Conversation entre un sage et un ignorant - 1

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 5, p. 47; SG* p.99.
Gosho Zenshu p. 474 - Sho gu mondo sho.
Showa Teihon p. 387 (Répertorié dans le Rokuge)

1265 ? à un samouraï ?

 

Première partie

L'ignorant : Lorsque l'on a reçu la vie, on ne peut échapper à la mort. Chacun, du plus noble au plus humble, de l'empereur au plus modeste de ses sujets, tient cela pour certain, mais pas une personne sur mille ou sur dix mille n'y réfléchit avec sérieux ni ne s'en inquiète. Lorsque nous sommes brusquement confrontés à l'évidence de l'impermanence de la vie, peut-être la pensée d'être restés si éloignés du bouddhisme nous effraie-t-elle et peut-être regrettons-nous alors de nous être trop préoccupés des affaires de ce monde (note). Pourtant, nous pensons que ceux qui nous ont précédés dans la mort ont été victimes du malheur, et que nous, qui restons vivants, leur sommes plus chanceux. Affairés comme nous l'étions à la tâche d'hier et comme nous le sommes au travail d'aujourd'hui, nous sommes pieds et poings liés par les cinq désirs de notre nature terrestre. Sans comprendre que le temps passe aussi rapidement qu'un poulain blanc entraperçu par la fente d'un mur (note), aussi ignorants que des moutons conduits à l'abattoir, désespérément prisonniers de notre besoin de nourriture et de vêtements, nous tombons sans y prendre garde dans les filets de la célébrité et du profit et, pour finir, nous ne rentrons au village des trois mauvaises voies qui nous est familier que pour reprendre aussitôt la route, renaissant, vie après vie, dans les six voies de l'existence. Comment une personne sensible pourrait-elle ne pas déplorer un tel état de choses, ou manquer d'en éprouver de la tristesse ?

Hélas  ! Jeune ou vieux, personne ne connaît le sort qui l'attend - il en est ainsi dans notre monde Saha. Tous ceux qui se rencontrent sont voués à se séparer de nouveau - telle est la règle du monde flottant dans lequel nous vivons. Ce n'était certes pas la première fois que je prenais conscience de ce fait, mais j'ai été choqué de voir tant de gens quitter prématurément ce monde au début de l'ère Shoka (note). Certains laissaient derrière eux des enfants en bas âge, d'autres étaient contraints d'abandonner des parents âgés. Quelle tristesse devait habiter leur coeur lorsque, encore dans la force de l'âge, ils durent entreprendre le voyage vers les Sources jaunes   ! Ce fut douloureux pour ceux qui partirent aussi bien que pour ceux qu'ils laissaient derrière. De la passion du roi de Chu pour la déesse, il resta au matin une traînée nuageuse (note), et la douleur de Liu (note), au souvenir de sa rencontre avec une visiteuse immortelle, s'apaisa à la vue de ses descendants à la septième génération. Mais où une personne telle que moi pourrait-elle trouver soulagement à sa peine  ? Je me souviens du poète des temps anciens qui, parce qu'il n'était qu'un humble montagnard, espérait échapper peut-être à une telle tristesse (note). Maintenant, récoltant mes pensées comme les gens de Naniwa ramassent les algues pour en extraire du sel, je leur donne forme avec un pinceau pour que les gens des époques à venir les gardent en mémoire.

Quelle tristesse  ! Comme c'est regrettable  ! Depuis le passé sans commencement, enivrés par le vin de l'ignorance, nous sommes nés un nombre incalculable de fois dans les six voies de l'existence en passant par les quatre formes de naissance. Tantôt nous suffoquons au coeur des flammes de l'enfer de la brûlure ardente ou de la grande chaleur dévorante (note)  ; tantôt nous gelons dans la glace de l'enfer du lotus rouge sang ou du grand lotus rouge sang. Tantôt nous devons endurer la torture de la faim et de la soif dans le monde-état de l'avidité, passant cinq cents vies sans même pouvoir entendre prononcer le nom d'un aliment ou d'une boisson. Tantôt nous éprouvons la souffrance d'être blessés et tués dans le monde-état de l'animalité, nous subissons les blessures et les meurtres qui sont le lot d'un monde où les petits sont avalés par les grands, où les courts sont engloutis par les longs. Tantôt nous sommes confrontés aux querelles et aux conflits du monde-état des asuras ; tantôt nous naissons en tant qu'êtres humains et sommes en proie aux huit souffrances que sont naître et vieillir, tomber malade et mourir, souffrir de devoir quitter ceux que nous aimons et rencontrer ceux que nous haïssons, éprouver la douleur de ne pas obtenir ce que nous désirons, et endurer les peines engendrées par les cinq agrégats du corps et de l'esprit. Tantôt encore nous naissons dans le monde-état céleste et faisons l'expérience des cinq signes de dégradation. Ainsi tournons-nous sans cesse en rond comme la roue d'un chariot dans ce monde des trois plans. Même parmi ceux qui furent, à un moment donné, parents et enfants, les parents ne savent pas qu'ils furent parents ni les enfants qu'ils furent leurs enfants ; et, bien que mari et femme se rencontrent de nouveau, ils ignorent qu'ils se sont déjà rencontrés. Nous nous égarons comme si nous avions les yeux d'un mouton ; nous sommes aussi ignorants que si nous avions des yeux de loup. Nous ne connaissons pas la relation passée que nous avons eue avec la mère qui nous a donné naissance, et nous ignorons à quel moment nous succomberons nous-mêmes à la mort.

Pourtant, nous avons obtenu de naître dans le monde des humains, condition à laquelle il est rare de parvenir, et nous avons rencontré les enseignements sacrés du Bouddha qu'il est très exceptionnel d'entendre. Nous sommes comme la tortue borgne trouvant un bois flottant percé d'un trou exactement de la taille qui lui convient. Comme il serait regrettable alors que nous ne saisissions pas cette occasion de trancher les entraves de la vie et de la mort, et ne fassions pas le plus petit effort pour nous libérer de la cage du monde des trois plans.

Alors un homme réputé pour sa sagesse apparut qui s'adressa à l'ignorant en ces termes : "Vous avez toutes les raisons de vous désoler comme vous le faites. Mais ceux qui comprennent l'impermanence de ce monde et dirigent leur esprit vers la bonté sont encore plus rares que les cornes de kirin, tandis que ceux qui ne parviennent pas à la comprendre, et s'abandonnent au contraire à des pensées mauvaises, sont plus nombreux que les poils d'une vache. Si vous souhaitez éveiller le désir d'atteindre la bodhéité et vous libérer rapidement des souffrances de la naissance et de la mort, je connais la meilleure doctrine pour y parvenir. Si vous le désirez, je vous l'expliquerai, afin que vous puissiez en prendre connaissance."

L'ignorant se leva de son siège, joignit les mains en disant : "Depuis quelque temps déjà j'étudie les classiques de la littérature séculière, et j'ai accordé toute mon attention à l'étude de la poésie, de sorte que je n'ai pas une connaissance approfondie des enseignements bouddhiques. Mon plus cher désir serait que vous ayez la grande bonté de me les enseigner."

A quoi l'éminent personnage répondit : "Vous devez écouter avec les oreilles de Ling Lun, emprunter les yeux de Li Liu, faire le calme dans votre esprit, et je vais vous expliquer cela. Il n'y a pas moins de 80000 enseignements bouddhiques, mais le père et la mère de toutes les écoles, l'enseignement le plus important, est celui qui concerne les préceptes et les règles de conduite. En Inde, les bodhisattvas Vasubandhu et Ashvaghosha, et, en Chine, les moines Huiguang et Daoxuan ont souligné leur importance. Et dans notre pays, sous le règne du quarante-cinquième souverain, l'empereur Shomu, le moine chinois Ganjin introduisit au Japon les enseignements de l'école Ritsu en même temps que ceux de l'école Tendai, et il établit au temple Todai-ji une salle pour y conférer les préceptes. Depuis cette époque jusqu'à nos jours, pendant de longues années, les préceptes ont été révérés et ils sont chaque jour un peu plus respectés.

Il y a, en particulier, ce moine éminent, Ryokan, du temple Gokuraku-ji. Chacun, du souverain jusqu'au plus humble de ses sujets, l'admire comme un bouddha vivant, et, en observant sa conduite, on voit bien qu'il est digne de sa réputation. Il a organisé des activités de bienfaisance à Ijima-no-tsu, collecté du riz à la barrière de Mutsura (note), et utilisé ces fonds pour faire construire des routes dans diverses provinces. Il a établi des péages sur sept routes principales (note), prélevé une taxe sur quiconque passait par là, et s'est servi de cet argent pour faire construire des ponts au-dessus de plusieurs rivières. Des actions aussi bienveillantes font de lui l'égal du Bouddha, et ses bonnes actions surpassent celles des sages du passé. Si vous voulez rapidement vous libérer des souffrances de la vie et de la mort, vous devriez observer les cinq préceptes et les deux cent cinquante préceptes. Cultivez votre bienveillance à l'égard des autres, interdisez-vous de tuer tout être vivant, et, comme l'éminent moine Ryokan, entreprenez la construction de routes et de ponts. C'est le plus élevé de tous les enseignements. Etes-vous prêt à y adhérer  ?

L'ignorant joignit les mains avec encore plus de ferveur et dit : "En vérité, c'est mon grand souhait d'y adhérer  ! Je vous en prie, expliquez-moi plus en détail. Vous parlez des cinq préceptes et des deux cent cinquante préceptes, mais j'ignore en quoi ils consistent. Accepteriez-vous de me les énumérer précisément ?

Le religieux dit : Votre ignorance est un gouffre  ! Même un enfant connaît les cinq préceptes et les deux cent cinquante préceptes. Je vais pourtant vous les expliquer. Ces cinq préceptes sont, premièrement, l'interdiction d'ôter la vie ; deuxièmement, l'interdiction de voler ; troisièmement, l'interdiction de mentir ; quatrièmement, l'interdiction d'avoir des relations sexuelles illégitimes ; et, cinquièmement, l'interdiction de boire des breuvages intoxicants. Les deux cent cinquante préceptes sont nombreux, je ne les passerai donc pas en revue ici.

Ayant entendu cela, l'ignorant s'inclina bien bas et, avec le plus grand respect, déclara : "A dater d'aujourd'hui, j'observerai ces principes avec la plus grande rigueur.

Cet homme [l'ignorant] avait une connaissance de longue date, un croyant bouddhiste laïque, vivant retiré, qui vint lui rendre visite pour le réconforter. Tout d'abord, le visiteur évoqua des événements passés, les comparant à un rêve sans fin et mal défini, puis il parla de l'avenir, en rappelant comme il est vaste et obscur, et comme il est difficile à prévoir. Après avoir ainsi tenté de détourner l'attention de son interlocuteur pour mieux l'amener à sa propre vision des choses, il ajouta : "La plupart d'entre nous qui vivons en ce monde ne pouvons guère éviter de nous interroger sur la vie future. Puis-je demander quelle sorte de doctrine bouddhique vous avez adoptée pour vous libérer des souffrances de la naissance et de la mort, ou afin de prier pour le bien-être de ceux qui sont partis pour une autre vie ?

L'ignorant répondit : "Il y peu de temps, un moine éminent est venu me rendre visite et m'a enseigné les cinq préceptes et les deux cent cinquante préceptes. En vérité je suis profondément impressionné par ses enseignements et les trouve tout à fait admirables. Je sais bien qu'il ne m'est pas possible d'égaler l'illustre révérend Ryokan, mais j'ai décidé de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour contribuer à la réparation des routes en mauvais état et à la construction de ponts au-dessus des rivières trop profondes pour être traversées à gué.

Le croyant laïque lui tint alors ce discours : "Votre désir d'entrer dans la Voie pourrait être digne d'admiration, mais votre démarche est insensée. La doctrine à laquelle vous venez de faire allusion est le plus bas des enseignements du Hinayana. C'est pour le faire comprendre que le Bouddha formula les huit comparaisons, et que le bodhisattva Manjushri énumera dix-sept différences. Le Bouddha a déclaré, par exemple, que le Hinayana ne répand pas plus de lumière qu'une luciole comparée à l'éclat du soleil, ou qu'il est comme du cristal ordinaire comparé à l'émeraude. De plus, les maîtres d'Inde, de Chine ou du Japon, ont écrit plus d'un traité réfutant les enseignements du Hinayana.

Ensuite, à propos du respect que vous éprouvez pour ceux qui observent ces pratiques, sachez qu'un enseignement n'est pas digne d'être suivi pour la seule raison que ceux qui le pratiquent sont respectés. A cet égard, le Bouddha a formulé le principe : "Fiez-vous au Dharma et non à la personne."(réf.)

J'ai entendu dire que les sages des temps anciens, observant les préceptes, ne s'autorisaient même pas à prononcer les mots "tuer" ou "amasser", leur substituant des circonlocutions plus pures à leurs oreilles, et que, si leur regard rencontrait par hasard la beauté d'une femme, ils s'efforçaient d'imaginer un cadavre. Mais si nous regardons le comportement des moines qui, de nos jours, sont censés observer les préceptes, nous voyons qu'ils amassent de la soie, de l'argent et des bijoux, et ne dédaignent pas de prêter de l'argent avec intérêt. Si leurs principes et leur pratique diffèrent à ce point, qui pourrait leur accorder la moindre confiance ?

Quant à la construction de routes et de ponts, elle n'a apporté au peuple que des tracas. Les activités charitables à Ijima-no-tsu et la collecte de riz à la barrière de Mutsura (note) ont contribué au malheur de quantité de gens, et l'installation de péages le long des sept routes principales des diverses provinces a imposé une dure épreuve aux voyageurs. Ce sont là des choses qui se produisent sous nos yeux. Etes-vous donc aveugle à ce qui se passe ?

L'ignorant, à ces mots, s'écria, rouge de colère : "Rien n'autorise une personne comme vous, avec le peu de sagesse qu'elle possède, à dire du mal d'un moine éminent et à dénigrer son enseignement  ! Le faites-vous en toute connaissance de cause, ou par pure stupidité*  ? Votre attitude est vraiment effarante !

Alors, le croyant laïque se mit à rire et dit : "Hélas, c'est vous l'ignorant  ! Laissez-moi vous expliquer brièvement en quoi consistent les erreurs de cette école. Sachez que, lorsque l'on parle des enseignements bouddhiques, il faut distinguer entre Mahayana et Hinayana ; et, à propos des écoles, il faut savoir que certaines s'appuient sur des enseignements provisoires, et d'autres sur des enseignements définitifs (jikkyo). Il y a bien longtemps, lorsque le Bouddha enseigna les principes du Hinayana au Parc des Daims, il ouvrit la porte d'une ville illusoire (note). Mais, par la suite, lorsque les tapis furent déroulés pour l'enseignement du Sutra du Lotus au Pic du Vautour, ces doctrines antérieures cessèrent de procurer des bienfaits.

L'ignorant regarda le croyant laïque avec perplexité et lui dit : "La preuve littérale et la preuve concrète confirment bien vos dires. Mais, dans ce cas, quelle sorte d'enseignement bouddhique faut-il pratiquer pour se libérer des souffrances de la naissance et de la mort, et pour rapidement parvenir à la bodhéité ?

L'autre répondit : "Je ne suis qu'un laïc mais je me consacre avec sincérité à la pratique du bouddhisme ; j'ai, depuis ma jeunesse, écouté les paroles de nombreux maîtres, et j'ai lu quelques-uns des écrits sacrés. Pour nous, hommes de cette époque des Derniers jours du Dharma qui avons commis toutes sortes de mauvaises actions, rien ne peut mieux convenir que les enseignements du Nembutsu qui conduisent à renaître dans la Terre pure. Ainsi, Genshin, l'administrateur des moines, déclare  : "Les enseignements et les pratiques qui mènent à la renaissance dans la Terre de la béatitude parfaite sont les yeux et les pieds de ceux qui vivent en notre époque impure."(réf.) L'éminent moine Honen rassembla les passages les plus importants des divers sutras et propagea la doctrine de la dévotion exclusive à la pratique du Nembutsu. En particulier, les voeux originels du bouddha Amida surpassent, en valeur et en importance, ceux de tous les autres bouddhas. Du premier voeu - que les trois mauvaises voies n'existent plus sur sa Terre (note) - jusqu'au dernier - que les bodhisattvas puissent parvenir aux trois sortes de perception (note) - tous les voeux compatissants du bouddha Amida méritent une grande reconnaissance. Mais son dix-huitième voeu (note) nous concerne tout particulièrement. De plus, même ceux qui ont commis les dix mauvaises actions ou les cinq forfaits ne sont pas exclus ; et aucune discrimination ne doit être faite entre ceux qui n'ont récité le Nembutsu qu'une fois et ceux qui l'ont beaucoup récité. Pour cette raison, le pays entier, du souverain au petit peuple, place cette école au-dessus de toutes les autres. Et l'on ne compte plus le nombre de personnes qui ont obtenu de renaître dans la Terre pure grâce à lui !"

L'ignorant répondit : "En vérité, il faudrait avoir honte de ce qui est mesquin, et aspirer à ce qui est grand, abandonner le superficiel pour adhérer à ce qui est profond. Cela n'est pas seulement un principe bouddhique, mais également une règle valable dans le monde profane. Par conséquent, je voudrais sans délai me convertir à cette école dont vous venez de parler. S'il vous plaît, instruisez-moi de ses principes plus en détail. Vous dites que même ceux qui ont commis les cinq forfaits et les dix actions mauvaises ne sont pas exclus du voeu bienveillant du Bouddha. Puis-je vous demander en quoi consistent les cinq forfaits et les dix actions mauvaises ?

Le croyant laïque avisé répondit : "Les cinq forfaits sont : tuer son père, tuer sa mère, tuer un arhat, verser le sang d'un bouddha, et rompre l'unité de la communauté bouddhique. Quant aux dix actions mauvaises, elles consistent en trois actions corporelles, quatre actions verbales et trois actions mentales. Les trois actions corporelles sont tuer, voler et avoir des relations sexuelles illégitimes. Les quatre mauvaises actions verbales sont mentir, flatter, diffamer, et tromper. Les trois mauvaises actions mentales sont l'avidité, l'orgueil et l'ignorance.

Maintenant, je les comprends, dit l'ignorant. A dater de ce jour, je m'en remettrai entièrement au pouvoir d'un autre, à celui du bouddha Amida, pour qu'il me permette de renaître dans la Terre pure.

Vers la même époque, il y avait un pratiquant de l'école ésotérique, d'une extrême ferveur dans la pratique de cette doctrine. Lui aussi vint trouver l'ignorant pour lui apporter son réconfort. Tout d'abord, il se contenta de parler en "mots sauvages et phrases fleuries" (note), mais, finalement, il tint un discours sur la différence entre deux sortes d'enseignements bouddhiques, ceux des écoles exotériques et ceux de l'école ésotérique. Il demanda à l'ignorant : "Quelle sorte de doctrines bouddhiques pratiquez-vous, et quels sutras et traités lisez-vous et récitez-vous  ?

L'ignorant répondit : "Récemment, en suivant les instructions d'un croyant laïque de ma connaissance, j'ai lu les trois sutras de la Terre pure, et j'en suis venu à accorder une confiance profonde à Amida, le seigneur du paradis qui se trouve à l'ouest.

L'ésotériste lui dit : "Il y a deux sortes d'enseignements bouddhiques, exotériques et ésotériques. Les plus profonds principes des enseignements exotériques ne soutiennent pas la comparaison avec les stades même élémentaires de la pratique ésotérique. D'après ce que vous me dites, il me semble que la doctrine à laquelle vous adhérez appartient à l'enseignement exotérique du Bouddha Shakyamuni. Mais la doctrine à laquelle j'adhère est l'enseignement caché du bouddha Vairocana*, le roi de l'illumination. Si vous craignez véritablement cette maison en feu qu'est le monde des trois plans dans lequel nous vivons, et si vous aspirez à la Terre merveilleuse de la lumière éternellement paisible, vous devriez immédiatement rejeter les enseignements exotériques, et accorder votre foi aux enseignements ésotériques !

L'ignorant, grandement stupéfait, dit : "Je n'ai encore jamais entendu faire cette distinction entre doctrines exotériques et ésotériques. En quoi consistent les enseignements exotériques  ? Quels sont les enseignements ésotériques ?

L'ésoteriste répondit : "J'ai la tête dure, je suis stupide et je manque de connaissances. Néanmoins, j'aimerais citer un ou deux passages, et m'efforcer de dissiper votre ignorance. Les enseignements exotériques sont ceux qui furent exposés, à la demande de Shariputra et d'autres disciples, par un bouddha sous l'aspect du Corps de Manifestation* (note). Mais les enseignements ésotériques sont ceux que le bouddha Vairocana*, un bouddha sous l'aspect du Corps du Dharma* (note), exposa spontanément pour partager la joie sans limite du Dharma, avec Vajrasattva comme auditeur. Ces enseignements sont constitués par le Sutra Vairocana* et les deux autres sutras ésotériques.

L'ignorant dit : "Vos paroles semblent raisonnables. Je crois que je vais devoir corriger mes erreurs anciennes, et me hâter de pratiquer ces enseignements d'une plus grande valeur !

Il y avait aussi un moine-mendiant qui errait de province en province, comme une herbe flottante, ou roulant de région en région comme une touffe d'herbes sèches. Sans que quiconque ait eu le temps de le voir venir, on l'aperçut, debout, s'appuyant au pilier de la grille, et souriant sans rien dire.

L'ignorant, interloqué par cette attitude, lui demanda ce qu'il voulait. Le moine d'abord ne lui répondit rien, mais la question lui ayant été répétée, il dit : "La lune est voilée et lointaine, le vent est frais et agité." Son apparence était tout à fait excentrique et ses mots n'avaient aucun sens, mais quand l'ignorant lui eut demandé leur sens caché, il découvrit qu'il s'agissait de principes du Zen tel qu'il est enseigné de nos jours dans le monde.

Il observa l'apparence du moine, écouta ses paroles, et lui demanda ce qu'il considérait comme une bonne cause pour entrer dans la voie du Bouddha.

Le moine mendiant répondit : "Les enseignements des sutras sont un doigt pointant vers la lune. Les filets de leur doctrine sont pleins d'autant de non-sens que les mots peuvent en attraper. Mais il y a un enseignement qui permet de trouver le repos dans la nature essentielle de son propre esprit - on l'appelle le Zen.

J'aimerais que vous m'en disiez plus", dit l'ignorant.

S'il s'agit là de votre part d'un désir sincère, répondit le moine, vous devez vous asseoir face au mur dans la position de méditation Zen, et retrouver, brillante comme la lune, la clarté de votre esprit originel. Il est clair, et chacun peut s'en assurer, que la lignée Zen des vingt-huit patriarches (note) s'est poursuivie sans interruption en Inde, et que cette transmission a été léguée aux six patriarches (note) en Chine. Il serait véritablement pitoyable que vous ne puissiez pas comprendre ce qu'ils ont enseigné, et restiez prisonnier des filets de la doctrine  ! Puisque l'esprit lui-même est bouddha et que le Bouddha n'est autre que l'esprit, quel bouddha pourrait-il y avoir en dehors de vous ?

En entendant ces mots, diverses réflexions vinrent à l'esprit de l'ignorant, et il s'interrogea sur la validité des principes qu'il venait d'entendre. Il dit  : "Il y a quantité de doctrines bouddhiques différentes, et il est très difficile de déterminer celles qui sont solides et celles qui ne le sont pas. On comprend bien pourquoi le bodhisattva Jotai partit vers l'est à la recherche de la vérité, et pourquoi Zenzai Doji, dans le même but, partit vers le sud ; on comprend pourquoi le bodhisattva Yakuo* s'est brûlé le bras, et Gyobo Bonji s'est arraché la peau. Un bon ami bouddhique est véritablement difficile à trouver  ! Certains disent qu'il faut suivre l'enseignement des sutras, tandis que d'autres disent que la vérité se trouve en dehors des sutras. En se demandant ce qui est juste ou faux dans ces enseignements, celui qui n'a pas encore sondé la profondeur du bouddhisme et demeure en contemplation devant l'eau du Dharma, peut douter de sa réelle profondeur. Celui qui s'adresse à un maître le fait avec autant d'inquiétude qu'une personne marchant sur de la glace fine. Voilà pourquoi le Bouddha nous a laissé ces paroles d'or : "Appuyez-vous sur le Dharma et non sur la personne"(réf.), et pourquoi il est dit que ceux qui rencontrent le vrai Dharma sont moins nombreux que les grains de sable qui peuvent tenir sur un ongle. S'il est quelqu'un qui sache distinguer les enseignements bouddhiques véridiques des faux, je dois aller le trouver, le prendre pour maître et lui manifester tout le respect qui lui revient. On dit qu'il est aussi difficile de naître en tant qu'être humain que d'enfiler dans une aiguille un fil tombant du ciel, et qu'il est aussi rare de voir et d'entendre les enseignements du Bouddha que pour une tortue borgne de rencontrer un morceau de bois flottant percé d'un trou de la bonne taille pour lui servir de soutien.

Considérant que le corps a moins d'importance que le Dharma qui est suprême, l'ignorant escalada les montagnes, poussé par l'inquiétude, allant d'un temple à l'autre aussi longtemps que ses pieds pouvaient le porter. A un moment donné, il arriva devant une caverne rocheuse, creusée dans une montagne dont les pentes verdoyantes s'élevaient à pic derrière elle. Le vent, dans les pins, jouait la mélodie de l'éternité, du bonheur, de la véritable nature, et de la pureté, et le flot du ruisseau émeraude qui longeait la montagne, en ricochant sur les pierres de la rive, faisait comme un écho à la perfection de ces quatre vertus. Les fleurs qui tapissaient la vallée profonde s'épanouissaient dans les couleurs du véritable aspect de la Voie du milieu, et, des fleurs de pruniers, à peine écloses dans la vaste prairie, s'échappait le parfum des trois mille conditions. En vérité, c'était au-delà de ce que les mots peuvent décrire, au-delà de ce que l'esprit peut imaginer. On aurait pu se croire dans le lieu où vécurent les quatre ermites aux cheveux blancs du Mont Heng, ou sur le site où un bouddha des temps anciens se serait promené au sortir de sa méditation. Des nuages de bon augure apparaissaient à l'aube, une lumière mystérieuse rayonnait dans la soirée. Ah  ! c'était une impression que l'esprit ne pouvait saisir ni les mots expliquer !

L'ignorant marcha dans tous les sens, se demandant ce qu'il voyait, tantôt s'arrêtant pour réfléchir, tantôt revenant sur ses pas. Soudain, il se trouva en présence d'un sage. Il observa ce que ce dernier faisait et le vit réciter le Sutra du Lotus ; le son de sa voix toucha profondément le coeur du voyageur. Jetant un coup d'oeil par la fenêtre, devenue silencieuse, du refuge du sage, il vit que celui-ci, les coudes posés sur sa table, réfléchissait au sens profond du Sutra.

Le sage, devinant que l'ignorant était à la recherche du Dharma, lui demanda avec douceur :

- Pourquoi êtes-vous venu jusqu'à cet ermitage perdu dans des montagnes reculées  ? "

L'autre répondit : - Parce que j'attache peu d'importance à ma vie, mais beaucoup d'importance au Dharma.

- Quelle sorte de pratique est la vôtre  ? lui demanda le sage.

L'ignorant répondit : "J'ai vécu, toute ma vie durant, dans la poussière du monde profane, et ne sais toujours pas comment me libérer des souffrances de la naissance et de la mort. Certes, j'ai rencontré divers bons amis bouddhiques qui m'ont appris d'abord les règles de discipline [Ritsu], puis les enseignements du Nembutsu, du Shingon, et du Zen. Mais j'ai eu beau apprendre ces doctrines, je suis toujours incapable de déterminer si elles sont vraies ou fausses."

Le sage dit : "Au son de votre voix, je comprends que vous êtes sincère. Faire peu de cas de sa vie et grand cas du Dharma est l'enseignement des sages des temps anciens, l'un de ceux que je connais bien moi-même.
Depuis le domaine où il n'y a ni pensée ni absence de pensée, au-dessus des nuages, jusqu'au fin fond de l'enfer, y a-t-il un seul être qui, ayant reçu la vie, réussisse à échapper à la mort  ? Ainsi, même dans des écrits profanes et de peu de sagesse nous lisons : "Vous pouvez entreprendre à l'aube le parcours de la vie, fier de la beauté de vos joues fraîches, mais, le soir, vous ne serez plus qu'un amas d'os blanchis pourrissant sur la lande."(réf.) Vous vous promènerez peut-être en éblouissante compagnie, avec des nobles de la cour, les cheveux coiffés avec l'élégance des nuages, et les manches bruissant comme des flocons de neige ; les plaisirs de ce genre, si l'on prend le temps d'y réfléchir, ne sont rien de plus qu'un rêve dans un rêve. Finalement, vous devrez reposer sous le tapis des herbes folles au pied de la colline, et tous vos dais ornés de bijoux et vos tentures de brocard ne signifieront plus rien pour vous sur le chemin d'après la vie. La beauté tant vantée de Ono no Komachi et de Soto'ori Hime, semblable à celle des fleurs, fut un jour éparpillée par les vents de l'impermanence. Pour finir, Fan Kuai et Chang-Liang, malgré leur maîtrise des arts martiaux, durent quand même subir les bâtons des gardiens de l'enfer. C'est pourquoi des personnes sensibles, aux époques précédentes, écrivirent des poèmes comme ceux-ci :

Comme elle est triste, la fumée du soir
Sur le Mont Toribe (note) ! Ceux qui accompagnent le mort -
Combien de temps leur reste-t-il encore  ? Rosée au bout des branches
Gouttelettes sur le tronc -
Tout, un jour ou l'autre,
Doit disparaître de ce monde. (réf.)

C'est la règle de la vie - celui qui ne meurt pas plus tôt mourra inévitablement plus tard, et cela n'est sans doute plus, depuis longtemps pour vous, une surprise. Mais ce qu'il faut désirer avant tout, c'est la voie du Bouddha, et ce que l'on devrait rechercher sans cesse, c'est l'enseignement des sutras. D'après vos dires, il me semble que certaines des doctrines bouddhiques que vous avez rencontrées entrent dans la catégorie du bouddhisme Hinayana, d'autres dans celle du Mahayana. Mais, en laissant de côté pour l'instant la question de leur supériorité relative, je peux dire que, loin de vous apporter la délivrance, la pratique de ces enseignements vous conduira à renaître dans les mauvaises voies de l'existence."

En entendant cela, l'ignorant s'écria, surpris : "Mais ne sont-ils pas tous des enseignements sacrés, exposés par le Bouddha, sa vie durant, pour procurer des bienfaits aux êtres vivants  ? Depuis le moment où fut enseigné le Sutra Kegon*, en sept lieux et à huit assemblées, jusqu'à la cérémonie [au cours de laquelle fut exposé le Sutra du Nirvana] au bord du fleuve Hiranyavati, toutes les doctrines furent prêchées par le Bouddha Shakyamuni lui-même. Peut-être est-il possible de distinguer quelques mérites rendant les unes légèrement supérieures aux autres, mais comment une seule d'entre elles pourrait-elle être la cause d'une renaissance dans les mauvaises voies ? "

Le sage répondit : Dans les enseignements sacrés exposés par le Bouddha de son vivant, il est possible de distinguer diverses catégories : enseignements provisoires ou définitifs, Hinayana ou Mahayana. On peut distinguer encore entre les deux voies, exotérique et ésotérique. Ainsi, ils ne sont pas tous de même nature. Laissez-moi vous expliquer un instant où réside le problème, et dissiper ainsi vos erreurs d'interprétation.
Quand Shakyamuni, seigneur du monde des trois plans, parvint à l'âge de dix-neuf ans, il quitta la ville de Gaya (note) et se retira sur le Mont Dandaka (note) où il pratiqua diverses austérités difficiles et pénibles. Il atteignit la bodhéité à l'âge de trente ans, et, à ce moment-là, élimina instantanément les trois catégories d'illusion, et mit un terme à la nuit profonde de l'ignorance. On pourrait penser que, pour réaliser son voeu fondamental, il aurait dû à l'époque enseigner le Véhicule unique du Sutra du Lotus. Mais il savait que les capacités des gens étaient extrêmement diverses et qu'ils n'étaient pas en mesure de comprendre le Véhicule du Bouddha. C'est pourquoi il consacra les quarante et quelques années suivantes à développer les capacités latentes des gens. Puis, dans les huit dernières années de sa vie, il accomplit le dessein pour lequel il était venu en ce monde, en enseignant le Sutra du Lotus.

Ainsi, ce fut alors qu'il était âgé de soixante-douze ans que le Bouddha enseigna, en introduction au Sutra du Lotus, le Sutra Muryogi dans lequel il déclara : "Par le passé je suis resté assis en méditation sous l'arbre bodhi pendant six ans, et je suis parvenu à la bodhéité suprême. En observant tous les phénomènes avec l'œil du Bouddha, j'ai compris que je ne pouvais pas enseigner tel quel l'Éveil auquel j'étais parvenu. Pourquoi cela  ? Parce que je savais que les gens diffèrent par leur nature et leurs désirs. Et, parce qu'ils diffèrent par leur nature et leurs désirs, j'ai exposé le Dharma de diverses manières. En exposant le Dharma de diverses manières, j'ai eu recours à plusieurs moyens efficaces. Mais, en quarante ans et plus, je n'ai pas encore révélé la vérité."(réf.)

Le sens de ce passage est que, lorsque le Bouddha, alors âgé de trente ans, s'assit sur le lieu de l'Éveil sous l'arbre bodhi, il observa le coeur profond de tous les êtres avec la vision du Bouddha, et comprit que le temps n'était pas propice pour leur enseigner le Sutra du Lotus qui révèle la voie directe conduisant tous les êtres à la bodhéité. Par conséquent, de la même manière que l'on brandit une main vide pour amuser un nourrisson, il eut recours à divers subterfuges, et, pendant les quarante années qui suivirent, s'abstint de révéler la vérité. Ainsi, il définit la période des enseignements provisoires aussi clairement que le soleil se levant dans un ciel bleu ou que la pleine lune apparaissant par une nuit obscure.

Ayant lu ce passage, pourquoi, avec la même foi que nous pourrions tout aussi bien accorder au Sutra du Lotus, devrions-nous nous accrocher aux enseignements provisoires des sutras antérieurs au Sutra du Lotus, ces doctrines que le Bouddha déclara vides, et qui nous ramènent sans cesse vers la même vieille demeure du monde des trois plans que nous connaissons déjà si bien ?

Au chapitre Hoben* (II), dans le premier volume du Sutra du Lotus, le Bouddha déclare : "En rejetant sincèrement les enseignements provisoires, j'enseignerai exclusivement la Voie suprême."(réf.) Ce passage indique qu'il faut honnêtement rejeter les principes exposés par le Bouddha dans les divers sutras enseignés au cours des quarante-deux années précédentes, nommément les doctrines du Nembutsu, du Shingon, du Zen et du Ritsu, auxquelles vous avez fait allusion.

Le sens de ce passage est parfaitement clair. Et, de plus, nous avons l'avertissement donné au chapitre Hiyu* (III)  dans le deuxième volume, "l'unique désir de recevoir et de garder l'écrit du Mahayana, sans accepter un seul vers d'aucun autre sutra." Ce passage indique que, quelle que soit l'année de la vie du Bouddha où un sutra a été enseigné, il ne faut pas accepter un seul vers d'un sutra autre que le Sutra du Lotus.
Les diverses doctrines des Huit Écoles sont aussi nombreuses que des orchidées ou des chrysanthèmes, et moines et croyants laïques, bien que différents en apparence, proclament tous d'une même voix leur attachement au Sutra du Lotus. Mais comment interprètent-ils ces passages du Sutra du Lotus que je viens de citer  ? Ces passages parlent de "sincèrement rejeter" les enseignements antérieurs, et interdisent à quiconque d'accepter ne serait-ce qu'un seul vers d'aucun autre sutra. Mais les doctrines du Nembutsu, du Shingon, du Zen et du Ritsu ne sont-elles pas basées sur "les autres sutras" ?

Ce sutra Myoho Renge Kyo* dont je parle représente la vraie raison de la venue de tous les bouddhas en ce monde, et enseigne la voie directe conduisant tous les êtres à la bodhéité. Le Bouddha Shakyamuni la confia à ses disciples, le bouddha Taho témoigna de sa véracité, et les divers autres bouddhas tendirent la langue jusqu'au Ciel de Brahma en proclamant  : "Tout ce que vous [Bouddha Shakyamuni] avez exposé est la vérité"(réf.). Chaque caractère de ce Sutra représente la véritable intention des bouddhas, et un seul trait de pinceau qui s'y trouve est une aide pour ceux qui sont prisonniers du cycle des naissances et des morts. Il ne comporte pas un seul mot de faux.

Celui qui ne tient pas compte des avertissements de ce Sutra, n'est-ce pas, concrètement, comme s'il coupait la langue des bouddhas et trompait les personnes de mérite et les sages  ? Cette offense est vraiment effrayante. Ainsi, dans le deuxième volume, il est dit  : "Celui qui refuse d'avoir foi en ce Sutra et, au contraire, s'y oppose, détruit immédiatement les graines qui permettent de devenir bouddha en ce monde."(réf.) Le sens de ce passage est que, si l'on s'oppose ne serait-ce qu'à un vers ou une phrase de ce Sutra, on se rend coupable d'un crime aussi grave que le meurtre de tous les bouddhas des dix directions dans les trois phases de la vie.

Si nous observons notre monde actuel dans le miroir des sutras, nous verrons qu'il est difficile de trouver une personne qui ne trahisse pas le Sutra du Lotus. Et si nous comprenons bien ce que cela signifie, nous voyons qu'une personne, seulement pour avoir refusé la foi, ne peut éviter de renaître dans l'enfer avici. C'est encore bien plus vrai pour quelqu'un comme l'éminent moine Honen, le fondateur de l'école Nembutsu, qui exhorta les gens à rejeter le Sutra du Lotus en faveur du Nembutsu  ! Dans les cinq mille ou sept mille volumes de sutra, où, je vous le demande, peut-on trouver le moindre passage incitant à rejeter le Sutra du Lotus  ?

Le moine Shandao, révéré pour sa maîtrise de la méditation du Nembutsu, et respecté comme l'incarnation vivante du bouddha Amida, désigna cinq sortes de pratiques incorrectes (note) et déclara que le Sutra du Lotus ne pouvait pas sauver "une personne sur mille", impliquant ainsi que, si mille personnes avaient foi en ce sutra, pas une seule d'entre elles n'atteindrait la bodhéité. Et pourtant, dans le Sutra du Lotus lui-même, on lit : "Parmi ceux qui entendent ce Dharma, il n'en est pas un seul qui n'atteindra pas la bodhéité."(réf.) Cela indique que, s'ils entendent ce Sutra, tous les êtres dans les dix mondes-états, en même temps que leur environnement, entreront dans la Voie du Bouddha. Ainsi, le Sutra prédit que Devadatta, bien qu'il ait commis les cinq forfaits, deviendra à l'avenir un bouddha appelé "Roi céleste", et relate la manière dont la fille du Roi-Dragon, bien que femme, prisonnière des cinq entraves et considérée comme incapable de parvenir à la bodhéité, obtint immédiatement l'Éveil dans un royaume du Sud. Ainsi, même un bousier peut s'élever par les six stades de la pratique, et n'est en aucune manière incapable de parvenir à la bodhéité." En fait, les affirmations de Shandao et les passages du Sutra du Lotus sont aussi éloignés que le ciel de la terre, aussi différents que les nuages de la boue. Qui devons-nous suivre  ? Si nous prenons le temps d'y réfléchir avec logique, nous comprendrons que Shandao est l'ennemi mortel de tous les bouddhas et sutra, aussi bien que l'adversaire des moines sages et des simples croyants laïques. Si le Sutra du Lotus dit vrai, comment cet homme pourrait-il échapper à l'enfer avici   ? "

A ces mots, l'ignorant rougit de colère et répondit : "Vous, une personne d'une position plus que modeste, vous avez l'audace de formuler de telles accusations  ! J'ai du mal à savoir si vos paroles sont dictées par une véritable compréhension ou par l'égarement, à déterminer si vous avez ou non toute votre raison. N'oublions pas que le moine Shandao passe pour une manifestation du bouddha Amida Sugata ou du bodhisattva Seishi qui l'assiste. Et que l'on considère de même l'éminent moine Honen, présenté aussi comme la réincarnation de Shandao. Tous deux furent des personnages exceptionnels du passé, qui, de plus, ayant acquis par leur pratique religieuse des mérites extraordinaires, étaient parvenus au plus profond degré de compréhension. Comment pourraient-ils être tombés dans les voies mauvaises  ? "

Le sage répondit : "Ce que vous dites est tout à fait juste. J'ai éprouvé, moi aussi, un grand respect pour ces hommes et j'ai eu en eux la même croyance que vous. Mais, lorsqu'il s'agit d'une doctrine bouddhique, on ne peut conclure qu'elle est juste seulement parce que c'est une personne éminente qui l'expose. Les mots du Sutra doivent passer en premier. Ne méprisez pas un enseignement pour la seule raison que la personne qui l'expose est de position modeste. (bis) Le renard du royaume de Bi ma qui récita un vers de douze caractères : "Certains aiment la vie et haïssent la mort ; d'autres aiment la mort et haïssent la vie" fut salué comme un maître par le dieu Taishaku (note), et le démon qui récita le vers en seize caractères  : "Tout change, rien n'est constant", fut traité avec le plus grand respect par Sessen Doji. Et il en fut ainsi, non parce que ce renard ou ce démon avaient des qualités exceptionnelles, mais seulement parce que la doctrine qu'ils enseignaient était respectable.

C'est pourquoi, dans le sixième volume du Sutra du Nirvana, son dernier enseignement, prononcé dans le bosquet de shala, notre père compatissant, le Vénéré Shakyamuni, déclara : "Fiez-vous au Dharma et non à la personne." Même quand ce sont de grands bodhisattvas comme Fugen et Manjushri, parvenus à l'étape de togaku qui précède l'Éveil parfait, qui exposent les enseignements bouddhiques, s'ils ne le font pas avec le texte du Sutra à la main, il ne faut pas tenir compte de ce qu'ils disent.

Le Grand-maître* Zhiyi* déclare  : "Ce qui s'accorde avec les sutras doit être accepté et suivi. Mais n'accordez pas foi à ce qui, par la lettre ou par l'esprit, n'est pas conforme aux sutra."(réf.)

Nous voyons là qu'il faudrait accepter ce qui est clairement établi dans le texte des sutras, mais rejeter tout ce qui ne peut être soutenu par le texte. Le Grand-maître* Saicho* dit  : "Fiez-vous aux enseignements du Bouddha, et non aux enseignements transmis oralement"(réf.), ce qui exprime la même idée que le passage du commentaire de Zhiyi*. Et le bodhisattva Nagarjuna dit  : "Fiez-vous aux traités qui sont fidèles au sutra  ; ne vous fiez pas aux traités qui déforment le sutra."(réf.) Une signification possible de ce passage est que, parmi les divers sutras, il faut rejeter les enseignements provisoires énoncés avant le Sutra du Lotus, et accorder sa foi à ce Sutra. Ainsi, les sutras aussi bien que les traités rendent parfaitement clair qu'il faut rejeter tout sutra autre que le Sutra du Lotus.

Nulle part, dans les cinq mille ou sept mille volumes de sutra répertoriés dans L'inventaire de Kaiyuan, nous ne trouvons un seul passage des écritures qui désapprouve le Sutra du Lotus et conseille à quiconque de le rejeter ou de l'écarter, ni aucun passage qui dise qu'il faut l'inclure dans les pratiques incorrectes et l'abandonner. Vous feriez bien de trouver quelque passage de sutra fiable, afin de sauver Shandao et Honen des tourments qu'ils endurent dans l'enfer avici.

Ceux qui pratiquent le Nembutsu à notre époque, moines aussi bien que laïcs, hommes comme femmes, non seulement s'opposent aux mots mêmes des sutras, mais vont également à l'encontre des déclarations de leurs propres maîtres. Shandao écrivit un commentaire énumérant cinq sortes de pratiques incorrectes que les pratiquants du Nembutsu devraient rejeter. A propos de ces pratiques incorrectes, il est dit dans le Senchaku Shu : "En ce qui concerne la première des cinq pratiques incorrectes, celle de lire et de réciter, il [Shandao] déclare que, à l'exception de la récitation du Sutra Kammuryoju et des autres sutras de la Terre pure, adhérer à tout autre sutra, qu'il soit Mahayana ou Hinayana, exotérique ou ésotérique, tout comme le lire et le réciter, doit être considéré comme une pratique incorrecte (...) En ce qui concerne la troisième des pratiques incorrectes, celle de rendre un culte, il déclare que, à l'exception du culte rendu au bouddha Amida, adresser des prières ou manifester son respect à tout autre bouddha, bodhisattva ou divinité des mondes humains ou célestes, doit être considéré comme une pratique incorrecte. En ce qui concerne la quatrième des pratiques incorrectes, celle de l'invocation, il déclare que, à l'exception de l'invocation du nom du bouddha Amida, invoquer le nom de tout autre bouddha, bodhisattva ou divinité des mondes humains ou célestes, doit être considéré comme une pratique incorrecte. Pour ce qui est de la cinquième des pratiques incorrectes, celle de l'éloge et des offrandes, il déclare que, exceptés les éloges et les offrandes adressés au bouddha Amida, les éloges et offrandes adressés à tout autre bouddha, bodhisattva ou divinité des mondes humains ou célestes doivent être considérés comme une pratique incorrecte."

Ce passage de commentaire indique que, par rapport à la première des pratiques incorrectes, dans la lecture et la récitation des sutras, il y a des règles précises pour les moines et les laïcs du Nembutsu, aussi bien hommes que femmes, désignant les sutras qui doivent être lus et ceux qu'il ne faut pas lire. Parmi les sutras qu'il ne faut pas lire, sont classés le Sutra du Lotus, les sutras Ninno*, Yakushi, Daijuku, Hannya Shin, Tennyo Jobutsu, et Hokuto Jumyo, et, en particulier parmi les huit volumes du Sutra du Lotus, le prétendu Sutra Kannon [en fait le chapitre Kanzeon bosatsu* (XXV)] dont la lecture est si répandue. Même s'ils sont des pratiquants assidus du Nembutsu, ceux qui lisent, ne serait-ce qu'une seule phrase ou un seul vers de ces sutras, entrent [à leurs yeux] dans la catégorie des personnes dont la pratique est incorrecte, et ne pourront pas renaître sur la Terre pure. Pourtant, lorsque j'observe de mes propres yeux ce qu'il en est réellement, parmi ceux qui récitent le Nembutsu, j'en vois beaucoup qui lisent ces divers sutras, allant à l'encontre de leurs maîtres et commettant ainsi l'une des sept fautes capitales.

De plus, dans le passage concernant la troisième sorte de pratiques incorrectes, celle du culte, il est dit que, à l'exception du culte rendu à Amida accompagné des deux vénérables bodhisattvas [Kannon et Seishi], rendre un culte ou faire l'éloge d'un des bouddhas, bodhisattva, divinités célestes ou divinités bienveillantes, mentionnés plus haut, doit être considéré comme une pratique incorrecte, interdite aux pratiquants du Nembutsu. Mais le Japon est la terre des dieux. Il fut créé par les augustes divinités Izanagi et Izanami, la déesse du Soleil, Amaterasu Omikami, a daigné y établir sa résidence, et la rivière Mimosuso, depuis un passé très lointain jusqu à nos jours, continue de couler. Comment une personne née dans ce pays pourrait-elle suivre une doctrine aussi erronée  ? De plus, puisque nous sommes nés sous les cieux qui abritent tout, et goûtons les bienfaits des Trois Corps lumineux, le soleil, la lune et les étoiles, ce serait une chose effrayante que de manquer de respect aux dieux qui gouvernent ces corps célestes.

De nouveau, dans le passage concernant la quatrième sorte de pratiques incorrectes, celle de l'invocation d'un nom, sont mentionnés certains noms de bouddha et de bodhisattva qu'un pratiquant du Nembutsu ne devrait pas invoquer. Les noms qu'il doit invoquer sont ceux du bouddha Amida et de ses deux honorables acolytes. Les noms qu'il ne doit pas invoquer sont ceux de Shakyamuni, Yakushi*, Vairocana, et autres bouddhas  ; ceux de Jizo, Fugen, Manjushri, les divinités Nitten, Gatten et des étoiles ; les divinités des sanctuaires d'Izu et de Hakone, des sanctuaires de Mishima, Kumano et Haguro  ; la déesse du Soleil Amaterasu Omikami  ; et le grand bodhisattva Hachiman. Ceux qui réciteraient ne serait-ce qu'un seul de ces noms, même s'ils récitaient le Nembutsu cent mille ou un million de fois, parce qu'ils auraient commis l'erreur d'invoquer le nom de l'un de ces bouddhas, bodhisattva, divinité du Soleil ou de la Lune ou d'autres divinités tomberaient dans l'enfer avici et ne pourraient pas renaître dans la Terre pure. Mais quand je regarde le monde, je vois des pratiquants du Nembutsu qui invoquent le nom de ces divers bouddhas, bodhisattvas, dieux célestes et divinités bienveillantes. Ainsi, dans ce domaine encore, ils vont à l'encontre de leur propres maîtres.

Dans le passage concernant la cinquième des pratiques incorrectes, celle des éloges et des offrandes, les croyants du Nembutsu sont invités à faire des offrandes au bouddha Amida et aux deux bodhisattvas qui l'assistent. Mais s'ils offrent, ne serait-ce qu'un peu d'encens ou quelques fleurs aux bouddhas, bodhisattvas, dieux célestes et divinités bienveillantes, si louables que soient les mérites acquis par leur pratique du Nembutsu, en raison de l'erreur qu'ils auront commise, ils seront condamnés au même sort que ceux dont la pratique est incorrecte. Pourtant, quand je regarde autour de moi, je vois les croyants du Nembutsu rendre visite aux divers sanctuaires, offrir des banderoles de papier ou de tissu, ou pénétrer dans divers temples bouddhiques et s'incliner avec respect. En cela également ils vont à l'encontre des instructions de leurs maîtres. Si vous doutez de ce que j'affirme, examinez le texte du Senchaku Shu. Il est très clair sur ces points.
Autre chose encore. Dans le traité Kannen Homon, le moine Shandao écrit : "Pour ce qui est des boissons enivrantes, de la viande et des cinq saveurs fortes, il faut faire voeu de ne jamais y porter la main, de ne jamais laisser sa bouche les goûter. Il faut jurer : "Si je transgresse cette interdiction, que des plaies purulentes s'ouvrent sur mon corps comme sur ma bouche." Le sens de ce passage est que les croyants du Nembutsu, laïques hommes ou femmes, moines ou nonnes ne doivent ni boire du vin ni manger de poisson ou de volaille. De plus, ils ne doivent manger aucune des cinq saveurs fortes, des aliments piquants ou d'odeur forte comme les poireaux ou l'ail. Si les croyants du Nembutsu transgressaient cette règle, alors, en cette vie-même, des éruptions purulentes apparaîtraient sur leur corps, et, dans la vie suivante, ils tomberaient dans l'enfer avici. Dans la réalité, néanmoins, nous trouvons quantité de croyants du Nembutsu, hommes et femmes laïques, moines et nonnes, qui ne tiennent aucun compte de cette interdiction, buvant autant de vin ou mangeant autant de poisson et de volaille qu'ils le désirent. En fait, ne croyez-vous pas que ce sont des couteaux pour se blesser eux-mêmes qu'ils avalent ainsi ?

A quoi l'ignorant répondit : "En vérité, lorsque je vous entends décrire la doctrine, je vois bien que, même si l'enseignement du Nembutsu pouvait conduire à renaître dans la Terre pure, son observance et ses pratiques sont très difficiles à poursuivre. Et naturellement, puisque les sutras et les traités sur lesquels il se fonde entrent tous dans la catégorie des doctrines provisoires, il est parfaitement clair qu'il ne peut conduire à renaître dans la Terre pure.

Mais il n'y a certainement aucune raison de rejeter les enseignements du Shingon. Le Sutra Vairocana* représente l'enseignement caché du bouddha Vairocana*, le roi de l'illumination. Il a été transmis, dans une lignée ininterrompue du bouddha Vairocana* à Shubhakarasimha* et Amoghavajra*. Et au Japon le Grand-maître* Kukai* répandit les enseignements concernant les mandala du Monde de diamant et du Monde de la matrice. Ce sont des enseignements secrets et ésotériques concernant les trente-sept honorés. Par conséquent, les plus profonds principes des enseignements exotériques ne sont pas même comparables aux stades élémentaires des enseignements ésotériques. C'est pourquoi le Grand-maître* Enchin*, du second temple Toin (note), dit dans ses commentaires  : "Même le Sutra du Lotus ne soutient pas la comparaison avec le Sutra Vairocana*, et moins encore les autres doctrines."(réf.) Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Le sage répondit  : "Au début, j'ai accordé ma confiance au bouddha Vairocana*, et souhaité pratiquer assidument l'enseignement de l'école bouddhique du Shingon ésotérique. Mais, lorsque j'ai étudié les principes essentiels de cette école, j'ai découvert qu'ils s'appuyaient sur des conceptions qui constituent, en réalité, une offense au Dharma !

Le Grand-maître* du Mont Koya [Kukai*], dont vous avez parlé, est un maître qui vécut sous le règne de l'empereur Saga. L'empereur lui confia officiellement pour tâche d'apprécier et d'expliquer la valeur relative des divers enseignements bouddhiques (note). Pour lui obéir, il produisit un ouvrage en dix volumes intitulé Jujushin Ron. Parce que cet ouvrage est si vaste et exhaustif, il en fit une version abrégée en trois volumes qu'il intitula Hizo Hoyaku*. Il y décrit dix stades dans l'évolution de l'esprit, du premier stade, "l'esprit d'un homme bas, apparenté aux chèvres par ses désirs"(note), jusqu'au dernier stade, "l'esprit glorieux, le plus secret et sacré"(note). Il range le Sutra du Lotus dans le huitième stade, le Sutra Kegon* dans le neuvième, et les enseignements du Shingon [du Sutra Vairocana*] dans le dixième. Ainsi, il considère même le Sutra du Lotus inférieur au Sutra Kegon*, et le classe deux rangs plus bas que le Sutra Vairocana. Dans son ouvrage, il écrit : "Chacun des véhicules enseignés proclame qu'il est le véhicule conduisant à la bodhéité, mais, lorsqu'on les envisage du point de vue d'un stade plus avancé (note), tous ne semblent plus que théories puériles." Il définit également le Sutra du Lotus comme un ouvrage composé de "mots sauvages et de phrases fleuries", et dénigre le Bouddha Shakyamuni en le disant égaré au stade de l'obscurité.

Il s'ensuivit que Shokaku-bo, disciple de Kukai* à une époque ultérieure et fondateur du temple Dembo-in, en vint à écrire que le Sutra du Lotus n'était même pas digne d'être le porteur de sandales du Sutra Vairocana*, et que le Bouddha Shakyamuni ne méritait pas même de conduire les boeufs du bouddha Vairocana*.

Prenez le temps de réfléchir et écoutez bien ce que je dis  ! Dans les cinq ou sept mille volumes de sutra représentant la totalité des enseignements exposés par le Bouddha de son vivant, ou dans les trois mille volumes ou plus des écrits confucéens et taoïstes, trouve-t-on, où que ce soit, un passage établissant clairement que le Sutra du Lotus est une "théorie puérile" ou qu'il se place deux rangs en dessous du Sutra Vairocana*, en étant également inférieur au Sutra Kegon*, ou que le Bouddha Shakyamuni est égaré dans le domaine de l'obscurité et n'est pas même digne de conduire les boeufs du bouddha Vairocana*  ? Et, même si l'on trouvait un passage de ce genre, il faudrait l'examiner avec le plus grand soin !

Quand les sutras et les enseignements bouddhiques furent introduits d'Inde en Chine, la manière de traduire dépendait des tendances du traducteur particulier, et il n'y avait pas de traduction arrêtée pour les sutras et les traités. C'est pourquoi le Savant-maître* Kumarajiva, sous la dynastie des Qin, avait coutume de dire : "Quand j'examine les enseignements bouddhiques tels qu'on les trouve en Chine, je vois que, dans bien des cas, ils diffèrent des originaux en sanskrit. Si les traductions de sutras que j'ai faites sont exemptes d'erreurs, après ma mort, lorsque je serai incinéré, mon corps, parce qu'il est impur, sera certainement consumé par les flammes, mais ma langue, seule [avec laquelle j'ai exposé le véritable sens des sutras], ne brûlera pas." Et quand, pour finir, il fut incinéré, son corps se réduisit à un amas d'os, mais sa langue, seule, subsista, reposant sur une fleur de lotus bleue, et émettant une lumière plus brillante que les rayons du soleil. Quel événement merveilleux !

Ainsi, il advint que cette traduction, en particulier, du Sutra du Lotus par le Savant-maître* Kumarajiva se répandit sans difficulté à travers toute la Chine. Et c'est pourquoi, quand le Grand-maître* Saicho* du temple Enryaku-ji attaqua les enseignements des autres écoles, il les réfuta en disant : "Nous avons la preuve, parce que la langue du Savant-maître* Kumarajiva, le traducteur du Sutra du Lotus, n'a pas été consumée par les flammes. Les sutras sur lesquels vous vous appuyez sont tous dans l'erreur  ! "

Une fois encore, dans le Sutra du Nirvana, le Bouddha déclara : "Quand mes enseignements seront transmis dans d'autres pays, de nombreuses erreurs y seront inévitablement introduites." Même si nous trouvions des passages de sutra dans lesquels le Sutra du Lotus est qualifié de futile, ou le Bouddha Shakyamuni décrit comme un bouddha égaré dans le monde de l'obscurité, nous devrions nous interroger avec soin sur la question de savoir si le texte dans lequel on trouve des déclarations de ce genre appartient aux enseignements provisoires ou définitifs, au Mahayana ou au Hinayana, s'il fut exposé dans la première ou la dernière partie de la vie du Bouddha, et qui en fut le traducteur.

On rapporte que Confucius réfléchissaient neuf ou trois fois avant de prononcer un seul mot. Et Dan, le duc de Zhou, était si désireux de recevoir ses visiteurs qu'il recrachait sa nourriture trois fois au cours d'un repas, et se rattachait les cheveux trois fois avant d'avoir pu les laver. Si même des personnages mentionnés dans des écrits non bouddhiques sans profondeur se conduisaient avec tant de précautions et d'égards, combien plus attentionnés encore devraient être ceux qui étudient les principes profonds des écrits bouddhiques !

Mais nulle part dans les sutras et les traités nous ne trouvons la plus petite preuve pour appuyer l'allégation que le Sutra du Lotus est inférieur au Sutra Vairocana*. Le commentaire du Grand-maître* Kukai* lui-même dit que celui qui calomnie les personnes et dénigre le Dharma tombera dans les mauvaises voies. (réf.) Une personne telle que Kukai* tombera inévitablement en enfer - cela ne peut faire aucun doute.

L'ignorant parut stupéfait, puis, soudain, poussa un soupir. Au bout d'un moment, il dit : "Le Grand-maître* Kukai* connaissait parfaitement les textes bouddhiques aussi bien que non bouddhiques, il était un maître et un guide pour le plus grand nombre. Il n'avait pas d'égal à son époque dans les pratiques vertueuses, et sa réputation était connue partout. On rapporte que, quand il était en Chine, il lança un sceptre de diamant en forme de trident qui parcourut dans les airs plus de quatre-vingt mille ri au-dessus de l'océan, jusqu'à ce qu'il parvienne au Japon (note)  ; on dit également que, lorsqu'il expliqua le sens du Hannya Shin, des pestiférés guérirent en si grand nombre qu'ils remplirent les rues. Ainsi, il n'était sans doute pas une personne ordinaire mais un bouddha se manifestant sous une forme temporelle. Il semble impossible de ne pas éprouver pour lui de l'estime ni de ne pas avoir foi en ses enseignements.

Le sage répondit : Au départ, je pensais comme vous. Mais, après avoir progressé dans la compréhension des enseignements du Bouddha et commencé à distinguer ce qui est en accord avec ses principes et ce qui ne l'est pas, j'ai compris que la capacité d'accomplir des miracles ne constitue pas nécessairement un critère solide pour déterminer la véracité ou la fausseté des enseignements bouddhiques. C'est pourquoi le Bouddha a énoncé le principe de "se fier au Dharma et non aux personnes" que j'ai mentionné plus haut.

L'ascète Agastya se versa toute l'eau du Gange dans l'oreille et l'y conserva pendant douze ans ; l'ascète Jinu but jusqu'à la dernière goutte de l'océan en un seul jour ; Zhang Jie exhala du brouillard et Luan Ba exhala des nuages. Mais cela ne signifie pas qu'ils savaient ce qui est correct et ce qui ne l'est pas dans les enseignements bouddhiques, ou qu'ils comprenaient le principe de cause et d'effet. En Chine, le Maître du Dharma Fayun fit un cours sur le Sutra du Lotus, et, peu après, des fleurs se mirent à pleuvoir du ciel. Mais le Grand-Maître* Zhanlan* déclara que, même s'il avait obtenu un tel résultat, ses mots ne s'accordaient pas avec la vérité [du Sutra du Lotus] (réf.). Ainsi, Zhanlan* l'accusa de ne pas avoir compris la vérité du bouddhisme.

Le Sutra du Lotus rejette trois sortes d'enseignements - ceux que le Bouddha exposa par le passé (note), ceux exposés à la même époque (Sutra des Sens Infinis) et ceux qu'il exposerait à l'avenir (Sutra du Nirvana). Il réfute les sutras exposés avant lui en disant qu'en eux le Bouddha "n'a pas encore révélé la vérité"(réf.). Il critique les sutras de la même période en se déclarant supérieur à "ceux qui sont exposés en ce moment", et rejette les sutras qui seraient enseignés à l'avenir, en disant qu'il est le plus élevé de "tous ceux qui seront exposés à l'avenir". En vérité, le Sutra du Lotus est le premier de tous les sutras jamais enseignés dans les trois phases de la vie.

Nous lisons, dans le quatrième volume du Sutra du Lotus : "Yakuo*, je te dirai ceci. Parmi tous les sutras que j'ai exposés, le Sutra du Lotus occupe la première place."(réf.) Ce passage rappelle que, à l'Assemblée du Pic du Vautour, le Bouddha s'adressa au bodhisattva Yakuo* et lui dit que, depuis le Sutra Kegon* jusqu'au Sutra du Nirvana, il y avait eu des sutras aussi nombreux que les grains de sable du Gange, mais que, parmi tous ces sutras, celui qu'il exposait maintenant, le Sutra du Lotus, tenait la première place. Mais, apparemment, le Grand-maître* Kukai lut le mot "troisième" à la place du mot "première".

Dans le même volume du Sutra du Lotus, le Bouddha déclare : "Pour le bien de la Voie bouddhique j'ai, dans d'innombrables terres différentes, depuis le commencement jusqu'à présent, largement enseigné divers sutras, mais, parmi eux, ce Sutra est le plus élevé."(réf.) Ce passage indique que le Bouddha Shakyamuni est apparu dans d'innombrables terres, prenant diverses formes et adoptant des durées de vie différentes. Et il établit que, parmi tous les sutras enseignés par le Bouddha sous les diverses formes qu'il emprunta pour se manifester, le Sutra du Lotus tient la première place.

Dans le cinquième volume du Sutra du Lotus, il est dit que le Sutra du Lotus occupe la place la plus élevée"(réf.), ce qui rend évident que ce Sutra est au-dessus des sutras Vairocana*, Kongocho* et de tous les autres innombrables sutras. Mais il semblerait que le Grand-maître* Kukai* ait lu là "occupe la place la plus basse." Ainsi, Shakyamuni et Kukai*, le Sutra du Lotus et le Hizo Hoyaku sont en fait totalement en désaccord. Voulez-vous rejeter Shakyamuni et suivre Kukai*  ? Ou rejetterez-vous Kukai* pour suivre Shakyamuni  ? Irez-vous à l'encontre du texte du Sutra pour accepter les affirmations d'un maître ordinaire  ? Ou rejetterez-vous les mots d'un maître ordinaire pour honorer les paroles d'or du Bouddha  ? Réfléchissez-y soigneusement avant de décider ce que vous acceptez et ce que vous rejetez  !

Qui plus est, dans le volume sept, au chapitre Yakuo* (XXIII), on trouve dix comparaisons exprimant l'excellence du Sutra du Lotus. La première comparaison concerne l'eau. Les ruisseaux et les rivières sont comparés aux divers autres sutras, et le grand océan au Sutra du Lotus. Ainsi, si quelqu'un voulait affirmer que le Sutra Vairocana* est supérieur et le Sutra du Lotus inférieur, cela reviendrait à dire que le grand océan contient moins d'eau que n'en contient un petit ruisseau  ! De nos jours dans le monde chacun sait que la taille de l'océan dépasse celle des diverses rivières, mais sans comprendre pour autant que le Sutra du Lotus est le plus élevé de tous les sutras.

La deuxième comparaison est faite avec une montagne. Les montagnes ordinaires sont comparées aux autres sutras, et le Mont Sumeru au Sutra du Lotus. Le Mont Sumeru mesure, du pied au sommet, 168 000 yojana ; quelle autre montagne pourrait lui être comparée  ? Dire que le Sutra Vairocana* est supérieur au Sutra du Lotus, c'est comme dire que le Mont Fuji est plus élevé que le Mont Sumeru.

La troisième comparaison concerne la lune et les étoiles. Les autres sutras sont comparés aux étoiles et le Sutra du Lotus à la lune. Si l'on compare les étoiles et la lune, peut-on se demander où réside la supériorité  ? Ensuite, dans cet ensemble de comparaisons, nous lisons : "De même, ce Sutra occupe la première place parmi tous les sutras et toutes les doctrines, qu'ils aient été enseignés par des bouddhas, des bodhisattvas ou par des disciples dans l'état d'auditeurs-shravakas." Ce passage nous indique que le Sutra du Lotus n'est pas seulement la plus élevée de toutes les doctrines enseignées par le Bouddha Shakyamuni de son vivant, mais qu'il occupe aussi la première place parmi tous les enseignements et sutra exposés par des bouddhas comme Vairocana, Yakushi* ou Amida, et par des bodhisattvas comme Fugen et Manjushri. Par conséquent, si quelqu'un affirmait qu'il existe un sutra supérieur au Sutra du Lotus, vous devriez bien comprendre qu'il expose des conceptions empruntées aux enseignements non bouddhiques, ou celles du Démon du sixième Ciel.

De plus, pour ce qui est de l'identité du bouddha Vairocana*, quand le Bouddha Shakyamuni, Seigneur du Dharma, Éveillé depuis le passé illimité, pendant quarante-deux ans atténua sa lumière et se mêla à la poussière du monde, se mettant à la portée des capacités des hommes de son temps, en tant que bouddha qui réunit les Tois Corps en un, il adopta temporairement la forme du bouddha Vairocana*. Par conséquent, lorsque le Bouddha Shakyamuni révéla le véritable aspect de tous les phénomènes, il devint clair que Vairocana était une forme temporaire empruntée par Shakyamuni pour répondre aux capacités des gens. Voilà pourquoi il est dit dans le Sutra Fugen que le Bouddha Shakyamuni est appelé "Vairocana* partout présent", et que le lieu où vit ce bouddha est dit "de la lumière éternellement paisible ".

Or, le Sutra du Lotus énonce divers principes : l'implication mutuelle des dix états, ichinen sanzen, l'unité de la Triple vérité, et l'inséparabilité des quatre sortes de Terres. De plus, l'essence même de tous les enseignements exposés par le Bouddha Shakyamuni de son vivant - les principes que les personnes des deux véhicules peuvent parvenir à la bodhéité et que le Bouddha atteignit la bodhéité dans un passé inimaginablement lointain - ne se trouvent que dans ce seul Sutra. Trouvez-vous la moindre allusion à ces points de la plus grande importance dans les trois sutras ésotériques que vous avez mentionnés, les sutras Vairocana*, Kongocho* et les autres  ? Shubhakarasimha* et Amoghavajra* volèrent ces principes vitaux du Sutra du Lotus, et s'efforcèrent d'en faire les points essentiels de leurs propres sutras. Mais, en fait, c'est une supercherie ; leurs propres sutras et traités ne contiennent pas la plus petite trace de ces principes. Vous devez vous hâter de réformer votre jugement sur ce point  !

Le fait est que le Sutra Vairocana* comprend chacune des quatre sortes d'enseignement, et expose cette sorte de préceptes qui n'apportent plus de bienfaits lorsque la forme corporelle est arrivée à sa fin. C'est un enseignement provisoire, désigné par des maîtres chinois (note) comme entrant dans la catégorie Hodo*, un groupe de sutras qui, selon la classification de Zhiyi*, furent enseignés dans la troisième période. Quelle honte que de le placer au-dessus du Sutra du Lotus  ! Si vous vous préoccupez vraiment de rechercher la Voie, vous devez rapidement regretter vos erreurs passées  ! Pour finir, ce sutra Myoho Renge Kyo*, résume en un seul moment de vie tous les enseignements et toutes les pratiques de méditation du Bouddha Shakyamuni tout au long de sa vie, et englobe tous les êtres vivants des dix mondes-états et leurs environnements dans les trois mille mondes.

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