Lettre à Akimoto

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 7, p. 245 ; SG* p. 1024
Gosho Zenshu p. 1071 - Akimoto gosho

Minobu, le 27 du 1er mois de 1280, adressé à Akimoto Taro Hyoe-no jo

 

 

J'ai bien reçu les trente récipients en bambou et les soixante assiettes que vous avez eu la bonté de m'envoyer.
Ces récipients sont appelés utsuwa mono. Lorsque la terre est creuse, l'eau s'y dépose. Quand le ciel est pur, on y voit briller la lune. En se levant, la lune éclaire l'eau ; et grâce à l'eau de pluie, les plantes et les arbres poussent.

Les récipients sont creux. L'eau y reste de la même manière que, dans un creux de la terre, se conserve l'eau d'un étang. Et, de même qu'un étang s'éclaire en reflétant la lune, notre corps s'illumine en recevant le Sutra du Lotus.

Les récipients peuvent avoir quatre sortes de défauts. Le premier, c'est la fermeture*. Cela se produit lorsqu'un récipient est retourné ou fermé d'un couvercle. Le deuxième, c'est la fêlure ou le trou par lequel le liquide fuit. Le troisième, c'est la souillure* indiquant que le contenu est altéré. Même quand un récipient contient de l'eau pure, si l'on y déverse de la saleté, son contenu devient inutilisable. Le quatrième défaut est l'adultération*. Si l'on ajoute au riz des immondices, des cailloux, du sable ou de la poussière, il devient alors immangeable.

Le récipient symbolise notre corps et notre esprit. Notre esprit est une sorte de récipient, notre bouche et nos oreilles le sont également. Le Sutra du Lotus est l'eau du Dharma, expression de la sagesse du Bouddha. Mais quand cette eau est versée dans leur cœur, certains choisissent de la rejeter. Nous pouvons aussi y faire obstruction, en couvrant nos oreilles avec nos mains afin de ne pas l'entendre. Ou encore, la recracher pour empêcher notre bouche de réciter le Sutra. Nous sommes alors comme un récipient renversé ou clos par un couvercle.

On peut aussi avoir un certain degré de croyance, mais au contact de mauvaises influences, la foi s'affaiblit. Alors, soit on abandonne totalement la pratique bouddhique, soit on la poursuit pendant quelques jours, pour l'abandonner pendant des mois. Autant dire que l'on est alors comparable à un récipient percé qui laisse fuir l'eau.

Ou encore, il est possible d'être cette sorte de pratiquant du Sutra du Lotus dont la bouche récite un instant Namu Myoho Renge Kyo, et l'instant d'après Namu Amida Butsu. C'est comme introduire des ordures dans du riz, ou y ajouter du sable et des cailloux. Contre cela, le Sutra du Lotus met en garde   : "en croyant et en pratiquant uniquement le Sutra du Mahayana, sans jamais accepter un seul vers des autres sutras."(réf.)

Les lettrés de notre époque s'imaginent qu'il n'y a aucun mal à mélanger d'autres pratiques avec celle du Sutra du Lotus. Moi-même, Nichiren, je partageais autrefois cet avis, mais ce n'est pas du tout ce que dit le Sutra.

Imaginons que l'épouse d'un grand roi soit enceinte. Si par la suite elle s'allie à un roturier, la semence du roi se mêlera à celle du roturier, si bien que ni les divinités célestes ni les divinités tutélaires de la famille n'accorderont plus leur soutien, et le royaume connaîtra le déclin. L'enfant né de ces deux pères ne sera ni un roi ni un homme du peuple, on lui contestera même la condition d'être humain. C'est l'un des points essentiels du Sutra du Lotus. Le principe de l'ensemencement, de la maturation et de la récolte de la graine est le cœur même et l'âme du Sutra du Lotus. Tous les bouddhas des trois phases de la vie et des dix directions sont immanquablement parvenus à la bodhéité grâce aux graines que sont les cinq caractères Myo Ho Ren Ge Kyo. Les mots "Namu Amida Butsu" ne sont aucunement les graines de la bodhéité, pas plus que les mantra dharani* ou les cinq préceptes. Il faut bien comprendre cela, autrement, nous faisons apparaître ce défaut appelé adultération*.

Un récipient exempt des quatre défauts déjà mentionnés, autrement dit qui n'est ni clos, ni percé, dont le contenu n'a été ni souillé ni contaminé, est un récipient parfait. Si la digue bordant un canal est sans fissures, l'eau ne s'en échappera pas. Et si le cœur de la foi est parfait, l'eau de la grande sagesse impartiale du Bouddha ne tarira jamais.

Les récipients que vous m'avez fait parvenir sont solides et épais, et recouverts d'une laque très pure. Ils symbolisent clairement la solidité et la force de votre foi dans le Sutra du Lotus.

Pour avoir offert quatre bols au Bouddha, on dit que Bishamon est celui des quatre Rois du Ciel dont la bonne fortune est la plus grande au monde. Vimaladatta*, parce qu'elle fit don de 84000 bols au bouddha Unraionno*, renaquit par la suite sous la forme du bodhisattva Myoon*. Vous qui, maintenant, faites don au Sutra du Lotus de ces trente récipients et soixante assiettes, comment pourriez-vous ne pas atteindre la bodhéité  ?

On désigne le Japon sous dix noms différents tels que Fuso, Yamato, Mizuho* et Akitsu shima*. Le pays, composé de 66 provinces et 2 îles [Iki et Tsushima, proches de la côte de Kyushu], s'étend sur une longueur de 3000 lieues, et une largeur irrégulière, de 100 à 500 lieues. Constitué de 5 régions et 7 provinces, il compte 586 districts et 3 729 villages. Pour ce qui est des terres cultivables, il comporte 11 120 cho de qualité supérieure et 885 567 cho de qualités diverses. Sa population s'élève à 4 989 658 habitants. On y trouve 3 132 sanctuaires et 11 037 temples. Le nombre des hommes est de 1 994 828 et celui des femmes de 2 994 830.

Parmi tous ces hommes, Nichiren seul se distingue. En quel sens  ? Il est la personne qu'hommes et femmes haïssent le plus. Car, malgré le grand nombre de provinces et d'habitants du Japon, tous récitent d'un même coeur Namu Amida Butsu. Ils ont pris le bouddha Amida pour objet de culte, rejettent totalement les neuf autres directions et ne rêvent que de l'Ouest. Ainsi, même ceux qui récitent le Sutra du Lotus, comme ceux qui pratiquent le Shingon, ceux qui observent les préceptes, les sages aussi bien que les ignorants - tous considèrent les autres pratiques comme secondaires et la récitation du Nembutsu comme essentielle. Ils croient qu'il n'existe pas d'autre façon d'expier leurs fautes que de réciter le nom du bouddha Amida. Ainsi certains le récitent 60000 fois, 80000 fois ou 480000 fois tandis que d'autres le récitent 10 fois, 100 fois ou 1000 fois.

Et dans ces conditions, moi, Nichiren, je suis le seul à déclarer que la récitation du nom du bouddha Amida conduit à l'enfer avici, que le Zen est une invention du démon, que le Shingon est une doctrine néfaste menant le pays à la ruine, et que l'école Ritsu et ceux qui observent les préceptes se rendent coupables de trahison. C'est la raison pour laquelle, tous, depuis le souverain jusqu'au plus modeste de ses sujets, me redoutent plus encore que l'ennemi juré de leurs parents, un ennemi les poursuivant vie après vie, un traître fomentant une révolte, un bandit opérant de nuit ou un brigand. Leur colère se déchaîne contre moi, ils me maudissent, ils me frappent. On promet d'octroyer des terres à ceux qui me dénigrent tandis que ceux qui font mon éloge sont chassés de leur domaine ou punis d'amendes. On offre une récompense à ceux qui voudraient me tuer. Et, pour couronner le tout, à deux reprises, j'ai encouru la punition des autorités.

Je ne suis pas seulement la personne la plus étrange qui vive dans le monde d'aujourd'hui  ; on ne vit jamais non plus personne plus étrange que moi sous le règne des quatre-vingt-dix souverains humains, au cours des plus de 700 années écoulées depuis l'introduction du bouddhisme au Japon. Moi, Nichiren, je suis comparable à la grande comète de l'ère Bun'ei (1264), ce phénomène étrange dans le ciel, comme le Japon n'en avait encore jamais vu auparavant. Je suis comparable au grand tremblement de terre de l'ère Shoka (1257), un sursaut de la terre comme il ne s'en était encore jamais produit depuis la naissance de ce pays.

Dans toute l'histoire du Japon depuis son origine, vingt-six hommes furent des traîtres au pays. Le premier fut le prince Oyama, le deuxième, Oishi no Yamamaru, et ainsi de suite jusqu'au 25e, Yoritomo, et au 26e, Yoshitoki. Parmi eux, les vingt-quatre premiers furent exécutés par les forces impériales. Leur tête fut exposée devant les portes de leur prison ou leur dépouille abandonnée en plein champ dans la montagne. Mais les deux derniers parvinrent à chasser l'empereur [Go-Toba] du trône et à régner sur le pays entier, marquant ainsi la fin du pouvoir impérial.

Toutefois aucun de ces traîtres n'a suscité chez le peuple autant de haine que moi, Nichiren. Si vous me demandez pourquoi, je vous répondrai ceci  : il est dit dans le Sutra du Lotus que ce sutra est "le plus élevé de tous les sutras". (réf.) Mais le Grand-maître* Kukai* n'accorde au Sutra du Lotus que la troisième place, tandis que le Grand-maître* Ennin* le classe au deuxième rang, et le Grand-maître* Enchin* suit sur ce point Ennin*. C'est pourquoi, à présent, quand les moines du Mont Hiei, ceux des temples To-ji et Onjo-ji, ont sous les yeux le Sutra du Lotus, ils lisent bien le passage affirmant qu'il est de tous les sutras le plus élevé, mais, même en lisant cela, ils pensent, en réalité, que le Sutra du Lotus n'occupe que le deuxième ou troisième rang. Les nobles et les samouraïs ne savent pas précisément tout cela. Mais puisque les moines éminents qui les guident dans la foi partagent tous cette opinion, les disciples laïques et leurs maîtres commettent la même erreur.

Quant aux autres écoles, les adeptes du Zen prétendent que leur enseignement a été transmis en dehors des sutras, affichant ainsi leur mépris du Sutra du Lotus. Les adeptes du Nembutsu proclament que "pas une personne sur mille"(réf.) et que "pas une seule personne sur cent n'a jamais atteint la bodhéité"(réf.) grâce à un autre enseignement que le leur, en ajoutant que, par rapport au Nembutsu, le Sutra du Lotus est trop élevé, trop difficile à comprendre pour être pratiqué et qu'il devrait par conséquent être rejeté. Les adeptes du Ritsu s'appuient sur les principes du Hinayana. Même à l'époque du Dharma correct, le Bouddha n'approuvait pas la propagation de ces enseignements. Sans doute apprécierait-il encore moins qu'à l'époque des Derniers jours du Dharma, ils servent à égarer le gouvernement.

Trois reines* dans la Chine antique, induisirent en erreur les rois des trois dynasties et firent perdre le trône à leurs maris respectifs. Et, de même, c'est parce que ces enseignements nuisibles se sont répandus dans le pays tout entier en ôtant au Sutra du Lotus la place qui lui revient que les souverains Antoku, Takahira et d'autres furent abandonnés par Tensho Daijin* et par le grand bodhisattva Hachiman. Ils moururent noyés dans la mer ou exilés sur des îles lointaines après avoir été chassés du trône par des familles au service de la cour depuis de nombreuses générations, tout cela parce que les divinités célestes avaient cessé de les protéger. Ils avaient accordé foi à des enseignements ennemis du Sutra du Lotus. Mais personne n'en ayant conscience, rien ne pouvait leur faire comprendre la gravité de leur erreur. C'est ce qu'illustre l'adage  : "les sages perçoivent la cause profonde de toute chose, comme les serpents comprennent les mœurs des serpents". (réf.)

Moi, Nichiren, je ne suis pas un sage. Mais, de même qu'un serpent peut comprendre l'esprit d'un dragon, et que les corbeaux peuvent pressentir ce qui est de bon ou de mauvais augure en ce monde, j'ai pu prévoir ce qui se passerait. Je savais qu'en disant cela, je m'exposerais immédiatement à des sanctions, mais qu'en ne parlant pas, je tomberais dans l'enfer avici.

Lorsque l'on étudie le Sutra du Lotus, il y a trois points qu'il faut comprendre. Le premier concerne ceux qui s'opposent au Dharma. Les moines Agramati* et Kugan, le Savant-maître* Vimalamitra* et le brahmane Daiman* en sont des exemples. Ils n'avaient, pour vêtir leur corps, que la triple robe, n'élevaient qu'un seul bol à aumônes à hauteur de leurs yeux, et observaient scrupuleusement les deux cent cinquante préceptes. Mais ils étaient en fait des ennemis du Mahayana et, pour finir, tombèrent dans la grande citadelle de l'enfer avici.

À une époque plus récente, au Japon, il y eut des hommes tels que Kukai*, Ennin* et Enchin* qui observaient les préceptes avec la même rigueur que les moines susnommés et dont la sagesse n'était en rien inférieure à la leur. Mais parce qu'ils affirmaient   : "l'enseignement Shingon du Sutra Vairocana* vient en premier et le Sutra du Lotus n'occupe que le deuxième ou troisième rang", s'il y a dans ce que j'affirme la moindre parcelle de vérité, ils doivent se trouver eux aussi maintenant dans la grande citadelle de l'enfer avici.

Il est bien effrayant d'avoir à prononcer de telles paroles et plus encore de les écrire. Mais, si, alors que le Bouddha lui-même a déclaré que le Sutra du Lotus était le plus élevé, on voit quelqu'un le placer seulement au deuxième ou au troisième rang, et si, par crainte de la réaction des autres ou du gouvernement, on ne dit rien, alors "on est en fait un ennemi". (note) On devient ainsi le plus redoutable ennemi de tous les êtres vivants. Voilà ce qui est expliqué aussi bien dans le Sutra que dans les commentaires, et voilà pourquoi j'en parle ouvertement.

Il faut parler, sans crainte de qui que ce soit, pas même des autorités, et appliquer ainsi le passage du Sutra dans lequel il est dit : "Nous faisons peu de cas de notre corps ou de notre vie et nous nous préoccupons seulement de la Voie qu'aucune autre ne surpasse."(réf.)

Ce n'est pas que j'aie oublié les insultes infamantes, les coups de bâton et les jets de pierre infligés au bodhisattva Fukyo*. Ce n'est pas que j'affronte sans crainte les réactions du monde. C'est seulement que je redoute plus encore les sévères mises en garde du Sutra du Lotus. La situation est comparable à celle de Sukenari et de Tokimune, qui, bien que vivants à la cour du shogun, assouvirent leur vengeance parce que c'était leur unique désir et que la pensée de ne pas se venger de leur ennemi leur était insupportable.

Voilà pour les personnes qui offensent* le Dharma.

Mais, même sans jamais s'opposer soi-même au Sutra du Lotus tout au long d'une vie, on peut appartenir à une famille dont les membres s'opposent au Dharma. On aura beau alors le pratiquer sans cesse, jour et nuit, le fait d'être né dans une famille s'opposant au Dharma conduit inévitablement à renaître dans l'enfer avici. Par exemple, les personnes nées dans les familles des moines Agramati* ou Kugan, et devenues leurs disciples ou bienfaiteurs, sont toutes à leur insu tombées dans l'enfer avici. Autre exemple, les membres de la famille de Yoshimori. Sans parler de ceux qui perdirent la vie en luttant pour se défendre, ni même des enfants encore dans le ventre de leur mère, qui en furent arrachés et tués avant la naissance.

Maintenant, moi, Nichiren, j'ai révélé que les trois Grands-maîtres Kukai*, Ennin* et Enchin* affirment effrontément dans leurs écrits que le Sutra du Lotus émane du monde de l'obscurité, qu'il est une doctrine erronée et fallacieuse. Si ce que dit le Sutra du Lotus est véridique, qu'adviendra-t-il alors, à votre avis, de tous les moines du Mont Hiei, de To-ji, de Onjo-ji, des sept temples majeurs de Nara et des autres 11 037 temples à travers tout le Japon   ? Si l'on s'en tient aux exemples que je viens de citer, il ne fait aucun doute qu'ils tomberont dans la grande citadelle de l'enfer avici.

Voilà pour la famille de ceux qui s'opposent au Dharma.

Qu'en est-il maintenant du pays où l'on s'oppose au Dharma  ? Les personnes vivant dans un pays dont les habitants s'opposent au Dharma seront, toutes sans exception, condamnées à tomber dans la grande citadelle de l'enfer avici. De même que tous les cours d'eau se jettent dans le grand océan, tous les malheurs possibles s'abattront sur ce pays et se multiplieront comme les plantes et les arbres prolifèrent en montagne.

Les trois calamités frapperont, mois après mois, et les sept désastres apparaîtront, jour après jour. La famine se déclarera et le pays sera la proie des esprits faméliques*. Partout, les épidémies se succéderont, et le pays se changera en état d'enfer. La guerre y éclatera, et il deviendra le domaine des ashura. Ignorant leur lien de parenté, frères et sœurs se prendront mutuellement pour mari et femme, et le pays deviendra le domaine de l'animalité. En pareil cas, ce n'est pas après la mort que l'on tombe dans les trois mauvaises voies, mais, de son vivant, on voit tomber le pays dans lequel on vit dans les quatre états les plus bas.

Voilà ce qu'il advient à un pays dont les habitants s'opposent au Dharma.

Ses habitants sont comparables à ceux qui vivaient à l'époque des Derniers jours du Dharma du bouddha Daishogon, ou à l'époque impure du bouddha Shishionno*. Ou, si l'on doit en croire ce qui est mentionné dans le Sutra Ho'on* , les gens mangeront non seulement la chair de leurs propres parents, frères ou sœurs défunts, ou de n'importe quel autre mort, mais aussi des créatures encore vivantes. Le Japon, de nos jours, est devenu précisément un pays de ce genre. Nombreux sont ceux qui, parmi les maîtres du Shingon, les adeptes du Zen ou du Ritsu, y mangent de la chair humaine. Cela est entièrement dû aux enseignements erronés du Shingon.

Le moine Ryuzo-bo, dont on a découvert qu'il avait mangé de la chair humaine, est un cas parmi une multitude d'autres. Dans le même esprit que lui, d'autres se procurent de la chair humaine et la mélangent à de la viande de sanglier ou de cerf, ou la découpent et la mêlent à du poisson ou à de la volaille, la broient, la nettoient, puis la vendent. Il est impossible de dire exactement combien de gens se sont ainsi livrés à l'anthropophagie. De tels faits indiquent que le pays a été abandonné par les divinités célestes qui veillaient sur lui et le protégeaient. Pour finir, le pays sera attaqué par des nations étrangères, ses habitants en viendront à se battre entre eux, et il se changera en véritable enfer des souffrances incessantes.

Parce que moi, Nichiren, j'ai constaté, depuis un certain temps déjà, que le pays s'engageait dans une voie profondément erronée  ; parce que j'ai voulu éviter d'être complice de la faute d'opposition au Dharma  ; parce que je craignais les avertissements du Bouddha, et parce que, connaissant mes devoirs, je désire m'acquitter de ma dette de reconnaissance envers mon pays, j'ai annoncé et fait connaître cela à tous, gouvernants et habitants.

L'interdiction de tuer les êtres vivants est un précepte primordial. Le premier des cinq préceptes interdit d'ôter la vie et les huit préceptes, les dix préceptes, les deux cent cinquante préceptes, les dix principaux préceptes du Sutra du filet de Brahma* , les dix préceptes insondables du Sutra Kegon* et les dix préceptes du Sutra du collier de bodhisattva*, tous commencent par le précepte proscrivant l'acte de tuer. Et parmi les trois mille sanctions codifiées par le confucianisme, la première est la peine capitale.

La raison en est que "rien, dans la totalité d'un système majeur de mondes, n'a autant de valeur qu'un seul être vivant", (réf.) ce qui signifie que tous les joyaux et trésors contenus dans un système majeur de mondes ne peuvent remplacer une seule vie. L'enfer est promis à celui qui tue une simple fourmi, pour ne rien dire de ceux qui tuent des poissons ou des oiseaux  ! Ceux qui coupent une seule tige d'herbe verte tomberont en enfer. A plus forte raison ceux qui découpent des cadavres !

Toutefois, alors que ces préceptes font du meurtre un crime d'une extrême gravité, il est dit que mettre à mort un ennemi du Sutra du Lotus est un acte extrêmement méritoire. Et si tel est le cas, comment pourrait-on faire des dons et offrir son soutien à une personne de ce genre  ? C'est pour cela que le roi Sen'yo* fit exécuter cinq cents maîtres brahmanes, que le moine Kakutoku fit mettre à mort d'innombrables opposants au Dharma correct, et que le grand roi Ashoka condamna à mort 108000 non bouddhistes. Ces rois étaient considérés comme les plus valeureux de tout le Jambudvipa, et ce moine comme le plus sage parmi ceux observant les préceptes. Le roi Sen'yo renaquit par la suite sous la forme du Bouddha Shakyamuni ; le moine Kakutoku sous celle du bouddha Kashyapa, et le grand roi Ashoka fut reconnu comme ayant atteint la Voie.

Le Japon d'aujourd'hui ressemble au pays de ces grands personnages. C'est un pays où ceux qui observent les préceptes aussi bien que ceux qui les violent ou les ignorent, les souverains, les ministres aussi bien que les gens du peuple se retrouvent pour ne faire plus qu'un dans l'opposition au Sutra du Lotus. La situation est telle que, même si l'on s'arrachait la peau pour copier sur elle le Sutra du Lotus, même si l'on faisait don de sa propre chair, le pays irait inévitablement à sa perte et l'on tomberait quand même en enfer, tant est grave cette faute d'opposition. Le seul et unique remède pour barrer la route à l'école Shingon, à l'école Nembutsu, à l'école Zen et à ceux qui observent les préceptes, est de se consacrer au Sutra du Lotus.

Ceux qui ont mémorisé les soixante volumes (note) de l'école Tendai et qui sont tenus pour des sages par le dirigeant du pays et les autorités, est-ce parce que la sagesse leur fait défaut, ou parce que, tout en connaissant la vérité, ils redoutent les réactions du monde, qu'ils font l'éloge de l'école Shingon et s'allient aux adeptes du Nembutsu, du Zen et du Ritsu   ? Leur faute est cent, mille fois plus grande que celle des adeptes de ces écoles   ! On peut les comparer à Shigeyoshi ou Yoshimura.

Le Grand-maître* Cien* écrivit le Hokke genzan* en dix volumes dans lesquels il faisait l'éloge du Sutra du Lotus, mais il tomba quand même en enfer. Il était l'un des principaux disciples du Maître du tripitaka* Xuanzang*, respecté par l'empereur Tai-zong, et qui passait pour une réincarnation de Avalokitesvara* onze visages. Ses écrits semblaient s'accorder avec le Sutra du Lotus mais, en esprit, ils étaient en accord avec les sutras antérieurs au Sutra du Lotus, et c'est la raison pour laquelle Cien tomba en enfer.

Le Grand-maître* Jizang écrivit le Hokke genron* en dix volumes, et aurait dû pour cela tomber dans l'enfer avici. Mais il abandonna ses interprétations personnelles du Sutra du Lotus et servit le Grand-maître* Zhiyi*, si bien qu'il échappa ainsi aux souffrances de l'enfer.

Il en va de même pour les adeptes de l'école Hokke aujourd'hui. Le Mont Hiei devrait être la forteresse du Sutra du Lotus, et le Japon devrait être un pays entièrement consacré à l'enseignement du Véhicule unique. Mais le Grand-maître* Ennin* a usurpé la position de Grand-patriarche de l'école devant garantir la fidélité au Sutra du Lotus, et il s'est transformé en un Grand-patriarche du Shingon, la totalité des trois mille moines de la montagne devenant ses disciples. Le Grand-maître* Kukai* détourna à son profit la protection de l'empereur Saga, auparavant bienfaiteur de l'école Hokke, et changea le palais impérial en un temple de l'école Shingon.

L'empereur Antoku, ayant pris pour maître le Grand-patriarche Myoun, lui demanda de conduire des prières pour la défaite du Ministre de la cour, Yoritomo. Or, non seulement ces hommes furent punis par le général de la Droite, Yoritomo, mais en définitive, l'empereur Antoku se noya dans la mer de l'ouest et Myoun lui-même fut tué par Yoshinaka.

Le souverain Takahira* fit appeler Jien*, administrateur des moines et Grand-patriarche de l'école Tendai, ainsi que d'autres moines éminents des temples To-ji, Omuro [en fait, le temple Ninna-ji] et d'autres - quarante et une personnes au total. Il fit dresser pour eux, à la cour du palais impérial, un grand autel afin qu'ils prient pour la victoire sur Yoshitoki [l'administrateur provisoire du secteur ouest de la capitale]. Mais, au septième jour de leurs prières, qui se trouvait être le 14e jour du 6e mois, la capitale fut envahie par les forces de Yoshitoki, la famille impériale exilée dans la province d'Oki ou sur l'île de Sado, et le Grand-patriarche et les moines du temple Omuro ainsi que de divers autres temples furent sévèrement punis, certains allant jusqu'à mourir de désespoir.

Les gens de notre époque ignorent la véritable origine de ces phénomènes. Cela tient uniquement au fait qu'ils se trompent sur les mérites relatifs du Sutra du Lotus et du Sutra Vairocana*.

Et aujourd'hui, alors que le Japon est sous la menace d'une attaque du grand empire mongol, on dit que les autorités ont recours à ces mêmes prières néfastes dans l'espoir de vaincre les Mongols. Les rapports officiels quotidiens l'établissent clairement. Comment une personne pleinement consciente de la situation pourrait-elle ne pas s'en attrister  ?

Qu'il est tragique de naître dans un pays dont les habitants s'opposent au véritable Dharma et s'exposent à de si grandes souffrances   ! Il nous est peut-être possible de ne pas commettre nous-mêmes des oppositions au Dharma. Mais comment éviter les rétributions négatives qu'entraîne le fait d'appartenir à une famille ou de vivre dans un pays qui s'y opposent  ?

Si vous voulez échapper aux sanctions qu'encourent ceux dont certains parents s'opposent au Dharma bouddhique, parlez de tout cela à vos parents ou à vos frères. Peut-être vous détesteront-ils, mais peut-être aussi accorderont-ils du crédit à vos paroles. Si vous voulez aussi échapper aux conséquences funestes dues au fait de vivre dans un pays dont les habitants s'opposent au Dharma, vous devez présenter des remontrances au souverain, même si cela peut vous valoir la condamnation à mort ou l'exil. "Nous faisons peu de cas de notre corps ou de notre vie et nous nous préoccupons seulement de la Voie qu'aucune autre ne surpasse", est-il écrit dans le Sutra du Lotus. Et le commentaire [de Cien*] ajoute : "Notre corps est de moindre poids que le Dharma qui est suprême. Il faut être prêt à donner sa vie si l'on veut propager le Dharma."(réf.)

La raison pour laquelle une personne, pendant d'innombrables kalpas, depuis le plus lointain passé jusqu'à présent, n'est jamais parvenue à atteindre la bodhéité, est celle-ci   : en pareille situation, par peur, elle n'a pas osé parler. Et ce principe ne sera pas moins vrai à l'avenir.

Ma propre expérience, à moi Nichiren, me permet de comprendre cela. Mais certains de mes disciples, même lorsqu'ils le conçoivent, redoutent les persécutions de leur vivant et, pour protéger une vie pourtant aussi éphémère que la rosée, trahissent leur croyance, la dissimulent dans leur coeur, ou ne la manifestent d'aucune façon.

Ma propre vie m'a appris à quel point est précieux le passage du Sutra du Lotus dans lequel il est dit que ce sutra est "le plus difficile à croire et le plus difficile à comprendre." Ceux qui s'opposent à l'enseignement du Sutra du Lotus sont aussi nombreux que tous les grains de poussière de la terre ; et ceux qui croient, aussi peu nombreux que les grains de poussière pouvant tenir sur un ongle. Ou encore, ceux qui s'y opposent sont aussi nombreux que toutes les gouttes d'eau d'un gigantesque océan, alors que ceux qui le défendent représentent une goutte d'eau.

Sur le Mont Tiantai, se trouve un lieu que l'on appelle la Porte du Dragon. C'est une cascade de mille pieds de haut. Au début du printemps, les poissons s'y rassemblent et tentent de remonter le courant. Pas un seul sur cent ou mille n'y parvient, mais le poisson qui y parviendrait se changerait, dit-on, en dragon. L'eau de cette cascade tombe plus rapidement encore qu'une flèche ou qu'un éclair. Non seulement le courant de cette cascade est difficile à remonter mais, en ce début de saison, les pêcheurs se réunissent sur la rive pour prendre des poissons, avec des centaines et des milliers de filets, les transperçant de leurs flèches ou les attrapant à la main. Aigles, faucons, milans, hiboux, tigres, loups, chiens et renards se rassemblent également en ce lieu, jour et nuit, pour les dévorer. Ainsi, dix ou vingt ans peuvent s'écouler sans que jamais un seul poisson ne se change en dragon. C'est comparable à un roturier rêvant d'être admis au palais impérial, ou à une femme du peuple rêvant de devenir reine.

Vous devriez comprendre que pratiquer le Sutra du Lotus est encore plus difficile.

Le Bouddha nous en a constamment avertis : même les personnes les plus respectueuses des préceptes, si méritantes et sages soient-elles, et si parfaite que soit leur connaissance du Sutra du Lotus et des autres écrits, si elles voient un ennemi du Sutra du Lotus sans le dénoncer, le réfuter, ou en informer le dirigeant du pays, et si elles se taisent, par crainte des réactions des autres, elles tomberont immanquablement dans la grande citadelle de l'enfer avici. Imaginez, par exemple, que, sans être soi-même l'instigateur d'une trahison, on connaisse une personne qui se prépare à trahir. Si l'on n'en informe pas le souverain, on se rend coupable du même crime que celui qui commet la trahison.

Le Grand-maître* Huisi écrit  : "Si l'on voit un ennemi du Sutra du Lotus s'y opposer sans lui en faire reproche, on devient soi-même une personne qui s'oppose au Dharma et on tombera dans l'enfer avici."(réf.) Même un grand sage, s'il voit une personne de ce genre sans rien lui dire, tombera au fin fond de l'enfer avici et ne pourra jamais en sortir aussi longtemps que cet enfer durera.

Moi, Nichiren, craignant les remontrances du Bouddha, j'ai donc réfuté toutes les oppositions que je voyais dans le pays, et cela m'a valu d'être condamné à l'exil à plusieurs reprises, ou à la peine de mort. Convaincu d'avoir maintenant expié mes fautes passées et purifié mon karma, j'ai quitté Kamakura et je vis depuis sept ans dans cette montagne.

En voici la description. Il y a sept régions au Japon et cette montagne se trouve dans la région que l'on appelle le Tokaido, qui se divise en quinze provinces. L'une d'elles est la province de Kai, comportant trois districts, les villages d'Iino, Mimaki et Hakiri. La chaîne montagneuse dont je parle se trouve dans le district d'Hakiri et s'étend, au nord-ouest, sur plus de vingt lieues. Au nord, s'élève le Mont Minobu, au sud, le Mont Takatori, à l'ouest, le Mont Shichimen et à l'est, le Mont Tenshi, comme des planches se dressant pour enfermer le ciel des quatre côtés. Autour de ces montagnes coulent quatre cours d'eau  : du nord au sud, la rivière Fuji  ; d'ouest en est, la rivière Haya  ; derrière cette région et devant, la rivière Hakiri et son confluent, comportant une cascade, que l'on appelle la rivière Minobu. On pourrait croire que le Pic du Vautour est venu du centre de l'Inde ou que le Mont Tiantai a quitté la Chine pour s'installer ici.

Entre ces quatre montagnes et quatre rivières se trouve un plateau aussi peu étendu que la paume d'une main. Là, pour me protéger de la pluie, j'ai construit une petite cabane, mon ermitage. Les quatre murs sont faits d'écorce arrachée aux arbres. Pour vêtement, je porte la peau d'un daim mort de mort naturelle. Au printemps, je cueille des fougères pour en nourrir mon corps, et à l'automne je ramasse des baies pour rester en vie. Depuis le 11e mois de l'année dernière, la neige n'a cessé de s'accumuler, et maintenant, dans le premier mois de la nouvelle année, elle tombe toujours. Ma cabane est haute de sept pieds, mais la neige s'est entassée sur une hauteur de dix pieds. Je suis entouré par quatre murs de glace, le gel a suspendu des ornements précieux aux coins du plafond de mon lieu de pratique, tandis que sur le sol, la neige s'entasse à la place du riz.

Je recevais déjà peu de visites auparavant. Mais maintenant que le chemin est profondément enfoui sous la neige, plus personne ne vient jusqu'ici. J'ai l'impression d'expier en ce moment le karma qui me destinait à tomber dans les huit enfers froids. Et, loin d'offrir l'aspect d'une personne devant atteindre la bodhéité en cette vie-ci*, je ressemble plutôt à l'oiseau Kankucho torturé par le froid. Je ne me rase plus la tête, si bien qu'on pourrait prendre ma nuque pour celle d'une caille, et mes vêtements sont si raidis par la glace qu'ils ressemblent aux ailes gelées d'un canard mandarin.

En pareil lieu, où des amis de longue date ne viennent plus jamais me rendre visite, où même mes propres disciples m'ont abandonné, vous m'avez envoyé ces récipients. Je les remplis de neige en imaginant qu'ils sont pleins de riz. Je les remplis d'une eau que je bois en m'imaginant boire de la soupe. Je vous laisse imaginer les effets de votre bonté. J'ai encore bien des choses à vous dire et je vous écrirai encore.

Avec mon plus profond respect,
Nichiren.
Le 27e jour du 1er mois de la 3e année de Koan (1280).

Réponse à Akimoto Taro Hyoe

ARRIÈRE-PLAN - Cette lettre fut écrite, alors que Nichiren avait cinquante-neuf ans. Elle fut envoyée à Akimoto Taro Hyoe-no jo, qui vivait dans le district d'Imba, province de Shimosa. En 1260, après la persécution de Matsubagayatsu, Nichiren avait quitté Kamakura pour s'installer dans la résidence de Toki Jonin, dans le district de Katsuhika, province de Shimosa. C'est là qu'il tint ce l'on appela la "Conférence de cent jours", dans la salle de pratique Hokke bâtie sur la propriété de Toki Jonin. Et c'est vers cette date, pense-t-on, qu'Akimoto se convertit à l'enseignement de Nichiren. Il est possible aussi qu'Akimoto ait fait partie de la famille de Toki Jonin. Il était ami de Soya Kyoshin et d'Ota Jomyo, tous deux des disciples laïques vivant dans la même région, qui s'étaient convertis à peu près à la même époque. Il mourut le 9e mois de 1291 et, par la suite, sa résidence devint le temple Shuhon-ji.

(Commentaire ACEP)

En anglais : Letter to Akimoto

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=1014
- http : //zaikouji.tripod.com/id15.html
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_LetterAkimoto.htm

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