La protection de Bonten et de Taishaku

(L'oeuvre de Brahma et de Shakra)

Lettres et traités de Nichiren Daishonin. ACEP - vol. 3, p. 248; SG* p. 804.
Gosho Zenshu p. 1537 - Ueno dono gohenji (Bontai Onhakarai no koto)

Mont Minobu, 15 mai 1277 à Nanjo Tokimitsu

 

J'ai bien reçu, le quatorzième jour du cinquième mois, les taro que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Etant donné le temps qu'il faut pour les récolter, de nos jours les taro sont aussi précieux que des joyaux ou un remède. J'ai bien compris ce que vous me disiez [dans votre lettre et ferai ce que vous me demandez].

Il y eut autrefois en Chine un homme appelé Yin Zi-Fu qui avait un fils unique du nom de Bo-Qi. Le père était sage et son fils l'était aussi. Il n'y avait pas la moindre raison de discorde entre eux. Pourtant, la belle-mère médisait souvent de Bo-Qi auprès de son mari. Mais ni le père ni le fils n'en tenaient compte. Inlassablement, elle continua à intriguer contre son beau-fils. Par exemple, un jour, elle fit croire qu'elle avait une guêpe sous sa blouse. Elle courut vers Bo-Qi en lui demandant de chasser l'insecte, en s'étant assurée au préalable que de loin son mari pourrait voir la scène. Après quoi, elle prétendit qu'il lui avait fait des avances. C'est ainsi qu'elle tenta de le faire exécuter.

Le roi Bimbisara était un roi sage et le plus grand bienfaiteur du Bouddha sur tout le continent de Jambudvipa. De plus, il régnait sur le royaume du Magadha, État dans lequel le Bouddha avait l'intention d'enseigner le Sutra du Lotus. Puisque ce roi et le Bouddha étaient ainsi en accord, il semblait certain que le Sutra du Lotus serait exposé dans le royaume du Magadha. Un homme, nommé Devadatta, s'efforça par tous les moyens de rendre cela impossible, mais il n'y parvint pas. Après avoir longuement réfléchi, au bout de plusieurs années d'efforts, il gagna la confiance du fils du roi Bimbisara, le prince héritier Ajatashatru, et, petit à petit, réussit à l'abuser. Il s'ingénia à créer un conflit entre le père et le fils et persuada le prince Ajatashatru de tuer son père, le roi Bimbisara.

Dès qu'Ajatashatru, devenu roi, et Devadatta, pleinement d'accord, se furent alliés, les brahmanistes et les malfaiteurs des cinq régions de l'Inde accoururent en foule comme des nuages ou des brouillards. Ajatashatru les flatta et se les attacha en leur distribuant domaines et trésors. Voilà comment le roi de cet État devint l'ennemi juré du Bouddha.

[Voyant cela, ] le Roi-Démon du sixième Ciel, qui réside au sommet du monde du désir, en descendit avec ses innombrables courtisans et ces démons pénétrèrent le corps de Devadatta, du roi Ajatashatru et des six ministres (note) du royaume de Magadha. Ainsi, bien que conservant l'apparence d'êtres humains, ces derniers n'étaient plus que des manifestations du pouvoir du Démon du sixième Ciel. Ils étaient plus bruyants, plus effroyables et plus inquiétants qu'un grand vent arrachant les plantes et les arbres, qu'un ouragan creusant des gouffres dans l'océan, qu'un grave séisme secouant la terre, ou qu'un gigantesque incendie avalant l'une après l'autre toutes les maisons.

Un roi du nom de Virudhaka, poussé par le roi Ajatashatru, fit passer par l'épée des centaines de personnes appartenant au clan du Bouddha Shakyamuni. Le roi Ajatashatru lâcha sur de nombreux disciples du Bouddha un troupeau d'éléphants ivres pour qu'ils les piétinent et les tuent. Il en fit tuer aussi beaucoup d'autres en postant des soldats en embuscade le long des routes, en souillant l'eau des puits avec des excréments, et en persuadant des femmes de porter contre eux des accusations fausses. Shariputra et Maudgalyayana subirent de graves persécutions (note). Kalodayin fut enseveli sous du crottin de cheval. Le Bouddha fut contraint de survivre pendant 90 jours, tout un été, en mangeant du fourrage pour chevaux. Il s'agit de l'une des neuf grandes épreuves du Bouddha.

Les gens commençaient à penser que même le pouvoir du Bouddha ne parviendrait pas à vaincre ces personnes mauvaises. Ainsi, même ceux qui croyaient au Bouddha se sont tus, fermant les yeux pour ne pas voir. Ils sont restés les bras croisés, muets et désorientés. Finalement, Devadatta roua de coups, jusqu'à ce que mort s'ensuive, la nonne Utpalavarna, belle-mère (note) de Shakyamuni, et il fit ensuite couler le sang du Bouddha. Après cela, qui aurait encore voulu rester l'allié du Bouddha ?

Et pourtant, le Bouddha continua à enseigner le Sutra du Lotus. On lit, dans un passage de ce Sutra : "Puisque haine et jalousie [envers ceux qui pratiquent ce Sutra] abondent déjà du vivant du Bouddha, ne seront-elles pas pires encore après son trépas  ? "(réf.) Ce passage signifie que, même du vivant du Bouddha, ce Sutra provoqua une violente hostilité. A plus forte raison, à l'époque des Derniers jours du Dharma [il faut s'attendre à ce que] les ennemis de ce Sutra tourmentent sans cesse ceux qui croient et enseignent ne serait-ce qu'un mot ou même un seul signe de ponctuation du Sutra du Lotus.

A la lumière de ce passage, il semble évident que, pendant les plus de 2.220 ans écoulés depuis que le Bouddha enseigna le Sutra du Lotus, personne jusqu'à ce jour n'a vécu le Sutra du Lotus comme le Bouddha l'a vécu lui-même. C'est seulement lorsqu'une personne a affronté de grandes épreuves que l'on peut estimer qu'elle a maîtrisé le Sutra du Lotus. On pourrait croire que les Grands-Maîtres Zhiyi* et Saicho* ont été des pratiquants du Sutra du Lotus, mais ils n'ont pas subi des persécutions aussi sévères que le Bouddha de son vivant. Ils n'ont rencontré que de petites oppositions, [Zhiyi*] de la part des trois écoles du Sud et des sept écoles du Nord, et [Saicho*] de la part des sept temples principaux de Nara. Ni l'un ni l'autre n'ont subi l'hostilité du gouvernement, n'ont été attaqués par des gens du peuple à coups de sabre ou calomniés par le pays entier. [D'après le Sutra du Lotus] ceux qui croient au Sutra du Lotus après la disparition du Bouddha connaîtront des persécutions plus grandes encore que celles que le Bouddha a subies de son vivant. Pourtant personne [ni Zhiyi* ni Saicho*] n'a connu de persécutions comparables et, moins encore, des persécutions plus graves ou plus nombreuses.

Quand le tigre feule, l'ouragan se déchaîne. Quand le dragon psalmodie, les nuages s'amoncellent. Mais quand un lièvre glapit ou quand un âne brait, ni le vent ni les nuages n'apparaissent. Tant qu'un ignorant lit le Sutra du Lotus et qu'un lettré disserte sur son sens, aucune critique ne s'élève et rien ne vient déranger le calme du pays. Mais quand un sage apparaît et expose le Sutra du Lotus exactement comme le Bouddha l'a enseigné, des clameurs s'élèvent dans le pays entier, et ce sage est en butte à des persécutions encore plus grandes que celles subies par le Bouddha de son vivant.

Maintenant, moi, Nichiren, je ne suis pas un homme de vertu et encore moins un sage. Je suis la personne la plus mauvaise au monde. Pourtant, ma vie semble en parfait accord avec les descriptions du Sutra. Par conséquent, lorsque je fais face à de grandes persécutions, je m'en réjouis plus que si mon père et ma mère revenaient à la vie, ou plus que quelqu'un qui voit arriver malheur à son ennemi. Tout ignorant que je suis, être considéré comme un sage par le Bouddha me remplit de joie. Par contre, il y des sages qui observent les 250 préceptes et qui sont aussi unanimement respectés [par les hommes] que l'est Taishaku par tous les êtres célestes. Mais que se passera-t-il si, aux yeux du Bouddha Shakyamuni et du Sutra du Lotus, ils semblent aussi malfaisants que Devadatta  ? Ils bénéficient peut-être pour l'instant du respect des autres, mais quelles conditions effroyables ils connaîtront dans leur vie prochaine !

Si le bruit se répand que vous semblez être un pratiquant du Sutra du Lotus, vos proches aussi bien que des personnes éloignées [réagiront de manière négative et] vous prodigueront des mises en garde faussement amicales en disant : "Si vous croyez au moine Nichiren, vous serez à coup sur entraîné dans la mauvaise direction, et vous susciterez le mécontentement de votre seigneur." Alors, inévitablement, vous abandonnerez la pratique du Sutra du Lotus. Il n'y a rien de plus dangereux, même pour des personnes vertueuses, que les stratagèmes employés parfois par les gens. Il est donc préférable de ne pas faire imprudemment savoir que vous pratiquez le Sutra du Lotus. Ceux qui sont possédés par un grand démon, lorsqu'ils seront parvenus à faire renier sa croyance à une personne, se serviront ensuite d'elle pour détruire la croyance de beaucoup d'autres.

Shofu-bo, Noto-bo et Nagoe-no-ama ont été mes disciples à un moment donné (note). Intéressés, lâches et ignorants, ils se faisaient quand même passer pour des personnes de sagesse. Quand j'ai subi des persécutions, ils en ont profité pour convaincre beaucoup de gens d'abandonner la foi. Si, vous aussi, vous vous laissez abuser, tous ceux qui, dans la province de Suruga, semblent croire au Sutra du Lotus ou qui sont sur le point d'y croire abandonneront le Sutra, sans exception. Quelques personnes, dans cette province de Kai, ont manifesté le désir d'adopter la foi. Pourtant, je ne leur ai pas permis de se joindre à nous si elles ne faisaient pas preuve d'une résolution très forte. Certains, tout en n'ayant qu'une compréhension superficielle, prétendent avoir une foi solide et parlent avec mépris d'autres croyants. Ainsi, il arrive souvent qu'ils perturbent la foi des autres. Ne leur prêtez pas la moindre attention. Grâce à la protection de Bonten et de Taishaku, le temps viendra où la population du Japon tout entière se mettra à croire [dans le Sutra du Lotus]. A ce moment-là, beaucoup prétendront qu'ils ont cru, eux aussi, depuis le début.

Si votre foi est forte, vous devez fermement décider : "Je pratique moins pour les autres que pour le bien de mon défunt père. Les autres ne peuvent pas offrir des prières à sa mémoire. Parce que je suis son fils, c'est moi qui dois prier pour son bonheur dans les vies futures. Je gouverne un village. Je dépenserai la moitié de mes revenus à faire des offrandes pour mon défunt père, l'autre moitié à nourrir ma femme, mes enfants et les gens de mon clan. Et si la situation l'exige, je donnerai ma vie pour mon seigneur." En toutes circonstances, parlez de manière mesurée.

Quiconque s'efforcera d'affaiblir votre croyance dans le Sutra du Lotus, comprenez bien que sa fonction est de mettre à l'épreuve votre foi. Et dites-lui, avec ironie : "Je vous remercie beaucoup de vos conseils mais vous devriez plutôt prendre garde vous-même. Je sais parfaitement que mon seigneur ne considère pas ma foi d'un bon oeil. Mais il est absurde que vous vous serviez de lui pour m'intimider. J'avais justement l'intention de vous rendre visite pour vous donner quelques conseils, mais vous avez été plus rapide que moi. Quand vous, votre chère femme et vos enfants serez traînés devant Emma, le roi des enfers, vous me supplierez probablement les mains jointes de vous venir en aide."

Ce que vous dites à propos du seigneur Niida (note) est sans doute exact. J'ai aussi entendu parler des gens d'Okitsu. Si l'occasion s'en présente, vous devriez vous conduire exactement de la même manière. Si des personnes de haut rang vous reprochent votre foi, considérez-les comme les grands ennemis du Sutra du Lotus et pensez que c'est une grande chance de les rencontrer, un événement aussi rare que la floraison de l'udumbara ou que le fait, pour la tortue borgne de trouver un morceau de bois de santal flottant. Répondez-leur avec calme et résolution.

On a vu des hommes qui administraient des domaines de mille ou dix mille arpents perdre la vie ou être dépossédés pour des incidents dérisoires. Si cette fois-ci vous avez l'occasion de donner votre vie pour le Sutra du Lotus, pourquoi donc le regretter  ? Le bodhisattva Yakuo* brûla son propre corps pendant mille deux cents ans et devint bouddha. Le roi Suzudan fit de son propre corps un tapis [pour son maître] pendant mille ans et renaquit sous la forme du Bouddha Shakyamuni.

Ainsi, ne vous y trompez pas. Si vous abandonnez votre foi dans le Sutra du Lotus maintenant, vous serez seulement l'objet de railleries [de la part de vos ennemis]. En se prétendant vos amis, ils essaieront de vous faire vous renier, bien décidés à rire de vous plus tard et à vous ridiculiser devant les autres. Laissez-les dire puis répondez  : "Les conseils que vous me prodiguez ainsi devant une grande assemblée, pourquoi ne vous les donnez-vous pas d'abord à vous-mêmes  ? " Et cela dit, quittez rapidement les lieux.

Informez-moi dans un ou deux jours [de ce qui se sera passé depuis votre dernière lettre]. J'ai encore beaucoup trop de choses à vous dire pour pouvoir le faire ici. Je vous écrirai donc plus tard.
Avec mon profond respect,

Nichiren.

Le quinzième jour du cinquième mois de la troisième année de Kenji (1277)

ARRIÈRE-PLAN - Ce gosho fut adressé à Nanjo Tokimitsu, connu aussi sous le nom de seigneur Ueno, le 15 mai 1277, en réponse à ses dons. Nanjo Tokimitsu vivait dans le village d'Ueno, dans la province de Suruga. Il commença à pratiquer l'enseignement de Nichiren très jeune et considérait Nikko, le successeur immédiat de Nichiren, comme son maître. La mort de son père et celle de son frère aîné le forcèrent à assumer la responsabilité d'intendant d'Ueno alors qu'il était encore un jeune homme.
Au cours de la persécution d'Atsuhara, en 1279, Nanjo Tokimitsu se servit de son influence pour protéger d'autres croyants, hébergeant certains d'entre eux dans sa propre demeure et faisant des démarches pour faire libérer ceux qui étaient emprisonnés. Nichiren Daishonin rendit hommage à son courage en l'appelant "le sage d'Ueno ", alors qu'il n'avait que vingt ans environ à l'époque. En représailles pour avoir soutenu Nichiren, le gouvernement lui imposa des taxes si lourdes qu'il ne pouvait même plus conserver un cheval ni acheter des vêtements pour sa femme et ses enfants.
En dépit de cette situation, lui et sa femme Myoren restèrent fidèles à Nichiren et ne cessèrent jamais de lui faire des dons, même lorsqu'ils avaient le plus grand mal à élever leurs nombreux enfants. Ils eurent, en définitive, neuf fils et quatre filles. On connaît actuellement près d'une quarantaine de gosho adressés à Nanjo Tokimitsu. Quand Nikko quitta le Mont Minobu en 1289, Tokimitsu lui fit don du terrain appelé Oishigahara, sur lequel le Taiseki-ji, temple principal de la Nichiren Shoshu, se trouve actuellement. Cette lettre est un avertissement plein de bienveillance pour Nanjo Tokimitsu, constamment entouré de prétendus amis qui, prétextant que c'était pour son propre bien, essayaient de le dissuader de continuer sa pratique. (Commentaire ACEP)

En anglais : The Workings of Bonten and Taishaku ou The Workings of Brahma and Shakra

- http : //www.sgilibrary.org/view.php?page=798&m=1&q=The%20Workings
- commentaires : http : //nichiren.info/gosho/bk_WorkingsBontenTaishaku.htm

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