Le sutra permettant véritablement d'honorer sa dette

(Le Sutra du véritable acquittement des dettes de reconnaissance)

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 6, p. 269 ; SG* p. 938.
Gosho Zenshu p. 1309 - Sennichi-ama gozen gohenji

Minobu, le 28e j. du 7e m. de 1278 à Sennichi-ama

 

Au 6e jour du 7e mois, sous le signe cyclique tsuchinoe-tora, dans la 1re année de l'ère Koan [1278], une personne du nom de Sennichi-ama, de la province de Sado, m'a fait parvenir une lettre ici, en ce lieu écarté de montagne, au Mont Minobu, dans le village d'Hakiri de la province de Kai, au Japon, par l'intermédiaire d'Abutsu-bo son mari.

Dans cette lettre elle dit qu'elle s'était auparavant préoccupée des fautes et des entraves interdisant la bodhéité aux femmes (note) mais que, puisque Nichiren enseigne que le Sutra du Lotus accorde la plus haute importance à l'atteinte de la bodhéité par les femmes, elle fait pleinement confiance à ce Sutra.

La question mérite qu'on y réfléchisse : quel bouddha enseigna ce Sutra qu'on appelle le Sutra du Lotus  ? A l'ouest du Japon, à l'ouest aussi de la Chine, très loin vers l'ouest, au-delà des déserts et des hauts plateaux du Pamir, se trouve l'Inde. Dans ce pays, un grand roi nommé Shuddhodana eut un fils héritier qui, à l'âge de dix-neuf ans, renonça au trône, se retira du monde et partit vivre la vie d'un religieux sur le Mont Dandaka. A l'âge de trente ans, il devint Bouddha. Son corps se teinta d'une couleur dorée et son esprit acquit la capacité de tout percevoir dans les trois phases de la vie. Ce Bouddha, dont l'esprit reflétait comme un miroir tout ce qui s'était produit par le passé et tout ce qui se produirait à l'avenir, pendant plus de cinquante ans de sa vie exposa divers sutras.

Ces sutras se répandirent peu à peu dans toute les régions de l'Inde au cours des mille ans qui suivirent la mort du Bouddha, sans parvenir encore en Chine ou au Japon. C'est 1015 ans après la disparition du Bouddha que le bouddhisme commença à pénétrer en Chine, mais le Sutra du Lotus ne figurait pas parmi les textes introduits à cette époque-là.

Quelque deux cents ans ou plus après l'introduction du bouddhisme en Chine, dans un pays situé entre l'Inde et la Chine appelé Kucha, apparut le Maître du tripitaka, Kumarayana. Son fils, Kumarajiva, quitta ce pays pour l'Inde où le Maître du tripitaka Shuryasoma lui fit connaître le Sutra du Lotus. Lorsqu'il lui confia le Sutra, Shuryasoma lui dit : "Ce Sutra du Lotus a un lien profond avec un pays du nord-est."

Ayant gravé ces mots dans son coeur, Kumarajiva entreprit de porter le Sutra à l'Est de l'Inde, dans ce pays qu'on appelle la Chine. C'est donc plus de deux cents ans après l'introduction du bouddhisme en Chine, sous le règne d'un souverain de la dynastie des Qin postérieurs, que le Sutra du Lotus y pénétra pour la première fois.

Dans la 13e année du règne du trentième souverain, l'empereur Kimmei, le 13e jour, placé sous le signe kanoto-tori, du 10e mois de l'année, placée sous le signe mizunoe-saru [552], le bouddhisme fut introduit au Japon, par le roi Songmyong, en provenance de Paekche, un royaume situé à l'ouest du Japon [en Corée]. Quatre cents ans s'étaient écoulés depuis l'introduction du bouddhisme en Chine, et plus de mille quatre cents ans depuis la disparition du Bouddha.

Le Sutra du Lotus faisait partie des textes introduits au Japon à cette époque. Plus tard, toutefois, le prince Shotoku, fils du trente-deuxième souverain, l'empereur Yomei, envoya une mission en Chine pour qu'elle en ramène une autre copie du Sutra du Lotus, et il en propagea les enseignements partout au Japon. Depuis lors, plus de sept cents ans se sont écoulés.

Le Bouddha Shakyamuni disparut il y a plus de 2230 ans. Par ailleurs, l'Inde est séparée de la Chine, et la Chine du Japon, par quantité de montagnes, de fleuves et de mers qui sont autant d'obstacles à franchir. Les populations, les mentalités et les caractéristiques de ces pays sont différentes. Les langues et les coutumes ne sont pas les mêmes. Comment, alors, de simples mortels comme nous pourraient-ils comprendre le véritable sens des enseignements bouddhiques ?

Cela n'est possible qu'en lisant attentivement et en comparant le texte des divers sutras. Ces sutras sont tous différents les uns des autres, mais celui qu'on appelle le Sutra du Lotus comporte huit volumes, auxquels il faut ajouter le Sutra Fugen qui [en épilogue] exhorte à la propagation du Sutra du Lotus, et le Sutra Muryogi qui sert d'introduction, consistant en un volume chacun. Ouvrir le Sutra du Lotus et l'étudier, c'est comme découvrir le reflet de son propre visage dans un miroir sans défaut, ou distinguer parfaitement la couleur des plantes et des arbres, une fois le soleil levé.

Dans l'introduction, le Sutra Muryogi, nous trouvons un passage dans lequel le Bouddha Shakyamuni dit  : "Pendant plus de quarante ans, je n'ai pas encore révélé la vérité."(réf.) Dans le premier volume du Sutra du Lotus, au début du chapitre Hoben* (II), nous lisons  : "L'Honoré du monde expose depuis longtemps ses enseignements et doit maintenant révéler la vérité."(réf.) Dans le quatrième volume, un passage du chapitre Hoto* (XI) indique clairement  : "Le Sutra du Lotus du Dharma merveilleux... tout ce que vous [Shakyamuni] avez exposé est entièrement véridique." Et, dans le septième volume, on trouve le passage, on ne peut plus clair, qui mentionne "la langue touchant le Ciel de Brahma."(réf.)

De plus, les sutras antérieurs ou postérieurs au Sutra du Lotus sont comparés à des étoiles, des ruisseaux et des rivières, des roitelets ou des collines, alors que le Sutra du Lotus est comparé à la lune, au soleil, au grand océan, à une grande montagne ou à un grand roi.

Ce ne sont pas là des interprétations personnelles mais les paroles d'or de l'Ainsi-Venu, des paroles confirmées par tous les bouddhas des dix directions. Et tous les bodhisattvas, les personnes des deux véhicules, Bonten et Taishaku, Nitten et Gatten actuellement suspendus au ciel comme des miroirs étincelants, tous ont entendu ces déclarations. Les propos tenus par les divinités Nitten et Gatten sont également inscrits dans le Sutra du Lotus. Toutes les divinités traditionnelles de l'Inde, de la Chine et du Japon étaient aussi présentes dans l'Assemblée. Aucune des divinités tutélaires du Japon, Tensho Daijin*, le grand bodhisattva Hachiman ou les divinités de Kumano (note) et Suzuka (note) n'ont contesté la véracité de tout cela.

Le Sutra du Lotus est supérieur à tous les autres sutras. Il est comparable au lion, roi de tous les animaux courant sur la terre, et à l'aigle, roi de toutes les créatures volant dans les airs. Le Sutra Namu Amida Butsu (note) et les autres sutras ne peuvent être comparés qu'à des faisans ou des lièvres, qui glapissent de douleur lorsqu'un aigle les saisit, ou dont le ventre se noue de terreur lorsqu'un lion les poursuit. Il en va de même pour les adeptes du Nembutsu, les moines du Ritsu et du Zen, et les maîtres du Shingon. Confrontés au Pratiquant du Sutra du Lotus, ils blêmissent et perdent l'esprit.

Quel enseignement dispense ce Sutra du Lotus du Dharma Merveilleux  ? Tout d'abord, dans le premier volume, le chapitre Hoben* (II) enseigne que les bodhisattvas, les personnes des deux véhicules et les simples mortels ont tous la possibilité de devenir bouddha. Mais aucune preuve n'en est encore donnée. C'est comme un invité que l'on rencontre pour la première fois. Il a belle apparence, il semble sincère et il n'y a aucune raison de se méfier de lui. Mais si personne ne l'a jamais vu auparavant, et si rien ne prouve la véracité de ses dires, on aura quelque difficulté à le croire sur parole. Par contre, s'il y a de multiples preuves de la justesse de ses propos, on accordera également crédit à tout ce qu'il pourra dire par la suite.

A tous ceux qui avaient un certain degré de croyance dans le Sutra du Lotus mais dont l'adhésion n'était pas encore totale, le cinquième volume offre le coeur même du Sutra tout entier, le principe de l'atteinte de la bodhéité sans changer d'apparence (sokushin jobutsu). C'est comme si un objet passait du noir le plus profond à un blanc éclatant, comme si de la laque noire se changeait en neige, comme si quelque chose d'impur devenait pur et immaculé, ou comme si le joyau exauçant tous les voeux était déposé dans de l'eau boueuse. Là, il est relaté que la fille du Roi-Dragon, femme de forme reptilienne, atteignit la bodhéité sans changer d'apparence. Dès lors, personne ne douta plus de la possibilité, pour les hommes également, d'atteindre la bodhéité. C'est pourquoi le Sutra du Lotus donne en exemple l'atteinte de la bodhéité par les femmes [afin de convaincre tous les simples mortels qu'ils peuvent parvenir à l'Éveil ].

Le Grand-maître* Saicho*, fondateur du temple Enrakyu-ji du Mont Hiei, le premier à répandre les véritables enseignements du Sutra du Lotus au Japon, commente ce point en ces termes : "Ni maîtres ni disciples n'ont besoin de persévérer dans la pratique des austérités [vie après vie] pendant d'innombrables kalpas pour atteindre la bodhéité. Le Sutra du Dharma merveilleux a le pouvoir de faire atteindre la bodhéité sans changer d'apparence."(réf.) Le Grand-maître* Zhiyi*, le premier à enseigner le véritable sens du Sutra du Lotus dans son pays, la Chine, fit remarquer  : "Les autres sutras prédisent que les hommes peuvent parvenir à la bodhéité mais pas les femmes. Seul ce Sutra prédit que tous les êtres humains atteindront la bodhéité."(réf.)

Ainsi, parmi tous les enseignements exposés par Shakyamuni de son vivant, n'est-il pas évident que ce Sutra du Lotus est le plus important  ? Et que, [parmi tous les principes exposés] dans le Sutra du Lotus, l'atteinte de la bodhéité par les femmes est un principe capital  ? C'est pourquoi, même si tous les autres sutras, à l'exception du Sutra du Lotus, rejetaient les femmes du Japon en les déclarant à jamais incapables d'atteindre la bodhéité, puisque le Sutra du Lotus enseigne qu'elles obtiendront l'Éveil, quelle raison ont-elles encore de s'alarmer ?

Moi, Nichiren, j'ai eu la chance insigne de naître sous forme humaine et j'ai pu rencontrer le bouddhisme qu'il est rare de rencontrer. Et, parmi tous les enseignements bouddhiques, j'ai rencontré le Sutra du Lotus. Lorsque je pense aux raisons de ma bonne fortune, je prends conscience de ma dette de reconnaissance envers mes parents, envers le souverain et envers tous les êtres vivants.

Dans la dette de reconnaissance à l'égard nos parents, celle envers notre père pourrait être comparée au ciel, et celle envers notre mère, à la terre. Il n'est pas facile de dire envers qui des deux cette dette est la plus importante. Mais le plus difficile est de s'acquitter de l'immense reconnaissance que l'on doit à la bienveillance d'une mère.

Si, afin d'y répondre, nous décidons de suivre les principes énoncés dans des écrits non bouddhiques tels que les Trois Registres et les Cinq Canons ou le Classique de la piété filiale, nous pourrons sauver notre mère en cette vie-ci mais nous ne lui serons d'aucune aide dans ses vies futures. Il est possible, de cette manière, de la soutenir physiquement mais non de l'aider spirituellement.

Quant aux écrits bouddhiques, puisque dans les plus de cinq mille ou sept mille volumes des sutras du Hinayana ou du Mahayana il est dit que les femmes ne peuvent pas atteindre la bodhéité, ils ne permettent pas de s'acquitter de sa dette envers une mère bienveillante. Les enseignements du Hinayana affirment nettement qu'il est impossible à une femme d'atteindre la bodhéité. Certains sutras du Mahayana disent bien qu'il est possible à une femme d'y parvenir ou de renaître sur une Terre pure mais ce n'est qu'une éventualité évoquée par le Bouddha, sans aucune preuve concrète donnée à l'appui.

Le Sutra du Lotus étant le seul à révéler que les femmes peuvent atteindre la bodhéité, j'en ai conclu qu'il est précisément le Sutra qui permet de répondre concrètement à la bienveillance d'une mère. Pour m'acquitter de cette dette de reconnaissance, j'ai fait le voeu de rendre accessible à toutes les femmes la récitation du Titre de ce Sutra.

Mais toutes les femmes du Japon ont été abusées par des moines comme Shandao en Chine, ou Genshin, Eikan et Honen au Japon, si bien que pas une d'elles dans le pays entier ne récite Namu Myoho Renge Kyo, [l'invocation] qu'elles devraient pourtant révérer plus que tout. Elles ne récitent que Namu Amida Butsu une fois, dix fois, cent mille milliards de fois, trente mille ou cent mille fois par jour. Leur vie durant, à chaque heure de la journée et de la nuit, elles ne font rien d'autre. Les femmes dotées d'un fort esprit de recherche, aussi bien que les femmes mauvaises, toutes s'appuient exclusivement sur le bouddha Amida. Et les quelques femmes qui semblent se consacrer au Sutra du Lotus le font comme on passe le temps en attendant l'apparition de la lune, ou comme si elles restaient à contrecœur aux côtés d'un homme qui leur est indifférent en l'absence de celui qu'elles aiment vraiment.

Ainsi, parmi toutes les femmes du Japon, il n'en est pas une qui agisse en accord avec l'esprit du Sutra du Lotus. Au lieu de réciter le Titre du Sutra du Lotus, ce qui est la meilleure façon de répondre à la bonté d'une mère, elles préfèrent penser au bouddha Amida. Et parce qu'elles ne comprennent pas que le Sutra du Lotus est fondamental, Amida ne peut leur être d'aucun secours. L'enseignement du Nembutsu [la récitation du nom du bouddha Amida] est totalement incapable de conduire une femme au salut ; au contraire, il la précipitera inévitablement en enfer.

Je me suis demandé de quelle manière on pouvait répondre à la bonté de sa mère. Réciter le nom du bouddha Amida est la cause qui la fera tomber dans l'enfer avici. Cette invocation ne fait pas partie des cinq forfaits, mais elle est encore plus grave. Assassiner son père et sa mère détruit leur corps physique mais ne les condamne pas à l'enfer avici dans leur vie prochaine.

De nos jours, les femmes du Japon pourraient sans aucun doute atteindre la bodhéité grâce au Sutra du Lotus mais, ayant été abusées, elles ont entrepris de réciter exclusivement Namu Amida Butsu. Peut-être parce qu'en apparence cette action n'a rien de mauvais, elles se sont laissées tromper. Mais parce que [dans le Nembutsu] ne se trouve pas la graine qui permet l'atteinte de la bodhéité, en le récitant, on ne pourra jamais devenir bouddha. En restant attaché au peu de bien que procure la récitation du nom d'Amida, on se prive du bien suprême qu'est la pratique du Sutra du Lotus. Ainsi, ce bien mineur du Nembutsu a des conséquences encore plus graves que les cinq forfaits.

C'est comparable à Masakado qui, à l'ère Shohei, prit le contrôle de huit provinces de la région de Kanto, ou à Sadato qui, à l'ère Tenki, s'empara de la région d'Oshu. Ayant soulevé les habitants de leur région contre le souverain, ces hommes furent déclarés ennemis de la cour et furent finalement vaincus. Leurs complots et rebellions eurent des effets pires encore que les cinq forfaits.

Ce qui se passe dans le domaine du bouddhisme, de nos jours, au Japon, est de même nature. C'est une autre forme de rébellion. Le Sutra du Lotus équivaut au souverain suprême, tandis que le Shingon, l'école Jodo, le Zen et les moines Ritsu, avec leurs petits sutras Vairocana* et Kammuryoju, sont devenus les grands ennemis du Sutra du Lotus. Pourtant, les femmes du Japon, sans avoir conscience de leur ignorance, considèrent Nichiren, qui vient à leur secours, comme leur ennemi. Et, bien à tort, elles prennent les adeptes du Nembutsu et les moines du Zen, du Ritsu et du Shingon, qui sont en réalité leurs plus grands ennemis, pour de bons amis et des maîtres bouddhiques. En considérant Nichiren, qui s'efforce de les secourir, comme leur pire ennemi, ces femmes se sont liguées pour me calomnier auprès du gouvernement, et ont obtenu par le passé de me faire exiler d'abord dans la province d'Izu, puis encore, sur l'île de Sado.

Moi, Nichiren, j'ai fait un voeu. Je n'ai pas commis la moindre erreur. Et même si je me trompe sur ce point, il reste que j'ai fait voeu de sauver toutes les femmes du Japon, et ma sincérité ne peut être mise en doute - surtout lorsque j'agis en parfait accord avec l'enseignement même du Sutra du Lotus.

Les femmes du Japon pourraient me refuser leur confiance et en rester là. Mais, de plus, elles m'attaquent et incitent les autres à me persécuter. Serait-ce moi Nichiren qui ai tort ?

C'est la question que je pose aux Bouddhas Shakyamuni et Taho, aux bouddhas des dix directions, aux bodhisattvas, aux personnes des deux véhicules, à Bonten, à Taishaku et aux quatre Rois du Ciel. Qu'en pensent-ils  ? Si j'étais dans l'erreur, ils le montreraient clairement. C'est le moins que nous puissions attendre de divinités comme le Nitten et Gatten qui brillent sous nos yeux. Toutes ces divinités ont non seulement entendu les mots prononcés par le Bouddha Shakyamuni, mais elles ont aussi fait le serment que ceux qui s'opposeraient au Pratiquant du Sutra du Lotus auraient "la ête brisée en sept morceaux". Comment pourraient-elles ne pas intervenir  ? Parce que moi, Nichiren, je leur ai demandé avec force de se manifester, le Ciel a puni notre pays, et ces épidémies se sont déclarées.

Le Ciel aurait dû ordonner à un pays étranger d'envahir le nôtre mais il y aurait eu trop de morts de part et d'autre. La bienveillance du Ciel a donc préféré éviter un conflit généralisé et [par cette épidémie] faire disparaître le peuple - ce qui, en réalité, équivaut à couper les mains et les pieds du souverain - infligeant ainsi un blâme au souverain et aux dignitaires de ce pays [pour les inciter à respecter le Sutra du Lotus]. Il veut de cette manière faire disparaître les ennemis du Sutra du Lotus et permettre la propagation du vrai Dharma.

Malgré cela, lorsque je fus exilé sur l'île de Sado, le gouverneur de la région et les autres dignitaires, respectueux des intentions du Régent, m'ont traité avec hostilité. Et les gens du peuple suivent leurs ordres. De Kamakura, les adeptes du Nembutsu et les moines du Zen, du Ritsu et du Shingon ont envoyé des instructions pour qu'il me soit impossible de revenir [de l'île de Sado] ; et Ryokan, du Gokuraku-ji, avec d'autres, persuada Hojo Nobutoki, de promulguer en son nom personnel des mesures encore plus répressives à l'égard de Nichiren qui furent transmises à Sado par des disciples de Ryokan. Il semblait donc impossible que je puisse rentrer indemne. J'ignore quel était le dessein du Ciel, mais le seigneur et les fervents adeptes du Nembutsu ont surveillé jour et nuit mon ermitage afin d'empêcher quiconque de venir me voir. Malgré cela, vous m'avez envoyé à plusieurs reprises Abutsu-bo, de nuit, portant sur son dos des vivres dans une hotte de bois. Comment pourrais-je jamais l'oublier  ? C'était comme si, soudain, ma mère défunte était revenue à la vie sur l'île de Sado !

Il y eut autrefois en Chine un homme du nom de Liu Bang. Parce qu'on avait découvert chez lui des signes morphologiques le prédestinant à devenir roi, le premier empereur [Shi Huangdi] de la dynastie des Qin promit d'importantes récompenses à quiconque le tuerait. Liu Bang estima trop dangereux de demeurer dans son village. Il partit pour la montagne où il resta caché sept jours, puis de nouveau sept jours. Il crut alors la fin de sa vie bien proche. Mais Liu Bang avait une épouse, de la famille des Lu, qui partit à sa recherche dans la montagne et qui, en lui apportant périodiquement de la nourriture, réussit à le maintenir en vie. (réf.)

Elle était l'épouse de Liu Bang, on comprend donc son attachement pour lui. Mais vous, si vous ne vous préoccupiez pas de votre prochaine vie, comment auriez-vous pu manifester à mon égard un pareil dévouement  ? C'est sans doute aussi pourquoi vous êtes restée inébranlable jusqu'au bout, même après avoir été chassée de chez vous, après avoir été lourdement taxée ou même après la confiscation de votre maison. Il est dit dans le Sutra du Lotus que c'est parce qu'elles ont fait par le passé des offrandes à des dizaines de milliards de bouddha que certaines personnes renaissent dans une existence ultérieure avec une foi indestructible (réf.). Vous êtes sans doute une femme qui a fait des dons à des dizaines de milliards de bouddha.
De plus, il est facile de se préoccuper d'une personne que l'on a constamment sous les yeux, mais c'est bien différent quand elle est loin, même si, peut-être, dans notre coeur nous ne l'oublions pas. Pourtant, au cours des cinq dernières années, de la 11e année de l'ère Bun'ei [1274] à celle-ci, 1re année de l'ère Koan [1278], depuis que j'habite dans ces montagnes, vous avez par trois fois envoyé votre mari de la province de Sado pour me rendre visite. Quelle profonde sincérité  ! Votre foi est plus ferme que la terre, et plus profonde que le grand océan !

Le Bouddha Shakyamuni, dans des vies antérieures, acquit du mérite, sous la forme du prince Sattva, en livrant son corps en pâture à une tigresse affamée, et, sous la forme du roi Shibi, en donnant de sa propre chair à un faucon pour sauver la vie d'une colombe. Il déclara en présence de Taho et des bouddhas des dix directions qu'à l'époque des Derniers jours du Dharma, ceux qui comme vous croiraient dans le Sutra du Lotus, obtiendraient les mêmes bienfaits.

Vous dites dans votre lettre que le 11e jour du 8e mois de cette année marquera le treizième anniversaire de la mort de votre père. Vous indiquez aussi que pour cela vous faites don d'un kan de pièces de monnaie. J'admire votre sincérité. Je suis heureux de pouvoir vous envoyer en retour un exemplaire du Sutra du Lotus en dix volumes (note) qui se trouve en ma possession. Si vous ressentez, à un moment ou à un autre, le désir de m'entendre, demandez à Gakujo-bo de vous le lire à voix haute et écoutez-en bien chaque mot. Dans une existence future, cet exemplaire du Sutra pourra vous servir à me retrouver.

En raison des épidémies qui se sont déclarées il y a deux ans, l'année dernière et cette année, je m'inquiétais, ne sachant trop dans quelle situation vous étiez. J'ai adressé de tout cœur au Sutra du Lotus des prières pour votre santé, mais je restais encore préoccupé. C'est alors, le 27e jour du 7e mois, à l'heure du Singe [de 15h à 17h], qu'Abutsu-bo est apparu. Je lui ai immédiatement demandé des nouvelles de votre santé ainsi que de Ko nyudo. Il m'a dit qu'aucun de vous n'était tombé malade ; que Ko nyudo s'était mis en route avec lui, mais que, parce que le riz de la première récolte était presque mûr et qu'il n'avait pas de fils pour l'aider à la récolte, il avait dû rebrousser chemin et rentrer chez lui.

En entendant cela, j'ai éprouvé la même impression qu'un aveugle recouvrant la vue ; ce fut comme si, en rêve, mes défunts père et mère avaient quitté le palais du roi Yama pour venir me rendre visite, et ce rêve me comblait de joie. C'est tout à fait extraordinaire, mais, ici comme à Kamakura, très peu de mes disciples sont morts de cette épidémie. Nous étions tous à bord du même bateau et avions peu de chances d'échapper au naufrage, mais c'est comme si, au moment du désastre, un autre bateau était venu à notre secours. Ou comme si les rois-dragons nous avaient protégés et permis d'atteindre sains et saufs le rivage. C'est vraiment magnifique et mystérieux  !

Dites aussi à l'épouse d'Ichinosawa nyudo, la nonne, que j'ai été peiné d'apprendre la mort de son mari. Mais je lui ai déjà dit très clairement ce que je pensais de son mari, et elle se souvient sans doute de mes paroles. Il avait beau avoir dans sa maison une salle consacrée au culte du bouddha Amida, ce bouddha n'est d'aucune aide aux ennemis du Sutra du Lotus. Au contraire, des personnes de ce genre sont des ennemis du bouddha Amida. Après sa mort, son mari est sans doute tombé dans les voies mauvaises, et quels profonds regrets il dut alors éprouver  ! C'est bien pitoyable !

Toutefois, je n'oublie pas que le nyudo m'a plusieurs fois sauvé la vie en me cachant dans le corridor de sa maison, et j'aimerais trouver un moyen de lui exprimer ma reconnaissance. Pourriez-vous demander à Gakujo-bo de lire le Sutra du Lotus régulièrement sur sa tombe  ? Je ne pense pourtant pas que cela suffise pour lui faire atteindre la bodhéité. Dites bien à son épouse, la nonne, quelle grande peine j'éprouve en pensant à sa solitude et à sa tristesse. Je vous écrirai plus longuement à la prochaine occasion.

Nichiren

Le 28e jour du 7e mois.

ARRIERE-PLAN - Nichiren Daishonin écrivit cette lettre au Mont Minobu, le 28e jour du 7e mois de 1278, après qu'Abutsu-bo Nittoku, l'un de ses disciples laïques, soit arrivé chez lui au terme de son troisième voyage depuis l'île de Sado. Il répondait à une lettre de Sennichi-ama, la femme d'Abutsu-bo, que ce dernier lui avait remise.
Les origines de Sennichi-ama sont incertaines. Selon la tradition, elle aurait été au service d'une dame de la Cour qui accompagnait l'escorte de l'empereur retiré Juntoku quand ce dernier fut banni à Sado, après la rébellion de Jokyu en 1221. Cependant, des recherches plus récentes laissent penser qu'elle était probablement originaire de l'île de Sado. Pendant l'exil de Nichiren Daishonin à Sado, son mari et elle se convertirent à son enseignement. Ils servirent Nichiren Daishonin avec beaucoup de dévouement lui procurant de la nourriture, du papier pour écrire et, autres éléments nécessaires à la vie quotidienne pendant plus de deux ans, jusqu'à son pardon et son départ de l'île, en 1274. Par la suite, Sennichi-ama envoya encore à trois reprises son mari à Minobu, avec divers dons pour Nichiren Daishonin. (Commentaire ACEP)

En anglais : The Sutra of True Requital
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_SutraTrueRequital.htm
- http : //www.sgilibrary.org/view.php ?page=934&m=0&q=

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