QUELQUES ÉTATS MODIFIÉS DE CONSCIENCE ( RÉSUMÉ)

Pierre Buser*


« Expliquer comment fonctionne notre propre cerveau ne pourra jamais s’expliquer totalement nous disait dans une tout autre mesure Jacques Monod. Il s’agit de la liberté de notre activité mentale, de notre pensée. D’ailleurs, notre pensée est-elle aussi libre que nous le pensons ? N’est-elle pas tributaire de nos émotions et même du choix des mots qui en sont les véhicules ? Lorsque l’on sait qu’il existe 100 000 milliards de combinaisons synaptiques dans notre cerveau et que nous devons arriver à corréler ses activités synaptiques avec la pensée elle-même, la tâche est difficile ! »


Aborder les états modifiés de la “conscience” pose d’emblée le problème de définir cette dernière. Pour beaucoup d’entre nous, le danger de confusion existe dans la mesure où, dans notre langue tout au moins, le terme désigne d’une part le mental que nous vivons en permanence pendant notre état éveillé, et d’autre part une instance qui contient et nous dicte notre conduite morale et sociale. Cette confusion possible en français est parfaitement évitable en allemand comme en anglais (note). Il est entendu que dans ce qui suit il ne sera strictement question que de notre conscience psychologique.
Cet exposé n’aura pas pour objet de se poser et de discuter les problèmes, au demeurant fondamentaux et complexes, de la nature de la conscience mentale. Nous n’avons en vue que d’examiner très superficiellement et à titre d’exemples, certaines altérations psychiques et/ou comportementales habituellement considérées comme liées on peut le penser, au fonctionnement de la conscience.
Cela dit, et pour faciliter notre futur voyage à travers la conscience “altérée”, voici d’abord un schéma “éclaté” qui se propose de situer les diverses fonctions ou instances mentales autour de la conscience. Ce schéma n’a, précisons ce point, aucune valeur explicative fondamentale ni aucune prétention anatomique; il est pragmatiquement construit pour les besoins de l’exposé.

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 Examinons donc le schéma ci-dessus
Au centre, (1) rouge situe la conscience et sa dépendance dont il ne sera pas question ici, à savoir l’inconscient. L’axe gris-blanc (3) désigne les centres de régulation du niveau de vigilance ; à gauche, la zone de commande du sommeil soit lent sans mouvements oculaires rapides NREM * , soit « rapide » avec de tels mouvements oculaires REM * jusqu’à la droite, zone de gestion de l’état actif de veille. Les centres du sommeil sont inhibiteurs de l’activité consciente (flèche noire -)  et ceux de la veille entretiennent au contraire son activité (flèche +) Selon (2), actions de sollicitation de la conscience ainsi que  périphériques. Selon (4), (5) et (6), actions de contrôle de la conscience respectivement par l’attention, les mémoires et les émotions. Retenir l’importance de l’attention pour la sélection des objets de conscience (4, flèche rouge). (7) désigne globalement sans les détailler les commandes élaborées par les activités psychiques en direction soit du mental soit du comportement (intentionnalité).

Il est temps à présent de décrire un certain nombre de modifications psychiques ou comportementales en général associées directement ou non à des altérations de la conscience. A cet égard, un commentaire s’impose. Bien des auteurs dont certains un peu anciens déjà, ont d’emblée confondu vigilance et conscience, alors que le schéma proposé ici les distingue clairement. Que les deux interagissent, ne fait aucun doute, ainsi que le suggère le simple bon sens, qui nous montre que nous sommes essentiellement conscients en état de veille. Mais la distinction s’impose, car la vigilance avec ses divers niveaux, est par essence non spécifique qualitativement, alors que le travail de la conscience est précisément centré sur la sélection et la spécificité des représentations, des intentions et des actions. Cela dit, de nombreux états d’ « altération conscientielle » sont on va le voir associés à une atteinte de la fonction de surveillance de la vigilance.

SOMMEIL ET VIGILANCE

Voici précisément un premier domaine où joue essentiellement le niveau de vigilance. Car il s’agit de modifications conscientielles associées au sommeil et à ses altérations.

On décrit d’innombrables troubles du sommeil qui pour l’essentiel sont du domaine courant et n’appartiennent pas stricto sensu à la pathologie.
En revanche, dans le domaine pathologique, on peut retenir les narcolepsies, états de sommeil qui surviennent brutalement au cours de la journée, même en vie active. Ces narcolepsies sont le plus fréquemment caractérisées par des pertes de tonus musculaire et donc d’altération posturale (cataplexie). On peut aussi signaler et de brèves paralysies au réveil. Et, ce qui peut nous intéresser, sont également signalées des survenues d’hallucinations. On retient aussi les hypersomnies, d’origine clinique diverse.   Et par ailleurs on cite aussi le somnambulisme qui serait plus rare chez l’adulte que chez le jeune.

DÉFICIT DU CONTRÔLE ATTENTIONNEL

Il est à présent intéressant de rechercher des effets d’un dysfonctionnement de l’attention, cette instance dont on  connaît l’importance, déjà signalée ci-dessus dans la sélection des objets de perception et de pensée au niveau de la conscience.  Il y a d’abord deux grandes pathologies qui sont connues pour être au moins facultativement accompagnées de troubles attentionnels, à savoir  la schizophrénie et la maladie de Parkinson. Ces déficits sont variés. Il peut s’agir soit de  déficit de flexibilité de l’attention, soit d’une incapacité à la fixer, soit d’une incapacité à la désengager.
Un troisième syndrome est, lui, typique de l’enfant/adolescent (rarement jusqu’à l’adulte) Il s’agit de l’affection dite TDAH, trouble de l’attention et hyperactivité (ADHD, attention deficit, hyperactivity disorders). Le jeune sujet est à la fois hyperactif et incapable de fixer sont attention sur une cible donnée, donc d’une extrême distractibilité.

DÉFICITS DE LA MÉMOIRE    

Et nous touchons maintenant aux déficits de la mémoire qui se traduisent par des pathologies décrites depuis longtemps, regroupées sous le nom d’amnésies.

La psychopathologie en décrit classiquement deux types par rapport au moment  de l’apparition :  l’amnésie rétrograde, oubli du passé récent ou lointain le précédant et l’amnésie antérograde, incapacité de fixerles événements dans l’immédiat. L’amnésie peut aussi être globale.  
La pathologie tend à être moins élective, en décrivant le syndrome de Korsakoff, amnésie globale liée à des intoxications chroniques en particulier éthyliques. Quant à la maladie d’Alzheimer, l’amnésie, tout au moins en son début touche surtout des faits récents .En revanche, seraient particulièrement résistants des éléments dits implicites, souvenirs “inconscients” ou de la vie “automatique”.
On connaît de nombreux autres syndromes amnésiques liés :

- à la sénescence mais bénins
-à des traumatismes crâniens
-à des accidents cérébro-vasculaires
- à certaines crises d’épilepsie
-un oubli précis des évènements vécus (caractérisant la mémoire dite épisodique) est observable chez des patients atteints de schizophrénie.

PERTES BRÈVES DE CONSCIENCE.   On a groupé ici des épisodes touchant la vigilance ou seulement la conscience, qui constituent un ensemble tout à fait hétérogène quand à leur étiologie. Leur point commun est leur durée relativement courte, facteur pouvant interférer dans la vie professionnelle et sociale en particulier.

Commotion cérébrale : peut survenir à la suite, soit d’une accélération soit d’une décélération brutale de la tête (et du corps), ou d’une percussion violente portée à la tête. La “perte de connaissance” est souvent suivie d’une amnésie rétrograde temporaire
Syncopes : perte de conscience et du tonus postural avec retour spontané assez rapide. Ou bien sensation d’évanouissement sans perte de connaissance. Avec possible vertige, peut survenir à la suite d’une baisse de l’irrigation sanguine cérébrale en 8 à 10 secondes. Seraient souvent dus à une activité intensifiée du nerf vague parasympathique, dont l’action ralentisseur  du rythme cardiaque et dilatatrice des vaisseaux généraux est bien connue, et qui peut être contradictoirement accompagnée d’une constriction des vaisseaux cérébraux- (crise vasovagale)
Epilepsies. On connaît de cette affection de nombreuses formes, différantcliniquement, en particulier l’importance de la perturbation épisodique et en général de durée limitée, de la conscience. Trois types sont le plus courants.
L’épilepsie dite Grand Mal ; crise tonico-clonique avec chute et perte de connaissance.
La crise Petit Mal ; signes clinique posturaux rares, mais une «absence » qui est précisément une perte du contact, traduisant la perte de conscience sans réelle perte de connaissance.
Les épilepsies focales ; les signes cliniques sont en principe liés à une lésion localisée du cortex en particulier temporal. La perte de conscience est facultative, tantôt limitée tantôt liée à une invasion de la crise à d’autres territoires.

LES HALLUCINATIONS

On définit classiquement les hallucinations comme des perceptions sans objet à percevoir. Une hallucination se distingue d'une illusion qui est une perception anormale d'un stimulus externe réel, comme aussi  de l’hallucinose, où le patient reste critique quant à la réalité ou non de la perception anormale qu’il expérimente.

Les causes d’hallucinations sont multiples : en cas de déshydratation sévère ; hallucinations hypnagogiques au moment de l'endormissement; hallucinations dite hypnopompiques au réveil ; sous l’effet d’intoxications (en particulier par les hallucinogènes); dans certaines pathologies du sommeil (narcolepsie), de pathologies neurologiques (épilepsie, maladie de Parkinson), organiques (méningo-encéphalites infectieuses) ; de pathologie psychiatriques (schizophrénie).

On distingue volontiers : les hallucinations psychosensorielles qui sont objectivées par l’un des cinq sens (auditives, visuelles, tactiles, olfactives et plus rarement gustatives) ; les  hallucinations psychiques. qui sont dépourvues de spatialité et de sensorialité, contrairement aux précédentes. “Psychiques”, car elles ne présentent pas suffisamment de caractéristiques sensorielles pour être confondues avec une perception. Il s’agit le plus souvent d’hallucinations psycho-verbales, voix intérieures qu’il est parfois difficile de distinguer de l’activité mentale propre du sujet. Elles sont en général vécues comme empreintes d'un  sentiment d’étrangeté.

L’AUTISME

L’autisme est une pathologie psychiatrique qui se développe au jeune âge et se prolonge à l’état adulte avec une insertion sociale et professionnelle difficile. Il se caractérise par un comportement d’isolement et de retrait de tout contact de la part du malade. Le diagnostic de cette pathologie est difficile. Dans la période assez récente un certain diagnostic a été développé autour d’un des déficits qui a paru caractéristique, à savoir l’incapacité de deviner ce que pense l’autre dans une situation où un enfant normal en serait capable. La figure 2 ci-contre illustre le moyen de diagnostic qui reste très critiqué mais qui ouvre des horizons sur certains mécanismes cognitifs chez l’enfant. Le sujet autiste manquerait d’une “théorie de l’esprit de l’autre” (theory of mind ) plus volontiers appelé maintenant « lecture de l’esprit » (mind reading).

FIGURE 2
Deux enfants Sally et Anne sont sur la scène, un adulte et un enfant les observent (non visibles sur l’image). À un moment (A), Sally range sa bille dans son panier et s’en va (B). En son absence, Anne saisit la bille et la range dans sa propre boîte (C). Quand Sally revient (D), l’adulte demande à l’enfant observateur de la scène «à ton avis, où Sally va-t-elle chercher sa bille ?». Il apparaît que si l’enfant qui a vu la scène a plus de 3-4 ans, il n’aura aucun mal à prédire que Sally cherchera dans son propre panier. En revanche un enfant plus jeune, ainsi qu’un autiste même beaucoup plus âgé auront une croyance erronée et indiqueront la boîte, ne sachant en quelque sorte pas se mettre à la place de Sally.

LES  COMAS

Il s’agit en fait d’états plus ou moins prolongés de non conscience en liaison avecune abolition partielle ou totale de la vigilance. Les signes cliniques sont variables et d’une extrême complexité. De même d’ailleurs que l’étiologie.

Certaines données recueillies chez l’animal et qui ont été vérifiées chez l’homme font état d‘un rôle essentiel du tegmentum mésencéphalique (formation réticulée) dont la destruction ou la lésion large détermine un coma prolongé et profond. De telles “souffrances cérébrales diffuses” (encéphalopathies, empoisonnements, traumatismes étendus etc..) sont effectivement à l’origine de comas. La pathologie humaine a d’autre part décrit toute une série de comas liés à des lésions cérébrales plus locales, certaines tegmentales, d’autres de localisation différentes. et souvent corticales VER Ce qui frappe est la variation de profondeur du coma et de son évolution. En coma profond, (« coma végétatif ») le sujet peut ou non avoir conservé une fonction de base, sa respiration, avec une conscience complètement ou partiellement absente, ce qui exige les plus grandes précautions quant aux conclusions hâtives sur l’irréversibilité chez ces patients qui peuvent rester ainsi pendant des années, posant un problème éthique fondamental. La sortie du coma est assez fréquemment observable, d’autant que les soins donnés sont prolongés et comportent des stimulations psychologiques ou sensorielles du malade. Parmi ces sorties du coma, on décrit les cas des “expériences près de la mort” (near-death exprience NDE).dites en français “expérience de mort imminente”(EMI) .Il s’agit d’un événement de caractère assez extraordinaire, décrit depuis l’antiquité, et quel que soit le passé culturel ou religieux du malade : l’épisode bref comporte un affect euphorique, un état d’être « hors de son corps etc. ». La NDE a suscité et suscite toujours des débats quant à sa signification au cours de la sortie du coma. On manque de données sur les mécanismes impliqués, sinon qu’il pourrait s’agir des effets de reprise peut-être brusque de la circulation sanguine au niveau de structures cérébrales profondes

Les diagnostics différentiels du non-coma. En dehors des véritables comas, on décrit maintenant deux syndromes qui s’en distinguent nettement, mais où le patient a des apparences de comateux.

Un patient atteint de mutisme akinétique, ne bouge pas ; il ne parle pas, n’obéit pas aux ordres et garde les yeux ouverts.
Chez un patient atteint de Locked-in syndrome, la vigilance et la conscience sont préservées ; le patient communique en établissant un code réalisé avec les mouvements de verticalité des yeux. Ce qui autorise une certaine communication avec un opérateur.

 

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