désir. Mais Yi-long refusa avec obstination. Voyant qu'il ne le ferait pas changer d'avis, le souverain ordonna à un autre calligraphe de copier le texte du Sutra, mais il ne fut pas satisfait du résultat. Il convoqua donc de nouveau Yi-long à la cour, et lui dit : "Par respect pour les dernières volontés de votre père, vous refusez de faire cette copie du Sutra que je vous demande. Cela ne me paraît pas une excuse acceptable, mais je m'en contenterai pour l'instant, si toutefois vous écrivez au moins les titres de chaque chapitre."

Par trois fois, le souverain renouvela son ordre, mais Yi-long refusa obstinément. Le souverain, son visage exprimant visiblement la colère, lui dit alors : "Tout ce qui est au ciel comme sur terre est gouverné par le souverain  ! Votre père défunt n'était-il pas l'un de mes sujets  ? Rien ne vous autorise à négliger votre devoir d'intérêt public pour de simples motifs privés  ! Je vous ordonne de copier au moins les titres du Sutra. Sinon, même si cela devait avoir lieu lors d'une cérémonie bouddhique, je vous ferai décapiter sur le champ  ! "

Yi-long calligraphia donc uniquement le titre du Sutra, copiant : Myoho-renge-kyo, volume un et ainsi de suite jusqu'au volume huit.

Dans la soirée du même jour, en rentrant chez lui, il se lamenta : "J'ai trahi les dernières volontés de mon père sous la contrainte d'un ordre donné par le souverain  ! J'ai transcrit un sutra bouddhique et j'ai manqué à mon devoir de piété filiale. Les divinités du Ciel comme celles de la terre ont dû éprouver de la colère en me voyant faire, et me considérer comme un fils indigne  ! "

Et sur ces mots, il alla se coucher. Pendant la nuit, il eut un rêve. Dans une grande lumière, aussi forte que le soleil à l'aube, un être céleste lui apparut et se tint, debout dans son jardin, accompagné d'une suite nombreuse. Dans les airs, au-dessus de la tête de cet être céleste, se trouvaient soixante-quatre bouddha. Yi-long joignit les mains et demandai : "Qui êtes-vous donc, habitant des cieux  ? "

L'être céleste lui répondit : "Je suis ton père, Wu-long. Parce que je m'opposais au Dharma du Bouddha, ma langue s'est fendue en huit morceaux, le sang a jailli de mes cinq organes des sens, ma tête s'est brisée en sept, et je suis tombé dans l'enfer avici. Les énormes douleurs ressenties au moment de ma mort étaient déjà épouvantables, mais celles que je subis ensuite dans l'enfer avici furent cent, mille, cent mille fois plus effroyables  ! La douleur d'un être humain, si on lui arrachait les ongles avec un couteau mal aiguisé, ou si on lui découpait la tête avec une scie, si on le contraignait à marcher sur des braises brûlantes ou si on l'emprisonnait dans une herse - tout cela ne serait rien comparé aux souffrances endurées dans cet enfer. J'aurais tant voulu pouvoir te dire où je me trouvais, mais c'était impossible. Ah  ! quel indicible regret j'éprouvais de t'avoir donné pour dernière instruction, au moment de ma mort, de ne jamais copier de sutra bouddhique  ! Mais il était trop tard, les remords étaient aussi inutiles que la haine que j'éprouvais envers moi-même, maudissant ma langue d'avoir prononcé ces mots.

"Puis, hier matin, le premier caractère du titre du Sutra du Lotus, Myo, apparut, voletant dans les airs au-dessus du chaudron de l'enfer avici, et, là, il se changea en un Bouddha Shakyamuni nimbé de couleur dorée. Il possédait les trente-deux traits caractéristiques d'un bouddha, et son visage était aussi épanoui que la pleine lune. D'une voix forte, il déclara : "Même de simples mortels, ayant détruit des bonnes causes en assez grand nombre pour emplir tout l'univers, parviendront immanquablement à l'Éveil s'ils entendent ne serait-ce qu'une fois le Sutra du Lotus."

"Puis, venant de ce seul caractère [myo], une forte pluie se mit à tomber qui éteignit les flammes de l'enfer avici. Le roi Yama inclina sa couronne en signe de respect, les gardiens de l'enfer jetèrent leurs bâtons et se mirent au garde-à-vous, et tous les prisonniers de l'enfer regardèrent autour d'eux, stupéfaits, en se demandant ce qui allait se passer.

"Alors, le caractère Ho apparut dans les airs et opéra la même métamorphose que le précédent, suivi du caractère Ren, du caractère Ge, et du caractère Kyo. De la même manière, soixante-quatre caractères apparurent en volant et se transformèrent en soixante-quatre bouddha. La présence de ces soixante-quatre bouddha dans l'enfer avici était comparable à l'apparition de soixante-quatre soleils et lunes sous la voûte céleste. Une douce pluie d'ambroisie tomba du ciel pour désaltérer les prisonniers.

Ceux-ci demandèrent quelle était la raison de tant de bienfaits. Les soixante-quatre bouddha répondirent : "Nos corps nimbés d'or ne sont pas faits en bois de santal ; ils ne proviennent pas non plus d'une montagne aux trésors. Nous sommes les huit fois huit caractères, les soixante-quatre caractères composant les titres des huit volumes du Sutra du Lotus, copiés par Yi-long, le fils de Wu-long, qui se trouve ici dans l'enfer avici. La main de Yi-long appartient à un corps conçu par Wu-long, et les caractères écrits de la main de son fils, c'est comme si Wu-long les avait écrits de sa propre main."

En entendant cela, les prisonniers de l'enfer avici se dirent : "Quand nous vivions dans le monde Saha, nous aussi, nous avions des enfants, une épouse et des proches. Nous nous sommes demandé pourquoi aucun d'eux ne priait pour notre repos. Et nous avons pensé que, même s'ils le faisaient, leurs prières n'avaient peut-être pas assez de force pour qu'un effet bénéfique parvienne jusqu'à nous. Nos constantes lamentations n'y ont rien changé. Un jour, deux jours, une année, deux années, un demi kalpa, un kalpa entier se sont écoulés jusqu'à ce que nous rencontrions enfin un bon ami bouddhique et maintenant nous sommes sauvés  ! "

Ainsi chacun de nous est devenu disciple [de ces bouddhas] et nous allons bientôt monter au Ciel Trayastrimsha. Avant notre départ, je suis venu m'incliner devant toi." Telles furent les paroles prononcées par l'être céleste.

Dans son rêve, Yi-long débordait de joie. Après le décès de son père, il s'était demandé dans quel monde il le reverrait. Et maintenant, il le reconnaissait, en même temps qu'il découvrait les bouddhas qui l'accompagnaient. Puis les soixante-quatre bouddha déclarèrent : "Nous ne servons aucun maître en particulier. Vous serez notre bienfaiteur. A dater d'aujourd'hui, nous vous garderons et vous protègerons comme un membre de notre propre famille. Ne vous relâchez jamais. Et, au terme de votre vie, nous ne manquerons pas de venir vous chercher pour vous conduire dans la cour intérieure du Ciel Tushita." Telle fut la promesse faite.

Empli d'admiration respectueuse, Yi-long fit ce serment : "A dater de ce jour, jamais plus je ne calligraphierai un seul caractère d'écrits non bouddhiques." Son attitude était identique à celle du bodhisattva Vasubandhu jurant de ne plus jamais réciter les sutras du Hinayana, ou celle de Nichiren déclarant qu'il ne réciterait jamais plus le nom du bouddha Amida.

Une fois éveillé de son rêve, Yi-long le rapporta au souverain. Ce dernier émit alors un décret disant : "Maintenant, la cérémonie bouddhique que je projetais a déjà eu lieu. Une prière devra être écrite pour relater ce qui s'est passé." Yi-long obéit au décret royal. Le résultat fut que des gens, en Chine comme au Japon, commencèrent à avoir foi dans le Sutra du Lotus. Ce récit se trouve dans un texte chinois intitulé Hokke denki.  

J'ai décrit ici les bienfaits découlant de la copie du Sutra. La copie des sutras, l'une des cinq pratiques, ne procure encore que des bienfaits limités. Combien plus grands encore sont ceux que l'on obtient en lisant ou en récitant le Sutra  ! Ils sont sans limite.

Quant aux bienfaits que vous obtiendrez vous-même pour avoir conduit une pratique pour le repos du défunt en récitant le Jigage chaque matin pendant treize ans, ils "ne peuvent être compris et partagés que par des bouddhas."(réf.)

Le Sutra du Lotus est la charpente de tous les enseignements sacrés exposés par le Bouddha de son vivant, et la partie Jigage est l'âme des vingt-huit chapitres du Sutra. Le chapitre Juryo* (XVI) est la vie même des divers bouddhas dans les trois phases de la vie, et le Jigage est aussi précieux que leurs propres yeux pour les bodhisattvas des dix directions.

Mais, en les décrivant moi-même, je ne pourrais que dévaluer les bienfaits découlant du Jigage. Car le chapitre suivant, Fumbetsu kudoku* (XVII) développe ce point longuement. Il y est dit que le nombre des personnes devenues bouddhas après avoir entendu le Jigage est aussi grand que celui des particules de poussière d'un système mineur ou d'un système majeur de mondes. De plus, ceux qui sont parvenus à l'Éveil à l'écoute des six chapitres commençant par le chapitre Yakuo* (XXIII) sont simplement ceux qui, après avoir obtenu les bienfaits du Jigage, n'étaient pas encore parvenus à l'Éveil. Et le Bouddha énuméra de nouveau, à l'intention des cinquante-deux sortes d'êtres rassemblés pour entendre le Sutra du Nirvana en quarante volumes, les bienfaits procurés par la pratique du Jigage.

Cela devient ainsi évident : les grands bodhisattvas, les êtres célestes et autres, aussi nombreux que les grains de poussière de tous les mondes des dix directions, qui se rassemblèrent, telle une nébuleuse, pour entendre le Bouddha enseigner le Sutra Kegon* sur le lieu où il parvint à l'Éveil ; les divers sages présents lorsqu'il enseigna les sutras Daijuku et Daibon ; les honorés, au nombre de mille deux cents et plus, qui écoutèrent les sutras Vairocana* et Kongocho* - tous à un moment donné, dans une vie antérieure, avaient entendu la partie Jigage du Sutra du Lotus. Mais parce que leur foi était faible, une période d'une longueur incalculable - sanzen jintengo* et gohyaku jintengo* - s'écoula sans qu'ils puissent atteindre l'Éveil. Lorsqu'ils rencontrèrent le Bouddha Shakyamuni, toutefois, les bienfaits du Sutra du Lotus qui leur étaient déjà acquis ont commencé à jouer en leur faveur, et ils parvinrent à l'Éveil grâce aux sutras antérieurs au Sutra du Lotus, sans avoir besoin d'attendre l'enseignement donné à l'Assemblée du Pic du Vautour.

Ainsi, c'est en prenant le Jigage pour maître que tous les bouddhas des dix directions ont atteint la bodhéité. Le Jigage est comme le père et la mère de toutes les personnes du monde entier.

Ceux qui croient dans le chapitre Juryo* (XVI) du Sutra du Lotus soutiennent la vie des bouddhas. Un bouddha pourrait-il abandonner ceux qui pratiquent précisément le Sutra qui leur a permis d'atteindre l'Éveil  ? Si c'était le cas, ce serait comme si un bouddha abandonnait son propre corps.

Imaginez, par exemple, qu'une femme ait pour enfants trois mille guerriers aussi redoutables que Tamura ou Toshihito. Qui donc voudrait l'avoir pour ennemie  ? Ne serait-ce pas comme être confronté à trois mille généraux ennemis  ? De même, celui qui s'attaque aux pratiquants du Jigage du Sutra du Lotus aura pour ennemis tous les bouddhas des trois phases de la vie.

Tous les caractères utilisés pour écrire le Sutra du Lotus sont des bouddhas vivants. Mais, avec nos yeux de simples mortels, nous ne les voyons que comme des caractères. C'est comparable à la vision du Gange. Les esprits faméliques* y voient une rivière de flammes  ; les êtres dans le monde-état des hommes y voient de l'eau ; et les êtres dans le monde-état du Ciel y voient le doux nectar d'ambroisie. L'eau est toujours la même, mais chaque être la voit de façon différente, en fonction de ses propres rétributions karmiques.

Quant aux caractères du Sutra du Lotus, un aveugle ne les voit pas du tout. Les yeux d'un simple mortel les voient de couleur noire. Les personnes des deux véhicules y perçoivent la non-substantialité. Les bodhisattvas les voient de différentes couleurs, tandis que ceux dont les graines de la bodhéité sont arrivées à maturité les reconnaissent comme des bouddhas. C'est pourquoi il est dit dans le Sutra : "Ceux qui garderont ce Sutra garderont le corps du Bouddha."(réf.) Et le Grand-maître* Zhiyi* écrivit : "Ce sutra Myoho Renge Kyo*, devant lequel je m'incline - dans le seul casier qui le contient, avec ses huit rouleaux, ses vingt-huit chapitres et chacun de ses 69 384 caractères - est le véritable Bouddha qui enseigne le Dharma bénéfique à tous les êtres vivants."

A la lumière de tout cela, on pourrait dire que chaque matin lorsque vous récitez le Jigage, moine Horen, ce sont des caractères dorés qui sortent de votre bouche. Ils sont au nombre de 510, et chacun d'eux se change en soleil, et chacun de ces soleils se change en un Bouddha Shakyamuni. Il émane de ces bouddhas une lumière éclatante qui illumine toute la Terre et qui éclaire les trois voies mauvaises ainsi que la grande citadelle de l'enfer avici. Cette lumière brille aussi à l'Est, à l'Ouest, au Sud et au Nord, montant jusqu'au sommet du monde (note) où il n'y a plus ni pensée, ni absence de pensée. Ces bouddhas se rendent dans le monde où réside votre père défunt, où qu'il se trouve, et s'adressent à lui.

"Qui croyez-vous que nous sommes  ? " demandent-ils. "Nous sommes les caractères du Jigage du Sutra du Lotus que votre fils Horen récite chaque matin. Ces caractères seront vos yeux, vos oreilles, vos pieds et vos mains  ! " Voilà ce qu'ils auront à coeur de lui dire.

Alors, votre défunt père répondra : "Horen est plus que mon fils. Il est mon bon ami bouddhique." Et il se tournera vers le monde Saha en s'inclinant avec respect. Car votre attitude est celle de la véritable piété filiale.

Nous parlons de la pratique du Sutra du Lotus. C'est un Sutra unique, mais la façon de le pratiquer peut varier en fonction du temps. Il y a des époques où l'on devient bouddha en s'arrachant la peau pour en faire don à son maître. D'autres où l'on fait de son corps un tapis pour l'offrir à son maître, ou bien une bûche pour alimenter les flammes. D'autres encore, où les pratiquants de ce Sutra reçoivent des coups de canne et de bâton, pratiquent l'ascèse ou observent divers préceptes. Mais il peut y avoir des moments où, malgré ces pratiques, il reste impossible de devenir bouddha. Tout cela est fonction du temps et n'est pas fixé de manière immuable. C'est pourquoi le Grand-maître* Zhiyi* écrivit qu'il fallait utiliser la méthode "en fonction du temps"(réf.). Et le Grand-maître* Guanding*  : "Il faut choisir la méthode qui convient au temps et ne jamais adhérer exclusivement à l'une ou à l'autre."(réf.)

Question. À quelle époque faut-il faire don de son propre corps et à quelle époque faut-il observer les préceptes ?

Réponse. Le sage est celui qui, comprenant le temps, propage les enseignements du Sutra du Lotus par la méthode qui y correspond ; c'est sa tâche la plus importante. Ceux qui ont soif ont besoin d'eau, et non d'arcs et de flèches, d'épées ou de bâtons. Une personne nue désire des vêtements, l'eau ne lui sert à rien. Un ou deux exemples permettent de saisir un principe valable pour dix mille autres.

Si le Sutra du Lotus était propagé par un grand ogre, il faudrait lui faire don de notre propre chair. Il ne servirait à rien de lui offrir une autre sorte de nourriture, ou des vêtements.

Si un mauvais roi essaye de faire disparaître le Sutra du Lotus, même si l'on doit pour cela risquer sa propre vie, il ne faut pas le suivre. Et si des moines éminents, observant les préceptes et des pratiques ascétiques, détruisent en réalité l'enseignement du Sutra du Lotus tout en faisant semblant de le propager, il faut en prendre clairement conscience et les réprimander.

Il est dit dans le Sutra du Lotus  : "Nous faisons peu de cas de notre corps ou de notre vie, notre seule préoccupation est la Voie insurpassable."(réf.) Et dans le Sutra du Nirvana  : "[L'Envoyé du Bouddha] doit transmettre les mots de son souverain sans en omettre un seul, même au risque de sa vie." Le Grand-maître* Guanding* commente cela ainsi  : "Sans omettre un seul mot, même au risque de sa vie" signifie que notre corps est de moindre importance que le Dharma, qui est suprême. Il faut être prêt à risquer sa vie pour propager le Dharma."(réf.)

Apparemment, de nos jours, il n'existe pas, dans le Japon entier, de personne plus mauvaise que moi, Nichiren. Parmi les cent, mille, dix mille, cent mille personnes des quatre congrégations qui peuplent les soixante-six provinces et les deux îles proches (note) de notre pays, tous me haïssent, qu'ils soient de haute comme de basse condition. Au cours des plus de sept cents ans écoulés depuis l'introduction du bouddhisme au Japon, personne n'a jamais été à ce point détesté pour sa fidélité au Sutra du Lotus. Je n'ai jamais entendu parler d'un cas semblable en Inde ou en Chine, et je ne crois pas non plus qu'il ait pu exister. Je suis donc l'être le plus haï de tout le continent du Jambudvipa.

Et, dans cette situation, par crainte de l'autorité shogounale et des moqueries des gens du peuple, même les membres de ma famille n'osent pas me rendre visite, et encore moins les autres. Des gens qui me sont redevables, non seulement sur le plan bouddhique mais du simple point de vue de la bienséance en société, par crainte du regard des autres et pour faire taire les critiques, font semblant de me condamner même si, au fond du coeur, ils pensent différemment.

J'ai été attaqué à plusieurs reprises et, par deux fois, j'ai suscité la colère du gouvernement. Je ne suis pas seul à avoir été victime de sanctions ; certains, pour m'avoir rendu visite, ont été officiellement punis, ont eu leurs terres confisquées, ont été soit démis de leurs fonctions par leurs seigneurs, soit abandonnés par leurs parents ou leurs frères. Il en a résulté que même ceux qui m'avaient suivi à un moment donné m'ont abandonné, et maintenant, personne ne me suit.

Tout dernièrement, surtout, j'ai été condamné à mort mais, pour une raison que j'ignore, le gouvernement a préféré m'exiler sur l'île de Sado. Parmi tous ceux qui y sont envoyés, beaucoup meurent ; rares sont ceux qui survivent. Et après être finalement parvenu sur mon lieu d'exil, j'ai été traité comme un criminel coupable de pire crime encore qu'un meurtre ou une rébellion.

Dès mon départ de Kamakura, chaque jour de mon voyage vers Sado semblait m'amener de nouveaux ennemis, toujours plus puissants. Je ne rencontrais que des adeptes du Nembutsu. En traversant champs et montagnes, je prenais par méprise le sifflement du vent dans les herbes et les branchages pour une attaque de mes ennemis.

Je suis arrivé enfin sur l'île de Sado. C'est une région du nord où les vents sont particulièrement forts en hiver. La neige y est épaisse, mes vêtements étaient minces et la nourriture rare. J'ai alors compris comment le mandarinier à feuilles simples, lorsqu'on le transplante dans un lieu différent, se change naturellement en un oranger à feuilles triples.

Mon logis était une cabane de chaume délabrée au milieu d'un champ envahi par les mauvaises herbes, où l'on ensevelissait les morts. La pluie coulait par le toit et les murs ne protégeaient pas du vent. Jour et nuit, j'entendais seulement le son du vent sifflant jusque dans mes oreilles, et je n'avais d'autre vision chaque matin que celle de la neige recouvrant à perte de vue les chemins. J'avais l'impression d'être tombé tout vif dans le monde des esprits faméliques* et d'avoir été précipité dans l'un des enfers froids. Su Wu demeura captif pendant dix-neuf ans chez les Barbares du Nord en mangeant de la neige pour survivre, et Li Ling vécut pendant six ans dans une grotte, vêtu d'un manteau de paille : leur expérience devenait la mienne.

Maintenant, ma condamnation à l'exil a été levée. Mais, ne trouvant pas de lieu où résider en sécurité à Kamakura, je ne pouvais y rester plus longtemps. Si bien que, sous les pins et parmi les rochers de cette montagne, je dissimule mon corps et m'efforce de garder l'esprit en paix. Toutefois, je n'ai pour toute nourriture que de la terre nue, et pour seuls vêtements, des plantes et des branchages. Je me demande quel sentiment vous a poussé à traverser cette contrée désertique pour venir me rendre visite en ce lieu.

Peut-être êtes-vous habité par l'esprit de mes défunts père et mère. Ou serait-ce un bienfait envoyé par l'Honoré du monde à l'Éveil parfait  ? Je ne peux empêcher mes larmes de couler !

Question. Vous parlez du grand tremblement de terre de l'ère Shoka [1257] et de la grande comète apparue à l'ère Bun'ei, et vous affirmez que, parce que notre pays ne respecte pas le Sutra du Lotus, il sera bientôt confronté à des guerres civiles et à une invasion étrangère. Comment arrivez-vous à cette conclusion ?

Réponse. Des anomalies d'une telle envergure, dans le ciel comme sur la terre, ne se trouvent mentionnées nulle part dans les plus de trois mille volumes d'écrits non bouddhiques. Les tremblements de terre les plus importants décrits dans les Trois Annales, les Cinq Canons et le Shi Ji [Annales de l'historien], étaient longs d'un ou deux pieds, de dix ou vingt pieds, de cinquante ou soixante pieds tout au plus, mais on n'a jamais vu de comète envahir le ciel tout entier. Il en va de même pour la magnitude des tremblements de terre qui y sont décrits. Et, en étudiant les écrits bouddhiques, nous voyons que, depuis la disparition du Bouddha, aucun présage de cette sorte n'est jamais apparu.

Même en Inde, lorsque le roi Pushyamitra détruisit les enseignements du bouddhisme dans les cinq régions, fit brûler les temples et les pagodes des seize royaumes et fit décapiter les moines et les nonnes, aucun présage de la sorte n'est apparu.

En Chine non plus, rien de tel ne se produisit quand l'empereur de l'ère Huichang [Wu-zong] détruisit les 4600 temples et monastères et contraignit 260 500 moines et nonnes à revenir à la vie séculière. Dans notre propre pays, quand le bouddhisme fut introduit sous le règne de l'empereur Kimmei, Moriya s'opposa à cet enseignement. Par la suite, Kiyomori fit incendier les sept principaux temples de Nara, et les moines du Mont Hiei réduisirent en cendres le temple Onjo-ji, mais à aucun moment une comète d'une telle envergure n'apparut.

J'ai voulu faire savoir aux gens que des événements d'une gravité sans précédent étaient sur le point de se produire en ce monde du Jambudvipa. J'ai donc rédigé un ouvrage, le Rissho Ankoku ron et l'ai présenté à sa seigneurie le nyudo de Saimyo-ji. Dans ce texte, je disais principalement : "Ce phénomène d'une gravité exceptionnelle [le grand tremblement de terre] présage que notre pays est sur le point d'être envahi et détruit par un pays étranger. Il en sera ainsi parce que les moines du Zen, du Nembutsu et d'autres écoles veulent faire disparaître le Sutra du Lotus. Si ces moines ne sont pas décapités et leur tête jetée sur la plage de Yuinohama à Kamakura (note), ce pays sera détruit."

Par la suite, lorsque la grande comète de l'ère Bun'ei apparut, j'eus l'impression d'avoir la preuve du désastre dans la paume de ma main.

Le 12e jour du 9e mois de la 8e année de Bun'ei(1271), alors que j'étais persécuté par les autorités, j'ai lancé de nouveau cet avertissement : "Je suis le pilier du Japon. Me faire disparaître, c'est entraîner la disparition du pays tout entier  ! " Je savais que cet avertissement n'avait alors aucune chance d'être entendu, mais je tenais à le dire quand même, pour que l'on s'en souvienne à l'avenir.

De plus, le 8e jour du 4e mois de l'année dernière (1274), lors de mon entretien avec lui, Hei no Saemon-no-jo m'a demandé à quel moment les forces mongoles envahiraient le Japon. Je lui ai répondu que les textes du Sutra n'indiquaient pas clairement le mois et le jour, mais que, puisque les yeux du ciel avaient manifesté récemment une telle colère, cela se produirait probablement avant la fin de cette année.

Certains se demanderont peut-être comment je peux savoir cela. Je ne suis qu'une personne de condition modeste, mais je travaille à propager les enseignements du Sutra du Lotus. Quand le souverain, les ministres, et le peuple d'un pays sont hostiles envers le Pratiquant du Sutra du Lotus, les divinités de la terre et les divinités du Ciel, présentes lorsque le Sutra du Lotus fut enseigné, et qui ont fait voeu de le protéger, se mettront les unes à trembler de colère et les autres à émettre de la lumière pour menacer ce pays. Et si, malgré les remontrances du Pratiquant du Sutra du Lotus, le souverain et ses ministres négligent ses avertissements, en définitive, les divinités posséderont les êtres humains et pousseront les uns à se révolter à l'intérieur, et les autres à l'attaquer de l'étranger.

Question. Sur quelles preuves appuyez-vous ce que vous avancez   ?

Réponse. Dans un sutra il est dit  : "Parce que l'on respecte et favorise des personnes mauvaises tout en punissant des justes, les étoiles et les constellations, les vents et les pluies, rien ne suit plus l'ordre habituel des saisons."(réf.)

Car le ciel et la terre sont le miroir d'un pays. Dans le nôtre, des événements inhabituels se produisent, dans le ciel comme sur terre. C'est l'indication que le gouvernement commet quelque erreur. Cela apparaît aussi clairement que dans un miroir, de manière indiscutable. Si le souverain d'un pays n'est coupable que de petites erreurs, seules des calamités mineures apparaissent dans le miroir céleste. Mais si nous assistons actuellement à un grand désastre, c'est nécessairement que le souverain commet une erreur majeure.

Dans le Sutra Ninno* sont mentionnés d'innombrables désastres mineurs, vingt-neuf sortes de désastres moyens, et sept sortes de grands désastres. Ce sutra a pour titre "Roi bienveillant" mais il est aussi appelé "Miroir du Ciel et de la Terre". Et il a la fonction d'un miroir du ciel et de la terre dans lequel se reflète clairement l'image du souverain d'un pays. Il est dit encore dans ce sutra : "Lorsque les sages s'en sont allés, immanquablement, les sept désastres apparaissent."

Il faut comprendre, d'après cela, qu'il y a un grand sage dans notre pays et que le souverain n'a pas foi en son enseignement.

Question. Pourquoi, aux époques précédentes, quand les temples bouddhiques ont été détruits, de tels présages ne sont-ils pas apparus  ?

Réponse. L' ampleur des présages varie selon la gravité des fautes. Il en est de grands et de petits.

Les présages sans précédent apparus à notre époque ont de quoi faire réfléchir. Ces phénomènes ne se sont pas seulement produits une fois ou deux, en quelques occasions sans lendemain. Ils sont devenus de plus en plus fréquents au fil des années et des mois. C'est là l'indication que les erreurs commises par l'actuel souverain du pays sont plus graves que celles des rois du passé ; et c'est une erreur plus grave pour un souverain de maltraiter un sage que de tuer un grand nombre de ses sujets, plusieurs de ses ministres, ou même ses propres parents.

Au Japon, de nos jours, le souverain, ses ministres et les gens du peuple commettent des fautes plus graves qu'on n'en vît jamais en Inde, en Chine ou n'importe où ailleurs sur tout le continent du Jambudvipa, en plus de 2 220 ans depuis la disparition du Bouddha. C'est comme si tous ceux qui, dans les mondes des dix directions, sont coupables de l'un ou l'autre des cinq forfaits, s'étaient rassemblés en un seul lieu.

Les moines de ce pays sont tous possédés par l'esprit de Devadatta ou de Kokalika ; le gouvernant est une réincarnation des rois Ajatashatru ou Virudhaka. Quant aux ministres et aux gens du peuple, on pourrait croire que de mauvais ministres comme Varshakara et Chandraprabha se sont joints à des personnes mauvaises comme Sunakshatra et Girika pour constituer le peuple du Japon.

Par le passé, quand deux ou trois personnes se rendirent coupables de l'un des cinq forfaits ou manquèrent à la piété filiale, le sol s'ouvrit sous leurs pieds et les engloutit. Mais actuellement, le pays tout entier regorge de telles personnes. Par conséquent, c'est la terre tout entière qui devrait s'ouvrir instantanément sous le Japon, pour précipiter l'ensemble du pays dans l'enfer avici. Il n'y a aucune raison pour qu'elle s'ouvre et n'engloutisse qu'un ou deux êtres humains.

On peut comparer cela à une personne qui, prenant de l'âge, arrache un cheveu blanc apparu ici ou là dans sa chevelure. Quand cette personne est vraiment très âgée, tous ses cheveux sont blancs, il est donc inutile de vouloir les arracher un par un. Elle n'a plus d'autre choix que de les raser tous à la fois.

Question. Vous dites que ces phénomènes étranges, dans le ciel et sur la terre, se produisent parce que vos remontrances sont ignorées et que vous êtes un Pratiquant du Sutra du Lotus. Mais il est dit, dans le huitième volume du Sutra : "Ils auront la ête brisée en sept morceaux."(réf.) Et dans le cinquième volume, on lit  : "Ceux qui médiront [du Pratiquant du Sutra du Lotus] ou l'insulteront auront la bouche close et les lèvres scellées."(réf.) Pourquoi rien de pareil n'arrive-t-il à ceux qui vous calomnient et vous haïssent depuis tant d'années ?

Réponse. Laissez-moi vous poser une question à mon tour. Ceux qui calomnièrent, insultèrent et battirent le bodhisattva Fukyo eurent-ils les lèvres scellées ou la tête brisée ?

Question. [Non]. Mais dans votre cas, la réalité est différente de ce qui est écrit dans le Sutra, n'est-ce pas ?

Réponse. Il se trouve deux sortes de personnes parmi celles qui s'opposent au Sutra du Lotus. Les premières ont cultivé les racines du bien dans leurs vies antérieures, et, dans cette vie-ci, cherchent à créer un lien avec le bouddhisme, aspirent à la bodhéité et sont capables d'y parvenir. C'est cette catégorie de personnes dont la bouche peut être éventuellement scellée ou la tête brisée.

L'autre catégorie est celle de personnes qui se sont opposées au Dharma dans leurs vies antérieures, qui s'y opposent dans leur existence présente et qui continuent, vie après vie, à créer un karma les vouant à l'enfer avici. Ces personnes peuvent bien prononcer des injures, elles n'auront pas les lèvres scellées. Elles sont semblables au prisonnier déjà condamné à mort qui attend son exécution. Tant qu'il attend la peine capitale en prison, même s'il commet de nouvelles mauvaises actions, il ne subira pas d'autres sanctions. Tandis qu'une personne promise à la libération, si elle commet des mauvaises actions en prison, recevra des avertissements.
Question. C'est un point de la plus haute importance. Pourriez-vous expliquer cela plus en détail  ?

Réponse. L' explication se trouve dans le Sutra du Nirvana et dans le Sutra du Lotus.

Nichiren

ARRIERE-PLAN. - Soya Kyoshin, à qui cette lettre fut adressée, vivait dans le village de Soya, dans le district de Katsushika de la Province de Shimosa. A un moment donné, vers 1260, il se convertit aux enseignements de Nichiren Daishonin. Puis, vers 1271, il prit la tonsure et devint nyudo un laïc se consacrant à la vie religieuse ; en cette occasion Nichiren lui conféra le nom bouddhique de Horen Nichirai. À l'époque où il reçut cette lettre, Kyoshin pratiquait depuis environ quinze ans et il était l'un des principaux adeptes du bouddhisme de Nichiren Daishonin dans la région.
Ce gosho assez long fut écrit au Mont Minobu, le 4e mois de l'année 1275, alors que Nichiren Daishonin était âgé de cinquante-quatre ans. C'est l'un des neuf écrits conservés que Nichiren Daishonin envoya à Kyoshin, deux d'entre eux étant écrits en chinois classique, avec un contenu indiquant clairement que Kyoshin était une personne très cultivée. Cette "Lettre à Hôren" est aussi connue sous le titre "Comment père et fils peuvent atteindre la bodhéité".
Nichiren Daishonin venait de recevoir de Kyoshin une déclaration écrite comme on les lisait habituellement à voix haute lors des cérémonies funéraires. Il y expliquait qu'il avait récité le Sutra du Lotus pour commémorer le treizième anniversaire de la mort de son père. Il ajoutait qu'il récitait chaque matin le Jigage, depuis le décès de son père. En réponse, Nichiren Daishonin lui dit que sa pratique du Sutra est la forme la plus authentique de piété filiale, puisque seul le Sutra du Lotus peut mener à la bodhéité nos parents, ainsi que tous les êtres vivants.(Commentaire ACEP)

En anglais : Letter to Horen

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=505&m=1&q=Letter%20to%20Horen
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_LetterHoren.htm

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