Ryusho Jeffus

Un regard sur la mort et les derniers instants

     
 


Ce qui suit n’a pas la prétention d’être une œuvre doctrinale. Ce n’est rien d’autre que mon regard personnel sur la mort. On me pose des questions sur ce sujet probablement plus souvent que sur tout autre. Je prends donc le temps de résumer ici quelques unes de mes réponses.

Beaucoup de personnes, même bouddhistes, voient la vie comme la continuation d’une vie précédente isolée et spécifique. Or le bouddhisme enseigne la non-existence d’une âme ou d’un moi permanent. Mon expérience avec les mourants montre que c’est justement cela qui effraie le plus dans la mort.

L’idée qu’une vie, cette vie, est tout ce que nous avons est, certes, assez troublante. Nous aimerions croire que nous sommes tellement uniques que nous allons le rester pour l’éternité. Le Bouddha nous enseigne que dans les douze liens causaux* c’est le chainon le plus difficile à briser. Cet attachement au moi est ce qui cause la souffrance et induit la renaissance. Sans entrer dans le détail des différente stades de la production conditionnée il suffit de dire qu’ils sont produits par nos désirs, l’attachement à notre moi individuel, notre self.

Mais revenons à la idée de la vie et de la mort, car après tout, c’est surtout de cela que je vœux parler. S’il n’y a pas d’âme ou de self permanent, qu’en est-il donc ? D’où venons-nous, où allons-nous, existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? Ce sont les grandes questions que les hommes dans la recherche de spiritualité se posent à un moment ou un autre. 

Je pense à un livre remarquable de Raymond Martin et John Barresi que j’ai eu entre les mains il y a quelques années : Élévation et chute de l’âme et du self – Histoire intellectuelle de l’identité personnelle (The Rise and Fall of Soul and Self : An Intellectual History of Personal Identity). Les auteurs y exposent le développement, dans la pensée chrétienne à travers les âges, de l’idée d’identité personnelle en général et du concept d’âme, en partant de l’époque préchrétienne jusqu’à nos jours. Il s’agit non pas d’une critique de quelques processus mais de la présentation d’un continuum dans l’évolution d’un concept.

Je trouve fascinant d’avoir à examiner une religion autrement que d’un point de vue statique, indépendant de toute histoire précédente, comme si notre façon de penser les choses était celle qu’avaient les gens avant nous. Je suppose que je n’ai pas besoin de vous dire qu’une majorité pratique la religion précisément comme si elle était immuable.

Se penchant sur le développement de la pensée chrétienne, les érudits se sont heurtés très tôt au concept de l’âme et de l’identité personnelle. Au départ, il y avait la notion que nous n’existons pas en tant qu’entités fixes constituées d’un moi unique. Puis, l’idée de résurrection entraina la question de savoir qu’est-ce qui ressuscitait exactement. Était-ce la personne dans la force de l’âge, ou celle en fin de vie ou encore la personne éternellement jeune, sans une seule ride ? Il était admis que le corps se décompose et sert alors d’aliment aux plantes et aux animaux qui à leur tour nourrissent les hommes. Ainsi, les molécules que je consomme et qui ont appartenu à un moment donné à un autre être restent-elles en moi lors de la résurrection ou retournent-elles à l’être précédent ? Je pense que ces questions préoccupent peu les chrétiens d’aujourd’hui car les érudits ont « résolu » le problème, ou du moins ont-ils trouvé une explication.

J’en parle ici car le bouddhisme connait également ce type de questionnement. Pour nous, la réponse est qu’il n’existe rien qui ait une existence indépendante : tout est dans tout.

Pour expliquer le concept bouddhiste de la vie/mort et de l’identité personnelle on se sert souvent de la comparaison avec les vagues qui agitent la surface de l’eau. Elles surviennent à la suite de différentes causes et conditions, entre autres en fonction de la topographie des fonds aquatiques. Pour faire simple, je vais prendre pour exemple l’océan mais vous pouvez constater le même phénomène avec n’importe quelle pièce d’eau. Le fond de l’océan détermine ce que seront les vagues. Tout comme la température, surtout dans des étendues d’eau importantes ; pensons au phénomène d’El Niñio. La lune exerce également une forte influence et, bien sûr, les conditions atmosphériques à la surface de l’eau, la force du vent, etc. Même les événements distants, comme lors de tsunamis, jouent un rôle.

L’aspect et le type de vague dépend donc de pas mal de facteurs. La durée de vie d’une vague varie également en fonction de ces facteurs. De quoi se compose la vague, de quoi est faite son existence ? Elle contient de l’eau dont elle est « née ». A plus d’un titre, il n’y a aucune différence entre l’eau de l’océan et l’eau de la vague. Il en est de même pour nos vies. La seule chose qui nous fait nous ressentir comme uniques et séparés est notre karma, ce qui nous distingue les uns des autres. Mais nous sommes tous une parcelle de l’énergie vitale cosmique.  

Lorsqu’une vague meurt où va-t-elle jusqu’à sa nouvelle naissance ? Elle retourne dans l’océan d’où elle vient. Lorsqu’une nouvelle vague se forme au même endroit quels en sont les constituants ? Elle ne contient rien qui ne fasse pas partie de l’océan.  

Les souffrances viennent de ce que l’on se cramponne à l’idée d’une entité permanente, à l’identité personnelle qui perdure dans un continuum. La question est alors « à quoi cela sert d’être quelqu’un de bien s’il n’y a pas d’identité personnelle ? Pourquoi ne pas vivre uniquement selon son bon plaisir ?»

Ma réponse à moi est qu’une goute de poison contamine beaucoup d’eau et il qu’il suffit d’un peu de clore pour en désinfecter un grand volume. Je voudrais bien renaitre dans une eau propre. Et vous ?

Bien sûr, il n’est pas facile de se défaire de ses anciennes croyances. Cela ne veut pas dire que ce soit impossible. Je ne pense pas qu’un croyant puisse affronter la mort sans un sérieux questionnement intérieur. Beaucoup de personnes simplifient cette question et conjurent leur peur en misant sur l’existence de l’âme et de l’identité personnelle. Pour elles, ne pas admettre le concept de l’âme est un manque de foi. Alors que pour moi, considérer le questionnement intérieur comme un manque de foi peut être préjudiciable car ainsi on évite de confronter sa peur avec l’inconnu. On aimerait tous pouvoir croire en quelque chose de tangible mais face à la mort, trop souvent on ne trouve rien, à part la parole des autres.

 Je simplifie, peut-être, mais il me semble que lorsque les gens ont trouvé assez de confirmations pour ce qui peut être prouvé, alors il leur est plus facile de croire ce qui n’a pas de preuves. Je pense ici à des croyants qui voient autour d’eux des preuves de l’existence de Dieu dans sa gloire et son mystère. Il se peut que cette preuve aille à l’encontre de la science mais elle est pour le croyant « spirituellement scientifique », si j’ose dire. Parce qu’une personne a vu dans sa vie des preuves de sa croyance elle accepte ce qui ne peut pas être prouvé et même ce que récuse la majorité.

En tant que bouddhiste, je vois autour de moi une quantité infinie d’exemples qui me confortent dans ma croyance.  Ces « preuves » étayent ma confiance dans les affirmations qui ne peuvent pas être prouvées. Je ne peux pas prouver aux autres ce que le bouddhisme pense de la mort et de l’atemporalité de la vie, mais je pense pouvoir démontrer avec suffisamment d’exemples la rationalité de ce à quoi je crois.

Cela ne veut pas dire que l’autre va accepter ma croyance mais il pourra s’approcher de la porte par laquelle je suis passé. L’autre soir, je parlais avec quelqu’un qui a avoué ne pas être certain quel était le point de vue correct, celui d’un paradis ou celui des renaissances. Il me semble que ce n’est pas vraiment la question que nous devons nous poser. La seule vraie question est de savoir ce que moi je fais – ou ce que nous faisons – en ce moment pour vivre cette vie qui nous a échu. Ce que nous vivons maintenant prépare ce que nous allons vivre dans l’avenir. Je crois sincèrement que si nous agissons du mieux que nous pouvons, cela se répercutera dans les moments suivants. Je ne m’attends pas à ce que tout le monde adhère à mon propos sans prétention. Il se peut que je me trompe, mais il me semble que pour un croyant la meilleure façon de se préparer à la mort est de vivre pleinement, en accord avec ses croyances religieuses. Se préparer à la mort ne signifie pas abandonner la vie mais au contraire vivre pleinement. Pour les bouddhistes en tous cas, se préparer à la mort c’est vivre ici et maintenant.

Je ne peux pas expliquer par des mots ni communiquer la grande joie que je ressens du simple fait de vivre et, un jour, de passer en disparition. J’espère avoir jeté quelque lumière sur ce qui fonde ma philosophie de la vie et ma croyance et comment cela se traduit dans la vie quotidienne.

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