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La doctrine du non-soi : anatta
Walpola Rahula - Mai 2001


"Alors, le Bouddha, plein de compassion et de sentiments humains parla avec bonté à son disciple dévoué et bien aimé : "Ananda, qu’attend de moi l’Ordre du Sangha ? J’ai enseigné le Dhamma (la Vérité) sans faire aucune distinction comme l’ésotérique et l’exo-térique. En ce qui concerne les Vérités, le Tathagata n’a rien de semblable au ‘poing fermé du maître’ (acariya mutthi ). Certainement, Ananda, si quelqu’un pense pouvoir diriger le Sangha et que le Sangha puisse dépendre de lui, qu’il donne ses instructions. Mais le Tathagata n’a pas de telle pensée. Pourquoi alors laisserait-il des instructions concernant le Sangha ? Ananda, je suis vieux maintenant, j’ai quatre-vingts ans. De même qu’un chariot usagé a besoin de réparations pour servir encore, de même, il me semble, le corps du Tathagata a besoin de réparations pour servir encore. Donc Ananda, demeurez en faisant de vous-même votre île (votre soutien), faisant de vous-même, et de personne d’autre, votre refuge : faisant du Dhamma votre île (votre soutien), du Dhamma votre refuge, et de rien d’autre ".

Ce que le Bouddha désirait exprimer à Ananda est parfaitement clair. Ananda était triste et déprimé. Il pensait qu’ils allaient se trouver seuls, sans aide, sans refuge, sans chef, après la mort du grand Maître. Aussi le Bouddha lui apporte consolation, courage et confiance, lui disant qu’ils auraient à dépendre d’eux-mêmes et du Dhamma qu’il avait enseigné, et de personne d’autre, ni de rien d’autre. Ici la question d’un atman ou d’un soi métaphysique est absolument hors de propos. Et de plus, le Bouddha explique à Ananda comment on peut être sa propre île ou refuge et c’est par la culture de l’attention à l’égard du corps, des sensations, de l’esprit et des objects mentaux (les quatre satipatthana) . Ici encore il n’y a aucun mot relatif à un atman ou à un soi.

Il y a encore un autre exemple utilisé par ceux qui tentent de trouver un atman dans l’enseignement du Bouddha. Une fois, le Bouddha était assis sous un arbre dans une forêt sur la route de Bénarès Uruvela. Ce jour-là, trente amis, tous jeunes princes, allèrent faire une sorte de pique-nique avec leur jeunes femmes dans cette même forêt. L’un d’eux qui n’était pas marié avait amené une prostituée avec lui. Mais pendant qu’ils se distrayaient elle déroba des objects de valeur et disparut. Tandis qu’ils la recherchaient dans la forêt, ils virent le Bouddha assis sous un arbre et lui demandèrent s’il n’avait pas vu une femme. Le Boudhha leur demanda pourquoi. Ils lui racontèrent l’incident. Alors le Bouddha les interrogea : " Que pensez -vous, jeunes gens, lequel est le meilleur pour vous, chercher une femme ou vous chercher vous-mêmes ? " Ici encore c’est une question simple et naturelle, et il n’y a aucune raison d’introduire dans l’affaire l’idée lointaine d’atman ou de soi métaphysique. Ils répondirent qu’il valait mieux pour eux se chercher eux-mêmes. Alors le Bouddha leur demanda de s’asseoir autour de lui et il leur exposa le Dhamma. D’après le récit de ce qu’il leur prêcha et qu’on trouve dans le texte original, pas un mot n’est mentionné au sujet de l’atman.

On a beaucoup écrit, discuté sur le sujet du silence du Bouddha alors qu’un certain Parivrajaka (Errant), nommé Vacchagotta lui demandait s’il avait un atman ou non.

Voici l’histoire

Vacchagotta vint auprès du Bouddha et lui demanda : " Vénérable Gotama, y a-t-il un atman ? " Le Bouddha reste silencieux. " Alors Vérérable Gotama, il n’y a pas d’atman ? " Le Bouddha reste également silencieux. Vacchagotta se lève alors et s’en va. Après le départ du parivrajaka, Ananda demanda au Bouddha pourquoi il n’avait pas répondu à la question de Vacchagotta. Le bouddha expliqua sa position : " Ananda, quand Vacchagotta l’errant m’a posé la question : Vénérable Gotama, y a-t-il un Soi ?, si j’avais répondu : Il y a un Soi, alors Ananda, cela aurait été se ranger du côté de ces reclus et brahmana qui soutiennent la théorie éternaliste (sassatavada). " Et Ananda, quand Vacchagotta l’errant m’a posé la question : Vénérable Gotama, il n’y a pas de Soi, si j’avais répondu : il n’y a pas de Soi, alors Ananda, cela aurait été se ranger du côté de ces reclus et brahmana qui soutiennent la théorie annihiliste (ucchedavada) " Et encore Ananda, quand Vacchagotta l’errant m’a posé la question : Vénérable Gotama, y a-t-il un Soi ?, si j’avais répondu : il y a un Soi, alors Ananda cela aurait-il été en accord avec ma connaissance que tous les Dhamma sont sans Soi ? Certainement pas, Seigneur. Et encore Ananda, quand Vacchagotta l’errant m’a posé la question : Vénérable Gotama, n’y a-t-il pas de Soi, si j’avais répondu : il n’y a pas de Soi, alors Ananda, cela aurait été pour Vacchagotta l’errant une plus grande confusion encore, lui qui est déjà confus ; car il aurait pensé : antérieurement j’avais en effet un atman, mais maintenant je n’en ai plus. "

La raison pour laquelle le Bouddha est resté silencieux devrait être mainteant parfaitement claire. Mais cela sera plus clair encore, si nous prenons en considération tout l’arrière plan et la façon dont le Bouddha traitait les questions et les interrogateurs ces deux choses étant ignorées de ceux qui ont discuté ce problème. Le Bouddha n’était pas une machine à répondre, ne donnant sans aucune considèration les réponses quelles que soient les questions posées et quel que soit celui qui les posait. Il était un instructeur pratique, plein de compassion et de sagesse. Il ne répondait pas aux questions pour montrer son intelligence et sa connaissance mais pour aider celui qui le questionnait dans la voie de la réalisation. Il parlait toujours aux gens en ayant à l’esprit leur niveau de développement, leur tendances, leur tournures d’esprit, leurs caractères, leur aptitudes à comprendre un sujet particulier.

D’après le Bouddha, il y a quatre façons de traiter les questions :

1. à certaines on doit répondre directement ;

2. à d’autres on doit répondre de façon à les analyser ;

3. à d’autres encore on doit répondre par des contre-questions ;

4. et enfin il y a des questions qu’on doit laisser de côté.

Il peut y avoir plusieurs façons de laisse de côté une question. L’une est de dire qu’une question particulière n’a pas de réponse ou d’explication, comme fit le Bouddha à l’égard de ce même Vacchagotta à plus d’une occasion quand ces célèbres questions de savoir si l’Univers était éternel ou non, etc... lui furent posées. C’est de la même façon qu’il répondit à Malunkyaputta et à d’autres. Mais il ne pouvait pas agir ainsi en ce qui concerne la question de savoir s’il y avait un atman (soi) ou non, parce qu’il l’avait tourjours discutée et expliquée. Il ne pouvait pas dire : " Il y a un Soi " parce que cela était contraire à sa connaissance que " tous les Dhamma sont sans Soi " et il ne voulait pas dire " il n’y a pas de Soi " parce que cela aurait, sans nécessité et sans raison, rendu plus confus et plus troublé le malheureux Vacchagotta qui était déjà troublé par une question semblable comme il l’avait avoué antérieurement et n’était pas encore en mesure de compredre l’idée d'anatta. Donc, laisser de côté cette question en restant silencieux était le moyen le plus sage d’agir dans ce cas particulier. Il ne faut pas oublier non plus que le Bouddha connaissait déjà Vacchagotta depuis longtemps. Ce n’était pas la première fois que cet Errant interrogateur venait le voir. Le Maître sage et plein de compassion pensait souvent à ce chercheur confus et lui montrait sa considération. Il y a de nombreuses références dans les textes palis à ce même Vacchagotta l’Errant et au fait qu’il se rendait souvent auprès du Bouddha et de ses disciples et leur posait encore et encore les mêmes sortes de questions qui le tourmentaient et l’obsédaient. Le silence du Bouddha semble avoir eu plus d’effet sur Vacchagotta que toute autre discussion ou réponse éloquente.

Certains prennent le Soi pour ce qui est généralement appelé "esprit"ou "conscience". Mais le Bouddha dit qu’il vaut mieux qu’un homme considère son corps physique comme "Soi" plutôt que l’esprit, la pensée ou la conscience, parce que le premier semble plus solide que ceux-ci, parce que l’esprit, la pensée ou la conscience (citta, mano, vinnana) changent constamment jour et nuit plus rapidement que le corps (kaya) C’est la vague sensation d’un "JE SUIS" qui crée cette idée de soi qui n’a aucune réalité correspondante, et voir cette vérité, c’est réaliser le Nirvana ce qui n’est pas facile !

Il y a dans Samyutta-nikaya une conversation lumineuse sur ce point entre un bhikkhu nommé Khemaka et un groupe de bhikkhu. Ces moines demandent à Khemaka si dans les cinq agrégats* il voit un soi ou quelque chose appartenantà un Soi. Khemaka répond "non". Alors les bhikkhu disent que s’il en est ainsi, c’est qu’il doit être un arahant libéré de toute impureté. Mais Khemaka confesse que bien qu’il ne trouve pas dans les cinq agrégats, un Soi ou quelque chose appartenant à un Soi ; "je ne suis pas un arahant libéré de toute impureté. Amis, en rapport avec les cinq agrégats d’attachement, j’ai la sensation : "JE SUIS", mais je ne vois pas clairement : "ceci est JE SUIS." Puis Khemaka explique que ce qu’il appelle "JE SUIS" n’est ni matière, ni sensation, ni perception, ni formations mentales, ni conscience, ni quelque chose en dehors d’eux. Mais il a sensation : "JE SUIS" en rapport avec les cinq agrégats d’attachement bien qu’il ne puisse voir clairement "ceci est JE SUIS". Il dit que c’est comme l’odeur d’une fleur qui n’est ni l’odeur de pétales, ni celle de la couleur, ni celle du pollen, mais l’odeur de la fleur. De plus, Khemaka explique que même une personne qui a atteint les premières étapes de réalisation conserve encore cette sensation de "JE SUIS". Mais plus tard, quand elle a encore progressé cette sensation de "JE SUIS" disparaît elle aussi de même que l’odeur chimique d’une étoffe fraîchement lavée disparaît après un certain temps quand elle a été rangée dans un coffre.

Cette discussion fut si utile et si lumineuse pour eux, qu’à la fin de celle-ci, dit le texte, tous y compris Khemaka lui-même, devinrent des arahant libérés de toute impureté, s’étant ainsi finalement débarrassés de "JE SUIS". D’après l’enseignement du Bouddha, il est aussi mauvais de soutenir l’opinion "je n’ai pas de soi" (qui est la théorie annihiliste) que de soutenir l’opion "j’ai un soi" (qui est la théorie éternaliste) parce que toutes les deux sont des liens, toutes les deux se levant de la fausse idée "JE SUIS". La position correcte à l’égard de la question d’anatta est non pas de soutenir telle ou telle vue ou opinion, mais d’essayer de voir les choses objectivement, telles qu’elles sont, sans projections mentales, de voir que ce que l’on appelle "Je" ou "Etre" est seulement une combinaison d’agrégats physique et mentaux qui agissent ensemble d’une façon interdépendante dans un flux de changement momentané, soumis à la loi de cause et effet, et qu’il n’y a rien de permanent, d’éternel et sans changement dans la totalité de l’existence universelle.

Ici une question se pose naturellement : s’il n’y a pas d’atman, ou soi, qui reçoit le résultat du karma (des actions) ? Personne ne peut répondre à cette question mieux que le Bouddha lui-même. Lorsqu’un bhikkhu lui pose cette question, le Bouddha dit : "je vous ai enseigné, ô bhikkhu, à voir la conditionnalité partout et en toute chose". L’enseignement du Bouddha sur anatta, non-âme ou non-Soi ne doit pas être considéré comme négatif ou nihiliste. De même que le Nirvana, il est Vérité et Réalité ; et la Réalité ne peut pas être négative. C’est la fausse croyance en un Soi imaginaire, non existant, qui est négative. L’enseignement d’Anatta dissipe, l’obscurité des fausses croyances et produit la lumière de la Sagesse. Il n’est pas négatif. Comme Asabga le dit très justement : " Il y a le fait qu’il n’ya pas de Soi (nairatmyastita)"

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