Les Quatre demeures divines 1/4
(ou Les Quatre vertus infinies)
par le Révérend Ryuei Michael McCormick

et les SIX SEQUENCES de MEDITATION

28 mars 2021

Sans trop nous avancer, nous pourrions dire que chacun aimerait parvenir à un monde-état plus élevé, mais que la question reste de savoir comment s’y prendre. Il ne suffit en effet pas seulement de se libérer, voire de lutter contre les Trois poisons que sont l'avidité, la haine et l'illusion, même si c'est un bon début. Nous devons également être en mesure d’éprouver et de développer des émotions positives ainsi que de maintenir des relations saines avec nous-mêmes et avec autrui. Pour ce faire, le bouddhisme enseigne qu'il existe ''Quatre vertus infinies'' (chatur-apramana) : l'amour-empathie (maitri, ji), la compassion (karuna, hi ou jihi), la joie partagée (mudita) et l'équanimité (upeksha). On dit qu’elles sont infinies parce que nous cultivons ces états psycho-mentaux positifs en englobant tous les êtres et en étendant, sans limite (note) aucune, ces états dans toutes les directions.

On dit également que ce sont des ''Demeures divines'' (brahmavihara) parce qu'en les développant, nous devenons dignes de renaître dans des mondes-états célestes. L'idée sous-jacente est que ce sont précisément ces qualités que les gens recherchent en Dieu ; à elles quatre, elles correspondent d’ailleurs à la manière dont les religions monothéistes recherchent l'union avec Dieu. (note) Le Bouddha utilisait ces ''Quatre demeures divines'' en tant qu’objet de contemplation pour ceux qui avaient besoin de surmonter des sentiments d'aversion, de haine et de mépris envers les autres. Elles étaient également enseignées à ceux qui croyaient fermement que le but suprême de la vie était de rechercher l'union avec une divinité ou une puissance supérieure, car beaucoup n'étaient pas prêts à entendre l'enseignement selon lequel le bonheur vient de notre propre Éveil. Selon le Bouddha, c’est justement grâce à la pratique bouddhique que nous pouvons semer, cultiver et nourrir en nous-mêmes ces qualités-là.

Cette approche correspond à un autre aspect de la pratique de daimoku, une façon de nous rappeler que le Dharma Merveilleux est une source d'amour-empathie, de compassion, de joie partagée et d'équanimité. Réciter Namu Myoho Renge Kyo nous permet d'enraciner le Dharma Merveilleux dans notre vie afin de nous ouvrir aux autres de manière chaleureuse et désintéressée, et de comprendre que la plus grande bénédiction, c’est d’être empli d’amour et de paix dans toutes nos pensées, paroles et actions.

À ce propos, Nichiren écrit à un adepte :

« Les trésors du corps sont supérieurs aux trésors d'un entrepôt, et les trésors de votre coeur sont plus importants que les trésors de votre corps. Après avoir lu cette lettre, j'espère que vous accumulerez les trésors du coeur. » (réf.)

L'amour-empathie est la plus importante des Quatre demeures divines, car les trois autres n’en sont que différents aspects, lesquels se reflètent dans une attitude d'ouverture et d'amitié désintéressée envers tous les êtres. Ceux qui sont empathiques et bienveillants ne souhaitent en fait rien d'autre que le bonheur et l'absence de souffrance pour tous ; en d’autres mots, que chacun soit heureux et que personne ne souffre. Ceux qui sont pleins d'amour bienveillant sont en effet exempts de colère et de ressentiment. Par ailleurs, ne confondons pas cet amour-maitri avec engouement ou obsession : il est en effet plus juste de parler d'amour inconditionnel envers tous les êtres, l'amour-empathie se manifestant chaque fois que nous nous lions d'amitié avec quelqu’un et veillons à son bonheur autant qu’au nôtre.

La compassion, c’est de s’ouvrir aux sentiments d’autrui et d’être attentif à sa souffrance. La compassion nous extrait de notre complaisance envers nous-même ; elle nous extrait de notre indifférence, mais ne contient ni pitié ni condescendance. La compassion est cet aspect de l'amour-empathie qui nous pousse à aider l’autre en lui donnant les moyens de s'aider lui-même. La véritable compassion consiste donc à se voir dans les autres et à travailler de concert avec eux pour améliorer les choses pour tous. Elle s'exprime chaque fois que nous prêtons une oreille attentive, que nous tendons une main secourable, que nous donnons de notre temps, de l'argent ou d'autres ressources pour aider ceux qui sont dans le besoin.

La joie partagée consiste à ressentir les joies et les succès de chacun : c’est l'absence d'envie et de jalousie. Si l'amour-empathie équivaut au souhait général de voir les autres heureux et en bonne santé, la joie partagée est ce que nous ressentons lorsque tout un chacun peut vivre heureux, exempt de souffrance. La joie partagée reconnaît que la vie n'est pas une affaire de gagnants ou perdants, ni le résultat d’un troc aux dépends des uns et des autres, mais que le bonheur se développe et augmente dès lors qu'il est partagé.

L'équanimité correspond au pouvoir de rester calme et impartial dans nos relations quotidiennes. Ne la confondons cependant pas avec l'indifférence ou le recul que l’on peut prendre par rapport à quelqu’un ou quelque chose. Il s'agit plutôt d'un profond sentiment de bienveillance impartiale qui ne se laisse pas emporter par les triomphes et les tragédies de la vie. Quelqu’un ayant développé cette équanimité accepte chaque personne et chaque situation telles qu'elles sont, puis agit de manière créative et appropriée afin d'obtenir les meilleurs résultats pour tous. Parfois, l'équanimité implique simplement que nous puissions faire preuve de tolérance, de compréhension et de patience. L'équanimité, c'est aussi un profond sentiment de paix et de sérénité, libre de toute crainte et non troublé par les soubresauts de la vie, par ses hauts et ses bas.

Ne maintenant ni ne nourrissant aucun des Trois poisons, ceux qui cultivent les Quatre demeures divines ne sont pas enclins à commettre des actes qui nuisent aux autres, mais sont au contraire reconnus pour leur générosité, leur intégrité et leur confiance en eux, leur calme réconfortants. Possédant un coeur aimant, compatissant, joyeux et serein, de telles personnes provoquent naturellement des changements positifs dans leur environnement et leurs relations. Cette nouvelle attitude peut s’exprimer initialement par des gestes tout simples, en cédant par exemple sa place dans un bus à une personne qui en a besoin, ou en saluant d’une certaine manière ses collègues de travail, ses clients. Au fur et à mesure que les Quatre demeures divines se renforcent, nous aurons aussi probablement l’envie d’agir bénévolement en offrant notre temps, notre argent ou d'autres ressources personnelles. Cette ouverture d'esprit et cet enthousiasme à travailler pour le bien-être de tous les êtres correspondent à une meilleure compréhension du bonheur véritable - le but du Dharma du Bouddha.

En ouverture de l’une des nombreuses lettres que Nichiren écrivit à Nanjo Tokimitsu pour le remercier de ses offrandes, on peut lire :

« Comme beaucoup d'autres choses dans la vie, devenir bouddha n'a rien d'extraordinaire. C'est donner de l'eau à des personnes assoiffées en temps de sécheresse ; c'est donner du feu à des personnes qui gèlent dans le froid glacial ; et c'est donner quelque chose d'irremplaçable à une personne sur le point de mourir afin de lui sauver la vie. » (réf.)

Il n'est donc pas nécessaire de croire en un quelconque système métaphysique de récompenses ou de punitions pour convenir qu'une personne dont les pensées sont dominées par l'avidité, la haine et l'illusion est une personne malheureuse : les actions d'une telle personne, ainsi que sa relation à autrui et au monde qui l’entoure, refléteront inévitablement l’avidité, l'hostilité et la confusion que provoquent les Trois poisons. En revanche, quelqu’un dont le coeur et l'esprit sont emplis d'amour-empathie, de compassion, de joie partagée et d'équanimité sera une personne dont le monde-état intérieur empreint de bonheur, de créativité et de sérénité aura un effet positif sur son entourage direct et toute personne rencontrée.

Le Bouddha a enseigné que la vie s'étend au-delà d'une seule naissance et d'une seule mort. (réf.) Grâce à sa profonde compréhension des processus de vie-mort et de cause-effet, le Bouddha a compris que ce que nous sommes et ce à quoi nous sommes confrontés dans cette vie est le résultat d'actions commises dans des vies antérieures. De même, ce que nous deviendrons dans nos vies futures sera déterminé par ce que nous faisons dans le présent. En d'autres termes, chacune de nos pensées, chacune de nos paroles et chacun de nos actes créent notre destin, aujourd'hui et demain. (réf.)

Mise en pratique II

Le but des quatre exercices suivants est d’aider à développer cet aspect de la pratique de daimoku afin de générer les Quatre demeures divines que sont l'amour-empathie illimité, la compassion, la joie partagée et l'équanimité. J'ai également constaté que le daimoku est un moyen puissant pour renforcer une attitude et un savoir-être sain, et qu’il peut tout aussi bien servir de véhicule pour exprimer et envoyer des sentiments positifs aux autres. J'espère que vous pourrez tous les essayer par vous-mêmes, car l'expérience directe est le meilleur maître qui soit. C’est de cela que découleront, et même jailliront encore, d'autres façons d'intégrer à votre pratique quotidienne les leçons de ce chapitre.

Cultiver l'amour-empathie

L'amour-empathie, la première des Quatre demeures divines, est le thème du Metta Sutta. Dans ce sutra réputé, le Bouddha enseigne les types d’attitude et d’action qui illustrent les personnes emplies d'amour-empathie, conseillant ce qui suit à ses disciples :

« Être capable, droit et direct,
Prêt à donner conseil, aimable et sans prétention,
Content de son sort et facile à vivre, sans grandes exigences,
Avoir peu d’obligations, vivre de peu,
Avoir des inclinaisons pacifiques, être maître de soi,
avoir l’esprit judicieux, être courtois et n’envier quiconque vivant en famille.»

Le Bouddha formule ensuite une série de souhaits que nous pouvons exprimer pour le bien de tous les êtres sensibles, qui commencent par :

« Puissent tous les êtres être heureux dans leur coeur » ;

et plus loin :

« Que personne ne trompe personne
Ou ne méprise quiconque, nulle part ;
Que la colère ou l’aversion
ne soient jamais des raisons pour que quelqu’un souffre.
Comme une mère risquerait sa vie
Pour protéger son enfant, son seul enfant,
De même doit-on cultiver un coeur sans limite
Par rapport à tous les êtres. Avec bonne volonté pour le cosmos entier,
Cultivez un état d’esprit sans limites :
Au-dessus, en dessous, et tout autour,
sans obstacle ni limites, sans hostilité ni haine, sans ennemis ou adversaires.» (réf.)

Hautement prisé dans le bouddhisme theravada, le Metta Sutta est aussi très populaire auprès de la majorité des bouddhistes en dehors de l'Asie, et à l'origine d'une série de méditations visant à développer l'amour-empathie que j'aimerais partager dans le contexte de notre pratique principale du daimoku, laquelle permet de se concentrer et de développer l'amour-empathie.

Les sentiments exprimés dans le Metta Sutta font également partie de la pratique de la Nichiren Shu et apparaissent tout au long du Sutra du Lotus. Par exemple dans le chapitre "Devadatta", le Bouddha énumère les nombreuses vertus et qualités qu'il a pu développer en tant que Bouddha grâce à sa formation auprès de Devadatta dans une vie antérieure ; parmi ces vertus figurent les Quatre demeures divines.

« Il m'a fait acquérir l'amour-empathie, la compassion, la joie partagée et l'équanimité.» (réf.)

Nous les retrouvons également dans les pratiques pacifiques du chapitre XIV et l'histoire du bodhisattva Fukyo (Sadaparibhuta) du chapitre XX, ainsi que dans l'enseignement du Bouddha au chapitre X concernant la façon dont le Maitre du Dharma doit entrer dans la chambre du Tathagata, porter sa robe et s'asseoir sur son siège :

« Ces fils et filles de foi sincère entreront dans la demeure de l'Ainsi-Venu, revêtiront la robe de l'Ainsi-Venu, s'assiéront sur le trône de l'Ainsi-Venu ; c'est à ce moment qu'ils devront prêcher largement ce Sutra aux quatre congrégations.
La demeure de l'Ainsi-Venu, c'est l'action d'habiter dans la grande compassion à l'égard de tous les êtres.
La robe de l'Ainsi-Venu, c'est la parure de la grande douceur et de la patience.
Le trône de l'Ainsi-Venu, c'est la non-substantialité (vacuité) de tous les phénomènes
N'expliquez le Dharma qu'après avoir fait ces trois choses !» (réf.)

De nombreuses déclarations dans la Dédicace finale du mérite utilisée dans les temples Nichiren Shu en Amérique du Nord sont très proches des souhaits et des conseils enseignés par le Bouddha dans le Metta Sutta. Par exemple, il est dit :

« Que la paix imprègne le monde entier et que tous les êtres jouissent de la paix et du bonheur ! Que tous les êtres vivent longtemps en sécurité et sans malheur ! Que cette paix et ce bonheur durent toujours et que tous les êtres prospèrent !
Nous prions pour que tous les êtres s'éveillent à la vraie nature de la réalité qu'est le Dharma du Bouddha ! » (réf.)

Considérons aussi que si l'amour-empathie et les autres demeures divines font partie des vertus et des mérites du Bouddha, ces qualités sont alors, selon Nichiren, accessibles par notre pratique du daimoku :

« Les mérites du Bouddha Shakyamuni de pratiquer la voie de bodhisattva menant à la bouddhéité, ainsi que celui de prêcher et de sauver tous les êtres vivants depuis qu'il a atteint la bouddhéité, sont tous contenus dans les mots myō, hō, ren, ge et kyō ; par conséquent, lorsque nous recevons et gardons ces cinq caractères, les mérites qu'il a accumulés avant et après son accession à la bouddhéité nous sont naturellement transférés. » (réf.)

Comment pouvons-nous alors en tirer parti dans notre pratique quotidienne ? La pratique du Shōdaigyō de la Nichiren Shu comprend deux périodes d'assise silencieuse. La première sert à concentrer son coeur-esprit par la prise de conscience de sa respiration, tandis que la seconde suit le daimoku et constitue un temps pour approfondir sa foi en contemplant en son for intérieur le daimoku lui-même. Cependant, la première période pourrait également être utilisée pour concentrer son coeur-esprit sur l'amour-empathie, afin de se préparer à réciter daimoku dans ce même esprit. Pour en faciliter la démarche, voici en six séquences une forme traditionnelle d’accroissement de l'amour-empathie. Cette pratique, qui peut sembler facile, pourra prendre un certain temps avant d’en ressentir véritablement chaque séquence. Pour ce faire, vous pouvez avoir envie de travailler sur chacune des séquences, ou d’ajouter la séquence suivante lors d'une session de pratique ultérieure. De cette façon, continuez à ajouter une séquence à chaque session jusqu'à ce que chaque séquence vous paraisse maîtrisée et que vous parveniez à effectuer les six en une seule et même session de pratique.

Voici les six séquences

1. Prenez le temps de vous asseoir et de respirer quelques minutes en faisant un cycle de dix respirations ou plus, à savoir dix inspirations-expirations, que vous compterez si vous en éprouvez le besoin. Sans porter de jugement, prenez note de votre état physique et mental. Imaginez ensuite que vous êtes en bonne santé et parfaitement heureux. Vous pouvez même vous dire : « Puis-je me sentir bien portant et heureux ! » (réf.), ou : « Puis-je jouir de ce moment de paix et de sérénité ! ». Répétez ces pensées en vous-même durant quelques minutes : il est en effet très important que vous ressentiez de l'amour-empathie pour vous-même, car si vous n’éprouvez pas d’amour envers vous, vous n'en aurez pas à offrir à quiconque.

2. Prenez maintenant quelques minutes pour penser à une personne qui vous fait du bien, un bienfaiteur ou un ami, mais ne choisissez de préférence pas quelqu'un avec qui vous avez ou aimeriez avoir une relation intime, ce qui pourrait provoquer un puissant sentiment d'attachement. Souhaitez à cette personne « d'être bien portante et heureuse » ou « de jouir d’être en paix et sereine ». Cette partie devrait être assez facile, car chacun est naturellement bien disposé envers ses bienfaiteurs et ses amis.

3. Prenez maintenant quelques instants pour adresser des pensées d'amour-empathie à un étranger ou à une personne envers laquelle vous n’éprouvez pas de sentiments particuliers, ni positifs ni négatifs. Cet exercice, est un peu plus ardu, car il faut savoir dépasser les limites de son intérêt personnel.

4. Imaginez maintenant quelqu'un que vous avez du mal à apprécier ou avec qui vous avez du mal à vous entendre, et exprimez-lui le souhait qu'il « se porte bien et soit heureux » ou qu'il « jouisse d’un sentiment de paix et de sérénité ». C’est l’exercice le plus ardu de tous, car il va directement à l'encontre de nos inclinations et sentiments habituels. Son objectif n’est pas d'excuser un mauvais comportement, (qu'il soit réel ou perçu comme tel), ou de pardonner prématurément à quiconque. Il s'agit plutôt de favoriser en soi des sentiments plus positifs, ce qui permettra, avec un peu de chance, de mieux comprendre le point de vue de l'autre. En dernière analyse, cet exercice permettra de se rendre compte qu’une personne difficile est souvent malheureuse alors que si elle était vraiment heureuse, il serait plus facile de l’apprécier et de s'entendre avec elle.

5. Prenez maintenant le temps d’étendre en une même pensée votre amour-empathie à l’ensemble des personnes précitées : vous-même, un ami ou bienfaiteur, une personne neutre et celle avec laquelle s’entendre est difficile. L’objectif est d'équilibrer votre amour-empathie pour qu’il ne soit plus l’objet d’un apriori partisan ou discriminant. Cela peut être extrêmement ardu, demandant d’acquérir une vue large et non plus une perspective issue de sentiments ou d’intérêts personnels.

6. Enfin, passez un peu de temps à cultiver le souhait « Que tous les êtres soient bien portants et heureux » ou « Que tous les êtres jouissent d’être en paix et sereins », prolongeant ainsi les sentiments cultivés dans les exercices précédents. Cette partie plus abstraite a pour objectif de vous permettre de développer, ou du moins d'imaginer, qu’il existe un amour inconditionnel qui ne connait aucune frontière et ne laisse de côté personne.

Dans le contexte du Shōdaigyō comme mentionné plus haut, cette pratique qui vise à faire croître l’amour-empathie précède la récitation de daimoku. Si vous ne l’effectuez pas dans le cadre du Shōdaigyō, je recommanderais néanmoins que vous commenciez à ne réciter daimoku qu’après avoir ressenti l’amour-empathie (et ce, que vous fassiez toutes les séquences ou en choisissiez seulement certaines). Vous pourriez alors simplement vous concentrer sur le son du daimoku : dans ce cas, il serait bon d'imaginer que le daimoku que vous êtes en train de réciter, agit comme une onde porteuse de l'amour-empathie que vous venez de développer. Une fois terminée votre psalmodie, je vous recommanderais également qu’avant de clore votre pratique, vous restiez assis en silence encore un moment.

Cultiver la compassion [karuna]

Lorsque nous sommes capables de porter un regard empreint d’amour et de bienveillance sur tous les êtres, en commençant par nous-même, puis embrassant nos proches, nos amis et d’autres encore, tout en restant conscients que la souffrance est universelle, nous sommes alors capables d’éprouver de la compassion. Toute souffrance peut comprendre divers degrés, allant d’une légère sensation de mal-être jusqu’à souffrir de situations tragiques et terrifiantes. Selon la première Noble vérité, la souffrance omniprésente envahit tout, sous une forme ou une autre, de sorte que la compassion – la capacité d’entrer en résonnance avec la souffrance de tous les êtres - devrait également être omniprésente, s’insinuant partout. En conséquence, la compassion peut être caractérisée comme le désir de libérer tous les êtres de la souffrance et, plus important encore, de les libérer des causes de la souffrance. Ainsi, la compassion fait bien plus que soulager des symptômes, car elle vise à déraciner les causes fondamentales de la souffrance, à savoir les trois poisons que sont l'avidité, la haine et l'illusion.

La nature omniprésente, voire ubiquiste de la compassion est un thème majeur du Sutra du Lotus, et en particulier du chapitre XXV, Porte universelle du bodhisattva Avalokiteshvara, le contemplateur des sons du monde, qui est régulièrement récité dans presque toutes les écoles bouddhistes d'Asie orientale. Le nom Avalokiteshvara est souvent traduit par « Celui qui écoute les voix du monde » ou « Celui qui écoute les pleurs » ; appelé Kuan Yin en Chine, il porte le nom de Kannon (観音) ou Kanzeon (観世音) au Japon. Ce chapitre entier du Sutra du Lotus évoque donc la façon compatissante dont Avalokiteshvara perçoit tous les cris de souffrance du monde et la compassion qu’il, ou elle, éprouve en répondant à cette invocation (car Avalokiteshvara peut se révéler à ceux qui l’invoquent en tant qu’homme aussi bien qu’en tant que femme) permettant à ceux qui font appel à lui, ou à elle, de se rapprocher ainsi de l’esprit d’un bodhisattva.

Un autre chapitre du Sutra du Lotus évoque également la compassion, non selon le point de vue d'un bodhisattva céleste qui intercèderait en notre faveur à cause de nos faiblesses, mais selon le point de vue du Maître du Dharma qui expose le Sutra du Lotus. Ce chapitre X dit ceci :

« Ceux qui sont capables de garder
le Sutra du Lotus du Dharma merveilleux
sont, il faut le savoir, des envoyés du Bouddha,
se souciant de tous les êtres.
Tous ceux qui sont capables de garder
le Sutra du Lotus du Dharma merveilleux
renoncent à leur terre purifiée
et, par souci des êtres, naissent ici. »

C'est un passage étonnant qui dit que garder le Sutra du Lotus [juji, 受持] est un acte de compassion. Puisque le fait de réciter Namu Myoho Renge Kyo est en soi le vœu de recevoir et garder le Sutra du Lotus, cela signifie que la pratique de daimoku est en soi l’expression de la compassion. Il est également dit dans ce même chapitre :

 "On devrait considérer qu'ils sont apparus en ce monde en raison de leur vœu d'exposer le Sutra de la Fleur de Lotus du Dharma merveilleux par compassion envers tous les êtres vivants, bien qu'ils aient déjà atteint l'Éveil sans supérieur, complet et parfait [dans leur existence précédente]". (note)

Cette citation, de même que celle précisant que les Boddhisattvas  ont abandonné la « Terre Pure », implique que ceux qui agissent par compassion sont déjà, en réalité, des êtres parfaitement éveillés qui choisissent d’apparaitre en ce monde en tant que simples êtres humains, désireux qu’ils sont de vénérer le Sutra du Lotus et d’être solidaires de tous les êtres vivants. C’est une déclaration bien hardie ! Cela revient à dire que garder le Sutra du Lotus, comme nous le faisons en récitant daimoku, n'est pas seulement réaliser le vœu de compassion qui soulagera la souffrance des êtres en partageant avec eux l’enseignement bouddhique de la Vérité ultime, mais que c’est l’activité d'un bouddha pleinement éveillé en train de se manifester, ici et maintenant, en ce monde.

Il n’y a cependant pas là de quoi se vanter. Ces propos devraient plutôt nous faire réfléchir au magnifique pouvoir et au caractère profondément digne de la pratique bouddhique que nous avons embrassée. Ils devraient nous permettre d’aller au-delà de belles paroles et nous faire prendre conscience des vertus de ce que nous faisons, ainsi qu’éveiller notre conscience à ce que nous pouvons accomplir En ce sens, la compassion ne consiste pas seulement à s'apitoyer sur son sort ou sur celui d’autrui : il s'agit plutôt d'un élan désintéressé visant à soulager toute souffrance grâce à l'enseignement du Sutra du Lotus selon lequel notre vie ne se résume pas seulement à une suite continue de souffrances. Selon l’enseignement du Sutra du Lotus sont en effet à l’œuvre au plus profond de notre vie un nombre incalculable de mérites, un sens de la dignité et d’abondantes bonnes causes de bouddhéité qui nous aident à transformer notre souffrance et celle d’autrui en un bonheur, une joie et une sérénité réelle.

L'exercice suivant peut être utilisé pour faire naitre la compassion d'une manière similaire à l’amour-empathie expliquée précédemment.

1. Prenez le temps de vous assoir et de respirer en initiant un cycle de dix respirations [inspirations/expirations] ou plus, éventuellement en les comptant si vous en avez envie. Sans porter de jugement, prenez note de votre état physique et mental. Essayez maintenant de faire naître en vous et de développer un sentiment de compassion envers vous-même, envers la souffrance que vous pouvez ressentir, puis imaginez-vous libéré de cette souffrance et de ses causes. Vous pouvez même vous répéter : « Puis-je être libéré(e) de cette souffrance et des causes de cette souffrance » ou « Puis-je vivre longtemps en sécurité et sans mauvaise fortune ». Faites cela pendant quelques minutes au moins. (note)

2. Prenez maintenant quelques minutes pour éprouver de la compassion envers une personne que vous connaissez et qui souffre, une personne que vous aimeriez voir libérée de cette souffrance. Répétez-vous : « Puisse cette personne [l’appeler par son nom] être libérée de sa souffrance et des causes de cette souffrance » ou « Que [nom de la personne] vive longtemps en sécurité et sans mauvaise fortune ».

3. Prenez maintenant quelques minutes pour éprouver de la compassion envers une personne qui est un bienfaiteur ou un ami.

4. Prenez maintenant quelques minutes pour éprouver de la compassion envers un étranger, une personne que vous ne connaissez pas.

5. Imaginez maintenant une personne que vous avez du mal à apprécier ou avec laquelle vous avez du mal à vous entendre, et exprimez le souhait qu'elle soit « libérée de la souffrance et des causes de sa souffrance » ou qu'elle « vive longtemps en sécurité et sans mauvaise fortune » Considérez que si ces personnes étaient vraiment libérées de leur souffrance et des causes de cette souffrance, il serait plus facile de les apprécier et de s'entendre avec elles.

6. Consacrez maintenant du temps à adresser simultanément ce sentiment de compassion à vous-même, à une personne qui souffre, à un ami ou un bienfaiteur, à un étranger et à la personne avec laquelle il est difficile de vous entendre.

7. Enfin, prenez le temps de cultiver ce souhait : « Que tous les êtres, dans toutes les directions, soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance » ou « Que tous les êtres vivent longtemps en sécurité et exempts de toute mauvaise fortune », prolongeant ainsi les sentiments cultivés dans les exercices précédents.

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