KAJI-KITO

 

Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu

TROISIÈME PARTIE

LE DÉVELOPPEMENT DE KAJI KITO APRÈS LA MORT DE NICHIREN

CHAPITRE HUIT

Histoire de kaji kito dans l'école Nichiren

La mort de Nichiren n'a pas marqué la fin de la propagation de ses enseignements ni de la base qu'il avait établie concernant le kaji kito nichirenshu. Cependant, cela n'a pas empêché le développement de diverses formes de kaji kito. Les deux formes principales sont celle de "Nakayama" et celle de "Minobu". Leur divergence a d'abord porté sur la désignation du disciple qui avait  reçu l'enseignement du kaji kito directement de Nichiren. Nous verrons plus loin comment cette question a infléchi les caractéristiques importantes du kaji kito nichirenshu d'aujourd'hui.

Méthode Minobu

La pratique et la compréhension du kaji kito Minobu sont basées sur ce que Nichiren a enseigné à son disciple et futur successeur au temple Kuon-ji

Secrets et méthodes du kaji kito

La transmission linéaire de maître à disciple s'est poursuivie jusqu'à Hojuin Nichiden, le 13e successeur du temple Kuon-ji. Après son patriarcat, c'est un plus grand nombre de personnes qui a pu apprendre les méthodes du kaji kito, appelées "shakuzenbo", du nom du temple Shakuzenbo, érigé à cette époque. Cependant, après la mort de Nichiden, le 11 décembre 1526, la pratique s'est affaiblie, a cessé de se développer et même d'exister pendant un certain temps. Shinshoin Nichien, le 22e successeur du temple Kuon-ji, a finalement repris la méthode shakuzenbo (réf.).

L'importance historique du Mont Shichimen, un lieu important de la pratique de l'aragyo résulte des efforts de Sennobou Nichiei, qui s’y serait entraîné pendant 3000 jours. Beaucoup le reconnaissent comme le fondateur de l'"aragyo", la formation et de la pratique ascétique, bien que la pratique elle-même soit mieux associée au 10ème successeur du temple Shakuzenbo, Senjuin Nichikan, qui a mis l'accent sur l'utilisation du bokken, un objet en bois utilisé dans la pratique kaji kito nichirenshu. Le premier bokken a été fabriqué à partir d’une  branche, mais nous y reviendrons plus loin. Sous la direction de Nichikan, Kanjiin Nisso a effectué 1000 jours de pratique aragyo sur le Mont Shichimen. Les méthodes de kito qu'il a apprises ont reçu le nom de méthode "santaku" (réf.). Au début de la période Edo (1603-1868), Tsuumyoin Nichiryu s'est également rendu au Mont Shichimen et s'est entraîné pendant l'été et l'hiver. Les deux moines ont acquis le pouvoir de Shichimen Daimyojin, divinité de cette montagne. Le pouvoir du kaji kito obtenu leur permettait d'accomplir les "miracles" tels que guérir les maladies, chasser les mauvais esprits, soulager le travail des enfants et éviter les malheurs. L'un des exemples les plus connus est celui de la guérison de la maladie de Matsudaira Sadayoshi, le fils de Matsudaira Sadatsuna (1592-1652) du château de Kuwano à Shizuoka. Plus important encore, à partir de là plusieurs sous-catégories de la pratique du kaji kito se sont développées au sein de la Nichiren Shu, en particulier pendant la période Edo. Ces sous-catégories avaient en commun une foi profonde et l'utilisation du Sutra du Lotus comme base du kaji kito (réf.).

Un retour aux méthodes shakuzenbo eut lieu à l'époque du 22e successeur du temple de Shakuzenbo, Fumounin Nichiken, qui a déplacé et rénové le temple Shakuzenbo de l'ouest au sud de Minobu en 1819. Ce faisant, il a également réorganisé les densho, textes sur les méthodes du kaji kito, ainsi que la chronologie selon laquelle ils devaient être enseignés (réf.). Nichiken a écrit que l'entraînement aragyo devait être divisé en trois niveaux, chacun comprenant 1000 jours de pratique, pour un grand total de 3000 jours de pratique, requis pour maîtriser pleinement les méthodes du kaji kito. Les trois étapes ont ensuite été baptisées shogyo pour les 1000 premiers jours, saigyo pour le deuxième et mangyo pour le troisième. Il est possible que la séparation des niveaux par 1000 jours ait été influencée par les 1000 jours de pratique ascétique du bouddhisme tendai appelés "sennichi kaiho-gyo" (réf.).

Nichiken est également associé à un célèbre kaji kito réalisé au Mont Minobu lors d'une épidémie. Nichiken a fabriqué un heisoku, (papier blanc découpé et plié d'une certaine manière et souvent placé sur un support en bois). Les kamis ou les esprits sont censés se placer sur le heisoku lorsque le pratiquant les appelle. Cette utilisation du heisoku peut probablement être associée à l'adaptation de la découpe et de l'utilisation du papier blanc dans le shinto. Nichiken a jeté le heisoku dans la rivière et a effectué une action, connue sous le nom de kuji wo kiru, qui consiste à faire rapidement avec sa main neuf traits séparés . Souvent, chaque trait est associé à une étape de l'écriture d'un kanji important pour la pratique et est utilisé pour chasser les mauvais esprits. On dit que le heisoku a coulé dans le sens inverse du courant et que l'épidémie a cessé (réf.).

L'entraînement de la méthode shakuzenbo consistait principalement à apprendre à fabriquer le heisoku et à mémoriser les méthodes de pratique du kaji kito par le kuden (transmission verbale), la manière traditionnelle dont les rituels associés au bouddhisme ésotérique étaient transmis depuis leurs débuts en Inde. Même lorsque l'individu réussissait à accomplir un kito très difficile, il devait faire 1000 jours de pratique ascétique. Les méthodes d'entraînement consistaient à prier, à apprendre les méthodes de kito et à effectuer par jour sept prières d'eau distinctes afin de purifier l'esprit. Les pratiquants devaient également faire une autre prière d'eau séparée chaque fois qu'ils entraient dans une salle de bains. Après avoir terminé le mangyo, la personne  recevait enfin des enseignements tirés de textes importants, dont le Kito kyo, écrit par Nichiren lui-même, ainsi que le Kito byosuisho (réf.). Bien que permettant à un plus grand nombre d'individus d'apprendre la pratique du kaji kito, la méthode shakuzenbo exigeait que l'enseignement et l'entraînement se fassent en tête-à-tête, maintenant ainsi de manière restrictive la nature secrète de la pratique. En conséquence, la méthode shakuzenbo a disparu après le 29e successeur du temple Shakuzenbo, Taienin Nissei, lors de la restauration Meiji (1868-1912).  

A côté de cela, une autre forme de kito comprenait la méthode yuikanbo développée au milieu de la période Edo (1603-1868) par Yuikanbo Nichiyu, moine de Shimofusa dans la préfecture de Chiba. En 1680, Nichiyu a accompli 100 jours d'aragyo et a reçu le Kito Kyo. Il est intéressant de noter qu'il a choisi des enseignements importants dans le Sutra du Lotus et qu'il a dit à ses disciples que les personnes qui effectuent la prière du kaji kito ne devaient pas étudier les enseignements de Nichiren en se fiant à des moines ''stupides''ou copier leurs enseignements, car cela entraînerait l'accumulation d'enseignements erronés. Il a souligné l'importance de purifier son esprit afin d'atteindre l'Eveil. Kakuyoin Nichiei a également essayé de promouvoir la méthode yuikanbo et de la diffuser au temple Honzui-ji de Kyoto, mais cette tentative s'est soldée par un échec (réf.). Par la suite, la principale forme de pratique est devenue la méthode ichidoin pratiquée par Nippo, le 22ème successeur du temple Kishinobo au Mont Minobu. Le temple principal de Nippo était le temple Honzu-ji à Kyoto (renommé plus tard Ichidoin). L’empereur retiré (joko) Genrei (note) a fait l'éloge de Nippo, qui avait accompli 1000 jours d'aragyo à la rivière Kamogawa. Nippo est finalement revenu à Yamanashi au temple Shofuku-ji où sont actuellement conservés les documents  de Nippo sur la fabrication du gofu. Les différentes méthodes expliquées ci-dessus sont toutes regroupées dans la grande catégorie "Minobu" ; ce qui montre que cette méthode a subi plusieurs changements au cours de son histoire. Cependant, en raison du peu d'importance de plusieurs de ces méthodes, on associe généralement à Minobu la méthode shakuzenbo

Méthode Nakayama

La forme Nakayama est due pour l'essentiel à Toki Jonin, samouraï de la période Kamakura devenu adepte de Nichiren d'abord en tant que laïc, puis en tant que moine sous le nom de Nichijo. L'historique et la base de la méthode Nakayama sont observés dans le temple Nakayama Hokekyo-ji dans la préfecture de Chiba. Ce temple résulte de la fusion du Shimosa Hokke-ji construit par Nichijo et du Honmyo-ji fondé par Nikko. On dit que Nichiren a personnellement enseigné ses secrets et ses méthodes de kaji kito à Nichijo, tout comme le successeur et grand prêtre du temple Nakayama Hokekyo-ji l'a appris du grand prêtre précédent (réf.). Nous voyons donc ici un exemple d’enseignements secrets transmis de maître à disciple. Nichigon, le 10e successeur et grand-prêtre du temple Nakayama Hokekyo-ji a décidé que toutes les personnes instruites devaient avoir la possibilité d'apprendre les enseignements privilégiés du kaji kito de Nichiren. Depuis lors, le grand-prêtre du temple est appelé "kanju" ou "denshi", celui  qui est chargé d'enseigner les méthodes du kaji kito. Le "fuku-denshi", second en statut par rapport au kanshu, a également conservé le rôle d'assistant du grand-prêtre. Les principaux changements intervenus à cette époque comprennent le privilège accordé à un plus grand nombre d'individus d'apprendre les méthodes du kaji kito, tout en maintenant la notion de pratique cachée et de transmission à un petit nombre de personnes désignées et sélectionnées. En devenant kanju, Kyoin Nissho, 14ème successeur du temple Nakayama Hokekyo-ji et 7ème successeur du temple Nakayama Taifuku-ji, a changé son nom de Nissho en Hoshoin Nittai. Le fait majeur de son mandat de kanju fut la construction en 1933 du Enritsubo, un bâtiment destiné uniquement à la pratique de l'aragyo et à l'apprentissage de kaji kito. L’Enritsubo, devenu le lieu principal de l'aragyo dirigée par le kanju a été renommé Onjuin en l'honneur d'Onjuin Nichikyu (1662-1727), le troisième grand-prêtre du temple d'Onjuin qui a accompli 1000 jours d’aragyo et qui a compilé le Kito-shoden-sho (Livre sacré sur la transmission des prières) (réf.).  

Onjuin Nichikyu, le troisième kanju du Nakayama Hokekyo-ji, a été formé sous Hoshoin Nittai le fondateur d'Enritsubo. En 1692, Nichikyu était le premier à apprendre toutes les méthodes du kaji kito de Nakayama. Un grand nombre des méthodes qui ont été enseignées à Nichikyu demeurent dans le programme d'aragyo d’aujourd'hui (réf.). Après avoir terminé ses études au Nakayama Hokekyo-ji, Nichikyu s'est rendu au Mont Minobu et s'y est entraîné pendant trois ans. Lors de son séjour, il a escaladé le Mont Shichimen sept fois et a effectué 100 jours de sanro, un terme utilisé pour désigner la prière du crépuscule à l'aube. Ensuite, il s'est entraîné à la méthode de kaji du Minobu et au kaji kito de Magyoin Nichijun, le kanju de la méthode shakuzenbo. Nichijun enseigna à Nichikyu les méthodes les plus secrètes du Minobu, différentes des méthodes Nakayama et de celles que Nichiren avait enseignées de son vivant. Avant sa mort en 1727, Nichikyu compila toutes les méthodes de kaji kito qu'il avait apprises tant au Minobu qu’à Nakayama. Ce texte, le Hongaku Goshinho, est devenu la base du développement des méthodes kaji kito actuelles.

Gyogakuin Nicho, le 25e successeur du temple Nakayama Hokekyo-ji, s’était inquiété de la disparition éventuelle des méthodes kaji kito enseignées au temple Onjuin et encouragea son disciple Chisenin Nichiju à anticiper la fermeture d’Onjuin. En 1644, Chisenin Nichiju établit un bâtiment séparé, appelé Chisenin. Bien que plusieurs sources donnent des interprétations différentes de la création de Chisenin Nichiju, la croyance commune est qu’il avait appris le kaji kito de Hoshoin Nittai avec Nichikyu. Les inquiétudes de Gyogakuin Nicho ont conduit à un changement important : des pratiquants de différentes lignées appartenant à la tradition nichirénienne ont été autorisés à participer à l'aragyo pour apprendre le kaji kito (réf.). L’accent mis sur la croyance au Sutra du Lotus peut provenir du fait que Nichiren lui-même insistait pour que ceux qui lui demandaient de pratiquer le kaji kito reçoivent et gardent leur croyance dans la Sutra du Lotus. Cependant, ce changement explique aussi l'existence de différentes méthodes de kaji kito au sein de chacune de ces lignées Par exemple, Jintsuin Nikko de la lignée Myoman-ji (non nichirenshu) qui connaissait ce qu'on appelle la méthode "Nichiju mon" de kaji kito est passé par le temple Onjuin. Pourtant, à cette époque, il a appris non seulement la méthode Nakayama, mais également monryuc, elle de Nichiju. Des exemples similaires sont également signalés pour la méthode chisenin de kaji kito.

Ce nouveau dynamisme montre que le kaji kito nichirénien d’aujourd'hui s'est développé en incorporant plusieurs méthodes et idéaux différents. Plus important encore, la méthode caractéristique du kaji kito Nakayama au XVIIIème siècle tenait compte des efforts pour rendre le kaji kito plus accessible aux gens du peuple. Elle en est devenue plus connue au sein de la société. De même, à la fin du XVIIIème siècle, les prêtres qui ont été formés à la fois aux temples Onjuin et Chisenin ont été reconnus par le Minobu comme shakuzenbou-ryu kito soujou no koto et réciproquement les moines enseignant au Mont Minobu comme étant Nakayama no ryogensha (personnes ayant appris à la fois la méthode Nakayama et la méthode Minobu du kaji kito). À partir de là on note la fusion des deux méthodes dominantes du kaji kito nichirenshu, ce qui conduit à la compréhension actuelle du kaji kito. À un moment donné, le kaji kito nichirénien avait le soutien de l'empereur, des aristocrates et du gouvernement. Par exemple, après que le kaji kito ait permis en 1334 le retour en toute sécurité de l’empereur exilé Go-Daigo, la famille impériale a attribué des terres au temple Myoken-ji à Kyoto (réf.). Un autre exemple est le parrainage du kaji kito nichirénien par le shogunat Tokugawa, qui a commencé lorsque Nichiju a guéri la fille de Tokugawa Ieyasu (réf.). Ce lien a perduré principalement parce que les femmes de l'ooku (harem du château d'Edo) continuaient à croire au bouddhisme de Nichiren et à envoyer du riz au temple Nakayama Hokekyo-ji en échange de prières kito. Parfois, les femmes de l'ooku envoyaient au temple leurs kimonos pour qu'ils soient utilisés pour ces prières car elles croyaient que cela les aiderait à concevoir le fils d'un shogun. Bien que l’authenticité  de ce fait reste discutable, le parrainage par le clan Tokugawa a pris fin au milieu du XIXe siècle lorsqu'un prêtre du temple a tenté de pénétrer dans l'ooku en se cachant dans l'une des boîtes dans lesquelles les kimonos devaient être rendus (réf.). Il est intéressant de noter qu'au cours de cette période, le shogunat Tokugawa avait maintenu des liens étroits avec l'école de la Terre pure, tout en soutenant le kaji kito nichirénien (réf.), ce qui montre que de nombreux successeurs de Nichiren n'ont pas poursuivi son refus du kito pour les non-croyants, à quoi il faut ajouter le manque d'efficacité de la prière pour ceux qui ne croyaient pas au Sutra du Lotus. Le Rév. Ryotoku Miyagawaa recueilli des données et examiné les archives historiques des personnes qui ont commencé la méthode Nakayama d'aragyo au temple Onjuin. Ses archives montrent que le 13 décembre 1692, Onjuin Nikkyu a commencé la pratique de l'aragyo avec un autre pratiquant dont le nom reste inconnu. Entre 1692 et 1803, l’aragyo n'avait pas de mois fixe, ce qui laisse entendre que l'on pouvait commencer l'aragyo quand on le souhaitait, à condition de s'engager à le pratiquer pendant 100 jours. Au cours de ces 150 années, environ 55 ou 56 personnes ont commencé la pratique d'aragyo, ce qui signifie qu'environ un pratiquant commençait l'aragyo tous les trois ans. Entre 1804 et 1830, le nombre de pratiquent d'aragyo a considérablement augmenté et en 1837, était passé à environ 15 par an. Entre 1854 et 1868, seules les personnes instruites qui avaient suivi ce que l'on considère aujourd'hui comme des études supérieures au danrin  (lieu d'étude de la Nichiren Shu), étaient autorisées à faire l'aragyo (réf.). Les seuls autres changements majeurs au cours de cette période concernent l'interdiction par le gouvernement du yorikito, un type d'exorcisme, au temple Chisein en 1842 et au temple Onjuin en 1852. Seules les personnes gravement malades étaient autorisées à recevoir un yorikito à condition qu'elles continuent à prendre les médicaments prescrits par les médecins (réf.).

La méthode Minobu ayant cessé d'exister, à l'heure actuelle, la méthode Nakayama est restée la principale et sans doute la seule forme de kaji kito dans la Nichiren Shu. Vu les problèmes de politique religieuse actuelle, la méthode onjuin est toujours enseignée au temple Onjuin. Mais son enseignement et sa pratique sont identiques à la méthode Nakayama enseignée au temple Nakayama Hokekyo-ji (réf.). Le temple Onjuin reste très proche du temple Nakayama Hokekyo-ji et les deux temples continuent à organiser des aragyo à peu près au même moment (pendant 100 jours de novembre à février). Au sein de la Nichiren Shu, l'aragyo au temple d'Onjuin ne donne pas droit au même type de privilèges que celui accordé aux prêtres qui font l'aragyo au temple Nakayama Hokekyo-ji. Mais cette question ne sera pas abordée dans le présent document.

Popularité du kaji kito de l'école Nichiren  

Le kaji kito nichirénien était devenu plus populaire pendant la période Edo, principalement en raison de la restriction du shakubuku, (conversion au Sutra du Lotus). Ainsi, les méthodes de propagation s'appuyaient plus fortement sur le kito. Les méthodes du kaji kito sont très similaires au shugendo, une pratique ascétique en montagne basée principalement sur les traditions du Shingon et du Tendai. Les récits de l'efficacité et des bienfaits du kaji kito effectués par les gyoja de l'école Nichiren ainsi que par les shugenja (les pratiquants du shugendo), étaient un sujet populaire durant la période Edo. Les gens du peuple savaient que les pratiquants du kito nichirénien et du shugendo s'adonnaient à une longue période de pratique qui les aidait à acquérir une puissance spirituelle. Les praticiens (gyoja et shugenja) écoutaient les problèmes et les préoccupations de ceux qui cherchaient des conseils et les aidaient en utilisant le pouvoir qui leur était donné par les esprits.

De nombreuses preuves montrent que le shugendo et le kito nichirénien ont conservé la même  popularité au sein de la société avec toutefois une certaine alternance entre les deux traditions. Jusqu'aux années 1600 environ, la plupart des méthodes du kito étaient transmises directement de maître à disciple. Les personnes pieuses pouvaient également apprendre la pratique sans pour autant être moine. Senju Nichihei (1504-1601) a accompli 100 jours de pratique ascétique sur le Mont Shichimen et devint populaire pour sa capacité à guérir toutes les maladies. Durant l'ère Genroku (1688-1704), de nombreuses personnes ont suivi l'exemple de Senju Nichihei et se sont entraînées sur le mont Shichimen privilégiant la pratique du kito nichirénien. Certains shugenja ont également pratiqué le kito nichirénien au Mont Shichimen et même au temple Nakayama Hokekyo-ji, qui, curieusement, n'avait aucune relation avec l'ascèse en montagne. Bien que certains suggèrent une relation des deux méthodes avec l’ascèse en montagne, cela ne semble pas être le cas, car la majorité de la pratique de l'aragyo dans le bouddhisme de Nichiren était confinée à l'intérieur d’un temple et n'impliquait nullement un entraînement qui ne pouvait se faire qu'en montagne. La plus forte influence du shugendo sur l'aragyo nichirénien a été de limiter à Hariti l'attention portée aux divinités, alors que elles conservaient un rôle influent dans le shugendo. Au milieu du XIXe siècle, le shugendo a gagné en popularité par rapport au kito nichirénien et c'est encore le cas depuis lors. Cela est particulièrement évident quand on voit que la majorité des sources occidentales sur le kaji kito traitent principalement le shugendo et mentionnent  très rarement le kito nichirénien.

Personnes et pratiques confirmées dans l'histoire du kaji kito de l'école Nichiren

Outre les nombreux individus remarquables ayant accompli la pratique du kaji kito, beaucoup d'autres sont reconnus pour avoir réalisé des kaji kito exceptionnels. Dans l'histoire du kaji kito nichirenshu, Shinkeiin Nichido reste l'un des plus connus pour l'efficacité de sa prière pour pluie (amagoe kito) pendant l’été 1747 (réf.). Eishoin Nissen, du danrin Miyatani, a également réussi à effectuer un amagoe kito en 1821. Il avait déclaré que si sa méthode échouait, il offrirait son corps aux cieux et a placé un couteau court sur le sanbo, un support minuscule, pour montrer le sérieux de ses intentions. Finalement, le résultat lui fut favorable.

Un autre personnage remarquable est Mangyoin Nichijun, le prêtre principal du temple Shakuzenbo au milieu de la période Edo. Sur son chemin vers le Mont Minobu depuis Edo, l'actuelle Tokyo, il séjourna au temple Honjyaku-ji. Un soir d'automne, il est sorti, sachant que c'était la nuit de la pleine lune, pour se rendre compte que les nuages couvraient la vue de la lune. Son désir de voir la pleine lune était si frustrant qu’il décida d'effectuer un kuji en utilisant son bokken, tout en demandant à la divinité de la lune de lui permettre de voir la lune. Après qu’il eut accompli le kuji, les nuages se sont dissipés et la pleine lune est apparue. C'est pourquoi on lui a donné le nom de "Kumokiri Mangyouin", qui signifie littéralement "Mangyouin tailladeur de nuages" (réf.), car l'action de couper du kuji a séparé les nuages de la lune. On dit que le bokken utilisé se trouve dans la collection de trésors du temple Kuon-ji sur le Mont Minobu.

De nombreux adeptes de la Nichiren Shu croient que pour réaliser ses souhaits il faut aller prier sur la tombe de Nichiyu, le troisième grand-prêtre du Nakayama Hokekyo-ji. Cette idée vient de "Nabekamuri" (celui qui verse ou fait verser de l'eau sur lui) Nisshin de la branche Nakayama de la pratique du kaji kito, connu pour s'être fait verser de l'eau chaude sur la tête pendant un débat. Pendant ses 100 jours de pratique, Nisshin se rendait chaque nuit sur la tombe de Nichiyu et récitait le chapitre XVI du Sutra du Lotus pour réussir dans la propagation du bouddhisme nichirenshu. La dernière nuit du 100e jour de pratique, Nichiyu lui est apparu en rêve et a juré de protéger Nisshin dans ses efforts (réf.).

Constatant que ses pensées avaient été entendues, Nisshin a déployé de grands efforts pour propager le bouddhisme nichirenshu, ce qui lui a valu d'être opprimé et torturé par le shogun Ashikaga Yoshinori. On peut souligner la ressemblance entre Nichiren et Nisshin, tant au niveau de leur forte personnalité que de leur ferveur qui provenait probablement de la confiance et de la détermination qu'ils avaient envers leur foi. Cela leur a probablement permis de prendre des mesures extrêmes pour diffuser le Sutra du Lotus. Comme Nichiren, Nisshin a survécu à toutes les persécutions et à la fin c'est Ashikaga Yoshinori qui sera assassiné (réf.). La mort de Yoshinori n'était nullement souhaitée par Nisshin, mais elle a fait croire que ceux qui portent atteinte au Sutra du Lotus attiraient le malheur.

Hokke gyoja est un terme spécifique désignant le pratiquant qui a fait aragyo et exécute kaji kito (gyoja) en maintenant sa foi dans le Sutra du Lotus (hokke). Souvent, lorsqu'on essaie de représenter la foi d'un hokke gyoja et le pouvoir qui découle de son kaji kito, on se réfère à des crocs de loup exposés dans la collection de trésors du temple Nakayama Hokekyo-ji. L'histoire raconte qu'Onjuin Nichikyu, alors qu'il étudiait au danrin Nakamura, entendit dire que son maître du temple Nakayama Hokekyo-ji était sur le point de mourir. Onjuin Nichikyu se hâta de rentrer pour entendre les dernières paroles de son maître, mais en chemin il rencontra un loup qui lui bloqua la route. Nichikyu dit au loup que s'il le laissait passer, il reviendrait plus tard au même endroit pour lui offrir son corps. En entendant ces paroles, le loup disparut. Nichikyu vit enfin son maître et fit une prière de l'eau et un kaji kito pour sa guérison. Le maitre fut effectivement guéri et Nichikyu se mit en route vers le danrin Nakamura. Sachant qu'il devait tenir la promesse qu'il avait faite au loup, il se rendit au même endroit que promis. Le loup apparut immédiatement et lui arracha le bras. Nichikyu tourna alors la tête dans l'autre sens pour ne pas voir le loup ronger son bras. Il ne ressentait aucune douleur et lorsqu'il s'est retourné pour regarder son bras, le loup n'étant nulle part et seuls ses crocs perçaient sa peau. Les crocs de loup étaient utilisés comme mayoke (charme contre les mauvais esprits) ainsi que comme tsukimono otoshi (objet pour empêcher les mauvais esprits de s'attacher à votre corps) (réf.).

Conclusion

La persistance de la méthode Nakayama peut donc s'expliquer par plusieurs facteurs. Il semble qu'il y ait eu différentes manières de faire selon les époques et les changements d'opinion concernant le kaji kito, non seulement au sein de la Nichiren Shu, mais aussi parmi le grand public. Comme la méthode Nakayama semblait concentrer les gens ordinaires, elle a incorporé différentes méthodes de kaji kito afin de susciter l'intérêt d'un plus grand nombre. Il semble qu'une grande réciprocité existait entre ceux qui enseignaient la méthode Nakayama et ceux qui avaient développé ou connaissaient d'autres méthodes de kaji kito. La méthode Nakayama se répandait plus facilement et pouvait fusionner avec plusieurs méthodes différentes. Bien que la méthode Minobu ait également tenté d'incorporer différentes méthodes, il y a eu moins de fusions que pour la méthode Nakayama. Celle-ci usait de réciprocité par incorporation ; elle enseignait sa méthode et apprenait à son tour d'autres méthodes, ce qui a permis son expansion et son développement. Malgré la disparition de la méthode Minobu, en raison de la fusion continue entre les deux méthodes, nous constatons qu'en réalité elle n'a pas disparu. L'idée que seule la méthode Nakayama soit restée provient probablement du fait que la pratique actuelle de l'aragyo de la Nichiren Shu ne se poursuit qu'au temple Nakayama Hokekyo-ji. Dans l'ensemble, la fusion des méthodes a conduit à une spécification plus poussée afin de mieux définir et développer le kaji kito nichirenshu actuellement pratiqué.

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