KAJI-KITO

 

Le développement du Kaji Kito dans le bouddhisme Nichiren Shu

QUATRIÈME PARTIE :  

CONCLUSIONS

AVENIR DU KAJI KITO DE LA NICHIREN SHU  

Malgré les nombreuses questions qui demeurent concernant le kaji kito dans un contexte limité, cette tentative d'analyse de son incorporation dans le bouddhisme de Nichiren montre l'influence persistante de la prière dans certaines sociétés. En même temps, comprendre la prière dans le contexte du kaji kito reste également un sujet difficile à expliquer en utilisant uniquement des mots et des actions verbalisables. Les nombreux récits de kaji kito sont souvent accueillis par beaucoup avec scepticisme en raison du manque de compréhension de cette forme de prière, la plaçant souvent au rang de la magie. Pourtant, l'objectif de la prière n'est pas ce qui se passe pendant la prière, mais les effets secondaires ou les résultats obtenus à sa suite. Comme dans toute situation, lorsque le résultat souhaité est obtenu, beaucoup oublient le mysticisme et se fient à cette pratique les yeux fermés

D'un autre  point de vue, nous constatons que ceux qui voient le kaji kito avec scepticisme essaient d'en comprendre la spécificité et d'identifier les ambiguïtés de la pratique. Mais cette approche ruine justement la notion même de prière. En effet, lorsque nous prions, nous croyons en "quelque chose", qu'il s'agisse d'une divinité supérieure ou d'un esprit que nous ne pouvons généralement pas voir. Dans le cas de plusieurs écoles bouddhistes et d’autres traditions religieuses, nous vénérons des représentations de divinités spécifiques. Nous ne pouvons jamais savoir si quelqu'un est là pour écouter nos prières, mais nous continuons à croire. Par conséquent, la notion de prière n'est pas quelque chose qui nous est imposé, mais quelque chose que nous faisons instinctivement depuis la nuit des temps, quel qu'en soit le but. Cela ne veut pas dire que ceux qui acceptent les prières sans même essayer de prendre en compte le mysticisme impliqué ont raison, car le niveau supplémentaire de "curiosité" est ce qui rend le kaji kito et la prière en général si uniques. Si nous creusons un peu plus, la question reste de savoir dans quelle mesure nous, en tant qu'humains, croyons vraiment à la prière, surtout lorsque l'objectif demande du temps ou n'est pas si évident, comme le désir de bonheur.

Dans le monde moderne, les gens pensent que le kaji kito est une superstition comme la magie. Mais ce qui rend le kaji kito si unique, c'est sa composante de prière qui est rarement présente dans la magie ou la superstition. Nous entendons souvent des histoires de "contrôleurs d'esprit" qui essaient d'utiliser la prière spécifique comme un moyen de tromperie et d’avantages égoïstes. Ceux qui ne comprennent pas la prière sont incapables d’en distinguer les différents types, ce qui est à l'origine de nombreuses opinions négatives sur le kaji kito. Nous devons comprendre que dans les moments où nous sommes vulnérables ou émotionnellement instables nous sommes susceptibles de penser sans la raison. Ce sont des moments où nous sommes susceptibles d'utiliser la prière pour des désirs égoïstes et de nous éloigner de la véritable signification de la prière qui est analysé dans cette thèse.

En regardant les objectifs de plusieurs types de kaji kito, l'une des principales confusions que l'on rencontre est de les valider uniquement d'un point de vue bouddhiste. En d'autres termes, on croit que l'un des principaux objectifs du bouddhisme est d'éliminer les désirs. Pourtant, n'est-il pas vrai que la plupart des kaji kito  se concentrent principalement sur les désirs humains, tels que le désir de guérir une maladie ? Par conséquent, est-il juste ou non que des prêtres bouddhistes effectuent des prières pour que des personnes obtiennent un désir spécifique ?

Les gens ont tous des désirs et donc, dans certaines situations, la compréhension bouddhiste du désir doit être approfondie. Tous les désirs ne peuvent pas être considérés, du moins du point de vue du kaji kito, comme étant égoïstes et empêchant l'élimination de la souffrance. Par exemple, le désir de quelqu’un souhaitant le bien-être de son enfant ou d’un enfant souhaitant le bien-être de ses parents ne devrait pas être étiqueté comme source de souffrance devant être éliminé. On peut approfondir ce point en se penchant particulièrement sur le kaji kito nichirenshu.

Lorsque les gens entendent  parler de Nichiren et de ses actions, ils l'associent rapidement à son but qui était de convertir autant de personnes que possible au Sutra du Lotus. Mais en raison de sa forte personnalité et de l'importance qu'il accordait au Sutra du Lotus, beaucoup oublient l'objectif principal de la diffusion du Sutra du Lotus, qui était d'apporter la paix et le bonheur à tous. Lorsque Nichiren a incorporé pour la première fois le mikkyo dans ses enseignements, il semble qu’il l'ait fait justement pour apporter la paix et le bonheur. Par conséquent, en analysant le développement du kaji kito, il semble que les disciples de Nichiren et les prêtres nichirenshu aient infléchi les méthodes du kaji kito pour l’accorder à l'espoir de prospérité.

En observant de plus près l'objectif de la pratique du kaji kito à l'époque de Nichiren, nous constatons que la majorité des gens avaient des désirs liés à une bonne santé et à la guérison de maladies. Nichiren essayait de pratiquer le kaji kito pour tous, mais dans le processus, il devait aussi constater que le bénéficiaire était un fervent adepte du Sutra du Lotus.  Il ne pratiquait le kaji kito que pour ceux qui professaient leur foi en lui. Souvent, il disait que son kaji kito ne serait pas efficace pour ceux qui ne croyaient pas dans le Sutra du Lotus. Nous voyons donc que Nichiren voulait convertir autant de personnes que possible aux enseignements du Sutra du Lotus en affirmant qu'ils apporteraient la paix et le bonheur que chacun désirait. En répondant aux désirs de chacun, Nichiren pensait non seulement démontrer l'efficacité et la validité du Sutra du Lotus, mais aussi apporter aux gens le bonheur.

En fait, l'incorporation du mikkyo par Nichiren montre un pas important vers ses propres tentatives de diffusion du Sutra du Lotus. Lorsque certains entendent les différentes idées que Nichiren a incorporées venant d'autres sutras et d'autres écoles de bouddhisme, beaucoup concluent hativement que Nichiren n'avait pas d'idées originales. Pourtant, comme nous le voyons, l'incorporation de ces différentes idées montre à quel point Nichiren s'est vraiment documenté pour trouver l'enseignement qui correspondrait le mieux à ses objectifs. Il a probablement compris que les pratiques ésotériques étaient nécessaires pour rapprocher les gens du Sutra du Lotus et de la religion dans son ensemble, afin qu'ils l'acceptent. La plupart des personnes qui ont étudié le bouddhisme avant l'époque de Nichiren l'ont fait principalement dans un but éducatif, à l'exception de certains, notamment les femmes de la classe aristocratique qui considéraient que des textes spécifiques du bouddhisme leur apportaient la réponse à leur existence et les valorisait au sein de la société. En mettant l'accent sur le daimoku, Nichiren a essayé de donner aux gens du peuple les moyens de créer et développer leur propre  spiritualité. Il a utilisé le kaji kito en essayant de montrer aux gens à quel point la foi était importante.

Parce que Nichiren a eu une relation si forte avec les divinités, en priant continuellement et en ayant foi en leur existence, il a cru que les esprits étaient chargés d'apporter le bonheur tout autant qu'ils étaient ce qui causait des problèmes ou des calamités dans le monde. Cette notion n'est cependant pas si singulière. Depuis la nuit des temps, de nombreuses traditions et cultures se tournent vers une divinité supérieure et croient que les changements dans l'environnement ou la nature sont un signe de l’existence de la divinité supérieure. La croyance en des esprit est quelque chose d’instinctif.

Les disciples de Nichiren, ainsi que les prêtres nichirenshu qui ont continué à défendre les enseignements de Nichiren tout au long de leur vie, ont développé la notion d'utilisation des esprits pour apporter le bonheur. Bien que Nichiren lui-même ait principalement cherché à  éliminer les mauvais esprits, il pensait également que cette action ramènerait les "bons" esprits. Les prêtres nichiréniens développent cette idée en rendant les deux processus plus évidents, par exemple, en intégrant dans une prière une action spécifique pour éliminer les mauvais esprits et une autre pour ramener les bons. Parmi les exemples les plus courants, citons l'utilisation initiale du seul bokken dans la pratique du kaji kito. Bien que le juzu puisse également protéger des mauvais esprits, il a également pour but de faire revenir les bons esprits. En combinant le bokken et le juzu, nous voyons mieux leur fonction. La relation entre Hariti et Mahakala conduit également à des conclusions similaires. Une fois de plus, on ne sait pas si Nichiren a réellement vénéré Mahakala, mais sa vénération pour Hariti s’appuyait sur plusieurs raisons. On peut souligner que Hariti, dont les sculptures avaient initialement des traits doux, présente maintenant des traits faciaux similaires à ceux d'Acala, qui fait fuir les mauvais esprits. De même, Mahakala, dont les effigies avaient au début des traits effrayants, a maintenant au Japon un visage plus doux. Hariti maintient sa fonction d'effrayer les mauvais esprits, tandis que Mahakala apporte le bonheur. L'intention d'apporter le bonheur aux gens est devenue plus évidente.

Cependant, tous les changements dans l'histoire du développement du kaji kito n'ont pas répondu aux attentes de Nichiren. Par exemple, l'admission dans la pratique de l'aragyo de ceux qui ne croient pas au Sutra du Lotus et l'enseignement des secrets du kaji kito soigneusement gardés. Nichiren n'autorisait pas l'utilisation du kaji kito pour des personnes qui ne croyaient pas au Sutra du Lotus, mais l'utilisation du kaji kito augmente dans une certaine mesure le nombre des croyants du Sutra du Lotus. On peut donc se demander si cela ne correspondait vraiment pas aux attentes de Nichiren.

De nombreux détracteurs du kaji kito ne reconnaissent pas le tribut physique et spirituel que doivent payer les prêtres qui l'utilisent pour aider les autres à résoudre leurs problèmes. Bien que le bokken soit utilisé pour transmettre le pouvoir spirituel à la personne qui reçoit le kito, il y a une réciprocité dans le processus, ce qui signifie qu'en transmettant le "bon" karma et les bons esprits à l'individu, le prêtre doit accepter le karma négatif de l'individu en retour. Par conséquent, lorsque les prêtres s'entraînent à l'aragyo, ils essaient d'accumuler autant de bénéfices que possible et la purification de leur esprit afin d'avoir suffisamment de bénéfices à transmettre à autant de personnes que possible. Bien que les intentions soient légèrement différentes, cela pourrait être  rapproché de l'idée de Nichiren qui voulait lui-même prendre en charge la souffrance des autres et leur apporter le bonheur. Cette transmission des bienfaits entre l’exécutant du kaji kito et la personne qui le reçoit reste significative de l'importance de sa pratique.

Lorsqu'on considère l'avenir du kaji kito dans le bouddhisme de Nichiren, les opinions sont fort divergentes. La popularité de cette pratique dépend en grande partie de la capacité des prêtres à satisfaire les demandes changeantes des génération. Par exemple, si la majorité des kaji kito pratiqués par Nichiren étaient basés sur la guérison des maladies, c'est parce qu'il y a eu plusieurs épidémies ainsi que plusieurs catastrophes naturelles, ce qui a incité davantage de personnes à désirer une bonne santé. Si de nombreuses personnes se rendent encore chez les prêtres pratiquant le kaji kito dans l'espoir de guérir leurs maladies, beaucoup ont également des désirs qui correspondent aux attentes du monde moderne, comme réussir un examen d'entrée dans une université prestigieuse ou obtenir un emploi souhaité. Bien que, par essence, ces souhaits aient également pour but le bonheur, la définition même du bonheur semble avoir changé au fil du temps. Ainsi, dans le monde d'aujourd'hui, il semble qu'il ne suffit pas de vivre une vie saine pour être heureux - les gens veulent plus. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'une idée nouvelle qui vient juste de naître, mais il semble que ces types de désirs aient augmenté avec le temps.

Avec le changement de génération, nous constatons également que de nombreuses personnes qui entrent dans la pratique du kaji kito ont aussi des objectifs différents. Certains d'entre eux peuvent inclure la reconnaissance sincère de l'importance de la pratique du kaji kito dans le bouddhisme de la Nichiren Shu. Mais pour d'autres, il peut aussi s'agir d'un moyen de prendre conscience du sérieux de la prière et des avantages qu'elle peut apporter. En conséquence, la majorité des pratiquants d'aragyo auxquels j'ai parlé m’ont confié qu'en entrant dans l'aragyo, ils se rendent compte de leur inexpérience à aider les croyants du Sutra du Lotus à atteindre leur objectif. Ainsi, il y a quelque chose à retirer de la sévérité d'aragyo que les personnes qui ne se soumettent pas à cette pratique ne connaîtront jamais. Tous les individus n'auront pas la capacité mentale de se soumettre à cette pratique cinq fois au total. Il est important de noter qu' il est faux de croire que plus vous vous soumettez à aragyo, plus la pratique devient facile - le niveau d'austérités physiques et mentales reste le même. Étant donné que le bouddhisme japonais a ceci d'unique que le fils d'un prêtre prend la relève du temple, beaucoup se demandent si ces fils qui finissent par devenir prêtres ont les mêmes motivations lorsqu'ils entrent dans la pratique d'aragyo. Bien qu'il soit difficile de répondre à cette question sans interviewer beaucoup plus de prêtres, il est vrai qu'il y en a encore beaucoup qui font l'aragyo pour son vrai but, qui est d'apprendre comment utiliser la prière pour aider les croyants du Sutra du Lotus.

D'un point de vue occidental, beaucoup se demandent pourquoi, bien que Nichiren lui-même ait affirmé que les femmes pouvaient atteindre l'Eveil, les femmes ne sont pas autorisées faire aragyo.

Une analyse plus approfondie est nécessaire pour répondre à cette question, mais ce qui reste clair, c'est que les nonnes de l'école Nichiren Shu sont toujours capables d'utiliser la prière pour aider les pratiquants du Sutra du Lotus. Ceci est principalement dû au fait que Nichiren lui-même a instauré la récitation de daimoku pour que tout le monde puisse effectuer comme une forme de kaji kito. Mais alors pourquoi certains prêtres entrent-ils encore dans l'aragyo ? C'est probablement parce que de nombreux secrets cachés de la pratique du kaji kito et des méthodes de prière efficaces sont transmis verbalement et, en même temps, l'austérité fournit aux prêtres un moyen de s'isoler du monde extérieur et de se concentrer sur la prière pour purifier leur esprit et se préparer à aider les autres par le kaji kito. Passer par de telles épreuves physiques afin d'atteindre un tel "pouvoir" et utiliser la prière au maximum est quelque chose qui non seulement confirme l'importance que Nichiren accorde à la prière, mais aussi la nécessité pour beaucoup de réaliser l'importance de la prière dans la religion dans son ensemble. Cette affirmation ne signifie pas que tous les prêtres devraient entrer dans l'aragyo ou se soumettre à des pratiques ascétiques, mais simplement que l'accent mis sur la prière en général peut jouer un rôle important pour l'avenir du bouddhisme de la Nichiren Shu.

Le fait que beaucoup ne connaissent pas le kaji kito dans le bouddhisme de Nichiren nous montre également que peu de gens comprennent sa prévalence dans l'histoire et le développement du bouddhisme nichirenshu. Pour cela, il faut réévaluer la véritable signification de la prière et les raisons de son importance. Nous espérons que le kaji kito nichirenshu restera un élément important de la tradition qui encourage à apporter le bonheur aux gens et au monde par la prière.

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