Le Bouddha n'a pas seulement enseigné aux moines et aux nonnes, mais aussi aux maîtres de maison. Dans ce discours au jeune chef de famille Singala, le Bouddha prodigue des conseils sur la façon de mener une vie saine, responsable, prospère et heureuse si l'on a un emploi séculier et une famille.

Le bouddhisme peut être parfois perçu comme un mode de vie dont les exigences strictes ne peuvent être satisfaites que par un moine ou une nonne à plein temps. Cependant, le Bouddha avait aussi de nombreux disciples qui n’avaient pas quitté la vie de famille et il ne les a pas négligés pour autant dans son enseignement. Les conseils du Bouddha au jeune maître de maison Singala est peut-être l'exemple le plus complet de la façon dont il envisageait la vie idéale pour ceux qui n'avaient pas abandonné la vie de famille. Le sutra commence avec le Bouddha qui fait sa tournée matinale pour demander l'aumône dans la ville de Rajagriha. Au cours de sa tournée, il rencontre un jeune homme, Singala, qui rend hommage aux dieux des quatre points cardinaux, ainsi qu'au zénith et au nadir. Le Bouddha lui demande pourquoi il fait cela, et Singala lui répond qu'il rend hommage aux directions tous les matins afin d'honorer les dernières paroles de son père qui souhaitait que son fils perpétue la tradition familiale en accomplissant ce pieux acte de culte. En entendant cela, le Bouddha avertit Singala qu'il existe une manière plus noble de rendre hommage aux six directions. Vu l’intérêt du jeune homme, le Bouddha lui explique alors la manière dont un arya* peut rendre hommage aux directions :

Jeune maître de maison, en abandonnant les quatre actions impures, un arya s'abstient des actions nuisibles qui sont enracinées dans quatre causes et il évite les six manières de dissiper sa richesse. Ainsi, ces quatorze hobo (anti-valeurs) sont éliminées. L’arya, protégeant maintenant les six directions, s'est engagé sur un chemin qui le mène à la victoire dans les deux mondes, il est fermement établi dans ce monde et dans le suivant. Lors de la dissolution du corps, après la mort, il obtient une bonne renaissance dans un monde céleste.
(Singala Sutta – Les six directions)

Il semble évident que le but de l'hommage rendu aux six directions est de faire honneur aux esprits qui protègent le monde, prévenant ainsi le mal et attirant peut-être la bonne fortune. Cependant, le Bouddha souligne que ce ne sont pas les esprits qui déterminent le destin d'une personne mais la conduite et l'attitude de celle-ci, l’incitant à être responsable de sa propre vie. En menant une vie respectueuse, on peut échapper aux désastres et aux tragédies qui frappent les irresponsables et les insouciants. On est également capable de maintenir son intégrité et, en vivant avec une conscience claire, on peut mourir sans regret. C'est ainsi que l'on se crée une bonne fortune. Passons maintenant aux choses spécifiques que doit éviter celui qui souhaite vivre une vie paisible.

Quelles sont les quatre actions impures qu'il abandonne ? La destruction de la vie est une action impure, la saisie de ce qui n'a pas été donné est une action impure, la méconduite sexuelle est une action impure, le mensonge est une action impure. Voici les quatre actions impures qu'il abandonne.

Ainsi parla le Bhagavat. Résumant cela en vers, le Sublime dit :

Tuer des êtres vivants,
Se saisir de ce qui n'a pas été donné, mentir,
Poursuivre la bien-aimée d'un autre,
Ces actions ne sont pas louées par le sage.

(Singala Sutta – Les quatre actions impures)

Ces quatre souillures de l'action sont, bien sûr, le fondement de tout système moral. On pourrait même aller jusqu’à affirmer que toute interdiction supplémentaire est soit une nuance, soit une simple superstition. Rappelons également qu’il s’agit des quatre infractions pour lesquelles un moine peut être exclu du Sangha : tuer, voler, avoir des rapports sexuels et mentir sur ses réalisations spirituelles. Ces quatre transgressions étaient intrinsèquement une répudiation du style de vie de paix et de renoncement que représente le fait d'être un moine ou une nonne dans le Sangha et par conséquent, ceux qui les commettaient s’en voyaient exclus. Les laïcs qui tuaient, volaient, mentaient ou commettaient diverses formes d'inconduite sexuelle n'étaient pas exclus du Sangha (puisque seuls les moines et les nonnes appartenaient à une organisation formelle), mais ceux qui agissaient ainsi montraient naturellement qu'ils avaient encore beaucoup à apprendre et qu'ils n'étaient pas encore pleinement entrés dans le courant de l'enseignement du Bouddha.

Quelles sont les quatre causes des actions nuisibles ? C'est mené par le désir qu'on réalise des actions nuisibles. C'est mené par la colère qu'on réalise des actions nuisibles. C'est mené par l'ignorance qu'on réalise des actions nuisibles. C'est mené par la peur qu'on réalise des actions nuisibles.

Mais, tant que l’arya n'est pas mené par le désir, la colère, l'ignorance ou la peur, il ne réalise pas ces actions nuisibles.

Ainsi parla le Bhagavat. Résumant cela en stances, le Sublime dit :

Celui qui trangresse le Dharma,
Que ce soit par désir, par haine,
Par ignorance ou par peur,
Voit sa bonne réputation s'éteindre
Comme la lune pendant sa décroissance.

Celui qui ne trangresse le Dharma,
Ni par désir, ni par haine,
Ni par ignorance, ni par peur,
Voit sa bonne réputation s'accroître
Comme la lune pendant sa croissance.

(Singala Sutta – Les quatre causes)

Le Bouddha ne se contente pas de souligner les actions qui vont à l'encontre d’une vie heureuse, il poursuit en décrivant les attitudes qui conduisent aux quatre souillures de l'action. Une personne libérée de ces attitudes ne sera plus tentée de les commettre. Il convient également de remarquer qu'il s'agit des trois poisons dont il est question dans le Discours sur le feu (Aditta Sutta), auxquels s'ajoute la peur. Ces quatre causes du mal sont justement celles que le bouddhisme se propose d'éteindre. Les bannir du cœur est en soi le nirvana.

Quelles sont les six manières de dissiper sa richesse que l’arya abandonne ?
Il s'abstient de prendre des intoxicants, qui provoquent la négligence, d'errer dans les rues à des heures inconvenables, fréquenter des lieux de divertissement, participer à des jeux (d'argent), s'associer à de mauvais compagnons, s'adonner à la paresse.
(Singala Sutta – Six manières de dissiper les richesses)

Les six façons de gaspiller sa fortune décrivent ce que l'on appelle en Occident une vie de débauche. Il est intéressant de remarquer que la description d’une telle vie et ses conséquences n’est pas très éloignée de ce que l’on pourrait en dire aujourd’hui.

Voici les six dangers inhérents à la négligence due à la prise d’intoxicants ; une diminution de la richesse, une augmentation des querelles, une plus grande exposition aux maladies, une mauvaise réputation, une exposition indécente du corps, un affaiblissement de l'intellect.
(ibid)

Ici, bien sûr, nous parlons d'abus de substances toxiques. Aujourd'hui, nous ajouterions aux six dangers énumérés ci-dessus les éventuels démêlés avec la justice et le risque d'implication dans des évènements criminels dans le cas de consommation de substances illégales. Leur utilisation conduit également à des situations où il est plus difficile d'être conscient et de contrôler les quatre causes du mal, nous rendant ainsi plus susceptibles de commettre les quatre souillures de l'action. Pour cette raison, le précepte interdisant l'utilisation de substances intoxicantes est l'un des cinq préceptes majeurs pour les laïcs et l'un des dix préceptes majeurs pour les moines et les nonnes.

Voici les six dangers inhérents au fait d'errer dans les rues à des heures inconvenables ; l’arya est lui-même non protégé et non prémuni, sa femme et ses enfants sont non protégés et non prémunis, ses biens sont non protégés et non prémunis, il est suspecté de commettre des mauvaises actions, il est sujet à des mauvaises rumeurs, il rencontre diverses difficultés.

Voici les six dangers inhérents à la fréquentation des lieux de divertissement :
L’arya recherche constamment : où sont les danseuses ? où sont les chanteuses ? où est la musique ? où sont les compteurs d’histoires ? où sont les applaudissements ? où sont les tambours ?

Voici les six dangers inhérents à la participation aux jeux : le gagnant est haï, le perdant est affligé par la perte de ses biens, la richesse se perd, les mots de l’arya ne sont pas pris au sérieux lorsqu'il s'exprime en public, il est méprisé par ses amis et ses associés, on ne le recherche pas pour le mariage, car un joueur ne peut subvenir aux besoins d’une famille.

Voici les six dangers inhérents à l'association avec de mauvais compagnons : n'importe quel joueur, n'importe quel libertin, n'importe quel ivrogne, n'importe quel escroc, n'importe quel tricheur, n'importe quel voyou deviennent son ami et compagnon.
(ibid)

Ces quatre autres formes de dissipation pourraient être décrites aujourd'hui comme le fait de traîner à toute heure dans les bars, les boîtes de nuit ou de jouer sa richesse avec des compagnons louches. Dans l'enseignement du Bouddha, celui qui mène une vie de maître de maison est certainement libre de passer du temps à se divertir. Cependant, les loisirs ne doivent pas prendre la forme d'activités dépensières et autodestructrices en compagnie de ceux qui gaspillent leur vie. Une fois de plus, le Bouddha souligne qu'il ne faut pas vivre de manière imprudente et irresponsable.

Voici les six dangers inhérents à l'addiction de l’oisiveté. L’arya ne travaille pas, prétextant : il fait trop froid, il fait trop chaud, il est trop tard dans la soirée, il est trop tôt dans la matinée, il a trop faim, il a trop mangé.
Vivant de cette manière, il y a de nombreux devoirs qu'il ne remplit pas, il n'acquiert pas de nouvelles richesses, et la richesse qu'il a acquise se réduit.
(ibid)

D'après ces commentaires, j'imagine que le Bouddha désapprouverait très probablement ceux qui n'ont d'autre ambition que de vivre aux crochets de leurs parents ou de l'assistance sociale. Contribuer à la société en exerçant une activité utile permettant de gagner sa vie fait partie intégrante de l'approche bouddhiste de la vie. Cela ne signifie pas pour autant que le Bouddha était opposé à ce que l'État (ou le dirigeant local) aide ceux qui sont réellement dans le besoin, car il recommande ailleurs que la richesse dépensée pour le bien-être du roi et du pays soit mieux utilisée en aidant les pauvres. On peut se demander ce qu'il dirait des budgets militaires exorbitants de notre époque. Il existe également plusieurs occupations qui, selon le Bouddha, ne sont pas considérées comme des moyens de subsistance corrects. Le commerce d'armes, d'alcools, de viande ou d'esclaves en font partie. De nos jours, cela signifierait probablement que toute occupation impliquée dans la destruction de l'environnement ou l'exploitation d'autrui serait également écartée. Il faut donc comprendre que le Bouddha ne recommande pas, pour éviter l'oisiveté, de s'intégrer à tout prix dans un système qui peut violer le Dharma. Néanmoins, avec de l'imagination et de la motivation, on peut toujours trouver un moyen de contribuer à la société de manière constructive et gagner sa vie ainsi que subvenir aux besoins de sa famille.

Il peut sembler étrange que le Bouddha déconseille l'oisiveté alors que le Sangha monastique lui-même ne travaillait pas et vivait des dons de ses partisans laïcs. La contradiction disparaît cependant lorsqu'on réalise que les moines et les nonnes qui suivaient le Bouddha passaient leurs journées à s'efforcer d'atteindre l’Eveil par la méditation et la maîtrise des enseignements du Bouddha. Les disciples avancés du Bouddha étaient également des enseignants et des exemples moraux pour la communauté laïque ainsi que pour les novices et les jeunes disciples. Les moines et les nonnes avaient donc pour tâche de maintenir le Dharma du Bouddha vivant et disponible pour tous. En retour, les laïcs, hommes et femmes, subvenaient à leurs besoins et attendaient d'eux qu'ils les conseillent et les guident pour échapper à la souffrance ou du moins l'atténuer.

Comme précédemment, le Bouddha insiste ensuite sur ce point en stances. Ce faisant, il montre comment les six modes de dissipation se combinent pour créer un mode de vie malsain qui conduit inévitablement à une vie de souffrance. En revanche, lorsque l'on prend la responsabilité de sa vie, un sentiment de bien-être joyeux s'ensuit.

Ainsi parla le Bhagavat. Résumant cela en stances, le Sublime dit :

Certains sont des compagnons de beuverie,
Certains disent : 'ami, ami'.
Mais celui qui reste proche dans l'adversité
Celui-là est un vrai ami.

Dormir jusqu'au lever du soleil, commettre l'adultère,
S'adonner à l'irascibilité, la futilité,
S'associer à de mauvais amis, être avare :
Ces six actions détruisent un homme.

Celui qui a de mauvais amis, de mauvais compagnons,
Qui a de mauvaises habitudes,
Se dirige vers sa ruine,
Dans ce monde et dans le suivant.

S'adonner aux jeux, à la séduction, à la danse, au chant,
Dormir pendant la journée, traîner dehors à des heures inconvenables,
S'associer à de mauvais amis, être avare,
Ces actions détruisent un homme.

Celui qui joue aux dés et boit des spiritueux,
Qui fraye avec des femmes qui sont chères à d'autres
Qui s'associe aux vauriens et non à ceux qui sont estimés,
Celui-là s'éteint comme la lune pendant sa décroissance.

Celui qui est un ivrogne, fauché, misérable,
Qui traine sa soif de bar en bar,
Sombrant dans les dettes comme une pierre dans l'eau,
Donne rapidement à sa famille une mauvaise réputation.

Celui qui a l'habitude de dormir pendant la journée,
Et perçoit le soir comme le moment de se lever,
Celui qui est perpétuellement intoxiqué,
Ne peut maintenir un foyer.

Celui qui dit qu'il fait trop chaud,
Qu'il fait trop froid, qu'il est trop tard,
Et qui gaspille ainsi son temps de travail,
Laisse passer les opportunités.

Celui qui considère la chaleur et le froid
Comme rien de plus que des brindilles,
Qui remplit vaillamment ses devoirs,
Continue d’être heureux.

(ibid)

Le Bouddha décrit ensuite à Singala le type de personnes dont il doit se méfier et le type de personnes en qui il peut avoir confiance. Il faut, bien sûr, se distancer du premier groupe, tandis qu'il faut cultiver le second. Cette section est si universelle et si ancrée dans le bon sens qu'aucun commentaire n'est nécessaire.

Ces quatre, jeune maître de maison, doivent être considérés comme des ennemis déguisés en amis :

celui qui prend
celui qui parle
celui qui flatte
celui qui apporte la ruine

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui prend peut être considéré comme un ennemi déguisé en ami :

il s'approprie la richesse de son ami,
il donne peu et demande beaucoup,
il fait son devoir par peur,
il n'offre de services que dans l'espoir de gagner quelque chose.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui parle peut être considéré comme un ennemi déguisé en ami:

il rappelle sa générosité passée,
il promet d'être généreux dans le futur,
il cherche à s'acquérir des faveurs par des paroles creuses,
lorsqu'on fait appel à lui pour rendre service, il prétexte qu'il n'est pas disponible.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui flatte peut être considéré comme un ennemi déguisé en ami :

il approuve les mauvaises actions de son ami,
il désapprouve les bonnes actions de son ami,
il en fait l'éloge en sa présence,
il le dénigre en son absence.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui apporte la ruine peut être considéré comme un ennemi déguisé en ami :

il accompagne son ami dans la prise d'intoxicants, qui conduisent à la négligence,
il l'accompagne, dans les rues à des heures inconvenables,
il l'accompagne dans les lieux de divertissement,
il l'accompagne dans les jeux (d'argent)

Ainsi parla le Bhagavat. Résumant cela en stances, le Sublime dit :

L'ami qui prend,
L'ami aux paroles creuses,
L'ami flatteur,
Et l'ami qui apporte la ruine,

Ces quatre sont des ennemis, non des amis.
Le sage le comprend
Et les maintient à distance,
Il les évite comme des chemins dangereux.

(Singala Sutta – Les quatre faux amis)

 

Ces quatre, jeune maître de maison, doivent être considérés comme amis de bon cœur :

celui qui aide,
celui qui demeure égal dans la fortune et l'adversité,
celui qui donne de bons conseils,
celui qui est compatissant.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui aide peut être considéré comme un ami de bon cœur :

il protège son ami lorsqu'il est vulnérable,
il protège aussi ses biens lorsqu'ils sont vulnérables,
il est un refuge lorsque son ami est en danger,
lorsqu'il y a un accord, il fournit le double de ce qui est requis.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui demeure égal dans la fortune et l'adversité peut être considéré comme un ami de bon cœur :

il révèle ses propres secrets,
il garde les secrets de son ami,
il n'abandonne pas son ami dans l'adversité,
il sacrifie sa vie pour son ami.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui donne de bons conseils peut être considéré comme un ami de bon cœur :

il retient son ami de mal agir,
il l'encourage à bien agir,
il l'informe de ce qu'il doit savoir,
il lui montre la voie vers le paradis.

Voici les quatre manières selon lesquelles celui qui est compatissant peut être considéré comme un ami de bon cœur :

il ne se réjouit pas de l'infortune de son ami,
il se réjouit de sa prospérité,
il retient les autres de dénigrer son ami,
il encourage ceux qui louent ses bonnes qualités.

Ainsi parla le Bhagavat. Résumant cela en stances, le Sublime dit :

L'ami qui aide,
L'ami dans le bonheur et l'infortune,
L'ami qui donne conseil,
Et l'ami compatissant ;

Ces quatre-là sont véritablement des amis,
Le sage le comprend
Et il les sert avec diligence
Comme une mère ses propres enfants.

(Singala Sutta – Les véritables amis)

En plus de conseiller Singala sur la façon de choisir son entreprise, le Bouddha lui prodigue également des conseils sur la meilleure façon de gérer ses finances personnelles. Ce conseil est intéressant en ce sens qu'il ne suggère pas que l'argent en soi est mauvais ou que l'on devrait mener un style de vie spartiate comme on pourrait le croire. Il conseille plutôt un respect approprié de l'argent et suggère une manière simple de le gérer afin de promouvoir au mieux la sécurité et le bonheur de sa famille et de la société. Comme toujours, les enseignements du Bouddha sont terre à terre et très pratiques.

Celui qui est sage et vertueux
Brille comme un feu ardent,
Récoltant les richesses comme une abeille le miel
Et les accumulant comme une fourmillière en monticule.

Ayant acquis sa richesse de cette manière,
Il maîtrise la vie de son foyer.
En divisant sa richesse en quatre parts,
Il obtient de véritables amitiés.

Il jouit de la première part,
Il en investit deux dans ses affaires,
Il conserve la quatrième
Pour les temps infortunés.

(ibid)

La section suivante est peut-être la plus intéressante dans la mesure où elle définit un système assez complet de responsabilités réciproques entre les différentes composantes de la société, à commencer par la famille, mais pas seulement. La gratitude, le respect et la responsabilité sont les clés de voûte de ce système.

Et comment, jeune maître de maison, un disciple des arya protège-t-il les six directions ? Ces six directions devraient être connues de la manière suivante : la mère et le père comme l'Est, les instructeurs comme le Sud, la femme et les enfants comme l'Ouest, les amis et les associés comme le Nord, les servants et les employés comme le Nadir, et les samanas et brahmanes comme le Zénith.
(Singala Sutta – La protection des six directions)

Une fois encore, le Bouddha revient sur l'idée que l'hommage aux esprits ou aux gardiens du monde doit être remplacé par une attitude plus attentive et positive dans les relations réelles avec les autres. Observer des rites cérémoniels ne peut se substituer à adopter une attitude réellement responsable envers autrui. On peut se demander quelle est la correspondance entre chaque direction et les différentes relations énumérées. S'agit-il simplement du hasard ? Je dirais que les associations sont basées sur les qualités traditionnellement associées à chaque direction. Ainsi, les parents sont associés à l’Est où le soleil se lève, signifiant la naissance d'une personne. La femme et les enfants sont à l'Ouest, là où le soleil se couche et la vie se termine. C'est donc la direction associée aux années de déclin, lorsque l'on doit se tourner vers ses enfants pour obtenir du soutien et espérer qu'ils poursuivront l'héritage familial après la mort. La chaleur nourricière et parfois punitive du soleil est souvent associée au Sud, c'est donc la direction des enseignants. Le Nord est plus frais et la source des rivières qui rendent la vie possible (du moins en ce qui concerne l’Inde): on associe donc ses amis et ses compagnons au Nord. Les serviteurs, les travailleurs et les aides sont ceux dont on a la charge et qui nous soutiennent : ils sont donc associés au nadir. Enfin, les brahmanes (prêtres) et les ascètes sont ceux vers lesquels on se tourne pour être guidé : ils sont donc associés au zénith. Dans un sens, on pourrait donc dire que le fait de remplir ses obligations envers tous ces groupes est en réalité une façon de rendre hommage aux directions.

Voici les cinq manières dont un fils devrait respecter sa mère et son père comme l’Est :

Puisqu'ils ont subvenu à mes besoins, je subviendrai aux leurs
Je remplirai leurs devoirs
Je conserverai les traditions familiales
Je me rendrai digne de mon héritage
Je ferai des dons en l'honneur de mes parents décédés.

Voici les cinq manières dont les parents ainsi respectés par leurs enfants comme l'Est montrent leur compassion :

ils les retiennent de mal agir
ils les encouragent à bien agir
ils les entraînent dans une profession
ils arrangent un mariage pertinent
ils leurs cèdent leur héritage au moment opportun.

De cette manière, la direction Est est protégée, apaisée et sécurisée.
(ibid)

A l'époque du Bouddha, les mariages étaient arrangés et le fils reprenait presque toujours la profession de son père. Le fils aîné héritait également de la fortune familiale. En outre, on attendait de chaque enfant qu'il prête attention à la réputation de la famille. Dans le monde d'aujourd'hui, ce n'est généralement pas le cas. Cependant, il semble que même à notre époque, il serait bénéfique que les enfants se souviennent qu'ils ne sont pas seulement responsables d'eux-mêmes. En un sens, chaque enfant devrait se rappeler qu'il est lui aussi responsable de la réputation de la famille, et devrait donc vivre avec fierté et dignité. Quant aux parents, s'ils ne participent plus au choix du conjoint de leurs enfants et ne sont peut-être plus en mesure de transmettre l'entreprise familiale, ils peuvent néanmoins faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s'assurer que leurs enfants reçoivent une bonne éducation et se voient inculquer les valeurs et le bon jugement qui leur permettront de prendre les bonnes décisions en matière de famille et de carrière lorsqu'ils seront en âge de le faire.

Voici les cinq manières dont un élève devrait respecter son instructeur comme le Sud :

en se levant pour le saluer,
en assistant régulièrement aux leçons,
en ayant la volonté d'apprendre,
en servant dûment son instructeur,
en générant une attention respectueuse lorsqu'il reçoit des instructions.

Voici les cinq manières dont un instructeur ainsi respecté par son élève comme le Sud montre sa compassion :

il l’entraine dans la meilleure discipline,
ils s'assurent que les enseignements sont bien saisis,
ils les instruisent dans toutes les branches de la connaissance,
ils les introduisent à leurs amis et leurs associés,
ils leur procurent sécurité dans toutes les directions.

De cette manière, la direction Sud est protégée, apaisée et sécurisée.
(ibid)

L'éducation à l'époque du Bouddha était bien différente du système éducatif public et privé de notre époque. Cependant, l'idée du processus éducatif comme étant celui du respect et de l'attention de la part de l'étudiant et de la responsabilité et de la sollicitude de la part de l'enseignant reste essentielle. Il est regrettable que le désespoir et l'insensibilité soient plus représentatifs de l'éducation moderne que la responsabilité mutuelle que propose le Bouddha.

Voici les cinq manières dont un mari devrait respecter sa femme comme l’Ouest :

en étant courtois,
en ne la méprisant pas,
en ayant foi en elle,
en lui cédant son autorité,
en lui faisant des offrandes

Voici les cinq manières dont une femme ainsi respectée par son mari comme l'Ouest montre sa compassion :

elle est bien organisée,
elle accueille avec bienveillance la belle-famille et les servants,
elle a la foi,
elle sauvegarde les biens du foyer,
elle est habile et diligente dans tous ses travaux.

De cette manière, la direction Ouest est protégée, apaisée et sécurisée.
(ibid)

Cela décrit, bien sûr, le partage des responsabilités entre un mari qui travaille et une femme au foyer. De nos jours, les deux conjoints peuvent travailler et la plupart des gens n’ont pas de domestiques. Néanmoins, l'idée que la vie conjugale exige partage, respect mutuel et fidélité n'est pas trop éloignée de la réalité. Cela vaut également pour d'autres formes de partenariat. Il convient toutefois d'ajouter l'idée que le mariage exige un engagement et un travail acharné. À l'époque du Bouddha, le mariage était arrangé et n'avait rien à voir avec la romance ou l'amour. Il s'agissait le plus souvent d'une transaction commerciale et personne ne s’attendait à ce que le mariage ne permette de vivre heureux pour toujours. De nos jours cependant, les mariages d'amour sont la règle et les couples s'attendent à ce que l'euphorie émotionnelle leur permette de surmonter toutes les difficultés. Mais dès que les réalités de la vie conjugale apparaissent, les couples modernes pensent souvent qu'ils ont commis une erreur et abandonnent, plutôt que de faire l'effort d'arranger les choses, cela même si des enfants sont impliqués. Si le Bouddha donnait ses conseils aujourd'hui, je suis sûr qu'il soulignerait que le mariage est une vocation et non un conte de fées. Le véritable amour engagé est quelque chose qui se cultive par l'attention et l'engagement mutuels, ce n'est pas un acquis que l'on peut considérer comme allant de soi. Dans le bouddhisme, la passion aveugle conduit toujours à la souffrance, mais la pleine conscience, l'effort juste et la culture de l'amour bienveillant sont les bases du bonheur et de la paix véritables. C'est aussi vrai dans le mariage que dans toute autre chose.

Voici les cinq manières dont un homme devrait respecter ses amis et associés comme le Nord :

en étant généreux,
en parlant avec bienveillance,
en agissant pour leur bien-être,
en étant impartial,
en étant sincère.

Voici les cinq manières dont les amis et associés ainsi respectés par un homme comme le Nord montrent leur compassion :

ils le protègent lorsqu'il est vulnérable,
ils protègent ses biens lorsqu'ils sont vulnérables,
ils lui offrent refuge lorsqu'il est en danger,
ils ne l'abandonnent pas dans l'infortune,
ils font preuve de considération envers sa famille.

De cette manière, la direction Nord est protégée, apaisée et sécurisée.
(ibid)

Cela ne nécessite aucun commentaire. Il est toutefois intéressant de noter que le Bouddha étend la véritable amitié au fait de prendre soin des enfants et de protéger la propriété d’autrui.

Voici les cinq manières dont un maître de maison devrait respecter ses serviteurs et employés comme le Nadir :

en leur attribuant des travaux convenant à leurs aptitudes,
en leur fournissant un salaire et de la nourriture,
en s'occupant d'eux lorsqu'ils sont malades,
en partageant avec eux les extras occasionnels,
en leur accordant du temps libre.

Voici les cinq manières dont les serviteurs et employés ainsi respectés par un maître de maison comme le Nadir montrent leur compassion :

ils se lèvent avant lui lorsque c'est nécessaire,
ils se couchent après lui lorsque c'est nécessaire,
ils ne prennent que ce qui a été donné,
ils remplissent leurs devoirs convenablement,
ils amplifient sa bonne réputation.

De cette manière, la direction Nadir est protégée, apaisée et sécurisée.
(ibid)

Ce passage semble faire référence aux serviteurs et aux employés qui travaillent pour le maître de maison. C'est rarement le cas aujourd'hui, mais le style de gestion décrit par le Bouddha est toujours valable : prenez soin de vos employés et ils prendront soin de vous. Les conseils du Bouddha aux employés sont tout aussi simples et judicieux : soyez fiers de votre travail. Bien entendu, rien de tout cela ne traite des problèmes des syndicats, des actionnaires, des politiques d'entreprise et des autres complications du capitalisme. Il s'agit là d'un sujet qu'il vaut mieux aborder ailleurs, puisque le Bouddha ne se préoccupe que des valeurs qui régissent la vie de l'individu.

Voici les cinq manières dont un maître de maison devrait respecter les samanas et brahmanes comme le Zénith :

par des actions aimables,
par des paroles aimables,
par des pensées aimables,
en gardant sa porte ouverte pour eux,
en pourvoyant à leurs besoins matériels.

Voici les six manières dont les samanas et brahmanes ainsi respectés par un maître de maison comme le Zénith montrent leur compassion :

ils le retiennent de mal agir,
ils le persuadent de bien agir,
ils ont des pensées compatissantes,
ils lui disent ce qu'il doit entendre,
ils clarifient ce qu'il sait déjà,
ils montrent le chemin du paradis.

De cette manière, la direction Zénith est protégée, apaisée et sécurisée.
(ibid)

Nous en arrivons ici à la relation idéale entre un laïc et le clergé. Il est intéressant que le Bouddha parle ainsi des brahmanes et des ascètes avec lesquels il était pourtant en désaccord. Il semble cependant qu'il reconnaissait leur rôle dans la discipline morale et la promesse de récompenses célestes aux gens du peuple qui n'étaient pas encore prêts à recevoir les enseignements et la formation spécifiques du Bouddha. En fait, le Bouddha semblait toujours supposer que l'on avait déjà appris les enseignements de base concernant le karma et les royaumes de transmigration auprès des brahmanes lorsqu'il enseignait ces concepts aux autres. Lorsqu'il rencontrait des individus qui ne connaissaient pas ou ne croyaient pas à la loi de causalité et aux différents domaines de transmigration, il s’en rattrapait en leur en parlant afin de les préparer à des enseignements plus profonds. Le Bouddha est donc peut-être allé au-delà des enseignements brahmaniques, sans pour autant nié la valeur de leurs enseignements sur la morale ni leur modèle de base sur la cosmologie.

Ainsi parla le Bhagavat. Résumant cela en stances, le Sublime dit :

La mère et le père comme l'Est,
Les instructeurs comme le Sud,
La femme et les enfants comme l'Ouest,
Les amis et associés comme le Nord,

Les serviteurs et employés comme le Nadir,
Les samanas et brahmanes comme le Zénith ;
Celui qui maîtrise la vie de son foyer
Doit ainsi saluer les six directions.

Celui qui est sage et vertueux,
Qui est doux et à l'esprit diligent,
Qui est humble et serviable,
Celui-là connaîtra la gloire.

Celui qui est énergétique et sans paresse,
Qui reste inébranlable devant l'infortune,
Qui est parfait en conduite et intelligent,
Celui-là connaîtra la gloire.

Celui qui est hospitalier et amical,
Qui est accessible et sans avarice,
Un chef, un instructeur, un diplomate,
Celui-là connaîtra la gloire.

Généreux et paroles aimables,
Serviable envers autrui,
Impartial envers tous,
Ces qualités sont toujours pertinentes.

Ces aimables dispositions font tourner le monde,
Comme l'essieu d'un char en mouvement.
Si ces dispositions n'existaient pas dans le monde,
Ni père ni mère ne recevraient
Respect et honneur de la part de leurs enfants.

Comme le sage sonde
Ces aimables dispositions,
Il parvient à la grandeur
Et il est l'objet de louanges.

Une fois de plus, le Bouddha rassemble tous ses conseils en stances dans une belle description du maître de maison idéal qui fait honneur à la famille et crée une vie de paix et de bonheur pour lui-même et pour les autres. Ces valeurs, ainsi que les quatre vertus infinies de l'amour bienveillant, de la compassion, de la joie partagée et de l'équanimité, dont il est question ailleurs, pourraient être appelées les valeurs familiales du bouddhisme.