KAJI-KITO

 

Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu

CHAPITRE DEUX :

Introduction et développement du mikkyo au Japon par Kukai

La principale lignée ésotérique du Japon est le bouddhisme shingon (Paroles Véritables), fondée par Kukai (774-835). L'importance de Kukai dans l'histoire du Japon va au-delà de ses contributions religieuses en tant que moine bouddhiste japonais. Il a également joué le rôle d'érudit, de poète et d'artiste - il est célèbre pour sa calligraphie et on lui attribue l'invention du kana, l'écriture syllabique japonaise. Ses pensées et ses enseignements religieux comprennent une cinquantaine d'ouvrages mettant en valeur l’école ésotérique Shingon (réf.).

Biographie de Kukai  

Dans son enfance, Kukai a étudié les classiques chinois mais déçu par le confucianisme, il s'est tourné vers le bouddhisme. A 22 ans, il a découvert la psalmodie du mantra du bodhisattva Akasagarbha*. L'importance de ce bodhisattva demeure dans la pratique shingon comme un moyen de remplir l'esprit, le cœur et le corps vides avec quelque chose de "plus grand". L'intérêt de Kukai pour le bouddhisme ésotérique s'est accru lorsqu'il vit en rêve que le Mahavairocanasutra contenait la doctrine qu'il recherchait. Il est probable que ce sutra comblait le fossé entre son intérêt pour la pratique de la religion et les connaissances doctrinales qu'il avait acquises tout au long de ses études. Pour Kukai, Mahavairocana incarnait les aspects les plus conformes et les plus proches d'un être universel, voire d'un sauveur cosmique. C’est l'interprétation de Mahavairocana en tant que Bodhisattva éternel et universel qui a inspiré Kukai et éveillé son intérêt pour le bouddhisme ésotérique (réf.).

En 804, Kukai a participé à une expédition en Chine parrainée par le gouvernement japonais afin d’en apprendre davantage sur le Mahavairocanasutra. A cette époque, le sutra n'était toujours pas traduit du sanskrit et les parties existantes restaient pour beaucoup obscures. L'importance du voyage en Chine tient également au fait qu’à cette époque, la Chine était "le centre du monde" et qu'elle offrait à Kukai l'occasion de devenir une figure mondiale et internationale. A l'arrivée de la délégation en Chine, dans la province de Fujian, les passagers se sont d'abord vu refuser l'entrée sur le territoire. Kukai a dû écrire au gouverneur de la province pour obtenir le droit d'entrée dans le pays. Les passagers ont été invités à visiter Chang’an, capitale et siège du pouvoir de la dynastie Tang. La dynastie Tang a finalement exaucé le souhait de Kukai d'étudier le bouddhisme chinois et le sanskrit au temple de Ximing-si avec le pandit Gandharan Prajna (734-810 ?) qui lui, avait reçu une formation dans une université bouddhiste en Inde (réf.).

L'"initiation" de Kukai à la tradition bouddhiste ésotérique a eu lieu après sa rencontre avec son futur maître, Huiko au monastère de Qinglong à Chang'an. Huiko, était issu d'une lignée de maîtres bouddhistes ayant traduit en chinois des textes sanskrits, dont le Mahavairocanasutra. Il a conféré à Kukai le premier niveau d'abisheka (initiation ésotérique). On dit que Kukai s'était attendu à passer environ 20 ans en Chine pour en apprendre davantage sur le bouddhisme, mais dès les premiers mois de son séjour, il avait déjà reçu l'initiation finale et était devenu un Maître de la lignée ésotérique (réf.). Huiko est décédé peu après, mais il a demandé expressément à Kukai de diffuser l'enseignement ésotérique après son retour au Japon. Bien que depuis l'époque d'Amoghavajra*, le but du bouddhisme ésotérique était d'aider le pays et la nation, Huiko aurait dit à Kukai qu'il devait répandre le bouddhisme ésotérique au Japon plus pour le peuple que pour le pays, revenant ainsi à l'objectif initial du bouddhisme ésotérique (réf.). Pour se conformer aux vœux de ses maîtres, Kukai est revenu au Japon en 806, en tant que huitième patriarche du bouddhisme ésotérique. À cette époque, en Chine le bouddhisme ésotérique chinois touchait à sa fin. En Chine, Kukai avait appris le sanskrit et l'écriture siddham, avait étudié le bouddhisme indien ainsi que les arts de la calligraphie et de la poésie chinoise. A son retour au Japon, il a rapporté plusieurs textes, principalement ésotériques, dont la majorité étaient nouveaux au Japon (réf.).

Kukai finit par devenir le prêtre principal du temple Todai-ji à Nara et accomplit un rituel ésotérique pour l'empereur Saga (785-842) en mauvaise santé. Cet événement marque le début de l'intérêt des Japonais pour le bouddhisme ésotérique, car auparavant de nombreux rituels étaient basés sur les écoles bouddhistes traditionnelles de la période de Nara. Sa popularité auprès des membres de la cour s'est accrue à mesure qu'il écrivait des poèmes, effectuait des rituels et se concentrait sur la rédaction de ses célèbres ouvrages devenus depuis les textes fondamentaux de l'école Shingon, tels que Sokushinjo-butsu-gui (Enseignement pour devenir Bouddha dans cette vie avec ce corps). En 819, Kukai établit avec l'aide de l'empereur Saga ce qui allait devenir le siège de l'école bouddhiste shingon sur le mont Koya, dans la préfecture de Wakayama. En 823, cependant, le temple To-ji devint le premier centre bouddhiste ésotérique de Kyoto et, plus tard, officiellement un temple de l’école Shingon sous l'empereur Junna* (823-833). Tout cela a permis à Kukai de maintenir son influence à la cour et d'y occuper des postes élevés jusqu'à sa mort, supposée en 835 (réf.).

Les caractéristiques ésotériques du bouddhisme shingon

Le bouddhisme shingon présente des différences spécifiques par rapport aux enseignements bouddhistes ésotériques antérieurs, notamment l'accent mis sur deux sutras spécifiques : le Mahavairocanasutra ainsi qu'une partie du Vajrasekharasutra*. Ainsi, aucun rituel ou pratique religieuse supplémentaire n'ont été incorporés par rapport à ce qui avait été introduit en Inde au VIIe siècle. L'univers empirique était censé se composer de cinq éléments physiques (la terre, l'eau, le feu, l'air et l'espace) du Mahavairocanasutra ainsi que de l'élément spirituel de la conscience du Vajrosnisasutra (réf.). L'univers empirique complet représente le Dharmakaya, qui est considéré comme la Vérité absolue et la plus élevée de l'existence. Le Dharmakaya est, comme indiqué précédemment, le Bouddha Mahavairocana.

Plus important, Mahavairocana possède les "trois mystères" (sanmitsu) constitués par le corps, la bouche et l'esprit, trois éléments que possèdent également les humains et qui définissent leur existence. Par conséquent, une pratique efficace shingon requiert la combinaison des trois mystères du Bouddha : 1) utiliser le corps en formant un mudra, 2) utiliser la bouche en récitant le mantra ou la dharani et 3) concentrer son esprit par la méditation (réf.). Ceci explique la signification du terme "shingon" ou "paroles véritables" - la vérité ne peut être qu'effleurée, d'où l'insistance sur la réciprocité entre l'intérieur et l'extérieur, l'exotérique et l'ésotérique, ainsi que le silence et la verbalisation.

Le premier lien direct entre Mahavairocana et les personnes vivant dans ce "monde matériel" peut être représenté sous la forme d’un mandala. Kukai utilise des mandalas de deux Mondes, appelés Monde de la Matrice et Monde du Diamant, qui ensemble représentent l'intégralité du Dharma. Alors que le Monde de la Matrice représente la manifestation physique et active du Bouddha dans ce monde matériel, le Monde du Diamant décrit le principe cosmique en perpétuelle évolution et donc les enseignements du Bouddha. Si les deux mandalas trouvent leur origine en Inde, ils ont évolué séparément et ont été associés l'un à l'autre pour la première fois en Chine (réf.).

Le Mandala du Diamant dépeint les cinq bouddhas de la sagesse, qui représentent cinq aspects différents du Dharmakaya, du Monde du Diamant. L'observateur du mandala doit se concentrer sur le centre du mandala constitué du "diamant", qui symbolise la compassion (karuna). Le Mandala de la Matrice contient les cinq rois de la sagesse du "royaume de la matrice", qui sont les protecteurs des cinq bouddhas de la sagesse. Contrairement au Mandala du Diamant, le Mandala de la Matrice se concentre sur la périphérie, représentant la Matrice, la sagesse (prajna). L'importance de maintenir à la fois la sagesse et la compassion est ainsi mise en avant, les deux concepts se complétant (réf.). L'accent mis sur le Mandala du Diamant et de la Matrice souligne la notion selon laquelle la vérité est un mystère où les idées sont transmises entre les individus - dans ce cas, la transmission se fait entre Mahavairocana et le pratiquant par l'utilisation des trois mystères.

Plus important encore, le Monde du Diamant représente tout ce qui est lumineux, alors que le Monde de la Matrice se concentre sur tout ce qui est invisible, les émotions et les affects. Étant donné que chaque individu vit une expérience différente au cours de la méditation, cela conduit à des interprétations différentes concernant la fusion de la sagesse et de la compassion telle qu'elle est évoquée et interprétée par les deux mandalas. Les dualités n'existent que dans l'esprit or le monde matériel dans lequel nous vivons n'est pas dualiste – c’est nous qui voyons un monde unique comme duel. Le but de la méditation avec les mandalas est de recréer l’unité à partir des dualités perçues par l'esprit. Pour atteindre l'Eveil, il faut rendre réelle l'unicité, aller au-delà du monde matériel dans lequel vivent les êtres humains.

Cette prise de conscience de l'interdépendance peut être observée physiquement par l'utilisation d'objets particuliers dans les rituels shingon : le sceptre de diamant (vajra), représentant le Monde du Diamant, et la cloche (ghanta), représentant le Monde de la Matrice. Le vajra était initialement une "arme de foudre" dans les Védas, mais son utilisation dans les rituels bouddhistes visait à représenter le sceptre de la voie tantrique. Ainsi, le vajra met l'accent sur la vérité et l'immuabilité de shunyata (vacuité) ainsi que sur la nature forte de l'individu qui atteint cette vérité. Cette composante masculine insiste aussi sur karuna (compassion) par des upaya (hoben), les activités favorisant la libération de l'individu en vue de l’Eveil

La composante féminine est la ghanta (cloche), dont la prajna est nécessaire pour obtenir la véritable karuna (compassion). En tenant ensemble le vajra et la ghanta, on symbolise l'union de prajna et de karuna, comme le souligne également l'utilisation coordonnée des mandalas lors de la méditation (réf.).

Le Shingon étant une forme de bouddhisme ésotérique, Kukai marque sa différence avec le bouddhisme exotérique. Ainsi, l'exotérisme refuse la notion de secret propre à l'ésotérisme, ce qui signifie qu'il ne nécessite pas de transmission cachée et inobservable entre le Dharmakaya et le pratiquant ; dans le bouddhisme exotérique, on peut atteindre l’Eveil par l’étude des sutras. Bien que les sutras puissent également aider les individus dans leur pratique pour atteindre l’Eveil, le bouddhisme ésotérique met davantage l'accent sur la notion de transmission directe (comme entre le maître et le disciple ou entre Mahavairocana et le pratiquant), ce qui souligne l'importance de la réalisation immédiate. Nous pouvons donc définir les éléments ésotériques comme une "approche soudaine" (tonkyo) par opposition à l'"approche graduelle" (zenkyo) du bouddhisme exotérique (réf.). Cependant, Kukai note que seul le bouddhisme ésotérique possède des méthodes cohérentes de méditation visant l'Eveil ainsi que des rituels magico-religieux à accomplir à des fins profanes. Il estime que la pratique de la seule récitation des sutras est inefficace sans l'ajout de la méditation, car les sutras ne contiennent que de simples ombres de la vérité.

Une autre forme de communication réalisée par le Dharmakaya est l'utilisation de dharani, mots secrets du Bouddha. Le terme sanskrit lui-même signifie "retenir". Souvent, le but de la récitation des dharanis est d'obtenir la protection d'êtres supérieurs. La façon dont Kukai fait la distinction entre mantra et dharani comprend le fait que chaque caractère trouvé dans la dharani manifeste shunyata et donc que la vérité est dans la réalité (réf.). Dans d'autres textes, chaque caractère ou ensemble de caractères peut invoquer ou représenter des êtres supérieurs tels que des bodhisattvas qui protégeraient l'individu.

Les dharanis étaient souvent utilisées dans les incantations et évoquaient chez beaucoup un sentiment de mysticisme et de magie. (réf.). Les dharanis sont incluses dans plusieurs textes bouddhistes en dehors de la collection de textes bouddhistes ésotériques. La notion de mysticisme reste toujours présente dans le Shingon, y compris dans les croyances des laïcs sur Kukai. Les pratiquants croient qu’en ce moment Kukai vit toujours. Ainsi, les bâtons de marche des pèlerins shingon comportent l’expression "doko ninin", qui signifie que l'on "marche toujours avec Kukai" (réf.).

Alors que le mikkyo développé par l'école Shingon sera connu sous le nom de tomitsu, une autre forme de mikkyo s'est également développée à cette époque dans l'école Tendai, qui sera connue sous le nom de taimitsu.

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