Un bouddhisme pour notre temps

Une interprétation moderne du Triple Sutra du Lotus par
Niwano Nikkyo
traduit de A Buddhism for today (Kosei Publishing Co - 2006)

Voir : SUTRA DU LOTUS - CHAPITRE III

Parabole

Dans le chapitre précédent, après que Shariputra avait répété trois fois sa demande à Shakyamuni, et que celui-ci lui eut répondu ‘‘Cesse, Shariputra, inutile de parler davantage’’, le Bouddha lui enseigna la relation entre l'enseignement du Véhicule unique de bouddha et les moyens appropriés (hoben) des bouddhas. Shariputra fut empli de joie à l’idée qu'à partir de l'instant où il avait compris l’enjeu des moyens appropriés* des bouddhas, la porte de l'Éveil véritable de bouddha s'ouvrait pour lui.

Alors Shariputra se lève, joint les mains et, levant humblement les yeux vers le visage du Bouddha, dit :

«Au son du Dharma que je viens à présent d'entendre du Bhagavat, ma pensée exulte comme jamais auparavant.»

Puis il dit qu’en écoutant le son du Dharma, ses yeux se sont ouverts pour la première fois et qu’il avait compris à quel point il avait été imparfait. Ayant entendu cet enseignement ainsi que l'annonce faite aux bodhisattvas de leur futur bodhéité, il comprit qu'il n’était pas prêt pour ce Dharma et fut fort affligé

« de manquer le savoir et la vision infinis de l'Ainsi-Venu. [...] Je demeurai constamment, solitaire, dans les montagnes boisées, au pied des arbres ; assis ou marchant, j'avais à chaque fois cette pensée: : nous avons pareillement pénétré la nature du Dharma ; pourquoi est-ce à l'aide du Dharma du Hinayana que l'Ainsi-Venu nous montre le salut ?

« Je me suis trompé dans mon jugement concernant ceci. Pour quelle raison ? Parce que si j'avais prêté attention à l'enseignement du Bouddha en ce qui concerne l'accomplissement de l'Éveil parfait complet sans supérieur, j'aurais certainement dû être délivré par le Grand Véhicule. C'est ma propre faute si j'ai été impatient et si je me suis senti traité injustement. En ne comprenant pas l'enseignement opportun, en écoutant pour la première fois l'enseignement du Bouddha, c'est à la légère que j'y ai cru, pensé et témoigné. Depuis lors j'ai passé des jours et des nuits entières à me le reprocher, parce que je voyais les bodhisattvas dont il était prédit qu'ils deviendraient des bouddhas. Mais maintenant mes yeux se sont ouverts pour la première fois. Aujourd'hui, je sais vraiment que je suis réellement un fils de Bouddha, et je suis à présent un homme bien différent. J'ai changé ma manière de voir les choses grâce à l'enseignement suprême du Bouddha. De plus, j'ai obtenu une place dans le Dharma du Bouddha. Je vous en suis vraiment reconnaissant.» Puis Shariputra désirant répéter cette conviction parla en stances et se repentit de son imperfection passée.»

Très satisfait par les paroles de Shariputra, le Bhagavat lui dit :

«Shariputra ! Tu as bien compris ce que j'ai prêché. Si tu maintiens ta façon de penser actuelle pendant une longue période, si tu sers un nombre incalculable de bouddhas et si tu réalises la Voie que les bodhisattvas accomplissent, il est certain que tu deviendras bouddha. » (lire le sutra)

En parlant ainsi, le Bouddha donna à ce futur bouddha le titre de Padmaprabha (Eclat Fleuri); il annonça que son royaume aura pour nom Viraja (Immaculé) et que son kalpa aura pour nom Maharatnapratimandita (Ornement de Grands Joyaux)

Prédiction de la bodhéité.

La prédiction de l'état de bouddha — juki en japonais — est une notion sur laquelle nous reviendrons fréquemment plus tard. Il convient de garder à l'esprit que le Bouddha ne fait pas cette promesse à la légère et que l'on ne peut devenir bouddha en ne faisant aucun effort.

Lorsqu'une religion décline, elle est souvent rejetée par ceux qui réfléchissent un tant soit peu car elle se met à enseigner que l'on peut renaître au paradis grâce à des formules magiques. Si ce n'était que cela, ce ne serait pas si grave, mais parfois elle prêche que peu importe le mal que l'on fait, on peut être sauvé et gagner le paradis en achetant un talisman quelconque. Le salut bouddhique n'est pas aussi facile. Nous ne pouvons être sauvés sans avoir appris l'enseignement du Bouddha, sans l'avoir mis en pratique et sans s'être élevés au point de rendre les autres heureux en prenant soin d'eux. L'enseignement du Bouddha peut être compris par n'importe qui et s'accorde avec la raison et le bon sens ; ce n'est pas une question de magie ou de superstition.

Lorsque tous, dans la Grande assemblée, virent que Shariputra avait reçu l’annonce de l'Éveil Parfait, ils se réjouirent grandement et adorèrent le Bouddha du fond du cœur. Les êtres célestes également rendirent hommage au Bouddha en lui offrant de merveilleuses parures et des fleurs célestes. En stances, ils déclarèrent qu'ils se croyaient vraiment capables de devenir bouddhas.

Les êtres célestes rendent hommage au Bouddha parce que toutes les créatures de l'univers sont des disciples du Bouddha. Tout, dans ce monde, reçoit la vie d'une seule Réalité universelle et ne peut que lui rendre hommage et l'admirer. Le terme "êtres célestes" désigne ceux qui demeurent dans le ciel du sixième monde-état. Ils ne semblent avoir ni soucis ni angoisses et on pourrait penser qu'ils n'ont nul besoin de l'enseignement du Bouddha. Cependant, comme nous l'avons vu, la voie idéale pour l'humanité est d'être en constante évolution, si bien que même les êtres célestes ne peuvent se réjouir réellement tant qu'ils n'ont pas entendu les enseignements suprêmes du Bouddha. Ils ne peuvent ressentir de joie authentique tant qu'ils ne s'adonnent pas constamment au bien pour sauver les hommes qui demeurent dans le monde Saha. C'est ce qui caractérise profondément le bouddhisme. Croire que l'on peut être dégagé de toute obligation pour l'éternité et mener une vie idyllique dans un quelconque paradis est une croyance étriquée et naïve.

Ensuite, Shariputra dit au Bouddha :

«Bhagavat, je n'ai à présent plus de doute ni de regret : j'ai personnellement reçu du Bouddha la prédiction (note) de l'Éveil complet et parfait sans supérieur. »

Beaucoup de ceux qui ont la maîtrise d'eux-mêmes, qui autrefois demeuraient dans l'état d'apprentissage, étaient toujours instruits par le Bouddha qui disait : '' Mon Dharma peut rendre les hommes capables d'élever leur esprit pour être libres des divers changements de ce monde et leur donner le pouvoir d'éliminer la souffrance et la détresse." Ces personnes considèrent qu'elles ont atteint l'Éveil parce qu'elles sont libres de toute illusion. Mais maintenant le Bhagavat dit : ''Ce n'est pas l'Éveil suprême. Vous ne pouvez atteindre l'Éveil véritable que si vous développez l'esprit du bodhisattva qui est servir autrui, et seulement si vous le mettez en pratique''. Ce que vous avez dit maintenant étant différent de ce qu'ils avaient entendu précédemment, ils doutent et hésitent. Bhagavat ! Veuillez leur en donner les raisons de manière à ce qu'ils puissent être libres de doutes et de regrets.»

Alors le Bouddha parle à Shariputra :

N'ai-je pas dit auparavant que si les bouddhas, Vénérés du monde, prêchaient le Dharma à l'aide d'une variété d'expédients, relations, paraboles et locutions, c'était toujours en vue de l'Éveil complet et parfait sans supérieur ? C'est parce que tout ce qu'ils prêchaient était pour convertir les bodhisattvas.

Mais le but est toujours unique, à savoir, guider tous les hommes vers l'Éveil du Bouddha. Bien que les divers enseignements des bouddhas semblent être différents par la forme et le contenu, ces enseignements ont pour but de sauver ceux qui désirent obtenir l'Éveil et ceux qui s'efforcent de le réaliser, et tous les enseignements arrivent à la même conclusion.

« Or à présent, Shariputra, je vais à nouveau illustrer cette idée à l'aide d'une autre parabole, car ceux qui ont le jnana comprennent grâce aux paraboles. »

Et le Bouddha conte la parabole suivante :

La Parabole de la Maison en Flammes

Dans un royaume, il y avait un vieux sage qui possédait des richesses incommensurables, de nombreux champs, des maisons, des esclaves et des serviteurs. Sa maison était spacieuse et beaucoup de gens y habitaient mais elle n’avait qu’une seule entrée. Ses salles et ses pavillons étaient vétustes et délabrés, ses murs s'effritaient, les piliers étaient pourris à la base, les poutres et la charpente de la toiture penchaient dangereusement.

Un incendie se déclara soudain de tous les côtés à la fois et le bâtiment fut enveloppé par les flammes. Ses nombreux fils, auxquels le maitre de maison était très attaché, se trouvaient tous dans cette maison. Lui, se trouvait dehors et, lorsqu’il vit le feu, il retourna à la maison et fut saisi de frayeur en voyant ses enfants absorbés dans leurs jeux, qui n'avaient aucune crainte, ni surprise ni peur. Alors que les flammes se dirigeaient déjà vers eux et que le mal et la souffrance étaient imminents, ils n'y prêtaient pas attention, n'avaient nulle inquiétude et ne sentaient pas l'urgence à quitter leur maison.

Le vieil homme se dit qu’il était vigoureux et se demanda s’il devait faire sortir les enfants du bâtiment à l'aide du vaisseau fleuri [de sa sagesse], du banc [de ses quatre intrépidités] ou encore des tables [de ses pouvoirs mystiques]. Mais il se dit alors :

« Moi-même je suis assez vigoureux pour sortir mais réussirais-je à les faire sortir du bâtiment à l'aide de vêtements de moines* ou encore de tables* ? Cette maison n'a qu'une seule porte, encore est-elle bien étroite. Mes enfants sont petits, ils ne savent rien ; plongés dans leurs jeux, ils risqueraient de tomber et de finir brûlés. Je dois donc leur annoncer l'effrayante chose ; cette maison brûle déjà, il faut vite les en faire sortir à temps et ne pas les laisser brûler dans les flammes. S'étant dit cela, il fit comme il l'avait pensé et avertit sans ambages ses enfants : "Sortez vite  ! "»

Bien que le vieil homme essayât de les attirer et de les avertir par des paroles gentilles, les enfants, s'amusant joyeusement, n'étaient pas disposés à le croire et ne sentaient ni surprise ni peur ni aucune nécessité de s'enfuir; de plus, ils ne savaient pas ce qu'était un incendie, une maison, ni ce que voulait dire être perdu, et ils continuèrent seulement à courir çà et là en jouant. Ils jetaient de temps en temps un coup d'oeil à leur père, et pensaient seulement : "Notre père est en train de dire quelque chose" mais ils ne l'écoutaient pas vraiment.

Alors leur père réfléchit : "Cette maison est en train de brûler. Si je ne parviens pas à les faire sortir immédiatement, ils vont certainement périr. Je n'ai pas le choix, je dois les obliger par un moyen approprié* à fuir ce désastre puisqu'ils ne veulent pas quitter la maison malgré mes avertissements. Je sais ce que je vais faire ! Mes enfants aiment les jouets. Ils sont toujours attirés lorsqu'on en parle."

Le père cria aux enfants : "Vos jouets favoris - char à mouton*, char à daim*, char à boeuf* sont maintenant à l'extérieur afin que vous puissiez jouer. Je vous donnerai tout ce que vous voudrez mais vous devez tous rapidement sortir de la maison en flammes. Ces chars avec lesquels vous aimez jouer sont rares et précieux. Si vous ne venez pas les prendre maintenant, vous le regretterez plus tard." Sur ce, les enfants, entendant parler de leurs jouets favoris et parce que cela s'accordait avec ce qu'ils désiraient, se bousculant les uns les autres, sortirent en courant à qui mieux-mieux de la demeure en flammes

Alors le vieil homme, voyant que ses enfants étaient sains et saufs et qu'ils étaient tous sur la place, s'assit dehors, l'esprit calme et rempli de joie. Alors les enfants dirent à leur père : "Père ! Donnez-nous les choses merveilleuses que vous nous avez promises pour jouer, char à mouton, char à daim, char à boeuf." Le vieil homme donna alors à ses enfants un grand char tiré par un boeuf blanc, plus grand et plus beau que n'importe lequel des trois chars qu'il avait mentionnés auparavant.

Le vieil homme, bien sûr, c'est le Bouddha qui est comme un père. La maison délabrée décrit l'état dangereux et indigent de l'esprit humain dans le monde Saha. Le Bouddha se situe en dehors des misérables illusions humaines mais il n'oublie jamais ses enfants — tous les êtres vivants — qui sont dans la misère.

L'état dangereux du monde Saha est décrit avec force détails, c'est comme une maison vermoulue. La dernière section versifiée du chapitre III du Sutra du Lotus fait une description détaillée de l'état misérable de l'esprit humain. Toutes sortes de créatures mauvaises courent en tous sens. Certains endroits puent les excréments et l'urine et débordent d'ordures où grouillent les insectes et les vers

« Renards, loups, shrigala à tête de chacal
mordent, rongent, se piétinent
pour déchiqueter et dévorer les cadavres,
éparpillant os et chair.
Surviennent alors des bandes de chiens
pour s'en emparer à qui mieux-mieux;
affamés, émaciés, effrayés,
partout en quête de nourriture,
ils se la disputaient, se l'arrachaient,
se montrant les dents, grondant, aboyant. »

Suivent les démons kumbhandakas

« ils empoignent les chiens par deux pattes
et les battent jusqu'à les réduire au silence,
du pied ils leur pressent le col,
se délectant de leur frayeur. »

Cette description est une allégorie du monde des hommes à l'âge de la décadence dans lequel nous vivons. L'incendie qui se déclare dans cette vieille maison en ruines symbolise toutes les souffrances humaines, y compris la vieillesse, la maladie et la mort. Les êtres humains, absorbés par les plaisirs des sens et par les satisfactions matérielles, n'ont pas conscience que ces souffrances causeront tôt ou tard leur perte et encore moins que cela est imminent.

Le Bouddha veut faire sortir tous les êtres vivants de la maison en flammes. Cependant, cette maison n'a qu'une seule porte tellement étroite qu'ils ne peuvent la passer facilement. Cela signifie qu’il n’existe qu’une seule porte pour le salut de l’humanité et que cette porte étroite demande un effort. La Vérité ultime est unique et nous ne pouvons pas y parvenir avec hésitation ou en manquant de zèle.

Le Bouddha pense à faire sortir ses enfants de la maison en flammes au moyen de vêtements de moines* ou encore de tables*. Ceci peut signifier qu'il pense d'abord sauver tous les êtres humains grâce à sa compassion et à ses pouvoirs surnaturels. Mais dans ce cas, il n’est pas exclu que nombre d’entre eux ne parviendront pas au salut bouddhique parce que trop absorbés par les plaisirs des sens et des biens matériels. La compassion du Bouddha est inopérante sauf si les hommes sont capables d'en prendre conscience. C’est donc intentionnellement qu’il n'utilise pas ses pouvoirs mystiques.

Approfondissant cette allégorie, nous voyons que si le Bouddha portait tous les êtres directement vers l'Éveil, ceux-ci ne pourraient pas comprendre son enseignement ni le suivre, absorbés qu’ils sont par le plaisir des sens et les buts matériels. Il veut que ce soient eux qui fassent le premier pas et prennent conscience de l'état terrible dans lequel se trouve le monde.

Malgré l'attitude compatissante du Bhagavat, les hommes se contentent souvent de regarder le visage de leur père (le Dharma du Bouddha) sans penser que cet enseignement concerne leur vie et sans l'écouter avec leur cœur. Nous tous sommes passés par là, ce qui illustre bien l'état d'esprit des hommes ordinaires.

Alors, le Bouddha choisit de parler de char tiré par un mouton (le véhicule des shravakas), de char tiré par un daim (le véhicule des pratyekabuddhas) et de char tiré par un bœuf (le véhicule des bodhisattvas). Ainsi, pour la première fois, tous les êtres sont attirés par l'enseignement du Bouddha. En entendant : ‘‘Prenez celui des trois enseignements que vous préférez ; je vous les donne’’, ils sortent en courant de la maison en flammes en imaginant les jouets plaisants qui leur sont destinés.

Imaginer des jouets attrayants implique que l'on est déjà entré dans l'état mental de shravaka, de pratyekabuddha ou de bodhisattva. S'enfuir de la maison en flammes, c’est être déjà à la recherche de l'enseignement du Bouddha. Lorsque les hommes effacent les illusions de leur esprit, ils échappent par cela même à la souffrance de ce monde. Même si leur souci n'est pas d’être sauvé des flammes. Ils sont animés par le désir d'obtenir l'un des chars attrayants — la bodhéité de shravaka, la bodhéité de pratyekabuddha ou celle de bodhisattva. Ce sont ces chars qu’ils demandent au Bouddha. Chacun demande son propre Éveil. Alors, sans qu'ils s'y attendent, et au-delà de la bodhéité des trois véhicules, ils reçoivent l'enseignement suprême qui est l'Éveil du Véhicule unique du Bouddha (le Grand char tiré par un bœuf blanc) éclatant de lumière.

Le véritable souhait du Bouddha est de donner ce char merveilleux à tous les êtres vivants ; il le donne généreusement et sans discrimination à tous ceux qui ont progressé dans leur recherche de l'Éveil suprême. C’est bien là la grandeur et l’équanimité souveraine du Sutra du Lotus.

Après avoir conté la parabole de la maison en flammes, le Bhagavat en expliqua les images et dit en substance : ‘‘Écoute bien, Shariputra, je suis comme le maitre de maison de la parabole. Je suis le plus vénérable de tous les sages et le père du monde. Tous les êtres sont mes enfants. Ils sont profondément attachés aux plaisirs terrestres et n'ont pas assez de sagesse pour discerner l'aspect réel des phénomènes (shoho jisso). Je suis prêt à les sauver tous.’’ Puis il parla en stances :

« Le triple monde, exempt de tranquillité,
est tout comme une maison en flammes,
plein d'une foule de douleurs,
effrayant au possible,
constamment pourvu des afflictions
de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort.
Des incendies tels que ceux-là,
leurs embrasements ne prennent pas fin.
L'Ainsi-Venu a désormais quitté
la maison en flammes du mondes des trois plans,
et demeure dans les forêts et les landes
goûtant la paix de la solitude.»  

Le Bouddha explique qu’il ne peut pas, même l'espace d'un instant, oublier le triple monde car celui-ci est son domaine et que tous êtres qui y demeurent sont ses enfants. Ce lieu est plein de détresse et de souffrance mais il ne peut s’empêcher d’entrer dans ce monde de douleur afin de sauver ses enfants car lui seul peut les sortir de là et les protéger.

Voilà des paroles qui nous peuvent nous emplir d'espoir et de confiance. Quel immense amour-empathie (maitri) ! Notons que lorsque Shakyamuni emploie le mot "je" ce pronom n'est pas limité au Bouddha historique qui vécut en Inde il y a environ 2 500 ans : il s'agit du Bouddha Atemporel "qui a réalisé la Vérité ultime". Ces paroles sont une proclamation solennelle que l'univers entier devient le domaine de celui qui "réalise la vérité". Même nous, qui ne sommes pas au niveau de Shakyamuni, si nous fermons les yeux avec sérénité et pensons avec un esprit purifié "ce triple monde est mon domaine", nous percevons l'immensité de l'espace et nous ressentons une grande paix intérieure.

Quelques individus se sont récemment emballés à l’idée d’acheter des terres sur la planète Mars. Bien que cette lubie ait fort l'air d'une plaisanterie, elle correspond quelque part au besoin de l'homme d'élargir sa vision du monde. Lorsque nous pensons aux étoiles situées à des millions d'années-lumière, elles s'inscrivent dans notre esprit et deviennent, d’une certaine manière, notre possession. Lorsque nous pensons à des choses qui se sont déroulées il y a des dizaines de milliers d'années ou bien qui vont arriver dans des dizaines de milliers d'années, nous prenons conscience de ce que recèle l’univers et celui-ci devient une partie de notre esprit capable d'aller au-delà du temps et de l'espace et de s'approprier les phénomènes en dehors de l'espace-temps.

Si nous pouvions comprendre la vérité de l'univers comme le fit le Bouddha et si nous nous unissions à la vie universelle, ce monde deviendrait nôtre. Il n'est pas question, bien sûr, d'une prise de possession mais d'une fusion avec la vie de l'univers. Nous aurions alors atteint un état d'esprit du "non-soi" et abandonné le petit moi pour trouver le moi qui se vit comme une totalité.  À ce moment, le moi s'agrandit pour remplir l'univers entier. Ressentir le non-soi est la seule manière de comprendre que "tout l'univers est mon domaine". Si nous sommes capables d'atteindre cet état mental, notre esprit acquiert une liberté parfaite. Nous sommes alors libérés de tout, et même si nous continuons à agir en fonction de nos désirs, tout ce que nous faisons contribue à l'enrichissement de la vie des autres. C'est l'état mental du Bouddha.

Nous ne sommes certes pas capables d'atteindre immédiatement un état pareil mais nous devons faire des efforts pour y arriver et commencer par suivre l'exemple du Bouddha. Ce n'est qu'en l'imitant et en se consacrant assidûment à la pratique que nous pouvons entrer dans la voie du Bouddha. Réciter les sutras, écouter les cours, réfléchir avec sérénité et servir les autres, tout ceci peut être considéré comme une pratique pour abandonner notre ego et se fondre dans le tout. C'est l'esprit d'harmonie. Si nous nous exerçons à ces pratiques ne serait-ce qu'une heure chaque jour, nous pourrons approcher du Bouddha jusqu'à un certain degré, pas à pas, et, de là, par la persévérance, devenir des bouddhas. Nous devons abandonner l'attitude irresponsable qui nous fait penser que nous ne sommes pas capables d'atteindre l'état de bouddha. Nous comprendrons en quoi c'est si important en lisant le chapitre suivant Croire et comprendre.

Les Quatorze antivaleurs (hobo) ou offenses au Dharma.

Dans la dernière série des stances du chapitre III, le Bouddha expose ce que nous devons savoir pour enseigner le Sutra du Lotus aux autres et quelles antivaleurs nous créons si nous agissons contre l’enseignement du Sutra.

« Oui, Shariputra,
tel est le sceau qui marque mon Dharma,
dans le désir de dispenser des bienfaits
au monde, voilà pourquoi je le prêche.
Où que te mènent tes pas,
ne le propage pas à tort et à travers.»

Les paroles du Bouddha "ne le propage pas à tort et à travers" peuvent être mal comprises. Cela ne signifie pas qu'il est inutile de prêcher le Sutra du Lotus mais qu'il ne faut jamais l'altérer et toujours chercher une manière appropriée de l'exposer. Le Bouddha nous dit :

« parmi les hommes sans sagesse, ne prêche pas ce Sutra

et explique les quatorze hobo (oppositions) envers l'esprit du Sutra du Lotus. Il ne veut pas dire que nous devons refuser de partager le Dharma avec les hommes sans sagesse mais que nous devons prêcher le Sutra du Lotus prudemment, après avoir éliminé leurs "oppositions" au Dharma. Autrement, l'enseignement du Sutra ne donnera pas de bons résultats et aura même des effets défavorables.

Les quatorze hobo, antivaleurs qui "calomnient" le Dharma, sont :

1) l'outrecuidance, ou kyoman (être prétentieux et penser qu'on a compris ce que l'on n'a pas compris),
2) l'indolence, ou kedai (être paresseux et absorbé par des choses futiles),
3) l'égocentrisme, ou keiga (agir seulement dans un but égoïste),
4) la superficialité, ou senshiki (ne voir que l'apparence en n'essayant pas de saisir l'essence des choses),
5) la sensualité, ou jakuyoku (être profondément attaché aux désirs des sens et aux choses matérielles),
6) le manque de discernement, ou fuge (tout interpréter suivant ses propres concepts et ne pas comprendre les points importants),
7) l'incrédulité, l'égarement du doute, ou fushin (se défier du Sutra et le rejeter à cause d'une compréhension superficielle),
8) l'esprit de contradiction, ou hinshuku (refuser d'examiner le Sutra et montrer de la mauvaise volonté envers celui-ci),
9) le doute, ou giwaku (entretenir des doutes sur la vérité du Sutra et refuser de l'expérimenter),
10) la calomnie, ou hibo (dire du mal du Sutra),
11) le dénigrement du bien, ou kyozen (mépriser ceux qui lisent, récitent, écrivent et pratiquent le Sutra),
12) la haine du bien ou zozen (haïr ceux qui pratiquent le bien conformément au Sutra),
13) la jalousie envers le bien, ou shitsuzen (envier ceux qui font le bien),
14) renâcler contre le bien, ou konzen (regarder d'un mauvais œil ceux qui pratiquent le bien).

Suit une énumération de ce qui résulte de ces oppositions au Dharma. Il convient de souligner que les rétributions négatives ne peuvent pas être considérées comme des punitions infligées par le Bouddha qui n'a pas ce genre de relation avec les hommes. Parce qu'il est la vérité qui donne la vie à toutes choses dans l'univers, il est impossible qu'il agisse contre la vie de l'homme, comme par exemple le laisser tomber dans l'enfer ou le laisser devenir un animal ou une personne difforme. Qu'est-ce qui occasionne donc de telles "punitions" chez l'homme ? C'est l'homme qui crée sa propre perte. Ce sont ses illusions qui le font agir contre le Dharma. L'illusion est comme un nuage sombre qui couvre notre nature de bouddha intrinsèque. Lorsque la lumière de notre nature de bouddha est recouverte par les illusions, les ténèbres envahissent notre esprit et différentes choses désagréables nous arrivent. Cet état est la punition que nous avons provoquée nous-mêmes. Si nous évacuons les nuages sombres de nos illusions, notre nature de bouddha commence immédiatement à briller. Nous n'avons rien à craindre du Bouddha qui est ce qui anime tous les êtres de tous les temps.

Suite

Chapitre III du Sutra du Lotus

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