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Les différents rôles d’un enseignant au Japon

Nemu Yoake (note)

18 juillet 2016


Il est demandé aux enseignants japonais de remplir de nombreux rôles qui sont considérés comme n’étant pas ceux d’un enseignant en France. En France, un enseignant enseigne. Il fait bien quelques autres activités complémentaires telles que le soutien scolaire, l’orientation des élèves et autres, mais son rôle est limité si on le compare à celui d’un enseignant japonais.

Alors, quels sont donc les rôles d’un enseignant au Japon ?

Ils doivent bien sûr être des enseignants….

Pas de grosse surprise concernant cet aspect de leur métier : ils doivent enseigner leur matière, c’est-à-dire préparer leurs cours, faire leurs cours en classe, évaluer les élèves, corriger les copies etc. Ajouter à cela toutes les réunions nécessaires pour la mise en place du programme, réunions pédagogiques et autres. Normal d’un point de vue français.

Ils doivent AUSSI être des ET éducateurs spécialisés, assistants sociaux, psychologues parents de substitution

Au Japon, on appelle «seito shidou » le terme englobant tous ces rôles. Il n’existe pas d’équivalent en français, même pas le fameux «gestion des élèves», parce que justement, il ne s’agit pas de gestion. En anglais, le terme correspondant est «student guidance». «Guider les élèves sur le chemin de la vie » si vous vous sentez l’âme d’un poète.

Les enseignants ont en charge le « homeroom » (« heures de vie de classe » en France) tous les jours, en début et en fin de journée. Durant ces heures, ils communiquent le programme de la journée à la classe, discutent de différents thèmes concernant la vie de la classe avec leurs élèves, laissent les représentants des différents « han » s’exprimer (groupes composés de plusieurs élèves qui gèrent un aspect particulier de la vie des élèves comme les études, la santé, le journal de l’école, le matériel etc.), règlent des conflits ou de simples problèmes logistiques, etc.

Ils prennent aussi le temps d’avoir un entretien particulier avec chacun de leurs élèves pour apprécier leur situation, évaluer s’ils ont un quelconque problème particulier (pas tous les jours, hein !)… En plus de ces entretiens, chaque enseignant s’assure de visiter au moins une fois par an le foyer de ses élèves (surtout à l’école élémentaire) afin d’observer dans quelles conditions ils vivent. Ils s’assurent que chacun de leurs élèves sache où aller l’année qui suit (poursuite d’études ou entrée sur le marché du travail pour les niveaux collège et lycée). Ils gèrent aussi les problèmes affectifs et psychologiques des élèves en organisant des séances en tête à tête avec eux. Ce sont des séances au cours desquelles les élèves s’épanchent sur leurs soucis, sur leurs problèmes personnels ou au sein de leur foyer.

Ils s’occupent aussi de la santé physique de leurs élèves puisqu’ils mangent avec eux (jusqu’au collège) pour s’assurer que leurs parents leur ont préparé un bento (repas de midi dans une boîte) avec des quantités adaptées à leur âge et équilibré. Lorsque le repas est préparé par l’école, ils les éduquent à manger de tout, à finir leur part et les poussent à adopter de bonnes manières à table (il arrive que certains enfants en première année de maternelle crachent/jettent par terre la nourriture qu’ils n’aiment pas car ils font comme ça à la maison. L’enseignant les rééduque à l’occasion de chaque repas). Les enseignants amènent eux-mêmes un bento idéal qu’ils mangent en classe afin de servir de modèle. Le temps du repas est aussi un moment idéal pour créer des liens. Les élèves apprennent les bases de la diététique et l’origine des produits qu’ils mangent. On leur apprend à respecter le travail des personnes qui ont créé les produits qui servent à la préparation de leur repas à l’occasion de visites de fermes.

De plus, les enseignants éduquent aussi leur élèves afin de les préparer à entrer dans la vie active. L’éducation au travail commence dès la maternelle et s’accentue à l’école élémentaire avec des visites organisées dans des ateliers de fabrication de produits artisanaux, de produits alimentaires etc. Chaque élève apprend les efforts nécessaires à la création de chaque chose (en plantant eux-mêmes du riz et/ou en s’occupant d’un jardin potager par exemple). Ils apprennent aussi que chaque métier a son importance, que chaque personne, même en faisant un métier qui paraît insignifiant, contribue de par ses efforts à l’amélioration de la société et au bien-être de tous. Par conséquent, même un travail qui paraît insignifiant doit être effectué avec le plus grand soin, et les personnes qui font ces métiers doivent être autant respectées que tout un chacun. Travailler est un devoir moral. Contribuer à la société l’est aussi. (mais entre ce qui est enseigné à l’école et l’influence de la société, les résultats d’une telle éducation sont relatifs)

En plus de leur rôle de passeur de savoir, les enseignants ont en charge des clubs d’activités (au niveau collège et lycée, beaucoup plus rarement au niveau primaire) qui sont des clubs sportifs ou culturels. Ils s’occupent de coacher les élèves, de les entraîner avant et après les cours. Les entraînements ont lieu aussi le weekend et pendant les vacances, donc les enseignants s’occupent de leurs élèves sur leur temps « libre » aussi (remarquez le « libre » entre guillemets…). Le travail d’éducation se fait aussi pendant ces heures, qui sont considérées comme aussi importantes que les heures de cours. Les élèves apprennent à se donner à fond pour progresser, accepter la défaite, gérer de front études et sport, être exigeants avec eux-mêmes, faire partie d’une équipe soudée qui coopère pour atteindre un même objectif, etc.

Les enseignants s’occupent aussi de l’éducation et de l’enseignement moral des élèves. Cela peut être aussi simple que : « Lace tes lacets. » ou « Rentre ton T-shirt dans ton pantalon. » (même au niveau collège ou lycée, car il est considéré comme nécessaire d’avoir en toute occasion une apparence soignée. Sauf dans certaines écoles dans les grandes métropoles où, malheureusement, l’éducation part en sucette car les enseignants sont débordés), mais cela comprend aussi l’enseignement du bien et du mal, de ce qu’il est acceptable/inacceptable de faire en société, la politesse, penser aux autres avant d’agir, ne pas être une nuisance pour autrui etc. En sortant de la période de scolarité obligatoire, l’élève doit être pleinement éduqué afin de contribuer de par ses actions à l’amélioration de la société. Il ne doit pas devenir une charge pour la société par manque d’éducation morale. Il s’agit d’un vrai travail d’éducation qui correspond plus au travail d’éducateur spécialisé en France. Ou plus exactement au rôle des parents d’un point de vue français. Pour renforcer les liens avec leurs élèves, les enseignants entretiennent pour cela une correspondance avec eux. Ceux-ci écrivent leurs pensées dans un carnet que l’enseignant lit tous les jours et auquel il répond par écrit.

Le but de tout cela est de construire des liens de confiance et d’interdépendance affective entre les enseignants et leurs élèves. Chaque élève doit comprendre que ce qu’il pense ne pas pouvoir dire à ses parents, il peut le dire à son enseignant et que celui-ci est son « allié » (« mikata »). L’enseignant n’est pas seulement la personne qui délivre du savoir, il est aussi un guide, un modèle à imiter, un adulte référent vers lequel l’élève peut se tourner en cas de problème.

Enseigner au Japon est un vrai sacerdoce et n’est donc pas un métier dont l’extrême exigence est à prendre à la légère. C’est un métier qui est plus destiné à des personnes qui ont une âme d’éducateur plutôt qu’à des personnes souhaitant simplement enseigner leur matière.

 

 
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