Un bouddhisme pour notre temps

Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par
Niwano Nikkyo
traduit de A Buddhism for today (Kosei Publishing Co - 2006)

Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE VII

La cité magique

Pour prêcher, le Bouddha utilisa trois méthodes. Premièrement : l'exposé théorique, le hos-setsu. Si cette manière était trop difficile à comprendre pour son auditoire, il passait à une méthode imagée appelée hi-setsu (prêcher en paraboles). Si ses auditeurs n'étaient toujours pas capables d’en saisir le sens, il utilisait alors une autre méthode appelée innen-setsu (prêcher par les cause-effet), qui consiste à raconter la vie d'un bouddha du passé. Le Sutra du Lotus emploie les trois méthodes pour que toutes les personnes puissent comprendre.

Le chapitre VII, La Parabole de la Cité Magique, fait partie des innen-setsu, sermons par cause-effet. Il commence par l'explication de la relation entre le Bouddha et ses disciples depuis le passé incommensurablement lointain.

Dans la dernière partie du chapitre VI, le Bhagavat dit :

«Les causes et conditions des existences antérieures,
les miennes comme les vôtres,
je vais à présent les exposer.
Ecoutez-moi bien !»

Puis, le Bouddha s'adresse aux bhikshus :

« Il y a de cela d'innombrables, infinis, inconcevables kalpas incalculables dans le passé; en ce temps-là était un Éveillé dont le nom était l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu*, Arhat*, Samyak-Sambuddha*, Vidya-carana-sampanna*, Sugata*, Lokavit*, Purusa-damya-sarathi*, Sasta deva-manusyanam*, Bouddha*, Bhagavat*. Son royaume était appelé Sambhava (Bien-Accompli) et son kalpa Maharupa (Aspect de Grandeur).

« Ô bhikshus ! Il y a immensément longtemps que ce bouddha est passé en parinirvana. Imaginez les grains de terre qui existent dans le monde tricosmique : si quelqu'un les broyait pour en faire de l'encre, puis, ayant franchi vers l'est mille royaumes, en déposait alors un point de la taille d'un atome; passant encore mille royaumes, il déposerait un autre point, progressant de la sorte jusqu'à l'épuisement de cette encre faite de grains de terre. Qu'en serait-il, à votre avis ? Tous ces royaumes, que ce soit par un mathématicien ou un disciple de mathématicien, pourrait-on leur assigner une limite et en connaître le nombre ou non ? »

Dans la terminologie actuelle, "mille royaumes" désignent tous les corps célestes de l'univers. Imaginez qu'une goutte d'encre petite comme un grain de poussière soit lâchée sur une étoile toutes les mille étoiles.  Lorsque le Bouddha interrogea les bhikshus sur les mondes parcourus et leur demanda s'ils pouvaient leur ‘‘assigner une limite et en connaître le nombre’’ ils répondirent à l'unanimité : ‘‘Non, Bhagavat’’.

Acquiesçant, le Bouddha continue :

« Eh bien, bhiksus, si l'on réduisait en poussière d'encre l'intégralité des royaumes franchis par cet homme, qu'ils soient ou non marqués d'un point, et si chaque poussière était un kalpa, depuis que ce bouddha a atteint l'Éveil, il y a eu un nombre plus grand encore d'innombrables et infinis millions de myriades de kalpa incalculables. De par la puissance du savoir et de la vision d'Ainsi-Venu qui sont les miens, je discerne, tout comme si c'était aujourd'hui même, ce lointain passé. »

Le Bouddha utilise l'image des terres marquées par une goutte d'encre pour faire comprendre à ses disciples la durée infinie de l'éternité. Pour saisir l'éternité et l'infini, nous avons besoin d’un point de repère. Si nous regardons le ciel bleu sans nuages et que nous disons que le ciel est infini, ce n'est pas pour autant que nous avons une idée claire de ce qu'est l’infini. Mais si nous voyons un petit nuage dans ce ciel nous pouvons avoir une intuition de l'infini du ciel. Nous ressentons l'infini lorsque nous regardons le ciel étoilé et que nous réalisons que les étoiles que nous voyons sont à des millions d'années-lumière de la terre.

La signification d'« aujourd'hui »

Les paroles du Bouddha ‘‘je discerne, tout comme si c'était aujourd'hui même, ce lointain passé’’ nous conduisent vers l’idée d’une vie humaine illimitée. Le Bouddha nous donne des repères afin que nous comprenions que notre vie dure depuis le passé illimité jusqu'au futur infini ; "aujourd'hui" n'existe pas en soi mais n'est qu'une partie plus ou moins profonde du fleuve infini de la vie. Si nous polluons notre corps ou notre esprit d'aujourd'hui, nous exerçons une mauvaise influence sur la partie en aval du cours de la vie infinie. Si nous purifions notre corps et notre esprit d'aujourd'hui, nous provoquons un changement favorable un peu plus loin dans la même rivière.

Avant d'analyser ce chapitre, il faut bien intégrer que le Bouddha estime nécessaire de lier ce ‘‘je discerne, tout comme si c'était aujourd'hui même, ce lointain passé’’ au récit de la vie d’un bouddha du passé. Après avoir répété son enseignement en vers, il continue :

« L'âge de l'Éveillé Maha-bhijna-jnana-bhibhu (Grands Pouvoirs Vainqueur en Sagesse) fut de cinq millions quatre cent mille myriades de milliards de kalpa. Cet Éveillé, assis à l'origine au lieu de la Voie et ayant défait les armées de Mara, était sur le point d'obtenir l'Éveil complet et parfait sans supérieur*, mais les attributs de bouddha ne lui apparaissaient point. Ainsi resta-t-il assis, les jambes repliées et croisées, immobile de corps et de pensée, entre un et dix kalpas mineurs durant, mais les attributs de bouddha n'apparaissaient pas encore.

« Alors les trente-trois divinités* commencèrent à déployer pour lui, sous l'arbre bodhi, le trône de lion haut d'un yojana. C'est sur ce trône que le bouddha devait obtenir l'Éveil complet et parfait sans supérieur*. Au moment où il s'y asseyait, les rois des Mahabrahmas* firent pleuvoir une multitude de fleurs célestes d'une surface de cent yojana; une brise parfumée survenait de temps en temps pour emporter de son souffle les fleurs fanées tandis qu'il en pleuvait de nouvelles. Ils firent de la sorte, sans interruption, offrande à l'Éveillé pendant dix kalpas mineurs complets. Jusqu'à ce qu'il passât en extinction, ils firent constamment pleuvoir ces fleurs.

Cette description montre à quel point les divinités souhaitaient que le bouddha Maha-bhijna-jnana-bhibhu* atteignît l'Éveil complet et parfait sans supérieur et à quel point ils honoraient et vénéraient ce bouddha. L'image d'un vent parfumé balayant les fleurs fanées et faisant pleuvoir des fleurs fraîches représente l'espoir de ces divinités, leur vénération et leur admiration pour l'effort constant du bouddha.

« Ô bhiksus, pour ce qui est de l'Éveillé Maha-bhijna-jnana-bhibhu*, au terme de dix kalpas mineurs les attributs des bouddhas lui apparurent enfin et il réalisa l'Éveil complet et parfait sans supérieur*. Cet Éveillé, du temps qu'il n'avait pas encore quitté sa famille, avait seize fils, dont le premier s'appelait Prajnakuta (Amas de Sagesse). Chacun d'entre eux avait toutes sortes de jouets rares qu'il affectionnait. En entendant que leur père avait obtenu de réaliser l'Éveil complet et parfait sans supérieur, ils renoncèrent tous à ces raretés et se rendirent au lieu où se trouvait l'Éveillé. Leurs mères les accompagnèrent en pleurant.

« Leur grand-père, Saint roi qui fait tourner la roue du Dharma, avec cent grands ministres et des millions de gens du peuple qui les entouraient tous ensemble, arrivèrent au lieu de la Voie. Tous désiraient approcher l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu* pour lui faire offrande, lui rendre hommage, le vénérer et l'exalter. A leur arrivée, ils inclinèrent leur tête à ses pieds, puis, ayant fait cercle autour de l'Éveillé, les paumes jointes, ils levèrent unanimement vers lui leur regard et le louèrent en stances :

« Grand et majestueux Vénéré du monde*,
c'est pour sauver les êtres
qu'en innombrables myriades de kalpa
tu as enfin pu devenir Éveillé,
menant ainsi complètement à bien tes voeux.
Excellent ! Insurpassable bonne fortune !»

En d'autres termes : ‘‘Celui qui est maintenant bouddha a commencé par être un homme ordinaire (bompu) comme nous. Voyant cela, il y a dorénavant l’espoir pour nous, hommes ordinaires, de parvenir à l’Éveil, en fonction de notre pratique. Nous avons acquis la bonne fortune et nous en avons une joie immense. Tous les êtres sont dans la douleur de ne pas avoir de guide ; ils ignorent la voie qui met un terme à la souffrance et ne savent pas comment chercher la délivrance. Les voies mauvaises croissent encore et encore. Mais maintenant l'Ainsi-Venu s'est libéré des illusions et a atteint un état mental suprême et serein. Il est pour nous un exemple, si bien qu'avec les divinités nous allons recevoir l'enseignement du Bouddha et atteindre l'Éveil. C’est le plus grand bienfait que nous ayons jamais reçu. C’est pourquoi nous te consacrons nos vies. Nous te prions de nous guider’’.

« Les seize princes, ayant fini de louer en ces stances l'Éveillé, exhortèrent le Bhagavat à mettre en branle la roue du Dharma et s'exprimèrent tous ainsi : "Que le Vénéré du monde prêche le Dharma ! Nombreux seront les devas et les hommes à être soulagés et inondés des bienfaits de sa commisération."»

Nous voici arrivés à la fameuse expression "mettre en branle la roue du Dharma". Le Dharma est l'enseignement de la Vérité ultime. Une fois que cette vérité est exposée, elle est transmise aux autres qui la transmettent à leur tour, formant ainsi comme une roue. Dans le bouddhisme, parler de l’enseignement et transmettre la Vérité se dit "mettre en branle la roue du Dharma".

« Le Bouddha déclara aux bhiksus:
« Lorsque le bouddha Maha-bhijna-jnana-bhibhu* obtint l'Éveil complet et parfait sans supérieur*, chacun des cinq millions de myriades de mondes de bouddhas des dix directions trembla de six façons. Les obscures régions intermédiaires de ces royaumes, que le soleil ni la lune ne peuvent éclairer de leur éclat, furent, alors grandement illuminées. Les êtres qui s'y trouvaient purent se voir les uns les autres et s'exclamèrent tous: "Comment se fait-il qu'en cet endroit naissent soudainement des êtres?"»

La libération de l'enfer de l'isolement

À ce propos, on peut noter que dans les lieux qui n'ont pas été touchés par les enseignements du Bouddha, les gens sont en conflit les uns avec les autres et restent butés.

 Même si pères et fils, frères et sœurs vivent ensemble, chacun reste isolé et cloîtré en soi et n'a personne sur qui se reposer.

Mais, une fois que l'enseignement du Bouddha se répand parmi eux, ils peuvent tous devenir de véritables amis. Une personne qui était seule a immédiatement le bonheur d'être entourée de beaucoup d'amitié.

« De plus, les palais des devas* de ces royaumes, et jusqu'aux palais des Brahma tremblèrent de six façons. Une grande lumière se mit à luire sur l'univers, emplissant l'ensemble du monde et dépassant la lumière des devas*. Alors, dans les palais des Mahabrahmas* qui se trouvaient sur les cinq millions de myriades de terres vers l'orient*, un éclat lumineux se mit à resplendir, supérieur à la clarté ordinaire. Les rois des Mahabrahmas* eurent chacun cette pensée : voici qu'à présent le palais est illuminé comme il ne l'a jamais été de par le passé. Quelle est la raison de l'apparition de ce signe? Les rois des Mahabrahmas* se rendirent alors visite les uns les autres afin de s'entretenir de ces faits. Parmi leur nombre était un grand roi des Mahabrahmas qui avait nom Sarvasattvatrata*. A l'adresse de la multitude des brahmas, il s'exprima en ces stances :

« Nos palais
resplendissent comme jamais.
Quelle en est donc la raison ?
Il convient que chacun de nous la recherche;
est-ce qu'une divinité de grand mérite est née,
ou est-ce qu'un Éveillé a émergé au monde
pour que cette grande clarté
éclaire l'ensemble des dix directions ?

« Alors les rois des Mahabrahmas* des cinq millions de myriades de terres, avec leurs palais, ayant chacun disposé des fleurs célestes dans des vases et des étoffes, se dirigèrent ensemble vers l'ouest en quête de ce signe. Ils virent l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu* demeurant au lieu de la Voie, sous l'arbre bodhi, assis sur le siège léonin, que devas*, rois dragons, gandharvas*, kimnaras*, mahoragas*, humains et non-humains entouraient en vénération. Ils virent aussi les seize princes suppliant l'Éveillé de mettre en branle la roue du Dharma.

« À ce moment, les rois des Mahabrahmas* firent de la tête révérence à l'Éveillé et exécutèrent autour de lui cent fois mille circumambulations, puis dispersèrent sur lui les fleurs célestes, tant que les fleurs ainsi dispersées furent comme le Mont Sumeru. Ils en firent pareillement offrande à l'arbre bodhi de l'Éveillé, et cet arbre bodhi était haut de dix yojana. Une fois faites les offrandes de fleurs, chacun fit de son palais présent à cet Éveillé et lui parla ainsi: "Puissiez-vous seulement vous montrer miséricordieux et nous combler de vos bienfaits. Ces palais que nous vous offrons, faites-nous l'honneur, nous vous en prions, de les accepter pour demeure."»

Honorer le Bouddha par une offrande c’est faire preuve de vénération et de gratitude. Le fait d'offrir des fleurs à l'arbre bodhi est également symbolique. Cet arbre protégea le Bouddha du soleil au cours de sa méditation. Le sol sous l'arbre bodhi est l’endroit adéquat pour atteindre l'Éveil le plus élevé. C'est pourquoi ceux qui ont une très grande dévotion pour le Bouddha rendent aussi hommage à l'arbre bodhi qui a participé à sa bodhéité.

« Alors, les rois des Mahabrahmas*, en présence de l'Éveillé, psalmodièrent, unanimement et à l'unisson, les stances :

« Bien rare est l'existence d'un Bhagavat,
difficile de pouvoir le rencontrer !
Muni qu'il est d'innombrables mérites,
il est capable d'assurer le salut de tous.
Grand-maître des devas et des hommes (Sasta deva-manusyanam),
il a le monde en commisération
et les êtres des dix directions
sont universellement comblés de ses bienfaits.
L'endroit d'où nous venons
est à cinq millions de myriades de royaumes;
nous avons renoncé à la félicité profonde du dhyana
pour faire offrande à l'Éveillé.»

La création est joie dans la vie humaine

Notons que les devas renoncent à la "félicité des profondes concentrations" et descendent du ciel dans le monde-état humain pour écouter les enseignements du Bouddha. C’est un des points importants du Sutra du Lotus.

Une vie qui vaut la peine d'être vécue ne se résume pas à la paix et la tranquillité mais consiste en création de valeurs. Lorsqu'une personne essaie de devenir meilleure par sa pratique, cet effort est déjà en soi une création de bien. Lorsqu'elle fait quelque chose pour les autres, c'est une création d'un degré de bien encore plus élevé. Les arts sont la création de la beauté et toutes les professions honnêtes sont la création de diverses énergies bienfaisantes pour la société.

Toute création implique nécessairement des doutes et des difficultés mais on découvre que la vie a un sens lorsqu'on fait des efforts constants dans la recherche du bien. L'effort pour devenir meilleur et agir ne serait-ce qu'un peu pour le bien des autres apporte une joie profonde. Nous nous lasserions vite d'une semaine sans difficultés et sans joie créatrice. Dans le cas contraire, ce serait le signe d'une grande paresse. Les personnes qui sont comme cela vivent dans l'illusion — et même si elles parviennent à se hisser quelques instants jusqu'au monde-état céleste (tenkai), elles replongent aussitôt dans le monde-état des asuras ou dans celui de l'enfer (jigoku).

Même si les êtres célestes ont atteint un état paisible de corps et d'esprit, aussi longtemps qu'il y aura un seul être humain en souffrance, s'ils se soucient de son salut et s'ils pratiquent pour aider les bouddhas afin de sauver tous les êtres vivants, ils s'élèveront jusqu'au monde-état de bouddha (bukkai), le monde-état le plus élevé pour êtres vivants. Car même les êtres célestes s’appliquent à servir les autres, à les rendre heureux et à les sauver. Grâce à leurs actions miséricordieuses, ils ressentent une joie profonde ; et c’est aussi la voie qui les conduit à l'Éveil des bouddhas. .

Comme le montre ci-dessus le tableau des dix mondes-états des êtres vivants (jikkai), c’est par le monde des êtres humains (ningen-kai) que l’on peut entrer dans celui des bouddhas. Nichiren a dit à ce propos :

« Une centaine d'années de pratique dans la Terre Pure ne sont pas égales au mérite d'une journée de pratique dans la terre impure.»

Les êtres célestes ne peuvent pas devenir bouddhas s'ils ne descendent pas régulièrement dans le monde des hommes et s'ils ne pratiquent pas pour libérer tous les êtres vivants de leurs souffrances. C'est pourquoi les rois des Mahabrahmas* quittèrent leurs séjours paisibles et, parce qu'ils désiraient ardemment recevoir les enseignements du Bouddha, ils renoncèrent à leurs palais, c'est-à-dire à leurs vies impassibles.

« Alors les rois des Mahabrahmas* des cinq millions de myriades de terres, avec leurs palais, ayant chacun disposé des fleurs célestes dans des vases et des étoffes, se dirigèrent ensemble vers [le Bouddha]. »

Ces demandes sont souvent répétées dans les sutras. Mais comme nous l'avons dit plus haut, les répétitions dans la récitation des sutras ont un sens.

Les stances finales des voeux

À la fin de la quatorzième partie versifiée de ce chapitre, on lit les stances suivantes :

« Notre voeu est que, par ces mérites
universellement à tous propagés,
nous-mêmes et les êtres
réalisions tous ensemble la voie de bouddha.»

Ce passage est appelé "stances finales des vœux" parce que les adeptes du Sutra du Lotus et aussi presque toutes les écoles bouddhistes le récitent pour clore la récitation liturgique (gongyo) du Sutra. On dit que l'esprit du grand vœu et la pratique bouddhique peuvent être résumés dans cette courte phrase.

Les "mérites" dont il est question sont les actions justes au service des bouddhas. Cela ne signifie pas que les rois des Mahabrahmas* estiment mériter des bienfaits pour avoir donné leurs palais aux bouddhas. Les bouddhas ne souhaitent nullement posséder des objets matériels. Servir le Bouddha en présentant des fleurs et des offrandes est une expression d'adoration et de gratitude envers lui. La chose la plus importante, bien sûr, est de servir le Bouddha par notre pratique, c'est-à-dire de suivre la Voie de bouddha après avoir abandonné notre ego, notre "petit moi". La récitation du Sutra (gongyo) que nous accomplissons devant l'autel bouddhique est une des pratiques pendant lesquelles nous oublions ce "petit moi", nous le mettons pour quelques instants de côté et nous nous consacrant uniquement à la recherche de la Voie de bouddha.

Servir le Bouddha ne doit pas avoir uniquement pour but la paix intérieure et une vie confortable. Il faut faire naître au fond de notre cœur le désir que le mérite de notre pratique s'étende à tous les êtres vivants. Il faut aussi que notre prière soit d'accomplir la Voie de bouddha avec tous les êtres vivants. La signification profonde de ces "stances finales des vœux" nous incite non seulement à les connaitre par cœur mais à les réciter sincèrement comme notre propre vœu.

«Alors, l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu* reçut la supplique des rois des Mahabrahmas* des dix directions ainsi que des seize princes. »

Puis il leur enseigna la doctrine des Quatre nobles vérités selon trois approches différentes.

Ces trois approches sont :

- premier tour de la roue du Dharma : "énoncé" ou ji-ten (définition) ; montrer les Quatre nobles vérités,
- deuxième tour de la roue du Dharma : "exhortation" ou kan-ten (la souffrance doit être diagnostiquée) ; convaincre de croire aux Quatre nobles vérités,
-  troisième tour de la roue du Dharma : "témoignage" ou sho-ten ; attester que le Bouddha a réalisé la Voie des Quatre nobles vérités.

Le Sutra dit :

«[L'Ainsi-Venu] mit en branle la roue du Dharma aux douze aspects, celui qu'étaient incapables de mettre en branle les ascètes comme les brahmanes, les devas, démons, brahmas comme les autres êtres du monde.»

Et l'Ainsi-Venu explique en détail le principe des douze liens de causalité (juni-innen), un des enseignements fondamentaux du bouddhisme.

Les douze liens causaux : les causes extérnes

Ce principe, appelé également la doctrine des "douze maillons de la chaîne de l'origine dépendante" ou "la production conditionnée", énonce que tous les phénomènes de ce monde changent constamment, tantôt ils apparaissent et tantôt ils disparaissent, et que tous ces changements sont fondés sur une loi définie. Bien que tout change, cette loi, elle, est immuable.  Elle concerne tous les phénomènes mais il nous est plus facile de comprendre cela en limitant le concept à l'homme.

C'est dans le Sutra Dirghagama (Jo-agon-gyo) que Shakyamuni détaille pour Ananda la doctrine des douze liens de causalité. Cette loi régit la croissance du corps humain et les changements de son esprit. La partie qui concerne le corps est appelée "cause externe" (gai-engi) et la seconde, "cause interne" (nai-engi). Elle explique le processus des trois phases de la vie — le passé, le présent et le futur — par lesquelles passe un être humain qui naît, vieillit et meurt. En même temps, elle montre comment l'esprit de l'homme se modifie, et désigne la méthode fondamentale pour le purifier et le libérer de ses illusions.

Les douze maillons ou liens sont :

1- l'ignorance ou obscurité fondamentale (mumyo, avidya) ;
2- l'action, dynamisme (gyo, samskara), générée par l'ignorance ;
3- la conscience (shi-ki, vijnana), la conscience embryonnaire génératrice des cinq agrégats
4- les nom et forme (myoshiki, namarupa), générés par la conscience (individualisation) ;
5- les six entrées (5 sens + le mental, rokujo, sadayatana), générées par les nom et forme ;
6- le contact (shoku, sparsara), généré par les six organes des sens ;
7- la sensation (agréable, désagréable, indifférente) (ju, vedanha), générée par le contact ;
8- le désir (bonno, klesha), généré par la sensation,
9- l'attachement (aliénation) (shu, upadana), généré par le désir,
10- l'existence en devenir (le fait d’exister, vie psychique, affective, spirituelle, u, bhava), générée par l'attachement ;
11- la naissance, la vie en devenir (sho, jati), générée par l’existence ;
12- la vieillesse et la mort (ro-shi, jara marana), générées par la vie (naissance).

Le premier maillon de la chaîne est l'ignorance. Avant la conception par les parents, rien n'est connu ni ressenti. Lorsqu'un esprit ignorant est conçu dans l'utérus de la mère par "l'action-gyo" du rapport sexuel, une "conscience embryonnaire-shi-ki" est produite. Conscience-shi-ki désigne quelque chose de vivant. À ce stade, quelque chose ressemblant à un être humain — un fœtus — est  formé, bien qu'il soit encore incomplet. À mesure que la conscience-shi-ki incomplète prend forme, elle produit le nom-et-forme (fonctions mentales et matière, myoshikinama-rupa). "Nom" s'applique à un être immatériel (esprit) et "forme" s'applique à un être matériel, c'est-à-dire un corps humain. "Nom-et-forme-myoshiki " désigne le corps et l'esprit humains.

À mesure que le nom-et-forme (corps-esprit) croît, les cinq organes des sens se développent  (les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps)  plus le "mental", par lesquels nous percevons l'existence des choses. À ce moment, nous sommes encore dans l'utérus de notre mère et nous sommes toujours incomplets. On parle alors des "six entrées" parce que les fonctions de notre corps-esprit sont sur le point de se spécialiser en six organes de perception.

Ensuite, nous "venons au monde". En grandissant, vers deux ou trois ans, les six entrées se complètent et la sensibilité se développe. Nous sommes capables de discerner les formes, les couleurs, les sons, les odeurs, les goûts, les sensations physiques, etc. Ce maillon est appelé contact-shoku.

À mesure que cette sensibilité croît, des préférences et des aversions se développent naturellement. On parle alors de sensation-ju. Celles-ci se complexifient vers l'âge de six ou sept ans et, en même temps, apparaît le désir-bonno. Le "désir" implique énormément de choses, mais ici nous limiterons sa signification au corps humain en ce qu'il est attiré par le sexe opposé. À mesure que cette attirance se renforce, vient le désir de posséder l'autre personne, c'est l'attachement-shu. C'est le début de la vie conjugale, l'existence-u. Il s'ensuit que d'autres enfants viennent au monde (la naissance-sho). Enfin, nous sommes agressés de diverses manières, les souffrances nous poursuivent toute la vie jusqu'au moment de l'extinction-ro-shi (la vieillesse et la mort).

Les études effectuées par la médecine actuelle montrent que durent les neuf mois, entre la conception et la naissance, le corps humain qui commence par un amas cellulaire passe, en gros, par tous les stades de l'évolution du vivant avant d'aboutir à l'espèce humaine et à l'homme actuel. En d'autres termes, même l'homme évolué que nous connaissons, au moment de sa conception, est proche de l'amibe d'il y des milliards d'années. Lorsqu'on regarde la doctrine des douze liens de causalité, on ne peut qu'admirer l'enseignement du Bouddha qui coïncide parfaitement avec ce que dit la science moderne.

Renaissance - samsara

Que devenons-nous après la mort ? Le bouddhisme enseigne que nous restons pendant un certain temps dans un état d'existence intermédiaire (chu-u) à l'issue de laquelle nous renaissons dans un monde correspondant au karma accumulé dans notre vie précédente. Le bouddhisme divise ce monde en dix mondes-états : l'enfer (jigoku), les esprits faméliques (gaki), les animaux (chi-kusho), les démons-asuras (shura), les êtres humains (ningen), le ciel (tenjo), les shravakas (sho­mon), les pratyekabuddhas (engaku), les bodhisattvas (bosatsu) et les bouddhas (butsu).

Si nous mourons dans un état non-éveillé, notre vie retourne dans l'état d'ignorance (mumyo), nous renaissons dans les six mondes-états (rokudo) de l'illusion et de la souffrance et nous atteignons finalement la vieillesse et la mort par les douze maillons ci-dessus. Et ce cycle se répète encore et encore. Cette répétition perpétuelle de naissances-morts est appelée samsara (rinne). Mais si nous purifions notre vie en écoutant les enseignements du Bouddha et en pratiquant la voie de bodhisattva, l'état d'ignorance se dissout et nous pouvons renaître dans un monde-état meilleur. C'est ce qu'on appelle "interrompre la chaîne causale".

Le karma

Pour mieux comprendre les douze liens de causalité, il convient de commencer par la notion de karma (go). Littéralement "karma" signifie "acte". Il est produit par tout ce que nous faisons. Tout acte est invariablement suivi d'un résultat. Ce que nous sommes en un instant donné résulte du karma que nous avons produit dans le passé. Par exemple, le fait que vous êtes maintenant en train de lire ce texte est le résultat de causes et de conditions qui ont été produites par l'accumulation de divers actes passés. Ce phénomène est appelé "rétribution" (ho).

Le karma est un concept complexe qui demande une certaine réflexion. Nos actes, même insignifiants, laissent des traces physiques et mentales ainsi qu’environnementales. Dans notre psychisme, elles touchent la mémoire, la cognition, l'habitude, l'intelligence et le caractère. Elles sont produites par l'accumulation de nos expériences et de nos actes sur une longue période. Ces traces deviennent perceptibles, par exemple, lorsque les excès de nourriture ou de boisson nous rendent malades. On peut aussi les constater lorsque des exercices physiques appropriés développent et raffermissent notre corps. Les traces physiques peuvent être constatées de l’extérieur.

Nos attitudes mentales laissent aussi des traces dans notre corps. Les plus évidentes sont visibles sur notre visage. Il y a quelque chose de mesquin et de sombre sur le visage d'une personne à l'esprit peu élevé, si avenante qu'elle essaie de paraître. Une personne souvent en colère a un regard morne. Une personne sensible, cultivée, dotée d'ascendant et de vertus a l'air heureuse, intelligente et digne, même si ses traits ne sont pas particulièrement beaux. On admet généralement que le travail modifie l'apparence d'une personne. Ne dit-on pas que passé quarante ans, un homme est responsable de son visage.

Une partie des traces de nos actes laissées dans notre esprit reste facilement accessible (mémoire, connaissances, habitudes, intelligence, caractère). Une autre partie est enfouie dans l’inconscient, dans les profondeurs cachées de notre esprit. De plus, toutes les influences du monde extérieur par lesquelles nous avons été affectés inconsciemment et qui comprennent les expériences que nous avons eues avant notre naissance (en fait, depuis le commencement de la race humaine) sont stockées dans l'inconscient. Le karma est tout cela. Si sa signification première est "actions", il recouvre en fait l’accumulation de toutes les expériences depuis la naissance de l'humanité et même bien au-delà. C'est ce qu'on appelle "karma résident" ou "préexistant" (shuku-go). Le fonctionnement de ce karma est appelée "puissance du karma" (go-riki).

Cette puissance du karma apparait dans la façon dont opère l'inconscient. Tout ce dont la race humaine a bénéficié depuis des centaines de milliers d'années demeure dans les profondeurs de notre vie et a eu une influence déterminante sur les faits et gestes de nos ancêtres.

Le "karma d’existences antérieures" qu'enseigne le bouddhisme est encore plus large, puisqu'il comprend tout ce que notre propre vie a produit par la répétition de naissances et de morts depuis le passé infini jusqu'au présent.

Quelle leçon pouvons-nous tirer de la notion de karma ? On entend parfois : ‘‘Je n'ai jamais demandé à mes parents de me mettre au monde’’ ou ‘‘Je ne suis pas responsable de ce que je suis parce que tout, y compris mon cerveau, ma nature et ma constitution physique, vient de mes parents’’.

Même s'il y a une part de vérité dans ces idées elles sont incomplètes. En fait, même si les parents ou les ancêtres sont, dans une certaine mesure, responsables de la nature de leurs descendants, ces derniers ont également leur part de responsabilité. Bien qu'une part du "self" présent soit l'effet du karma produit par les ancêtres et les parents, une autre part est l'effet du karma que la personne a produit elle-même dans une de ses vies antérieures. De plus, dès l'enfance, c'est le "self" présent qui crée le karma d'une personne dans ce monde. La responsabilité des parents est donc très limitée.

La notion de karma nous enseigne que l'on récolte ce que l'on sème. Supposons qu'actuellement nous ne soyons pas heureux ; si nous attribuons notre malheur aux autres nous pouvons perdre patience et exprimer notre mécontentement. Mais si nous considérons notre mécontentement actuel comme étant l'effet de nos actes passés, nous pouvons les accepter et en assumer la responsabilité. Cette acceptation permet aussi l'espoir pour le futur: « Plus j'accumule un bon karma, plus je deviens heureux et meilleure sera la récompense que je recevrai. Je prends la décision de créer le plus possible de bonnes causes».

Ce principe ne se limite pas aux problèmes que pose la vie humaine dans ce monde. Il confère un grand espoir quant aux traces que laissera notre vie après la mort. Pour ceux qui ne connaissent pas les enseignements du Bouddha, rien n'est plus terrible que la mort. Tous la craignent. Mais si nous comprenons bien la signification du karma, nous pouvons rester sereins face de la mort parce que nous pouvons avoir de l'espoir pour notre vie suivante.

Lorsque nous comprenons que le karma produit par nos actes exerce une influence sur nos descendants, nous en venons naturellement à nous en sentir responsables. Nous prenons aussi conscience qu'en tant que parents, nous devons maintenir une attitude convenable dans notre vie quotidienne de façon à avoir une influence favorable sur nos enfants. Nous ressentons profondément la nécessité de paroles justes avec nos enfants et d’une éducation dans l'affection.

Les mots "résultats du karma" sont souvent interprétés comme quelque chose de négatif, mais ceci est dû à une manière erronée de présenter cette notion. Il serait plus correct de considérer le résultat du karma d'une façon positive comme une ouverture vers l'avenir.

Les douze liens de causalité : les causes internes

Considérons maintenant les douze liens de causalité par rapport au développement et aux modifications de l'esprit humain.

L'ignorance (mumyo, avidya), le premier maillon de la chaîne de causalité interne, est de ne pas avoir une vue juste sur la vie et le monde, ou de la négliger alors qu'on sait ce qu'elle devrait être. Par ignorance, on répète sans cesse ce qui est contraire à la "vérité" (loi universelle) ; c'est l'action (gyo, samskara). Cette action-gyo englobe nos actions de la vie présente et l'accumulation de toutes les actions d'une personne depuis le passé le plus lointain (karma).

La conscience (shi-ki, vijnana) est la fonction de discernement, la capacité de discriminer les choses. Tous les composants de cette fonction sont déterminés par les expériences et les actes accumulés dans le passé, c'est-à-dire par le karma que l'on a créé soi-même.

Le nom-et-forme (myoshiki, namarupa), nous l'avons vu, désigne les fonctions mentales et la matière. La première se réfère à l'être immatériel (l'esprit), la seconde à l'être matériel (le corps humain). Les deux ensemble, (nom et forme), nous désignent en tant qu'entité. Par la conscience-shi-ki, nous sommes capables d'appréhender, dans une certaine mesure, notre existence. S'il n'y avait aucune conscience, nous serions coupés de notre existence. L'expression du Sutra du Lotus "la conscience produit le nom-et-forme" est à prendre dans ce sens.

Les six entrées (rokujo, sadayatana) désignent les fonctions sensorielles : les yeux (la vue), les oreilles (l'ouïe), le nez (l'odorat), la langue (le goût), le corps (le toucher) et le cerveau (l'intellect, manas), par lesquels nous percevons l'existence des choses au moyen de ces six organes.

Bien que nous appréhendions notre existence (notre nom-et-forme, nama rupa) grâce à la conscience-shi-ki, c'est une conscience encore trop vague pour constituer une véritable connaissance. Les cinq fonctions de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du goût et du toucher se développent et, en même temps, mûrit le mental-manas par lequel nous percevons l'existence des choses auxquelles nous avons accès grâce à ces fonctions. Le discernement gagne en clarté. Ce maillon est appelé "contact" (shoku, sparsara).

Ce maillon est, en gros, vu de deux façons. Pour certains, c'est la phase précédant l'attraction ou la répulsion et si l’on parle de contact, c’est parce que notre esprit établit un lien avec les objets. D'autres estiment que le contact est créé au moment où la conscience-shi-ki, le nom-et-forme et les six entrées établissent entre eux une relation qui contribue au développement de la fonction cognitive. Sans nous attacher à ces nuances scolastiques, il nous suffit de comprendre que le contact-shoku désigne le processus par lequel notre esprit discerne et identifie les objets. Ce processus cognitif est à la source des sensations de douleur, de plaisir, de goût et de dégoût. C'est la "sensation" (ju, vedana).

Lorsqu’apparaissent les sensations, les désirs terrestres (bonno, klesha) se développent en parallèle. Le désir dont nous parlerons ici est ce qui provoque l'attachement et dont la signification est différente de celle généralement utilisée quand on parle d'amour (ai). C'est un état d'esprit basé sur des préférences et qui s'attache à ce qu'il aime. Lorsque nous désirons quelque chose, nous essayons de nous l'approprier. À l'inverse, nous essayons d'éviter ce que nous considérons comme indésirable. C’est ce qu’on appelle attachement ou aliénation (shu, upadana).

L'attachement entraîne divers sentiments, toute sorte d'idées et d'assertions. C'est l'existence (u, bhava) avec son esprit de discrimination, source de conflits et de luttes entre les hommes, et par conséquent, source de souffrances. À propos de ce maillon, on parle de la naissance (sho, jati) qui est inséparable de la souffrance, de la vieillesse qui arrive petit à petit et de la rencontre finale avec la mort (ro-shi, jara marana).

Tableau des douze liens causaux

1. Ignorance ou passion (mumyo, illusion ..relations sexuelles des parents ..le passé
2. Actions (go)
3. Conscience (shiki) ..moment de la conception ..le présent
4. Nom et forme (myo-shiki, fonctions mentales et matière ..croissance après la conception
5. Six entrées (rokunyu) les cinq organes des sens et l'esprit

..croissance de ceux-ci dans l'utérus;
..niveau des enfants de 2-3 ans

6. Contact (soku) ..niveau des enfants de 6-7 ans
7. Sensation (ju)
8. Désir (ai, affection pour le sexe opposé) ..niveau des adolescents 17-18 ans
9. Attachement (shu, désir pour le sexe opposé) ..niveau des adultes
10. Existence (u, possession du sexe opposé) ..mariage  
11. Naissance (sho) ..naissance d'un enfant ..le futur
12. Vieillesse et mort (ro-shi, apparition de souffrances) ..griefs, lamentations, souffrances et détresse

Tel est le cours de la vie humaine où l'ignorance fondamentale (mumyo) est la cause première de toutes les souffrances. Celles-ci surviennent car l'homme ignore les principes qui sous-tendent tous les phénomènes, il n'a une vue juste ni du monde ni de la vie et, même lorsqu'il en est conscient, il se détourne. Ce n'est que si l'homme arrive à se débarrasser de cette ignorance et à diriger son esprit vers les lois de la vie, que ses actes (la pratique) pourront devenir corrects. Une fois son esprit dans la bonne voie, ses souffrances disparaîtront et, finalement, il parviendra à la sérénité. Ceci est la conclusion qui découle des douze liens de causalité.

En résumé, la doctrine de la production conditionnée enseigne que l'être humain naît sous la forme d'un homme ordinaire (bompu) en raison de son ignorance lors de sa vie précédente. Le bouddhisme enseigne aussi que si l’homme ordinaire (bompu) supprime son ignorance dans le monde présent, sa vie profonde, telle qu'elle aurait dû être, sera révélée dans sa vie future. Il importe de ne pas limiter la signification de "vie future" à l'existence que nous aurons dans l’au-delà ; il s’agit bien de la vie réincarnée. Si nous éradiquons l'ignorance fondamentale et si nous dirigeons notre esprit vers le Dharma une prochaine vie claire et sereine s'ouvrira à nous.

Dans le cas contraire, notre vie sera accompagnée de souffrances, quelle que soit notre fortune matérielle et quels que soient les honneurs dont nous bénéficions. Notre esprit continuera à suivre les voies des six mondes de l'illusion. Ces six mondes, dans ce cas, sont les états d'esprit expliqués dans le chapitre II du Sutra des Sens Infinis.

En analysant la production conditionnée nous avons considéré l'écoulement de 1a vie à la verticale (nos ancêtres, nous-mêmes, nos descendants ; ou bien nous-mêmes dans une vie précédente, dans le monde actuel, et dans le monde à venir). Mais on ne peut réduire l'esprit et la vie humaine à une chronologie. Il convient de tenir compte des rapports horizontaux, c'est-à-dire des relations complexes avec la société au sens large.

On en vient à la doctrine d'ichinen sanzen : trois mille mondes-états en un instant-pensée, avec les dix mondes-états comprenant les six mondes des hommes ordinaires et quatre mondes des saints (shravakas, pratyekabuddhas, bodhisattvas et bouddhas).

On en vient donc à la doctrine d'ichinen sanzen : trois mille mondes-états en un instant-pensée, avec les dix mondes-états comprenant les six mondes des hommes ordinaires et les quatre mondes supérieurs (shravakas, pratyekabuddhas, bodhisattvas et bouddhas).

Les trois mille mondes-états en un instant-pensée

Ce concept, devenu doctrine, constitue l'idée essentielle du Maka Shikan (Grand arrêt et introspection, Mohe zhiguan), une œuvre en vingt volumes dans laquelle le Chinois tiantai  Zhiyi systématisa les divers enseignements compris dans le Sutra du Lotus. C'était une approche radicalement nouvelle de ce sutra. Nichiren a considéré que la doctrine de Zhiyi d'ichinen sanzen était le cœur des enseignements du Bouddha.

Dans la seconde partie de son Kaimoku-sho (Traité pour ouvrir les yeux), Nichiren parle ainsi de cette doctrine :

« Seul le principe du Tendai, ichinen sanzen , est le chemin qui mène à la bodhéité. Et, même ce principe d'chinen sanzen ni notre sagesse ni notre intelligence ne nous permettent de le saisir pleinement.»

«Tant que l’être humain n’a pas atteint la bodhéité en réalisant l’enseignement d’ichinen sanzen son nirvana n’a de bodhéité que le nom.»

Et dans la première partie du même texte, il loue ainsi cette doctrine :

« La doctrine d’ichinen sanzen de l’école tendai se révèle comme la voie qui mène à la bodhéité. »

Dans ses écrits, Nichiren se réfère spécifiquement cette doctrine dix-huit fois. (note)

Quel est donc ce principe d'ichinen sanzen (trois mille mondes-états en un instant-pensée) ? Comme on l'a vu, notre esprit s’agite sans cesse entre les six mondes-états depuis l'enfer (la colère), les esprits faméliques (la convoitise*), les animaux (l'ignorance), les démons (les conflits), les êtres humains (l'état normal) et le Ciel (la joie). Nos souffrances se poursuivent ainsi sans fin.

Cependant, une personne ordinaire peut parfois s'élever jusqu’aux quatre mondes-états supérieurs si elle éprouve le désir d'étudier la voie correcte (shravaka), si elle en prend conscience intuitivement par ses expériences (pratyekabuddha) ou encore si elle souhaite vivre pour le bien des hommes et de la société (bodhisattva). Mais il arrive rarement, peut-être jamais, qu'elle atteigne un état de compassion totale dans lequel elle s'oublie complètement. Ce serait une grande merveille si on arrivait à maintenir constamment un pareil état d'esprit. Tôt ou tard l’esprit retourne à l'état d'homme ordinaire (bompu) sans que l’on ait fait de progrès durable.

Implication réciproque des dix mondes-états

Chaque personne a en soi les six mondes-états d'une personne ordinaire et les quatre mondes-états supérieurs. Ces dix mondes-états existent également dans le monde-état des êtres célestes. En réalité, chaque monde-état existe dans chacun des dix autres. C'est ce qu'on appelle "l'implication réciproque des dix mondes-états", jikkai-gogu.

La graine de la nature de bouddha se trouve aussi bien dans les mondes-états de l'enfer ou des démons, mais elle y est peu développée. La doctrine d'ichinen sanzen enseigne que ceux qui sont dans un monde-état inférieur, grâce à cette implication réciproque, ont la possibilité d'atteindre l'état de bouddha et que la chance de salut est partout. En d'autres termes, cette doctrine affirme que la compassion du Bouddha s'étend à tous les êtres vivants. Par ailleurs, si une personne pense avoir la conscience lucide, être libre des liens de l'illusion et de la souffrance, en étudiant cette doctrine, elle peut comprendre à quel point elle est encore pleine d’illusions ; cette personne souhaitera sans doute s'adonner à la pratique encore plus.

Dans l’esprit de tous les humains, chacun des dix mondes-états comprend tous les autres mondes. Dix multiplié par dix égale cent. C'est donc cent mondes-états qui vont s'exprimer selon les dix "ainsités", ju-nyoze, ou dix "modalités d'expression de la vie".

Les dix ainsités

Cette doctrine énumère dix modalités d'expression de la vie qu’elle fait précéder par le terme "nyoze", "ainsi est" :
Ainsi est l'aspect (so),
Ainsi est la nature (sho),
Ainsi est l'entièreté (tai),
Ainsi est l'énergie, la potentialité (riki),
Ainsi est l'activité, la production, énergie manifestée (sa),
Ainsi est la cause latente (in),
Ainsi est la cause secondaire, la condition (en),
Ainsi est l'effet (ka),
Ainsi est la rétribution (ho),
Ainsi est la cohérence de 1'origine jusqu'à la fin (hon matsuku kyo to).

C'est l'enseignement de la plus profonde réalité de l'existence de tous les phénomènes de l'univers appelé shoho jisso (aspect réel des phénomènes). La science moderne analyse la matière jusqu'aux particules subatomiques tandis que shoho jisso englobe également le monde de l'esprit. Le caractère chinois qui se lit nyo est utilisé pour shinnyo, "ce qui est constant et immuable". Nyoze signifie "ainsi", "tel" mais également "invariable", "sans faille", "sans erreur".

Toute existence a obligatoirement un aspect "nyoze so". Tout ce qui possède un aspect possède une nature "nyoze sho". Tout ce qui possède une nature possède une incarnation (entité) "nyoze tai". Ce qui possède une incarnation (entité) possède une énergie potentielle "nyoze riki". Toute énergie se manifeste par des fonctionnements (actions) dirigés vers l'extérieur "nyoze sa".

Il existe dans l'univers d'incalculables phénomènes incarnés. Leurs fonctions dirigées vers l'extérieur sont toutes interconnectées. Rien dans l'univers n'existe en soi, rien qui soit isolé sans être de façon complexe connecté aux autres phénomènes. Cette interdépendance provoque des interactions, causes de différents phénomènes. Ces causes sont dites primaires ou latentes.

Toutefois, une cause primaire (nyoze in) n'a d'effet qu'à la faveur de circonstances ou au contact d'un agent qu'on peut appeler cause secondaire ou apparente (nyoze en). Par exemple, l'air contient toujours de la vapeur, cause première du givre et de la rosée. Mais tant qu'une cause secondaire n'intervient pas au contact du sol ou des feuilles, la vapeur ne devient ni givre ni rosée. Lorsque les causes primaire et secondaire se conjuguent, le résultat est un effet (nyoze ka).

L'effet n'est pas seulement un phénomène : il laisse une trace, un résidu que l'on appelle rétribution (nyoze ho). Par exemple, le givre sur une fenêtre peut réjouir quelqu'un par sa beauté mais le même givre inquiétera quelqu'un d'autre qui craint pour ses récoltes. La rétribution peut être positive ou négative.

Les neuf ainsités ci-dessus se manifestent constamment dans la société et dans l'univers comme une «globalité de 1'origine jusqu'à la fin» (hon matsuku kyo to). Elles sont interconnectées de façon complexe si bien que dans la plupart des cas il n'est pas possible de distinguer ce qui est la cause et ce qui est l'effet. Mais elles se produisent toujours conformément à la Vérité Universelle : aucun phénomène, aucun objet, aucune fonction ne peut exister en soi. Depuis l'aspect jusqu'à la rétribution tout s'inscrit dans un continuum formant le principe des dix ainsités. On appelle shoho jisso (aspect réel de la vie) le fait que tout ce qui existe, incluant l'homme dans sa relation avec les autres est soumis à cette loi.

On pourrait, peut-être, illustrer le fonctionnement causal par un exemple. Supposons que dans un train, un homme offre son siège à une vielle femme. Dans son esprit, il a déjà la cause primaire (latente) : le désir d’être bienveillant. Lorsque cette cause primaire vient au contact avec une cause secondaire (la vue d’une vielle dame vacillante), cela crée en lui le désir de céder sa place (effet). Puis il ressent la satisfaction (récompense) d’avoir fait une bonne action. La rétribution peut venir tout aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Celle qui vient du cœur est la plus importante. 

Les neuf ainsités ci-dessus se manifestent constamment dans la société et dans l'univers comme une "globalité de 1'origine jusqu'à la fin" (hon matsuku kyo to).  Elles sont interconnectées de façon complexe si bien que, dans la plupart des cas, il n'est pas possible de distinguer ce qui est la cause et ce qui est l'effet. Mais elles se produisent toujours conformément à la Vérité universelle : aucun phénomène, aucun objet, aucune fonction ne peut exister en soi. Depuis l'aspect jusqu'à la rétribution, tout s'inscrit dans un continuum qui forme le principe des dix ainsités. On appelle shoho jisso (aspect réel de la vie) le fait que tout ce qui existe, y compris l'homme dans sa relation avec les autres, est soumis à cette loi.

Les cent mondes-états que nous avons examinés plus hauts s'expriment par le truchement des dix ainsités, ce qui nous donne mille.

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Trois domaines de différenciation

Jusqu'à présent, nous avons examiné l'esprit sur le plan individuel. Mais ne perdons pas de vue qu'aucun individu ne peut exister en soi, en dehors de son environnement. Le bouddhisme enseigne qu'il y a trois domaines d'application de cette relation.

Le premier s'appelle go'on seken (différenciation des domaines des cinq agrégats), domaine où l'esprit de chacun exerce une influence sur les autres, c'est l'environnement au sens strict, "interrelationnel". Le deuxième est shujo seken (différenciation des domaines des êtres), domaine constitué de différents êtres vivants, généralement les sociétés et les nations. Le troisième est kokudo seken (différenciation des territoires) domaine constitué de plusieurs sociétés ou de nombreux pays, c'est l'environnement au sens large qui comprend le monde entier.

Qu'on le veuille ou non, nous sommes partie intégrante de ces trois domaines intimement liés. Les mille fonctionnements possibles de l'esprit s'expriment dans ces trois domaines, ce qui aboutit à trois mille possibilités (sanzen ) en un seul instant-pensée (ichinen), et il en est ainsi pour tout être humain, à chaque instant de sa vie. Ichinen sanzen indique donc qu’un seul instant de pensée (la plus petite unité mentale) contient trois mille conditions possibles d’expression de la vie.

Supposez que l'on pense : ‘‘Voici un homme. Comme son visage est désagréable !’’ Ou bien : ‘‘Comme les fleurs de la haie sont belles !’’ Lorsque nous disséquons ces pensées, nous découvrons que, tout en étant dans le présent, elles portent en elles des influences que nous pouvons qualifier de verticales (car elles remontent à un passé très ancien) ainsi que des influences horizontales de la part de personnes (cinq agrégats), de la société et de tous les phénomènes du monde.

Ces pensées sont également influencées par la personnalité du penseur incluant toute la gamme des mondes-états : depuis l'enfer jusqu'à l'état de bouddha. Le fait que l'on n'aime pas le visage d'une personne est analogue à ce qui porte au ravissement et à la bodhéité, et le fait d'apprécier la beauté d'une fleur est du même ordre que ce qui peut faire tomber en enfer.

Tout cela est tout à fait naturel, même si cela peut paraître étrange à première vue. Si l'on n'aime pas le visage d'une personne, on peut tout à coup vouloir la frapper et l'on tombera vite dans le monde-état de l'enfer. Mais si l'on pense : ‘‘Mes sentiments dans cette direction sont dus à une pratique insuffisante. Je ressens de l'animosité parce que je possède dans mon esprit la graine d'aversion. Je dois supprimer cette graine d'illusion’’, on peut alors se placer dans le monde-état du pratyekabuddha (éveil individuel).

Allons plus loin. Si nous pensons sincèrement : ‘‘Une personne avec un visage pareil doit certainement avoir des problèmes personnels qui affectent sa vie quotidienne ; il est de ma responsabilité de répandre les enseignements du Bouddha de sorte que plus personne n'ait cette expression’’, nous sommes dans l'état d'un bodhisattva et sur le chemin de devenir bouddha.

Inversement, lorsque nous pensons : ‘‘Comme les fleurs de la haie sont belles !’’ cette joyeuse admiration reflète l'état d'esprit d'une personne dans le monde-état du ciel et de la terre. Mais si nous pensons : ‘‘Je vais cueillir une branche, la rapporter à la maison et la mettre sur mon bureau’’, nous approchons du monde-état des esprits faméliques (convoitise*). Si nous nous mettons en colère en pensant : ‘‘Je me demande combien cette personne est riche pour avoir une si belle haie, elle a la belle vie et moi je dois peiner toute la journée, qu'elle aille au diable!’’, nous sommes dans le monde-état de l'enfer.

Trois mille mondes-états en uninstant-pensée en doctrine théorique

Comment donc aborder la doctrine d'ichinen sanzen ? Si nous en comprenons seulement la théorie, nous n'aurons ni la force de nous sauver ni de sauver les autres. On parle dans ce cas de ri no ichinen-sanzen, la doctrine théorique des Trois mille mondes-états en un instant-pensée. Au lieu d’obtenir un effet salvateur, nous risquons d’être aliénés par la théorie philosophique. Nous pouvons devenir tellement obsédés par les myriades d'implications de chacun de nos actes que cela peut aboutir à une paralysie mentale. Il convient donc d'aborder cette doctrine le cœur ouvert, avec une attitude optimiste et positive.

La doctrine d'ichinen sanzen nous enseigne que nous avons la possibilité infinie de nous mouvoir aussi bien vers le haut que vers le bas. Si nous décidons fermement de pratiquer les enseignements du Bouddha, nous pouvons certainement nous élever. D'autre part, cette doctrine nous fait comprendre que dans tout l'univers, il n'y a pas d'individus existant "en-soi", séparés des autres, et que toutes les choses sont liées entre elles comme les mailles d'un filet. Le salut d'un seul individu ne peut être un véritable salut.

Trois mille mondes-états en un instant-pensée en doctrine pratique

La compréhension profonde de ces deux points nous pousse à nous élever et à pratiquer pour aider les autres. C'est alors ji no ichinen-sanzen, la doctrine pratique des Trois mille mondes-états en un instant-pensée. Et c'est seulement dans ce cas que l'on peut parler de doctrine vivante.

Nichiren accorde une grande importance à ichinen sanzen. Il y puisa ses enseignements puis, ayant dépassé la compréhension théorique, il estima, au bout du compte, que la doctrine devait aboutir à la foi et à la pratique bouddhique. Assimiler parfaitement la théorie permet de comprendre que nous sommes toujours personnellement impliqués tant qu'il y a au monde ne serait-ce qu'une personne en état de souffrance. À la différence de l'homme ordinaire (bompu), c'est la préoccupation majeure du Bouddha. C'est le sens de l'expression "Lorsque les êtres humains tombent malades, le Bouddha a mal."  C'est aussi la signification des paroles de Nichiren : ‘‘Bien que Nichiren ne se lamente pas, des larmes d'inquiétude pour les autres coulent toujours de ses yeux.’’

Notre seule préoccupation devrait être celle de Shakyamuni et de Nichiren. Elle seule peut nous donner le courage et nous faire ressentir que la vie vaut la peine d'être vécue. Quoi que l'on dise ou fasse, rien ne vaut le salut de personnes qui souffrent. Aider les êtres humains à s'élever est la plus belle des tâches. Le seul fait de prendre conscience de notre participation à cette tâche, si petits soyons-nous, suffit à éclairer notre vie.

Revenons maintenant au texte du chapitre VII. L'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu prêcha les Quatre nobles vérités et les douze liens de causalité :

« au sein de la multitude des devas* et des hommes, [alors] six millions de myriades de milliards d'hommes, refusant tout autre enseignement, purent délivrer leur pensée des infections, obtinrent tous de profonds et sublimes dhyana, les trois sciences et les six pouvoirs mystiques, et se trouvèrent totalement munis des huit délivrances.

« Lorsqu'il prêcha le Dharma une seconde, troisième et quatrième fois, des milliards d'êtres, nombreux comme les sables de centaines de millions de Gange, refusant à leur tour tout autre enseignement, obtinrent de délivrer leur pensée des infections; et, après cela, une multitude d'auditeurs-shravakas*, sans nombre ni limite, incalculables.

« Alors, les seize princes, tous kumara, quittèrent leur famille et se firent shramanera*. Leurs facultés étaient aiguës, leur sagesse était lucide.

Ces princes comprirent que les Quatre nobles vérités et les douze liens de causalité étaient le sentier menant au Mahayana et qu'ils devaient les étudier et mettre en pratique la voie de bodhisattva pour atteindre le véritable Éveil du Bouddha. Ils demandèrent alors à l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu de leur enseigner l'Éveil complet et parfait sans supérieur*

« Alors, les huit cent mille millions de la multitude menée par le Chakravartin (Saint Roi qui fait tourner la roue du Dharma), en voyant les seize princes quitter leur famille, réclamèrent à leur tour de quitter leur famille; les entendant, le Chakravartin le leur permit aussitôt.

«Alors, l'Ainsi-Venu, recevant la supplique des shramaneras*, après que vingt mille kalpas eurent passé, exposa au sein des quatre congrégations ce Sutra du Mahayana qui a nom Fleur du lotus du Dharma merveilleux, Dharma enseigné aux bodhisattvas, gardée en mémoire par les bouddhas.

L'expression "Dharma enseigné aux bodhisattvas" désigne l'enseignement de la voie de bodhisattva ; les mots "gardée en mémoire par les bouddhas" signifient que le Dharma ne doit pas être prêché inconsidérément parce que les bouddhas le protègent et le gardent en eux. Les deux passages s'appliquent au Sutra du Lotus.

Le texte continue :

«Quand il eut exposé ce Sutra, les seize shramaneras*, en vue de l'Éveil complet et parfait sans supérieur*, tous de concert le retinrent, le récitèrent et le pénétrèrent avec acuité. Quand il eut exposé ce Sutra, les seize shramaneras bodhisattvas, tous tant qu'ils étaient, le reçurent avec foi. Parmi la foule des shravakas*, il y en eut aussi pour croire et comprendre. Les autres êtres des centaines de millions en leur variété, conçurent tous doute et perplexité.

« L'Ainsi-Venu exposa ce Sutra pendant huit mille âges cosmiques sans jamais se reposer ni s'interrompre. Quand il eut exposé ce Sutra, il entra dans un vihara* et demeura en méditation pendant quatre-vingt-quatre mille kalpas. Alors, les seize shramanera* bodhisattvas, sachant que l'Ainsi-Venu était en concentration sereine dans le vihara*, montèrent chacun au trône du Dharma et, également pendant quatre-vingt-quatre mille âges cosmiques, prêchèrent largement, à l'intention des quatre congrégations, le Sutra de la fleur du lotus du Dharma merveilleux en ses distinctions, chacun sauvant des êtres nombreux comme les sables de six-cent millions de milliards de Gange. Chacun d'eux montra, enseigna, leur apporta joie et bienfaits en les incitant à développer en eux l'esprit menant à l'Éveil complet et parfait sans supérieur*

Une brève explication s'impose pour le passage "Chacun d'eux montra, enseigna, leur apporta joie et bienfaits en les incitant à développer en eux l'esprit menant à l'Éveil complet et parfait sans supérieur".  Ces paroles indiquent l'ordre dans lequel propager le Dharma. Tout d'abord, il convient de montrer le sens général du Dharma. Ensuite, si on sent le désir des personnes d'en savoir davantage, il faut expliquer le sens profond de l'enseignement. Si l'on constate un début de compréhension, c'est le moment de les initier à la pratique pour obtenir les bienfaits du Dharma. Pour finir, par notre attitude envers ces personnes, nous devons faire naître en elles la joie afin qu'elles gardent cet enseignement.

Le texte continue :

« Les quatre-vingt-quatre mille kalpas passés, l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu* émergea de son recueillement-samadhi, se rendit au trône du Dharma, s'y assit, serein et lucide, et proclama universellement à la grande multitude: " Ces seize shramanera* bodhisattvas sont fort exceptionnels; leurs facultés sont pénétrantes et aiguës, leur sagesse est lucide. Ils ont fait offrande à des centaines de millions de bouddhas, en nombre incalculable, ils ont constamment pratiqué la conduite brahmique auprès d'un Éveillé, ont retenu la sagesse d'Éveillé, l'ont révélée et montrée aux êtres, les ont fait entrer en son sein. Vous devez tous les approcher aussi souvent que possible et leur faire offrande. Pourquoi cela? Si les shravakas*, les pratyekabuddhas* ainsi que les bodhisattvas sont capables de croire en l'enseignement prêché par ces seize bodhisattvas, de le maintenir sans le détériorer, ces gens devront tous obtenir l'Éveil complet et parfait sans supérieur*, la sagesse d'Ainsi-Venu."

« L'Ainsi-Venu déclara aux bhiksus:

« Ces seize bodhisattvas se plaisent constamment à prêcher le Sutra de la fleur du lotus du Dharma merveilleux. Les êtres aussi nombreux que les sables de six-cent millions de milliards de Gange convertis par chacun de ces bodhisattvas renaissent de vie en vie en leur compagnie, croient tous dans le Dharma qu'ils entendent d'eux et le comprennent. Grâce à ces liens causaux, ils obtiennent de rencontrer par milliers de myriades les bouddha Vénérés du monde, sans cesse jusqu'à présent.»

Comme ce n'est que le septième chapitre et que Shakyamuni n'a pas terminé son exposé, certains trouvent étrange que Shakyamuni dise que l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu et ses seize fils bodhisattvas ont prêché dans le passé le Sutra du Lotus. L'erreur vient de ce qu'ils pensent que le Sutra de la Fleur de Lotus du Dharma Merveilleux est seulement le titre d’un sutra particulier, à l'égal du titre d'un ouvrage précis.

En fait, le Sutra de la Fleur de Lotus du Dharma Merveilleux indique la vérité suprême et sacrée qui existe dans l'esprit d'un homme ordinaire (bompu) vivant dans ce monde corrompu, vérité qui n’est pas souillée par les démons, à l'instar de la fleur du lotus qui n'est pas souillée par la boue du marécage où elle pousse. C'est cette vérité qui conduit les hommes à la bodhéité. Et cette vérité est toujours la même, on ne peut pas lui en substituer deux ou trois. Il est donc naturel que Shakyamuni dise que l'Ainsi-Venu Maha-bhijna-jnana-bhibhu et les seize bodhisattvas l'ont prêchée dans le passé. De toute évidence, la vérité existe depuis le passé atemporel, avant que Shakyamuni n'apparaisse dans ce monde ; l'Éveil réalisé par un être humain ne peut être que l'éveil à cette vérité. Il n'y a donc pas à s'étonner que Shakyamuni parle de milliers de bouddhas prêchant cette vérité dans leurs vies passées. Ces paroles traduisent, en fait, l'intention du Bouddha de faire comprendre aux disciples que la vérité est Une.

L'Ainsi-Venu poursuit :

« Je vous le dis maintenant, ô bhiksus! Ces seize shramaneras*, disciples du Bouddha, ont à présent tous obtenu l'Éveil complet et parfait sans supérieur* ; dans les terres des dix directions, ils prêchent actuellement le Dharma.»

Ensuite, il prononce le nom de chaque bouddha et indique le nom de son royaume à venir. Au le neuvième, nous rencontrons le nom d'un bouddha familier :

« Des deux bouddhas de l'ouest, l'un s'appelle Amitabha* ...»

Ce bouddha nommé Amitabha (Amida) est le bouddha de la Terre Pure de la région de l'ouest ; il n'est pas chargé de nous instruire dans ce monde.

Pour terminer l'énumération le Bouddha déclare :

« le seizième, c'est moi, Shakyamuni, qui ai réalisé l'Éveil complet et parfait sans supérieur* en la terre de Saha.»

C’est de cette façon qu’il révèle sa propre histoire et la cause de son Éveil actuel..

Notons que Shakyamuni déclare avoir atteint l'Éveil complet et parfait sans supérieur en la terre Saha (terre d’Endurance, notre monde). Le Bouddha Shakyamuni est le seul maître des hommes dans le monde Saha. Gardons à l'esprit à quel point Shakyamuni est important et irremplaçable pour nous car il est notre Bouddha historique.

L'Ainsi-Venu Shakyamuni — le Bouddha Atemporel, en tant cause première — est le Bouddha du non-commencement et de la non-fin qui apparaît partout dans l'univers en tout temps. Les deux Bouddhas (l’historique Shakyamuni et le Bouddha Atemporel) sont fondamentalement le même, mais leurs fonctions sont différentes. Si nous ne comprenons pas cela, nous ne pourrons pas saisir les paroles suivantes de Shakyamuni :

« Ô bhiksus! Lorsque nous étions shramaneras*, nous avons chacun converti par notre enseignement des êtres aussi innombrables que les sables de millions de myriades de Gange et qui, entendant de nous le Dharma, réalisèrent l'Éveil complet et parfait sans supérieur*. Parmi ces êtres, il en est qui maintenant encore demeurent au niveau de shravaka*. J'assure leur conversion en leur enseignant constamment l'Éveil complet et parfait sans supérieur* et ces gens, grâce à ce Dharma, entreront graduellement dans la voie d'Éveillé. Comment cela se fait-il? C'est que la sagesse d'Ainsi-Venu est difficile à croire et difficile à comprendre.»

La sagesse de bouddha est difficile à comprendre lorsqu'elle est prêchée "de façon soudaine" (enseignement tonkyo). Les hommes avancent progressivement à partir d'une foi vacillante vers une compréhension profonde.

« Les êtres aussi innombrables que les sables du Gange qui furent convertis en ce temps-là, c'est vous-mêmes, bhiksus, ainsi que les disciples et auditeurs-shravakas* des âges à venir après mon passage en parinirvana.

L'idée que nous nous faisons du Bouddha restera confuse tant que nous ne comprendrons pas la différence entre l'Ainsi-Venu Shakyamuni représentant le Bouddha historique et l'Ainsi-Venu Shakyamuni représentant le Bouddha Atemporel. Nous reviendrons sur ce point dans le commentaire du chapitre XVI (La longévité de l'Ainsi-Venu).

Le Bouddha continue :

« Après que je serai passé en parinirvana, il se trouvera encore des disciples qui n'auront pas entendu ce Sutra, qui ne connaîtront ni ne percevront ce que pratiquent les bodhisattvas, mais, de par les mérites qu'ils auront acquis, ils concevront d'eux-mêmes la notion de passage en bodhéité et devront entrer dans le nirvana. Je serai devenu Bouddha en une autre terre et aurai alors un nom différent; bien que ces gens auront conçu la notion de passage en bodhéité pour entrer dans le nirvana, ils seront, en cette terre-là, en quête de la sagesse de bouddha et obtiendront d'entendre ce Sutra. Car ce n'est que grâce au véhicule de bouddha que l'on obtient de passer en nirvana, il n'existe pas d'autres véhicules, à part les enseignements exposés en manière d'expédients par les Ainsi-Venus.»

Ceci est un enseignement très important. L'accession à l'état de bouddha, c'est-à-dire, à un état d'esprit idéal pour un être humain, ne peut se concevoir par la pratique pendant notre seule vie actuelle ou notre vie suivante. Certains y parviendront, peut-être, mais c’est parce qu’ils auront pratiqué la Voie de bouddha dans leur nombreuses vies antérieures. Je le répète, la vie de l'homme est éternelle. Même s'il s'avère que dans la vie présente une personne ne peut pas atteindre l'état d'esprit du Bouddha, si, dans les vies futures, elle continue à écouter son enseignement et à se dévouer à la voie de bodhisattva pour sauver les autres, elle pourra devenir bouddha.

Le contact d'une personne avec la Voie de bouddha dans ce monde est une cause secondaire (circonstance) pour l'atteinte de la bodhéité. Une personne capable de pratiquer la voie de bodhisattva dans ce monde est déjà passée par l'état d'esprit d'un shravaka ou d'un pratyekabuddha auparavant. Pour quelqu'un qui a déjà été capable de rencontrer le Sutra du Lotus, une cause secondaire de la réalisation de l'état de bouddha dans le futur a été produite. C'est pourquoi il doit recevoir et garder ce Sutra continuellement jusqu'à sa mort et même au-delà.

« Ô bhiksus, quand l'Ainsi-Venu s'aperçoit de lui-même que l'heure du parinirvana arrive et que la multitude aussi est purifiée, ferme en sa foi et sa compréhension, qu'elle a accédé à l'enseignement de la vacuité (shunya, ku) et qu'elle est profondément entrée en samadhi*, il réunit alors la foule des bodhisattvas et des shravakas* pour leur exposer ce Sutra.

« En en ce monde, il n'est pas deux véhicules pour obtenir la bodhéité, ce n'est qu'avec le Véhicule unique de bouddha que l'on obtient le nirvana. Il convient de le savoir, ô bhiksus, les moyens appropriés* de l'Ainsi-Venu pénètrent au plus profond de la nature des êtres; si ceux-ci se complaisent en volonté aux enseignements mineurs, s'ils restent profondément attachés aux cinq désirs, il prêchera le nirvana à leur intention. Ces gens qui l'entendront l'accepteront avec foi.»

Afin que ce prêche soit mieux compris, l'Ainsi-Venu conte la parabole de la cité magique, la quatrième des sept paraboles du Sutra du Lotus.

Parabole de la cité illusoire

« Imaginez une mauvaise route de cinq cents yojana, dangereuse, désolée, sans jamais personne, un endroit effrayant. Il y aurait une troupe nombreuse, qui désirerait franchir cette route pour accéder à l'emplacement d'un trésor précieux. Ils ont un guide, intelligent et lucide, qui connaît bien les passages praticables et impraticables de cette route escarpée ; il dirige la troupe, désireux de lui faire franchir ces difficultés. A mi-chemin, le groupe qu'il mène est las et découragé, ils s'adressent au guide : "Nous sommes au comble de la fatigue, et, de surcroît, effrayés. Nous ne pouvons aller plus avant et nous avons une longue route devant nous. A présent, nous désirons rebrousser chemin."

« Le guide, homme de ressources et d'expédients, a cette pensée: "Les malheureux ! Comment peuvent-ils renoncer à un vaste trésor et vouloir rebrousser chemin?" Sur cette pensée, à plus de trois cents yojana sur la route escarpée, grâce au pouvoir de ses expédients, il fait, par fantasmagorie, apparaître une ville et déclare à la troupe: "N'ayez pas peur, vous n'aurez pas à rebrousser chemin voici maintenant une grande cité où vous pourrez faire halte et agir comme bon vous semble ; si vous y pénétrez, vous vous trouverez rapidement soulagés. Dès que vous serez en mesure de progresser jusqu'au lieu du trésor, vous pourrez repartir."

« Alors la troupe, qui était au comble de la fatigue, se réjouit grandement en son coeur et applaudit à ce fait sans précédent: "À présent que nous avons échappé à cette mauvaise route, nous pourrons rapidement trouver le soulagement." Sur ce, le groupe s'avance et entre dans la cité illusoire, en ayant la sensation d'être sauvé et de se trouver soulagé.

« Alors le guide, sachant que sa troupe se trouve désormais reposée, qu'elle ne connaît plus fatigue ni lassitude, fait disparaître la cité illusoire et déclare aux voyageurs: "Allons, vous autres, l'emplacement du trésor est proche; la grande ville de tout à l'heure, c'est moi qui l'ai créée par fantasmagorie pour votre repos d'étape, c'est tout."»

En encourageant ainsi sa troupe, le guide finit par mener tout le monde à l'emplacement du précieux trésor. Après avoir conté cette parabole l'Ainsi-Venu commente :

« Ô bhiksus, il en va de même pour l'Ainsi-Venu: à présent, c'est lui qui est votre grand guide, il sait que la mauvaise route des naissances, morts, passions est dure, escarpée, longue, qu'il faut la quitter et s'en sauver. Si les êtres n'entendent que le Véhicule unique de bouddha, ils ne désireront pas voir l'Éveillé, ni s'en approcher, mais ils se feront cette réflexion: la voie de bouddha est longue, ce n'est qu'en subissant longtemps souffrances et peines qu'on peut réaliser l'état de bouddha.

« Sachant que telle est la lâcheté, la faiblesse, l'infériorité de leur pensée, grâce au pouvoir de ses expédients, il leur prêche les deux nirvanas* afin de leur ménager un repos d'étape à mi-chemin. »

Les deux niveaux de nirvana désignent celui des shravakas et pratyekabuddhas d'un côté et le parinirvana de l'autre. Lorsque les hommes ont acquis assez de force mentale, le Bouddha peut les mener à l'Éveil suprême, le Véhicule de bouddha. Bien qu’il n’y ait pas d’autre véhicule que le Véhicule unique du Bouddha, Shakyamuni parle de deux véhicules pour qu’ils puissent souffler, tout comme le guide crée une cité magique pour que sa troupe puisse se reposer. Mais

« Si les êtres restent à demeure aux deux voies, l'Ainsi-Venu leur explique alors: "Ce à quoi vous oeuvrez n'est pas encore accompli; le niveau auquel vous demeurez est proche de la sagesse de bouddha. Il convient de poursuivre vos réflexions et considérations: le nirvana que vous avez gagné n'est pas authentique et réel, il n'est que l'effet du pouvoir des expédients de l'Ainsi-Venu, qui a établi pour sa prédication une triple distinction dans le Véhicule unique, de la même façon que le guide crée par fantasmagorie une grande ville afin d'y faire un repos d'étape." Dès qu' il sait qu'ils se sont reposés, il leur annonce que le lieu du trésor est à proximité: "Cette ville n'est pas réelle, je n'ai fait que la créer par fantasmagorie." »

Cette parabole nous enseigne que même si les deux véhicules sont parfaitement respectables, ce ne sont que des moyens appropriés* auxquels nous ne devons pas nous arrêter.

Le chapitre VII se termine par un passage versifié dans lequel le Bouddha répète ce qu'il vient d'enseigner.

Suite

Chapitre VII du Sutra du Lotus

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