KAJI-KITO

 

Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu

CHAPITRE NEUF

Bokken    

Outre les enseignements et les méthodes appris par le gyoja, dans chaque école bouddhiste qui pratique le kaji kito, comme le Shingon et le Tendai, existent des méthodes caractéristiques du kaji kito. Nous avons vu que pour le Shingon, il s'agit du dokko (vajra) et de la cloche (ghanta). Dans la Nichiren Shu, c'est la combinaison entre le juzu, (chapelet) et le bokken (pièce de bois aplatie ayant la forme de l'épée (figure 4).

 
fig. 4. Différents types de bokken utilisés lors des kaji kito dans le bouddhisme nichiren-shu. Le bokken le plus à droite est considéré comme le plus ancien, tandis que celui de gauche serait le plus proche bokken utilisé aujourd'hui. Ces objets se trouvent au musée du temple Kuon-ji au Mount Minobu.

Kuji  

Kuji est un type de kaji kito réalisé à l'aide du bokken (bokken kaji) comme pour communiquer avec ce qui est considéré comme des esprits maléfiques qui créent des événements indésirables, tels que des problèmes de santé. En exécutant le kuji, le gyoja tente de satisfaire l'esprit maléfique afin qu'il "s'éloigne" de la personne touchée ou qu'il empêche les événements indésirables de se produire dans une petite ville. Parmi les exemples d'esprits maléfiques, citons les esprits de personnes décédées qui continuent à maudire un individu vivant (shinryo), les esprits maléfiques qui souhaitent la mort de certains prêtres (juso), les esprits des renards qui, dans la tradition japonaise, sont souvent censés jeter une malédiction sur les individus (réf.) (yako), et une personne vivante qui utilise un médiateur pour jeter un mauvais sort à un autre individu (ikiryo) (réf.).

Bien que la date de son incorporation soit incertaine, le kuji nichirenshu a très probablement été adapté du shugendo. Dans le shugendo, les pratiquants psalmodient "rin pyo tou-sha kai chin retsu zai-zen" et écrivent neuf lignes horizontales et verticales avec leurs mains, chaque trait étant séparé par une syllabe ou un caractère de la citation ci-dessus. Alors que les gyojas nichiréniens récitent "myo ho ren-ge kyo jou hon dai ichi" et écrivent le caractère "myo-ichi" (妙 一), l'un des caractères les plus importants de la Nichiren Shu, en neuf traits. La raison du chiffre neuf provient du concept du yin et du yang. Plus précisément, ce nombre indique une manifestation yang, avec une connotation masculine et rend hommage aux Cieux (réf.). En effectuant le kuji, les pratiquants demandent aux bons esprits de venir apporter la paix, ce qui est souvent appelé "harai kuji" (kuji pour chasser les mauvais esprits). Beaucoup pensent qu’au début de l'incorporation du bokken, le kuji n'était pas très compliqué car les pratiquants apprenaient à utiliser le bokken et à faire le kuji deux ou trois jours avant de commencer l'aragyo (réf.).  

Objets utilisés dans le bokken kaji

La pratique initiale du kaji kito dans le bouddhisme nichirénien jusqu'au début du XVIIe siècle, ne comportait pas l'utilisation d’objets particuliers. Malgré le développement de la pensée mikkyo et, sous l'influence d'autres écoles, aucune source n'indique l'utilisation d'objets tels que le dokko et la cloche utilisés dans d'autres courants. C'est également le cas pour des documents historiques sur la "découverte" du bokken par Senjuin Nichikan. Pendant sa pratique sur le Mont Shichimen, Senjuin Nichikan aurait été en train de prier Shichimen Daimyojin lorsqu'une branche de saule qu'il avait placée dans un vase devant l'autel s'est envolée comme si quelqu'un l'avait projetée vers lui (réf.). Alors il lui est venu à l'esprit d'effectuer un kaji kito à l'aide de la branche yoji no ki, en en faisant un yoji mamori (protection) ou kaji de shakuzenbo. A cette époque, la branche s’appelait yoji et non bokken. Cette utilisation de la branche pour le kaji kito aurait continué avec Nichikei. Le bokken kaji permettrait au prêtre de transmettre son pouvoir spirituel ; c’est pourquoi il est devenu un objet sacré pour aider à se connecter aux pouvoirs spirituels des divinités, tout en symbolisant également une "épée" qui protège le pratiquant des mauvais esprits (réf.)  Le shudai kengyo soden indique qu'en 1501, la forme du yoji s'est aplatie pour refléter la lame d'un katana, le sabre japonais. En 1820, environ un siècle après que Nichikan eut utilisé le yoji pour la première fois, Nichiken du Mont Minobu a vu dans le yoji l'équivalent du bokken ; ce terme désigne généralement un sabre de bois, souvent utilisé dans le kendo, une forme traditionnelle japonaise d'arts martiaux. Malgré cette analogie, on a continué à appeler l'objet un yoji. Le Mont Minobu a continué à utiliser le terme yoji et le terme bokken n'est apparu qu'une fois adapté à la méthode Nakayama au temple Onjuin. Même ceux qui ont étudié au Mont Minobu utilisent le terme bokken dans la méthode Nakayama.

La figure 4 montre différents types de bokken observés au cours de l'histoire. Les premiers bokken, plutôt que d'imiter la forme de la lame de l'épée, sont des sortes d’épée. La notion de sabre découle de l'exécution du kuji, appelée kuji wo kiru et implique l'action de "couper" pour effectuer les coups nécessaires à l'écriture des caractères sacrés dans l'air. Cette action vise à éloigner les mauvais esprits. Certains pratiquants sérieux, même aujourd'hui, proposent d'utiliser un shinken, ou un vrai katana, pour faire le kuji. Bien que les sources n'aient pas établi cette relation, en observant le bokken en forme de sabrere représenté sur la figure 4, nous constatons que la poignée elle-même a la forme d'un vajra avec ses bords incurvés et les formes arrondies aux extrémités. Plus important encore, nous pouvons comparer cette forme à l'épée tenue par Fudo-Myoo (Acala), une divinité vénérée principalement dans le Shingon. La poignée de l'épée de Fudo-Myoo est souvent désignée comme un sanko-ken  (épée vajra à trois branches), ce qui ne correspond pas à la figure 4. La lame de l'épée tenue par Fudo-Myoo est également très longue, ce qui diffère grandement de la courte lame du bokken de la fig.4. Cependant, la relation possible avec Fudo-Myoo doit être étudiée plus en détail ; l'épée de Fudo-Myoo sert à détruire le mal alors que le bokken “coupe” en traçant des caractères qui chassent les mauvais esprits.

Le bokken du milieu de la figure 4 est beaucoup plus petit, mais conserve les traits censées  représenter la poignée de l'épée. Comparé aux autres bokkens représentés, il est suffisamment petit pour tenir dans la main. Avec le développement de l'utilisation du bokken tout au long de l'histoire on peut estimer qu'en fin de compte, sept types de bokken, de forme et de taille différentes, étaient utilisés pour divers types de kito selon que cela portait sur la guérison du corps ou sur l'exorcisme. Bien que les pratiquants reconnaissent actuellement l'existence de ces sept types, un seul est couramment utilisé pour tous les kaji kito. Le premier bokken que l'on voit sur la figure 4 a la forme la plus similaire au bokken couramment utilisé aujourd'hui. La forme la plus ancienne du bokken variait de 11 à 22 cm de longueur. Les premiers bokken étaient fabriqués à partir du bois d'un pêcher (momo) ou d'un kachi/nurude. L'importance de l'utilisation du bois d'un pêcher vient de la croyance venue de Chine qu'il éloigne les mauvais esprits (réf.), c'est aussi une raison pour laquelle les branches d'un pêcher sont exposées pendant le Girl's Day, une célébration annuelle dans la tradition japonaise pour souhaiter la santé et la prospérité des filles de la famille. Actuellement, plusieurs autres types d'arbres sont utilisés, notamment le jujubier (natsume), le buis (tsuge) et le hiiragi, tous choisis pour la résistance de leur bois (réf.).   La plus grande différence entre les types de bokken présentés est le fait que le premier bokken est couvert d’une écriture. Bien que les textes sur le bokken diffèrent selon les individus, la face avant du bokken contient généralement le daimoku ainsi que les juryasetsunyo (dix raksasis) et  Kishibojin/Kishimojin (Hariti), divinités importantes pour la pratique du kaji kito nichirenshu. Le pratiquant est également libre d'inclure les noms d'autres divinités qu'il considère comme importantes (comme les shoten zenjin, divinités protectrices de la nature), entourant daimoku tels que sur le mandala. Le dos du bokken peut être laissé en blanc, mais de nombreuses personnes y inscrivent des passages du Sutra du Lotus qu'elles considèrent comme importants, par exemple, les dharani.  

Jusqu'à la période Meiji environ, le bokken était utilisé seul pour réaliser le kaji kito et, à part les changements notés pour les tailles et la forme, il a conservé une fonction et un mode d'utilisation constants. L'objet actuellement utilisé pour le kaji kito est un bokken combiné à un juzu placé sur le dessus, qui a été introduit pour la première fois dans le Hokke Kenka Kunmo*, écrit entre 1884 et 1886 (réf.). Si la forme et le nombre total de perles du juzu diffèrent également dans de nombreuses traditions bouddhistes, le juzu utilisé dans la Nichiren Shu est probablement l'un des plus longs, composé de 108 perles, toutes représentant les désirs terrestres. Le juzu utilisé sur le bokken est replié et attaché (figure 3). Il est également composé d'une perle plus large qui, frappant le bokken, en produit un fort cliquetis, qui peut signifier la présence ou l'aide du Bouddha ou des divinités. Bien que la raison principale qui a conduit à l'utilisation simultanée du bokken et du juzu reste inconnue, en combinant les deux, je pense que le bokken chasse les mauvais esprits, tandis que le juzu ajoute un appel des bons esprits après le départ des mauvais. Ainsi, en faisant le kuji, le gyoja inclut un mouvement de haut en bas (figure 5) pour incorporer le son de cliquetis qui permet au pratiquant de ressentir de la gratitude pour avoir reçu l'aide des divinités.


fig. 5. Prêtres faisant kuji en utilisant à la fois le bokken et le juzu. Mon père est le deuxième à partir de la gauche.

Il est intéressant de noter que dans le Hokke Kenka Kunmo, le juzu est placé sur deux bokken d'environ 22 cm de long (réf.). Cette forme de bokken et de juzu est conservée à ce jour dans un musée au Mont Minobu.

De nos jours, le gyoja a la possibilité d'utiliser un bokken particulier, par exemple en fonction du son que produisent les différents types de bois. De même, bien que le principal kanji écrit lors de l'exécution du kuji reste "myo-ichi", plusieurs formes plus compliquées du kuji se sont également développées mais ne seront pas abordées dans cette thèse.
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